1En thérapie de couple et de famille, la question des enjeux de la séduction au cours des entretiens préliminaires ne se pose pas de la même manière en cabinet privé et en institution, mais elle est toujours présente. Dans cet article, nous tenterons de mieux comprendre en quoi, à côté du jeu de la séduction dans les interactions, le cadre des premiers entretiens peut être séducteur, et comment la gestion de cette première séduction permet ou ne permet pas la mise en place d’un processus thérapeutique à la suite des préliminaires.
La séduction dans le couple et la famille
Définition de la séduction
2L’étymologie se ducere, amener à soi, révèle certaines caractéristiques générales du mot séduction. Elle traduit un rapport particulier entre soi et l’environnement, au croisement du sujet singulier et des liens intersubjectifs dans son couple, sa famille ou le groupe auquel il appartient. Séduire, dans son sens le plus courant, c’est éveiller le désir en l’autre et l’orienter vers soi pour satisfaire ses propres exigences pulsionnelles, se rassurer narcissiquement, voire pour dominer, plus ou moins subtilement et parfois radicalement. Séduire, c’est aussi procéder à une mise en scène de l’étranger en soi et s’en laisser altérer. La forme active de la séduction rejoint naturellement sa forme passive : il n’est pas de séducteur sans séduit, il n’est pas de séducteur qui n’ait été séduit préalablement. Au-delà de son aspect phénoménologique, la séduction nous mène au fantasme originaire, qui pose la question d’une origine : celle de la sexualité humaine instituant par essence l’énigme du désir, cet autre de l’objet, insaisissable.
Les facettes de la séduction
3Du point de vue métapsychologique, la séduction a plusieurs versants.
4Nous les rappellerons sans nous y attarder.
5La séduction originaire, telle que J. Laplanche la définit, est l’effet que produisent les soins maternels entretissés d’inconscient parental sur l’infans immature. Celui-ci reçoit satisfaction à ses besoins et en même temps des messages énigmatiques venus de la sexualité adulte inconsciente, qui sont à la source de sa vie pulsionnelle. Si le plaisir éprouvé est partagé par l’enfant et la mère, cette première séduction inaugure l’élaboration psychique des données sensorielles des expériences précoces de satisfaction en présence de l’objet et de détresse en son absence : la mère séduit son bébé, elle est aussi séduite par lui, malgré ou à cause de son état de détresse originaire. La vie de couple, de famille et les situations de groupe réveillent parfois ces temps originaires et il n’y a plus de différences claires entre les membres qui sont à la recherche d’un cadre pour prendre soin d’eux et traiter leur désarroi.
6La séduction narcissique et objectale bien tempérée (qui, dans son commerce avec l’objet, comporte toujours une dimension narcissique) est à l’œuvre dans les couples et les familles structurés par la différence des sexes, des générations et les interdits fondamentaux d’un surmoi parental post-œdi-pien protecteur. Elle est marquée du sceau de la réciprocité dans les liens amoureux, les liens de filiation ou les liens d’amitié : donner, c’est recevoir, et inversement. Ce qui est alors recherché, c’est le plaisir de donner du plaisir et celui, redoublé, de le recevoir de l’autre. Ce partage de plaisir est lié aux capacités de rêverie et d’identification qui enrichissent le patrimoine fantasmatique de chacun. « Je te séduis pour nous plaire, ton plaisir est le mien. » Cette séduction mutuelle est à l’origine des processus transitionnels. Si l’objet extérieur se laisse affecter, attaquer ou séduire par l’enfant sans être détruit ou trop défendu, l’enfant sera en mesure de reconnaître cet objet, d’être seul en sa présence, de le représenter et d’en nourrir sa vie fantasmatique en jouant, de le trouver et le créer dans le même mouvement. Cette séduction initiatique (P. Denis) génère illusion puis désillusion, ce qui est à l’origine des capacités créatives de transformations et des mouvements identificatoires.
7La séduction narcissique traumatique se joue dans les couples et les familles où l’on ne reconnaît pas l’autre avec son désir, si ce n’est pour détruire ou aliéner ce désir. Ici, séduction et emprise délétère se confondent, la visée étant de retrouver une unité indifférenciée perdue ou d’exercer une domination perverse absolue. La séduction est unilatérale et devient à cette extrémité relations incestuelles, voire incestueuses, de par l’abolition des différences.
Les entretiens préliminaires : une attente d’« autre chose »
8Chaque fois que nous accueillons une première demande, nous ressentons toute une gamme d’émotions qui témoignent déjà des effets de séduction que favorise le cadre de l’entretien. Une légère appréhension teintée d’excitation, une curiosité plaisante ou déplaisante et sa crainte de déception, le désir de plaire, le risque de se sentir jugé ou encore une volonté narcissique de maîtrise, traduisent combien chaque thérapeute, en privé ou en exercice public, est sensible à l’inconnu, l’étranger, et s’en défend, s’en protège et/ou s’en sert. Il y a toujours d’emblée une forte attente des deux côtés : cette attente « d’autre chose » est source d’excitation puis de déception. Serge Lebovici parle d’« effet de fadeur » dans la première séance de psychothérapie qui suit les entretiens préliminaires. De son côté, René Diatkine souligne la nécessité de surprise dans la rencontre, surprise favorisée, peut-être, par une stratégie consciente ou inconsciente qui ne doit pas être confondue avec un mécanisme d’emprise. La séduction doit permettre de rendre l’inconnu connu sans être confronté à trop d’étrangeté, voire à une dépersonnalisation. Deux grilles de lecture complémentaires sont possibles pour éclairer les effets de la séduction dans le cadre des premiers entretiens. La première prend en compte des sujets en relation les uns avec les autres, la deuxième, un groupe dans son ensemble avec ses propres organisateurs et les liens inconscients qui le structurent.
Première lecture : la séduction dans les interactions
9Les entretiens préliminaires en institution sont destinés à recueillir et évaluer la demande de couples et de familles ; ils sont eux-mêmes encadrés par l’institution avec ses propres règles et ses espaces différenciés.
10Toute première demande est liée à la souffrance partagée par les membres du couple ou de la famille et réactualise l’état de détresse de l’infans « séduit » par les soins maternels. L’offre d’écoute et de soins du thérapeute favorise cette régression en induisant un état de dépendance et parfois un surplus d’excitations. Le thérapeute est alors en position parentale, ce qui invite la part infantile du couple ou de la famille à s’exprimer. Il les séduit d’emblée par cette « prise en charge » qui sonne comme une proposition soit de les soutenir, les porter, les contenir, soit encore d’être un miroir qui incorpore, transfère, représente, pense. Un fantasme de séduction est ainsi convoqué et cherche à s’actualiser dans la réalité du dispositif, qui représente déjà en lui-même pour les patients un gain narcissique, de par l’intérêt qui leur est porté.
11Par ailleurs, le thérapeute est lui aussi sollicité à une place d’enfant séduit par l’état de passivité parfois impuissante auquel il est soumis et par l’impact contre-transférentiel des scènes auxquelles il assiste : excitation débordante, fascination, voire paralysie des processus de pensée…
12Les effets de séduction soulèvent questions et parfois résistances chez le thérapeute. Ces questions sont peut-être encore plus aiguës pour lui en privé, parce qu’il est seul, sans appui sur d’autres thérapeutes. S’il se laisse aller à être séducteur, n’est-ce pas le risque d’une collusion entre le fantasme et la réalité ? S’il s’en défend, n’est-ce pas une contre-attitude de neutralité excessive, qui peut empêcher le jeu de la projection, le moment d’illusion puis le mouvement de désillusion nécessaire ?
13Nous verrons plus loin les défenses que nous utilisons parfois pour ne pas nous laisser « altérer » par les enjeux de séduction. En voici déjà une illustration clinique.
14Un couple vient voir en privé l’un de nous deux, l’épouse ayant trompé son mari et décidé de le quitter. Dès le deuxième entretien, le thérapeute apprend que lui a pris un avocat et qu’elle, de son côté, souhaiterait bénéficier d’un travail de couple pour faire en sorte que la séparation se passe bien. L’adresse du thérapeute a été communiquée aux deux avocats, ce qui laisse supposer que le matériel des séances pourrait servir dans la bataille juridique. Le thérapeute leur montre qu’un processus d’élaboration est, dans ce contexte, impossible, et toute interprétation vouée à l’échec car potentiellement récupérée. La décision de ne pas poursuivre est prise, ce qui peut être discutable, mais la réflexion se situe ailleurs. Le thérapeute avait été frappé par l’extraordinaire beauté physique de l’un comme de l’autre. Après coup, il a pensé que cela lui faisait peur – dans une perspective aussi bien hétérosexuelle qu’homosexuelle – et que c’est la raison pour laquelle il a coupé court. Quelque temps après et à travers un rêve, il lui est apparu que de nombreux éléments lui rappelaient l’histoire de ses parents et que c’était ce qui avait motivé sa décision.
15Que ce soit en privé ou en institution, les entretiens préliminaires stimulent et réveillent le rapport des sujets à leurs imagos paternelles et maternelles. Dans cette vignette, nous avons bien affaire à un mouvement contre-transférentiel du thérapeute séduit par ses propres parents : leur séparation est inimaginable pour lui. La séduction par la beauté est secondaire. Une séduction apparente peut en cacher une autre.
Deuxième lecture : les effets de séduction dans un groupe
16Comme nous l’avons dit, deux lectures de la séduction sont possibles ;
17la première prend en compte des sujets en relation les uns avec les autres, la deuxième, un groupe dans son ensemble, avec ses propres organisateurs et les liens inconscients qui le structurent. En effet, la séduction est aussi un moteur dans la constitution d’un lien porté par les histoires de chacun. Ainsi en est-il du pacte dénégatif, des alliances inconscientes nécessaires à chacun pour être ensemble en couple ou en famille sans perdre son identité.
18Le dispositif des entretiens préliminaires et son cadre institutionnel favorisent une lecture groupale. En effet, nous pourrions dire que, ce cadre étant séducteur dans son ensemble, il permet de traiter les enjeux cliniques au niveau du néo-groupe formé par la famille (ou le couple) et le thérapeute. Il est séducteur parce qu’il prend en charge l’infantile du couple ou de la famille et porte en lui une promesse de projet thérapeutique marqué par l’éthique, c’est-à-dire le respect de l’altérité et de l’étranger en soi. Les résistances induites par les risques de séduction agie (une levée d’inhibition favorisant la désorganisation des liens, des passages à l’acte ou des phénomènes d’emprise excessive destinés à lier l’excitation et à combattre la pulsion) pourront être perlaborées grâce à ce cadre. Je cite P. Denis (1992): « Les éléments du cadre sont des mesures d’emprise […] destinées à établir des limites à l’exercice des pulsions agies. » Recueil d’une souffrance et temps d’évaluation, les entretiens préliminaires sont aussi et surtout un lieu d’élaboration de la plainte, dont l’objectif est qu’elle puisse s’énoncer et se définir à plusieurs, et se représenter plutôt que se décharger. « Il faut donc que la représentation prenne valeur d’un véritable but pulsionnel » (Roussillon, 2002).
19La séduction n’est donc pas seulement un processus linéaire où il y aurait un séducteur et un séduit. C’est un jeu à plusieurs dans lequel les fantasmes de séduction résonnent et se conjuguent pour conjurer dépression et destructivité.
20Ce travail commun est conditionné par les qualités séductrices du cadre, qui exerce une emprise bien tempérée sur l’ensemble en faveur de la satisfaction par la pensée et au détriment de la décharge par l’acte. Ces « qualités séductrices » du cadre sont normalement portées par le thérapeute, lui-même soutenu par l’institution. Elles sont d’autant plus « fonctionnelles » et bien tempérées qu’elles sont soumises aux limites et aux « représentations-buts » de ce cadre, à savoir :
- l’investissement des processus de croissance ;
- le respect des alliances inconscientes, la circulation des fonctions à l’intérieur du groupe et le traitement psychique des projections négatives ;
- la soumission aux interdits fondamentaux ;
- le plaisir de penser comme satisfaction substitutive.
Fonctionnement groupal et séduction aliénante
21Cela n’empêche pas toujours les écueils de la séduction dans le cadre des entretiens préliminaires. En effet, le consultant est parfois pris dans des contre-attitudes qui sont le reflet du fonctionnement groupal aliénant. Il ne joue plus le rôle d’un « miroir déformant » qui traite psychiquement l’excitation, mais vient plutôt occuper une ou des fonctions qui alimentent des résistances au changement, voire en instaurent. La convoitise, la « ponte » ou la domination sont, selon M. de M’Uzan (1994), les défenses que peut mettre en place l’analyste pour se protéger des effets désorganisateurs de la rencontre analytique sur sa vie psychique. La fascination qu’exerce sur le thérapeute un couple ou une famille est loin d’être rare et a pour effet de brouiller les pistes, de pervertir sa perception des frontières entre dedans et dehors, entre soi et autrui. Les mécanismes prévalents de cette fascination sont les identifications narcissiques aliénantes, le déni du tiers, qui paralysent les processus de pensée et poussent à la convoitise. La domination est aussi l’un des effets en miroir de l’emprise défensive qui se rejoue inconsciemment dans les liens : elle est destinée à tenter de lier l’excitation désordonnée qui envahit le thérapeute au détriment du plaisir de fonctionnement psychique. Il se réfugiera par exemple derrière l’évaluation objective et le savoir médical (intellectualisation, isolation, banalisation). Il ne se laissera pas « affecter » et se privera alors de ses aptitudes à l’identification. La transgression du cadre, enfin, est aussi le risque qu’induit un fonctionnement groupal dominé par le jeu des séductions narcissiques. Le thérapeute utilisera l’espace groupal analytique pour y déposer sa problématique psychique personnelle et privilégier à son insu ses propres exigences pulsionnelles (la « ponte », proche des mécanismes d’identification projective). Son invitation à la parole ou son écoute de la souffrance sera alors au service de satisfactions voyeuristes, et il se mettra dans une position centrale de témoin de jeux sado-masochistes par exemple, sans déplacement de but. L’emprise domine, les satisfactions restent partielles. Il ne se soumet pas lui-même aux règles de l’institution et il lui est alors particulièrement difficile d’élaborer un projet avec le couple ou la famille. Patients et thérapeute « s’éternisent » ensemble sans permettre le passage à un autre cadre thérapeutique. À moins que le thérapeute ne mette à profit le lieu institutionnel de réflexion pour élaborer les enjeux auquel il participe dans ces entretiens préliminaires, et ne clarifie de la sorte son propre désir à l’égard de ceux qu’il reçoit.
Exemple clinique
22Il s’agit d’entretiens préliminaires en institution racontés par l’un de nous deux.
23Je reçois monsieur et madame F. venus seuls, à leur demande, dans le cadre d’un centre médico-psychologique pour enfants et adolescents. Ils se présentent donc en couple, bien que le motif de la consultation concerne l’un de leurs trois enfants. C’est la deuxième, Delphine, 15 ans, hospitalisée il y a quelques semaines pour tentative de suicide, qui a décidé ses parents à entreprendre cette démarche. Dès le premier entretien, leurs préoccupations se centreront sur leurs difficultés conjugales et orienteront dans un premier temps les entretiens préliminaires vers un projet de thérapie de couple. Je suis d’emblée sensible à l’attrait qu’ils exercent sur moi. Ils sont tout en nuances, s’expriment avec facilité et chaleur, m’étonnent par leurs capacités à réfléchir à la nature de leur lien. Je suis profondément touché par l’authenticité de leur souffrance respective, avec laquelle ils parviennent à composer dans leur lien inconscient pour éviter un effondrement psychotique chez l’un et une dépression mélancolique chez l’autre. Je me sens avec eux vivre une intimité difficilement partageable. Avec eux et bien volontiers, j’oublie leurs enfants et je me « consacre » à leur relation amoureuse, qu’ils me dévoilent sans réserve. Je me laisse porter par leurs associations, qui m’invitent à rêver, j’en éprouve un réel intérêt et un certain plaisir. Je suis séduit par leur investissement du fonctionnement psychique, leur goût pour l’art et leur façon d’être affectés l’un par l’autre en ma présence émue. Ils me racontent en mots choisis l’histoire de leur rencontre, qui donne en soi matière à penser et à interpréter. Tous deux, dans une solitude tourmentée et désespérée, se parlent devant moi sans pour autant se répondre et me donnent de quoi éclairer ma lanterne sur leur crise actuelle, à la lumière du passé.
24Leur différence d’âge (il a vingt ans de plus qu’elle) est un saut discret de générations qui se remarque au premier coup d’œil. Il a d’autres enfants d’un premier mariage, soulagé qu’ils soient déjà adultes et sans poids sur sa vie actuelle. Vingt ans plus tôt, il a rencontré sa deuxième épouse grâce au père de celle-ci. Il était alors en pleine recherche mystique et trouvait dans le père de Madame un « maître spirituel ». Ce dernier a opposé un veto à leur relation amoureuse et ils ont commencé par lui obéir. Ils ont finalement choisi de vivre ensemble au prix d’une rupture avec le « Maître ». Madame est venue habiter dans la maison familiale de son mari, entièrement décorée des mains de ce dernier, et malgré les années et la naissance des enfants, elle ne semble pas l’avoir faite sienne. À la suite du décès de sa mère il y a quelques années, elle a renoué avec son père. Elle vit un sentiment profond de sacrifice, l’impression de devoir s’effacer pour respecter la vie d’artiste de son mari. Elle reconnaît sa passion pour cet homme et vit douloureusement l’impression de ne pas exister pour lui. Un lourd passé dans la famille de Madame pèse, ponctué de deuils impossibles. Monsieur supporte mal la dépendance de sa femme, qui l’empêche de respirer et lui rappelle trop le désir de fusion de sa première épouse. Dans sa propre famille d’origine, tous les couples sont séparés (divorce ou décès). Auprès de lui, Madame a retrouvé un père ; auprès d’elle, il a découvert « le bonheur d’une femme », qu’il n’avait jamais connu avant. Je ressens malgré moi une certaine fascination et j’imagine leur maison d’artiste remplie d’œuvres et d’images érotiques destinées à exorciser le poids des morts et à façonner leur lien à l’image de l’architecture de leur demeure (où tout communique et pourtant tout est séparé).
25Au terme du deuxième entretien préliminaire, je leur propose une thérapie de couple, avec un autre thérapeute de l’institution. C’est la consternation. Madame se sent abandonnée, et je mesure alors à la consternation que je partage l’ambiguïté de ma place et mon désir de transgresser le cadre institutionnel en les « gardant ».
26J’avais eu le désir d’en parler à mes collègues en réunion. Désir sincère, et pourtant source d’inquiétude : j’avais le sentiment de violer notre intimité et de ne pouvoir transmettre l’essentiel. En y réfléchissant avec mes collègues, je me souviens presque avec effroi des premières paroles de ces patients au début du premier entretien préliminaire (premier instant révélateur): les viols répétés de leurs enfants, pendant des années, par un jeune voisin très proche qui les gardait régulièrement. Ce passage sous silence de ma part, et à mon insu, éclaire pour partie ma proposition hâtive de thérapie de couple à la fin du deuxième entretien. Cette proposition était sans doute le reflet d’un déni partagé, celui de liens incestuels dans la famille, source d’une séduction narcissique traumatique et intrusive rejouée dans le voisinage. C’était le reflet aussi d’un clivage entre couple d’amants et couple de parents non protecteurs que traduisait leur façon de mettre en scène leur sexualité adulte et qui se rejouait dans notre scénario à trois. Séduit par leur charme, voire fasciné par les subtiles confusions de générations très érotisées qu’ils mettaient en scène, j’ai été moi-même tenté par l’abandon des règles institutionnelles pour préserver leur démarche, leur lien, et écarter le spectre d’une décompensation mortelle.
Séduction et transfert de base
27Dans les premiers entretiens, de constants mouvements d’aller et retour entre des positions « objectives » d’évaluation et des positions subjectives sont à l’œuvre. Pouvons-nous accueillir la souffrance des patients sans être débordés ? Bénéficieront-ils de notre cadre sans l’utiliser comme aliment de leurs propres résistances ? La position interne de l’analyste n’est pas la même dans les premiers entretiens et en psychothérapie. Dans l’idéal, lors des premiers entretiens, le processus est dénué de « représentations-buts ». Mais l’écoute des premiers entretiens n’est pas neutre pour autant. Elle est chargée d’attentes, et elle est active, ce qui place la séduction au cœur de sa dynamique. Cette séduction, de bon aloi, est utile et constituera un point de nouage nommé par certains le « transfert de base ». Le premier entretien inaugural est conditionné par notre façon d’écouter, qui favorisera ou ne favorisera pas le processus thérapeutique. Les premières impressions, les premiers mots, le premier rêve, marqueront le long cours de l’analyse en fonction de notre réceptivité initiale et de notre capacité à en élaborer les effets après-coup. Une « accroche » est nécessaire : à charge pour nous de ne pas être trop « accrocheurs ».
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
- DENIS, P. 1992. « Emprise et théorie des pulsions », Revue française de psychanalyse, tome LVI.
- ROUSSILLON, A. 2002. « Capacité d’être seul face au couple », Revue française de psychanalyse, tome LXVI.
- M’UZAN, M. DE. 1994. Pendant la séance. La bouche de l’inconscient, Paris, Gallimard.
Mots-clés éditeurs : emprise, Séduction, plaisir partagé, entretiens préliminaires
Date de mise en ligne : 01/09/2006.
https://doi.org/10.3917/dia.164.0080