Notes
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[1]
En 2002, Enfant présent a en outre mis en place, de façon complémentaire, une mini-crèche collective.
-
[2]
Tel est également le constat auquel a abouti le sociologue Dominique Fablet dans le travail de recherche qu’il a mené dans le cadre de l’association ERISFER (Équipes de recherche et d’intervention en suppléance familiale et éducation résidentielle) et publié en mai 1999 sous le titre : « Suppléance familiale précoce et soutien à la parentalité : Enfant présent, un dispositif de prévention socio-éducative innovant » (cf. notamment p. 47-54 : « Des orientations très actuelles »). Il y définit à ce propos la prévention secondaire comme ce qui « consiste à traiter rapidement et de manière adaptée un trouble ou un dysfonctionnement dès son apparition, ou plutôt dès qu’on a pu le dépister, assez souvent grâce à la mise en évidence de facteurs de risque et à la définition d’une population cible ».
1PRÉAMBULE – Lorsque, en 1986, Christine Auguin, assistante de service social du département de Paris, me fit part de son projet de créer une crèche familiale préventive dans un cadre associatif, j’étais médecin responsable d’unités de soins ambulatoires du secteur de psychiatrie infanto-juvénile du XIXe arrondissement de Paris. J’y avais pour ma part créé, en 1984, un service d’accueil familial thérapeutique. J’eus immédiatement à cœur et à raison de saluer et de soutenir son initiative, tant elle pouvait répondre, à l’évidence, à des besoins familiaux connus, mais non couverts par les services publics en place. Plutôt que de demander aux familles en difficulté avec leurs jeunes enfants de s’adapter à l’existant, Christine Auguin proposait de mettre en place un dispositif susceptible de s’adapter aux besoins de ces familles. La confiance qu’elle plaçait – et que je partageais – dans le potentiel d’accueil que représentent des assistant(e)s maternel(le)s judicieusement recruté(e)s, soigneusement formé(e)s et correctement accompagné(e)s fut l’un des ingrédients majeurs du projet envisagé sur ces bases. L’association « Enfant Présent » fut mise à flot en 1987 par Christine Auguin et par Françoise Gerber (psychologue clinicienne), qui en tiennent toujours le gouvernail. Elle dut et sut faire face à moult tempêtes, contourner des récifs plus ou moins insidieux, voguer malgré tout de port en port. Elle est aujourd’hui reconnue à juste titre comme une défricheuse de nouvelles pratiques et suscite de nombreuses initiatives qui s’inspirent d’elles. J’en suis resté l’occasionnel, mais fidèle, compagnon de route. En 2003, l’occasion se présenta à moi de rencontrer, au fil de trois réunions, un groupe d’assistant(e)s maternel(le)s chevronné(e)s de l’association qui souhaitaient faire connaître les différents aspects, les spécificités et les aléas de leur exercice professionnel. Encouragés par la direction de l’association, les membres de ce groupe éprouvaient le besoin de décrire aussi minutieusement que possible les caractéristiques d’un engagement et d’une pratique qui devaient être mieux prise en considération tant par les administrations de tutelle qui y avaient recours que par celles qui envisageaient de le faire. La richesse de leurs observations et de leurs réflexions m’a amené à tenir la plume pour en rendre compte, aussi objectivement et fidèlement que possible. Le texte qui en est résulté a été validé par les assistant(e)s maternel(le)s qui en ont fourni la matière. Il a selon moi vocation à être porté à la connaissance du plus grand nombre possible de professionnels de l’enfance et de la famille. Le présent numéro de la revue « Dialogue » en fournit une belle occasion.
2Frédéric Jesu
Présentation de l’association « Enfant présent »
3L’association Enfant présent ( EP ) s’est créée en 1987 pour répondre aux besoins d’accueil et de soutien des enfants de zéro à 3 ans de familles parisiennes en difficulté et pour proposer une gamme d’accueil et d’interventions socio-éducatives adaptés aux situations de chacune d’entre elles. Le dispositif est évolutif : un enfant peut passer d’un mode d’accueil à un autre en fonction de ses difficultés ou de celles rencontrées par sa famille.
4Enfant présent a trois caractéristiques majeures :
- la première est de disposer, au sein de crèches de droit commun, de différentes
possibilités d’accueil :
- deux crèches familiales de 60 places chacune, et reposant sur 44 assistant(e)s maternel(le)s, permettent d’organiser l’accueil des enfants de façon souple et modulable en fonction des difficultés de leurs parents ; ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 12 mois sur 12, ce dispositif garantit l’individualisation du rythme d’accueil de chaque enfant ;
- une mini-crèche collective de 20 places propose un accueil collectif permanent ou occasionnel.
- la deuxième est de proposer au sein de ces crèches :
- d’une part, un soutien et un accompagnement personnalisés des parents en difficulté dans les remaniements psychologiques et/ou dans les réorganisations sociales qu’ils ont à opérer ; l’équipe pluridisciplinaire de la crèche conjugue ainsi les compétences traditionnelles du secteur de la petite enfance (puéricultrice, auxiliaires de puériculture, éducateur de jeunes enfants, pédiatre) à celles du secteur de la protection de l’enfance (éducateur spécialisé, temps de psychologue renforcé) ;
- d’autre part, une intervention précoce auprès de l’enfant lorsque les difficultés ont perturbé son développement : un projet individualisé est élaboré pour chaque enfant.
- la troisième caractéristique est l’existence d’un service d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) dite administrative, non sectorisé et d’une capacité de 40 enfants, permettant le suivi renforcé, à la demande des parents, de certains enfants qui le nécessitent. L’originalité de ce service repose sur le fait qu’il est intégré à la crèche et qu’il rend possible le suivi des enfants au-delà de 3 ans.
5Le dispositif EP facilite ainsi l’observation et l’évaluation des liens qui unissent un enfant à sa famille tout en proposant un service qui va de l’accueil à la journée à une suppléance familiale précoce, partielle et transitoire, qui s’exerce sous différentes formes tant auprès de l’enfant que de ses parents.
Une spécificité d’exercice pour un projet spécifique
6Depuis sa création en 1987 [1], le projet social d’EP passe par un dispositif innovant et évolutif : la crèche familiale préventive. Ce dispositif a trois conséquences essentielles pour les assistant(e)s maternel(le)s ( AM ) de l’association : les unes sont liées à la notion de métier de l’accueil familial, d’autres à la dimension préventive de cet accueil et d’autres enfin au cadre associatif.
-
le dispositif de la crèche familiale fait reposer sur les AM toute la fonction
d’accueil des enfants, tout en organisant les temps de « regroupement », de
régulation collective et d’activités partagées, notamment de formation permanente, qui viennent appuyer cette fonction. Les AM ont un statut déterminé
par l’État, un agrément délivré par le conseil général (pour un accueil de jour
comme pour un accueil à temps complet), un contrat de travail et un salaire
fixés par l’employeur (en l’espèce, par EP ) dans un cadre conventionnel.
C’est à ces conditions et pour ces raisons que les AM sont considéré(e)s par
la société comme des professionnel(le)s de l’accueil de la petite enfance.
Leur métier est reconnu comme tel dans la mesure où, comme tout métier, il
consiste à :
- mettre en application dans chaque cas une série de techniques acquises par la formation et par l’expérience (ici, les techniques d’accueil de la petite enfance) ;
- être apte à le faire dans les conditions déterminées par l’employeur (ici, à la fois dans le cadre de la vie personnelle, familiale et sociale de chaque AM et dans le cadre du travail en équipe institué par EP ).
-
la particularité de la crèche familiale d’EP est d’être préventive. Cette particularité ne se résume pas au fait que les familles de certains enfants bénéficient en même temps de prestations d’AEMO dispensées par EP ou par d’autres
intervenants. Par définition mais aussi par nécessité, c’est-à-dire du fait des
caractéristiques individuelles et familiales des enfants accueillis, ce sont en
pratique chacun(e) et l’ensemble des AM d’EP qui sont mobilisé(e)s en permanence et organisé(e)s en fonction d’objectifs de prévention.
De quel type de prévention s’agit-il ? L’association EP est agréée et soutenue par la ville, le département et la caisse d’allocations familiales de Paris au titre des compétences qu’elle mobilise et organise en direction de trois objectifs simultanés et intriqués :
- assurer sur le mode de la suppléance partielle et modulable un accueil familial séquentiel et une coéducation appropriés à des enfants de moins de 3 ans risquant d’évoluer de façon péjorative ou manifestant des troubles précoces du développement du fait des difficultés psychosociales et éducatives de leurs parents ;
- proposer un soutien et un accompagnement personnalisés à ces parents, en les associant notamment à l’organisation de l’accueil familial de leurs enfants, afin de favoriser le remaniement relationnel et/ou la réorganisation sociale qu’ils ont à opérer pour mieux assumer, notamment, leurs fonctions parentales ;
- articuler en permanence ces deux types d’interventions afin de privilégier, de façon précoce et suivie, le maintien ou la restauration de liens satisfaisants entre l’enfant et ses parents et afin d’éviter, si possible, le recours au placement institutionnel (de protection socio-éducative ou sanitaire) de l’enfant.
- la crèche familiale préventive d’EP est de nature associative. C’est-à-dire que son conseil d’administration et ses salariés – et notamment les AM –, partagent un ensemble de valeurs. Ces valeurs se traduisent par une approche respectueuse et confiante des familles en difficulté, par une volonté et une capacité de percevoir en elles les ressources mobilisables derrière les problèmes les plus manifestes, par un refus actif du fatalisme et de la stigmatisation en même temps que par un goût pour l’innovation et l’expérimentation menées dans le cadre d’un travail d’équipe. La dimension expérimentale d’EP, comme l’intérêt et les contraintes qu’elle comporte, sont toujours clairement annoncés aux AM candidats.
8L’apport des AM au projet associatif d’EP ne se résume donc pas à leur métier et à leurs compétences « techniques », bref à leur « savoir-faire ». Il intègre aussi un certain type de comportement fait de souplesse, de rigueur et d’humanisme, un « savoir-être » bien particulier qui préexistait sans doute à leur embauche mais qui semble s’accentuer et se consolider – sans doute parce qu’il a été reconnu et valorisé par EP – au fil de l’expérience et du temps.
Une conception globale et ambitieuse de l’accueil familial
9Les assistant(e)s maternel(s) de l’association Enfant présent exercent donc leur métier dans un cadre qui leur demande d’avoir ou d’acquérir un certain nombre d’aptitudes particulières. Celles-ci doivent simultanément leur permettre :
- d’accueillir des enfants de moins de 3 ans rendus vulnérables par les difficultés psychosociales et éducatives de leurs parents ;
- de réserver à ces parents un type d’accueil à la fois relationnel et centré sur la personne de leurs enfants, et modulé dans le cadre d’un projet d’équipe visant à prévenir la dégradation des liens filiaux ;
- de contribuer au tissage de liens sociaux inédits entre les familles accueillies, l’ensemble des acteurs fédérés par l’association au sein de leur environnement.
10Il est ainsi possible d’identifier avec précision les spécificités du métier d’AM au sein d’une crèche familiale préventive du type d’EP à chacun de ces trois niveaux : l’accueil des enfants, les relations avec les parents et l’organisation du travail en équipe.
11Cet inventaire descriptif s’avère en effet indispensable :
- pour consolider l’organisation, le fonctionnement et le développement actuels du projet d’EP sur le territoire parisien, 17 ans après sa mise en oeuvre ;
- pour en guider la « reproduction » éventuelle sur d’autres sites départementaux et, notamment, le volet correspondant au recrutement et à la formation appropriés d’AM agréé(e)s sur ces nouveaux sites.
Les aptitudes spécifiques requises des assistant(e)s maternel(le)s pour l’accueil des enfants
Mobilisation intensive à certains moments clés et disponibilité permanente
12La préparation du premier accueil, celle des séquences de séparation et celle des départs des enfants requièrent une participation intensive de l’AM et, souvent, de la famille de l’AM.
13Les fréquentes modifications et contraintes et les divers aléas affectant le fonctionnement familial des parents peuvent entraîner, de surcroît, des réajustements inattendus de l’organisation de l’accueil de l’enfant en même temps qu’une évolution parfois rapide des besoins propres de celui-ci, auxquels il faut alors s’ajuster sans trop attendre.
14Ces différentes caractéristiques de l’accueil séquentiel nécessitent une posture professionnelle marquée par une sorte de disponibilité permanente – pour ne pas dire d’astreinte – qui s’impose à l’AM et, dans une certaine mesure, à sa famille : disponibilité physique mais également psychique et morale, que l’enfant soit présent ou absent.
15Même si cette disponibilité à l’égard de l’enfant n’est pas reconnue sur le plan de la rémunération (a fortiori lorsque l’enfant n’est pas présent physiquement), elle est souvent assumée au nom de valeurs d’un autre ordre que financier : intérêt supérieur de l’enfant, volonté de l’aider sans juger ses parents, empathie à l’égard de l’un et des autres. Ces valeurs sont souvent reconnues et commentées positivement par l’entourage de l’AM.
16L’expérience enseigne en outre que cette aptitude à la disponibilité est la source d’une bonne part des effets positifs attendus de l’accueil de l’enfant mais aussi de l’accompagnement de ses parents.
Importance des besoins éducatifs des enfants
17Les besoins éducatifs sont souvent particulièrement importants pour les jeunes et même très jeunes enfants confiés à EP par leurs parents. Tout se passe comme si l’enfant donnait à voir dans la famille de son AM qu’il est le « résultat » tant de ce qu’il a acquis, que de ce qu’il n’a pas acquis avec ses parents. Son hygiène et son rythme de vie, ses conduites et ses comportements alimentaires, sa stabilité émotive, ses comportements sociaux de base sont souvent à construire ou à remanier.
18Pour contraignant que soit parfois ce contexte, il faut que l’AM sache guider l’enfant et répondre à ses attentes et besoins au quotidien, tout en réussissant à prendre le recul nécessaire pour l’observer et observer ses évolutions et en référer à l’équipe technique d’EP.
Les aptitudes spécifiques requises des assistant(e)s maternel(le)s pour les relations avec les parents
Importance de la disponibilité relationnelle à l’égard des parents
19Les AM ont des échanges fréquents, réguliers et individualisés avec les parents. Ces échanges ont lieu le plus souvent à leur domicile, mais aussi dans les locaux d’EP ou lors d’activités et de sorties collectives. La dimension relationnelle – et pas seulement transactionnelle – de ces échanges est considérée par les AM comme déterminante mais aussi accaparante et parfois préoccupante.
20Les parents manquent souvent d’assurance avec leurs enfants. Ils ont peur de mal faire et peur de faire mal. Ils éprouvent le besoin d’avoir des contacts fréquents avec l’AM, de lui demander conseil. Leur soif de sécurité, de réassurance et de confiance appelle une satisfaction immédiate. Confrontés à l’isolement et à de multiples difficultés personnelles, sociales et éducatives, c’est à l’AM qu’ils s’adressent en premier lieu bien plus qu’à des professionnels des institutions ou de l’équipe technique d’EP. La disponibilité relationnelle des AM à leur égard leur fait éprouver qu’une intégration sociale est possible parce que proche et accessible et qu’elle se construit au fur et à mesure des échanges établis au sujet de leurs enfants. Ils attachent beaucoup d’importance à cette expérience rassurante et valorisante qui les aide à se projeter dans l’avenir. Parce que les AM les acceptent comme ils sont, ils acceptent de leur côté de « faire un bout de chemin ensemble ». S’il leur faut néanmoins consulter un professionnel de l’action sociale ou sanitaire pour leur enfant ou pour eux-mêmes, l’AM constitue un relais privilégié et de confiance pour en reconnaître la nécessité et amorcer une démarche qui, sans ce relais, serait le plus souvent impossible.
21Les modalités privilégiées de relation que les parents établissent de la sorte avec les AM peuvent aussi avoir des répercussions directes sur l’organisation de la vie personnelle ou familiale de celles-ci ou de ceux-ci. C’est ainsi que, sachant qu’ils bénéficieront d’une attitude non jugeante de la part de l’AM, des parents font état, parfois au dernier moment, de leur impossibilité circonstancielle à venir chercher leur enfant à l’heure dite, ou encore à l’assumer, malgré leurs engagements antérieurs, telle nuit ou telle fin de semaine. L’AM est alors souvent dans l’obligation de s’adapter et d’adapter ses projets à de tels imprévus, reflets de la fragilité mais aussi de la confiance des parents.
Importance de la qualité des relations établies avec les parents
22La qualité des relations établies entre les AM et les parents des enfants accueillis est déterminante pour atteindre de façon concrète le cœur même des objectifs du projet d’EP. Elle permet aux AM de servir d’initiateurs(trices), et non pas de modèles, à la fonction parentale et éducative. Les AM peuvent ainsi faire découvrir aux parents les potentiels de leur enfant, ses besoins de gratification en même temps que ses besoins de limites, et leur donner envie d’en faire l’expérience à leur tour. En mettant en lumière et en valeur le sens de ce que font leurs enfants, les AM montrent aux parents la voie de ce qu’ils peuvent et doivent faire avec eux.
23Tout se passe comme si la place qu’occupent et le rôle que jouent les AM entre les enfants et leurs parents contribuaient à la socialisation et à la responsabilisation progressives de ces derniers, tout en « déchargeant » heureusement les enfants de cette fonction, bien évidemment trop lourde pour eux. Il n’est pas étonnant, compte tenu des dimensions de confiance et de respect mutuels qui impriment leurs relations, que les parents se disent souvent « fiers » de l’AM et de la crèche de leurs enfants et qu’ils se montrent ouverts aux opportunités de construire ou d’étendre leurs réseaux relationnels sur de telles bases.
Savoir doser les relations avec les parents
24La relation de confiance ne doit pas pour autant devenir une relation de confidence. Les AM sont et restent des professionnel(le)s, elles ne sont ni les confident(e)s ni les ami(e)s des parents, et sont amené(e)s à le leur rappeler chaque fois que ceux-ci tentent de « privatiser » la relation. Lorsqu’ils(elles) perçoivent que cette limite est en passe d’être franchie, les AM doivent activer leur rôle de relais en conseillant aux parents de s’adresser de préférence à l’équipe technique d’EP et en les aidant à le faire.
25D’autres types de limites sont à construire. Les AM s’efforcent ainsi de ne pas laisser les parents faire trop état de leur vie intime ou donner à voir leurs difficultés personnelles (notamment psychiques) dans les espaces de vie de leurs enfants que constituent les familles d’accueil. À l’inverse, les AM interviennent parfois pour éviter que certains parents, rendus anxieux par les situations de séparation ou négligents de par les négligences qu’ils ont subies pendant leur propre enfance, « déposent » leur enfant et partent sans lui dire un mot ni lui faire un geste.
26Dans toutes ces circonstances où les relations avec les parents peuvent accaparer leur attention, les AM doivent rester à l’écoute de l’enfant, et pas exclusivement de ses parents, et de se faire l’écho auprès d’eux des messages qu’il leur adresse mais qu’ils ne perçoivent pas toujours.
27Il arrive enfin que des parents, particulièrement sensibles à la nature des relations qu’ils ont établies avec l’AM, manifestent leur besoin ou leur souhait de les prolonger après la fin de l’accueil de celui-ci dans le cadre d’EP. La gestion de cette situation et les décisions d’acceptation ou de refus qu’elle appelle pourraient être considérées comme relevant de la vie privée des uns et des autres. Mais le fait que certains parents aient pu faire peser à cette occasion d’excessives pressions, confinant au chantage moral, sur les AM et leurs familles, incite à la prudence en ce domaine ou à formuler des propositions alternatives (cf. infra).
Les aptitudes spécifiques requises des assistant(e)s maternel(le)s pour l’organisation du travail en équipe
Adaptation permanente aux besoins des enfants accueillis et aux contraintes ou aux défaillances de leurs parents
28L’aptitude requise des AM à se rendre aussi disponibles que possible selon les aléas qui marquent l’accueil des enfants et l’accompagnement des parents est le reflet de ce qui spécifie le service rendu par EP. Le caractère souple, modulable, ajustable et individualisé des prestations proposées 24 heures sur 24 est porté par une équipe de professionnels – équipe technique et AM – qui font le pari de répondre ainsi aux difficultés de ces enfants et de ces parents. Mais ils ne pourraient pas tenir ce pari s’ils n’étaient pas organisés collectivement en conséquence. Les initiatives et les efforts personnels de tel ou tel, même s’ils peuvent être salués, ne fondent pas pour EP une norme de fonctionnement. L’attention portée par l’équipe aux évolutions et aux demandes des enfants et des parents, l’anticipation raisonnée des imprévus et la coordination systématique des réponses réduisent en revanche la part d’aléatoire et accroissent la réactivité de chacun et de tous. L’équipe technique est formée et structurée pour faire en sorte qu’il en soit ainsi.
29Les amplitudes variables des temps d’accueil des enfants (s’étendant sur les nuits, les fins de semaine et parfois les vacances) et les changements souvent rapides des rythmes d’accueil mobilisent intensément la plupart des AM et suscitent en pratique, on l’a dit, l’investissement de leur propre famille. Il en va de même pour les décisions prises par l’équipe technique d’organiser dans de très courts délais l’arrivée ou le déplacement d’un enfant, notamment dans le cadre d’un jumelage entre AM (cf. infra). Enfin, cette astreinte de disponibilité physique peut se doubler d’une astreinte morale lorsque le retard pris par certains parents pour déposer leur enfant chez l’AM à l’heure convenue suscite perplexité, inquiétude, hésitation sur la conduite à tenir.
30Dans toutes ces circonstances, l’équipe technique d’EP s’emploie – et réussit souvent – à sensibiliser peu à peu les parents à l’importance du respect des rythmes et des repères temporels de leurs enfants, à la prévention ou à la gestion des imprévus. Elle les aide à acquérir par ce biais un ensemble de compétences et de sollicitudes parentales qui contribuent à leur propre socialisation.
Le jumelage entre AM
31Un dispositif de jumelage entre AM a été introduit par EP pour pallier ou du moins réduire ces inconvénients. Même si ce dispositif demande au début un travail d’ajustement supplémentaire pour les AM jumelé(e)s au profit de tel ou tel enfant, il permet un partage efficace des astreintes de disponibilité précédemment décrites. Il permet, en outre, de diversifier les points de vue des AM et de l’équipe technique d’EP sur les enfants et sur leurs parents. Il est par ailleurs bien accepté par les enfants et les parents. Même si certains de ces derniers font à cette occasion quelques tentatives de manipulation à l’égard des AM (dénigrements croisés, mise en rivalité, etc.), beaucoup trouvent dans ce dispositif un facteur d’apaisement par rapport à leurs craintes de voir leur enfant « capté » par sa première famille d’accueil. Enfants et parents y trouvent matière à multiplier leurs interlocuteurs et apprécient cet élargissement de leurs réseaux relationnels.
32Il n’en reste pas moins que le lien avec l’AM qui a structuré et fait progresser l’enfant dans les premiers temps de l’accueil doit être privilégié. Il faut en outre, à l’expérience, éviter de mobiliser le jumelage entre AM en période d’adaptation initiale ou de crise. Mais, dans d’autres circonstances, une nouvelle phase d’évolution se produira plus facilement, dans le cadre d’un jumelage, avec un(e) autre AM.
33Un changement d’AM, qu’il soit temporaire ou plus permanent, réalisé dans le cadre d’un jumelage ou non peut aussi se révéler nécessaire du fait que la relation entre les parents et l’AM de la première phase est devenue trop difficile ou trop contraignante pour être valablement aménagée.
Autres spécificités notables et porteuses de nouvelles perspectives
34Le travail en équipe, l’élaboration collective, la reconnaissance de la diversité des fonctions, des rôles et des personnalités, la capacité à gérer et dépasser ensemble les conflits tout comme à se congratuler des avancées et des réussites, et, pour le dire de nouveau, la confiance et le respect mutuels que s’accordent les intervenants, sont des caractéristiques de fonctionnement importantes et structurantes à EP, et ceci depuis sa création. Elles se manifestent dans l’organisation générale de l’association, à l’occasion des activités collectives et des regroupements qui jalonnent sa vie interne, dans le cadre des formations permanentes qu’elle propose à ses salariés et au fil des évolutions permanentes – preuves de sa vitalité – auxquelles la poussent les évaluations régulières auxquelles elle se soumet.
35Ces caractéristiques ne sont pas sans conséquences sur la reconnaissance par les partenaires institutionnels d’EP de la spécificité et de la qualité de ses prestations, et de leur rôle désormais indispensable dans le « paysage » parisien de la prévention secondaire des situations d’enfants en risque de danger. D’autres départements souhaitent aujourd’hui qu’EP vienne développer ses activités sur leur territoire ou les aide à y développer des activités similaires. L’organisation et le fonctionnement d’EP ne sont pas sans conséquences non plus pour les familles elles-mêmes et ceci au-delà des services personnalisés que leur rend EP. Chaque AM accueillant en règle générale deux à trois enfants, des rencontres ont lieu à leur domicile entre les parents. Ces rencontres se prolongent et s’étendent lors de sorties et d’activités sociales partagées organisées par EP – et elles pourraient l’être aussi à partir de sa mini-crèche collective. Des entraides entre parents se mettent spontanément en place à ces occasions. Serait-il dès lors possible d’envisager que les AM et l’équipe technique d’EP agissent ensemble pour encourager ces parents à développer des relations conviviales et de solidarité du même ordre après l’accueil de leurs enfants ? Certes, de telles relations ne se décrètent pas. Mais elles peuvent être accompagnées de façon que l’esprit et l’ambiance d’EP continuent à produire leurs effets bien après ses interventions, par exemple dans le cadre d’une association des anciens bénéficiaires d’EP.
En conclusion
36Après dix-sept ans d’expérience, la valeur et la spécificité de l’exercice du métier d’assistant(e) maternel(le) à Enfant présent doivent être reconnues, et ceci de diverses façons.
37Elles doivent certes être reconnues pour la richesse, la diversité et l’efficacité des services rendus aux enfants et aux familles en difficulté. Mais, pour empreint d’humanisme et gratifiant qu’il soit, le métier d’AM à EP ne doit pas être pris pour un sacerdoce. Il est contraignant, astreignant, parfois pénible dans la durée, assorti de stress, de gestion permanente des imprévus. Son mode de rémunération reste inadapté, voire porteur d’effets pervers : ne pas prendre en compte les spécificités et la pénibilité de l’exercice risque en effet d’inciter l’AM à réorienter ou à densifier son activité pour accroître ses revenus salariaux. C’est pourquoi un autre mode de rémunération doit sans doute être élaboré par le conseil d’administration et les autorités de tutelle de l’association. La valeur et la spécificité du métier d’AM à EP doivent également être reconnues pour ce qu’elles apportent au sens du métier lui-même et à son développement dans le champ de l’action socio-éducative et familiale, qu’il s’agisse des secteurs classiques (crèches familiales tous publics, services de « placements » familiaux de l’aide sociale à l’enfance, spécialisés ou thérapeutiques, crèches annexées à des centres maternels ou à des centres d’hébergement parentaux) ou qu’il s’agisse de secteurs expérimentaux et innovants. C’est pourquoi la transmission du savoir, du savoir-faire et, si possible, du « savoir-être » des AM d’EP devrait être organisée de façon systématique, selon des modalités qu’il reste à construire, pour favoriser leur diffusion dans de nouveaux sites et comme étayage de nouveaux projets. Le présent article contribue, à sa façon, à cette volonté de transmission.
Mots-clés éditeurs : prévention socio, Assistant(e) maternel(le), soutien à la parentalité, éducative, crèche familiale
Mise en ligne 01/10/2006
https://doi.org/10.3917/dia.167.0077Notes
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En 2002, Enfant présent a en outre mis en place, de façon complémentaire, une mini-crèche collective.
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Tel est également le constat auquel a abouti le sociologue Dominique Fablet dans le travail de recherche qu’il a mené dans le cadre de l’association ERISFER (Équipes de recherche et d’intervention en suppléance familiale et éducation résidentielle) et publié en mai 1999 sous le titre : « Suppléance familiale précoce et soutien à la parentalité : Enfant présent, un dispositif de prévention socio-éducative innovant » (cf. notamment p. 47-54 : « Des orientations très actuelles »). Il y définit à ce propos la prévention secondaire comme ce qui « consiste à traiter rapidement et de manière adaptée un trouble ou un dysfonctionnement dès son apparition, ou plutôt dès qu’on a pu le dépister, assez souvent grâce à la mise en évidence de facteurs de risque et à la définition d’une population cible ».