Dialogue 2008/4 n° 182

Couverture de DIA_182

Article de revue

Éditorial

Pages 3 à 5

1Il y a des thèmes peut-être trop ambitieux parce que trop vastes ; au fil de la construction de ce numéro, nous avons été confrontés à l’ampleur du sujet, et surtout au risque de confusion épistémologique qu’il pouvait susciter. Sachant que la revue Dialogue se positionne au carrefour de différentes disciplines – psychanalyse, sociologie, anthropologie, histoire, psychologie, philosophie… – nous avons tenté de relever le défi.

2À l’heure de la téléréalité excitant les pulsions partielles et abrasant la complexité de la réalité psychique, les frontières dedans-dehors sont remises en question. Un idéal sécuritaire s’appuyant sur les craintes suscitées par la mondialisation développe un « Big Brother » censé tout contrôler. Il en découle des paradoxes ayant des effets d’aliénation ; pour protéger l’individu, on force la porte de son intimité. On développe tout un système de transparence, via des procédures sophistiquées d’évaluations croisées. Tout le monde doit être évalué et capable de montrer ce qu’il fait. Les étudiants évaluent les professeurs, les patients évaluent les thérapeutes, attaquant du même coup les assises générationnelles. Ces façons de faire suscitent des systèmes pervers ou adaptatifs selon le point de vue qu’on défend.

3Il ne doit pas y avoir de secret – du moins officiellement –, comme si on n’en avait pas encore compris la valeur structurante. Les cliniciens ne peuvent vivre et penser hors du monde qui les entoure, ils sont baignés dans une culture du « tout dire » qui glisse, de façon perverse, vers le « tout voir ».

4Ce qui ne nous regarde pas est l’Inconscient que nous ne voulons pas voir en nous, alors que nous nous précipitons pour le regarder chez l’autre. En tant que thérapeutes de couple et de famille, nous sommes constamment sollicités dans notre propre curiosité sexuelle infantile. Certains couples, en nous exposant leurs difficultés sexuelles, barrent l’accès aux fantasmes. Le bruit extérieur, c’est-à-dire l’excitation sexuelle généralisée, vient parfois perturber notre écoute.

5Pourtant, les couples et les familles avec lesquels nous travaillons ont besoin de nous faire partager leur intimité. Ainsi, un homme et une femme évoquant leur fille au cours d’une séance : « Nous vous avons apporté sa photo, parce que sinon vous ne pourrez pas vous la représenter. » Cette photo de leur fille adoptée montrait surtout la couleur de sa peau, renvoyant ces parents à des sentiments d’étrangeté. Bien entendu, le détour par une réalité objective n’est pas en soi un argument technique. Cependant il constitue parfois un filtre à des points aveuglants.

6Si le psychanalyste se méfie, à juste titre, de la suggestion ou de toute autre attitude potentiellement séductrice, sa neutralité face aux couples et aux familles ayant des difficultés de symbolisation est souvent mise en question. Sa fonction – au moins temporaire – d’étayage du fonctionnement mental l’expose à une forme de dévoilement. Ce qui nous regarde alors, mais que l’on veut parfois éviter, se tient dans l’ombre des alliances inconscientes de l’espace thérapeutique. Notre légitimité, notre cadre interne, sert de point d’appui pour travailler les communautés d’évitement et ce qui est au cœur de notre métier : le travail de contre-transfert.

7Ce numéro s’ouvre sur un article de Jean-Pierre Vidal qui l’ancre dans sa dimension psychanalytique, tout en l’articulant aux dimensions mythologique et culturelle. Les articles de Françoise Aubertel et de Françoise Brossier-Mével, chacun à sa façon, montrent la difficulté des thérapeutes familiaux à respecter la « censure familiale » et la constitution – ou reconstitution – d’une nécessaire intimité.

8Annie de Butler et Évelyne Serpolay se centrent sur le couple. Nous retrouvons les mêmes questions sur les limites du « voir » et ces deux auteurs nous font partager leurs réflexions contre-transférentielles. À la lumière de ces différents articles, il peut être d’ailleurs intéressant de mettre en perspective le travail du psychanalyste, selon qu’il se trouve face à un couple ou à une famille.

9La question des limites et de l’intimité se pose de façon cruciale à l’adolescence. Les articles de Florence Bécar et de Nathalie de Kernier mettent en évidence, dans des cadres très différents, l’espace privé de l’adolescent et le sentiment d’intrusion qu’il peut vivre.

10Enfin Maryse Pascau signe un article très intéressant sur les entretiens autour de l’IVG. Cela illustre le thème du numéro en posant la question de la légitimité de nos interventions.

11Trois articles « hors thème » complètent ce numéro. Jean-Maurice Blassel nous propose l’expression « fantasme de Cupidon » pour désigner les organisateurs inconscients de la conjugalité en s’interrogeant sur leurs combinaisons potentiellement difficiles avec la parentalité. Vincent Garcia, de son côté, souligne la richesse de la complexité au sein du couple – un « espace à trois facettes » – qui peut permettre la reprise d’éléments non symbolisés restés en jachère. Enfin, le numéro se termine sur une recherche de Marie Constantin-Kuntz et Annick-Camille Dumaret, étayée par une méthodologie rigoureuse. Il y est question de l’évolution des liens fraternels à la suite d’un placement en village d’enfants.

12Ce numéro tente de montrer le processus analytique à l’œuvre dans différentes situations. Nous espérons qu’il incitera le lecteur à mieux comprendre la légitime nécessité pour le clinicien « d’aller regarder » dans des zones interdites sans céder pour autant aux sirènes des pulsions partielles.

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