1La plus grande partie des thérapies de couple que j’ai entreprises, en ins~titution et en cabinet privé, je l’ai fait comme thérapeute seul. Mais, en insti~tution, j’ai aussi eu une pratique de cothérapie, avec comme collègue un psychiatre.
2La question de la cothérapie intéresse les thérapeutes familiaux et les thérapeutes de couple, comme en témoignent des groupes de réflexion qui s’organisent actuellement sur ce thème (travail entre l’ADSPF – Association pour le développement du soin psychanalytique familial – et le groupe de thé~rapeutes familiaux d’Aix-en-Provence, atelier du colloque Psyfa- AFCCC de septembre 2001, dont le compte-rendu est paru dans Dialogue 154 et auquel j’ai participé).
3Dans cet article, je me centrerai sur la thérapie de couple. Pour com~prendre le contexte actuel de la thérapie de couple et les questions qu’elle pose, il faut inscrire cette pratique dans une histoire.
4D’une part, celle des thérapeutes de couple, qui, tels ceux de l’AFCCC, issus du « conseil conjugal », ont été formés à recevoir seuls les couples. Ils ont eu à se démarquer de certains conseillers conjugaux ou conseillers conju~gaux et familiaux qui recevaient des couples en étant eux-mêmes en couple, les conseillers étant mari et femme. Mais, pour ces thérapeutes de couple, la question de la cothérapie, du moins de la cothérapie formative, s’est posée un certain nombre de fois sans qu’aucune réponse institutionnelle ait été appor~tée. Des réponses ponctuelles sont apparues ici ou là, mais jamais reprises dans une réflexion d’ensemble.
5D’autre part, celle des thérapeutes familiaux formés à la cothérapie, et qui, sollicités par des couples, sont allés vers des pratiques de thérapie en solitaire. Mais rien ne rend encore compte de ces démarches. La différence de technique et d’indications selon que la thérapie de couple est menée par un thérapeute seul ou par un couple de thérapeutes n’apparaît dans aucun texte de langue française.
La cothérapie
6L’analyse de la cothérapie vient des travaux du CEFFRAP, des travaux de Didier Anzieu et de René Kaës. L’inter-transfert est le terme qu’introduit René Kaës dans Le travail psychanalytique dans les groupes (1982) pour par~ler du travail nécessaire entre les cothérapeutes d’un groupe sur leur contre-transfert par rapport à ce groupe et sur le transfert/contre-transfert qui circule entre eux à propos du groupe. L’analyse inter-transférentielle désigne « la pratique originale et interprétante dans le travail psychanalytique groupal ». Dans son chapitre sur « L’intertransfert et l’interprétation dans le travail psy~chanalytique groupal », reprise remaniée de sa thèse, R. Kaës décrit l’intérêt, les difficultés et les désirs sous-jacents de cette pratique de cothérapie.
7Un peu plus tard, dans La thérapie psychanalytique de couple, ouvrage collectif dirigé par Alberto Eiguer (1984), un chapitre de Simone Decobert et de Michel Soulé, « La notion de couple thérapeutique », réfléchit sur la conduite en couple de groupes de parents et sur la supervision en couple de thérapeutes menant eux-mêmes en couples des groupes de parents. Mais rien dans le livre ne laisse apparaître que des couples conjugaux en souffrance puissent être reçus par un couple de thérapeutes.
8La thérapie de couple menée par un seul thérapeute est en fait la pra~tique qui ressort de la lecture de l’ensemble des textes de langue française, comme de ceux des Argentins.
9Les écrits aussi bien de J.-G. Lemaire que d’Alberto Eiguer laissent à penser qu’ils travaillent toujours seuls avec les couples. La même impression est donnée par les textes des auteurs qui écrivent dans Dialogue. J.-G. Lemaire ne parle jamais de cothérapie et, pour A. Eiguer, « La forma~tion qui constitue le substrat contenant du transfert et de son contre-transfert est une extension des liens narcissiques du couple qui englobent le thérapeute (c’est moi qui souligne) pour constituer un groupe nouveau comprenant tous les participants de la thérapie » (A. Eiguer, 1987, p. 23).
10Dans le même texte, Alberto Eiguer analyse la place dans laquelle peut être mise cet unique thérapeute et évoque les trois figures transférentielles typiques qui ponctuent les étapes où le transfert sur le cadre est positif et la relation transférentielle stable : le juge, le mort et l’amant. Le premier répond au transfert d’un objet surmoïque, le second au déplacement d’un objet du deuil et le troisième à celui d’un objet œdipien. « La figure du thérapeute (tiers, enfant) permet de faire circuler Eros et ses fantasmes ; il est le garant du cadre, c’est-à-dire de la Loi : interdiction et permission de penser et de créer à l’infini, car l’imaginaire n’a pas de limites pour la psyché humaine » (A. Eiguer, 1987, p. 29).
11Cet intérêt de la situation triangulaire est aussi évoqué par les thérapeutes de couple argentins. « La réalité d’une séance avec une configuration tri~per~sonnelle propose une dramatisation des personnages avec leurs objets réels externes. La présence d’un tiers réel et non virtuel comme dans la séance bi~personnelle (en tête à tête, NDLR ) est en relation avec l’inclusion du monde que nous pourrions appeler extérieur réel.
12« La présence de trois personnes réelles dans le champ thérapeutique donne lieu à un éventail de possibilités pour la configuration de la relation triadique. N’importe lequel des trois peut être placé en tiers, ce qui nous per~mettra de connaître la configuration œdipienne des patients et de leurs accords » (J. Puget, I. Berenstein, 1992, p. 110-111).
13La capacité à modifier ce modèle de fonctionnement à partir des inter~prétations formulées par l’analyste implique la reconnaissance de ce dernier comme véritable tiers : ce tiers prend forme d’un objet transférentiel dont la fonction consiste à triangulariser une relation duelle qui aurait perdu cette capacité dynamique ou qui ne l’aurait jamais possédé (E.S. Bernflein, S. Fainblum, 1987).
Thérapie en solo ou en duo
14Les seuls textes à comparer l’exercice en solo et l’exercice en duo de la thérapie de couple sont ceux de praticiens de la Tavistock Clinic. Ces prati~ciens ont tous ont été formés à la cothérapie, mais, depuis peu, ils abordent la question d’une pratique de thérapeute seul avec le couple. Pour des raisons pratiques et économiques, beaucoup avaient déjà cette pratique, mais peu d’entre eux osaient le dire et l’écrire.
15En se penchant sur cette question, D. Haldane et C. Vincent (1998) esti~ment que ce sont les difficultés inhérentes au fait de former un « trio » avec le couple qui expliquent l’absence de réflexion dans ce champ de la pratique. La difficulté, c’est d’abord la force émotionnelle de la dynamique du couple, qui peut amener le thérapeute à se sentir débordé ou exclu, ou les deux, et paralyse ou attaque sa capacité de réfléchir sur son travail. L’autre difficulté, c’est le fait que les thérapeutes travaillant seuls peuvent éprouver de la honte quand leur focalisation sur le couple cède et que des alliances avec l’un des partenaires se font au détriment de l’autre. Ils laissent entendre que, face à un couple, un couple s’en sort mieux, mais ils ne traitent pas le fond du pro~blème.
16Un autre auteur du Tavistock, Stanley P. Ruszczynski, analyse sa pra~tique courante de thérapie de couple, qui semble être une pratique à quatre (deux cothérapeutes et un couple), et décrit le complexe réseau de relations transférentielles et contre-transférentielles qui s’y noue : le transfert de chaque conjoint sur les deux cothérapeutes en tant qu’individus s’y combine au transfert du couple. « Chaque couple-patient aura une relation de transfert avec les cothérapeutes en tant que couple. Ceci proviendra de leurs images internes individuelles de couple projetées sur la paire thérapeutique. Plus encore, il y aura aussi un transfert conjugal de la part du couple-patient. Au cours de la thérapie de couple, le couple-patient projettera ce transfert conju~gal dans le couple de thérapeutes, qui alors expérimentera, à travers l’identi~fication projective, les fantasmes internes partagés (du couple-patient) » (S.P. Ruszczynski, 1992).
17Cependant, après avoir repris les définitions de Winnicott sur le handling et le holding, cet auteur donne en note ses réflexions sur le cadre à trois.
18Il distingue les interventions de soutien et d’étayage psychothérapeu~tique (« holding »), qui sont destinées aux relations de couple pas trop patho~logiques, et les interventions qui doivent opérer un travail de contenance (« containment ») et qui sont destinées à des couples plus perturbés. À ses yeux, si un thérapeute seul est à même d’offrir un « holding », il vaut mieux être deux pour un travail de « containment » avec un couple.
19« Un thérapeute de couple unique convient lorsque la relation de couple garde son propre potentiel créatif, sa capacité de contenance et de compré~hension. Dans ce cas, le couple a surtout besoin d’une aide temporaire qui lui permette une reprise et un seul thérapeute suffit à cela. S’il travaille pour une grande part sur l’interaction du couple parce que c’est là que leur système projectif est localisé – dans leur transfert l’un à l’égard de l’autre –, alors le thérapeute ne sera ni troublé ni affecté par les projections ou autres manœuvres défensives dirigées contre lui. Sa capacité d’observer, de penser, de comprendre, de commenter ou d’interpréter sera peu altérée. »
20Pour les autres couples, « dont les angoisses sont plus persécutoires, ceux dont les mécanismes de défense sont plus schizoïdes et violents, comme le clivage, un seul thérapeute sera certainement capable de survivre aux pro~jections, aux identifications projectives et autres manœuvres défensives. Il pourra également faire des liens sur les différentes manières dont le couple l’utilise. Cependant, la possibilité d’avoir deux cothérapeutes sera très béné~fique. Non seulement ils fourniront l’écran sur lequel le transfert du couple sera projeté, mais ils auront aussi une arène entre eux […] à l’intérieur de laquelle ils pourront contenir ce qui est projeté. Naturellement, plus le sys~tème sera violent et projectif, plus leur pensée et leur comportement seront affectés, mais ils pourront s’aider mutuellement à le contenir […] Cela donne à la paire de cothérapeutes une position bien préférable à celle d’un seul thé~rapeute travaillant avec ce type de couple » (S.P. Ruszczynski, 1992).
21En matière de thérapie de couple, la pratique du Tavistock est issue d’une autre histoire que la nôtre, et ce texte montre l’influence de l’histoire sur la compréhension de la pratique. La traduction de ce texte faite par une théra~peute de couple suisse, Josiane Junod, comporte d’ailleurs des annotations de sa part qui laissent entendre que, si elle se réfère à sa propre pratique, qui est de recevoir seule les couples, elle n’est pas toujours d’accord sur ce qui est écrit, surtout à propos du transfert. « Suivant notre expérience, il suffit d’un thérapeute de couple, dans une relation à trois, pour que le transfert sur le thé~rapeute de couple opère également », écrit-elle en marge de sa traduction.
Réflexions sur ma propre pratique de cothérapie par rapport à ma pratique de thérapeute unique
22Mes réflexions s’inscrivent, elles aussi, dans une histoire dont elles sont infiltrées. Je suis partie d’une pratique de thérapeute unique. Puis, après ma formation aux thérapies familiales, j’ai eu une pratique de co-animation de groupe de couples en difficultés, et ensuite de cothérapie de thérapies fami~liales et de thérapies de couple, l’occasion de travailler en duo avec un psy~chiatre m’ayant été donnée, et moi-même l’ayant suscitée, dans un centre de planification et d’éducation familiale.
23J’ai un peu plus tard pratiqué dans ce lieu des cothérapies avec des sta~giaires psychologues ou des stagiaires conseillers conjugaux. Je n’ai toutefois proposé à ces derniers ce type de stage que s’ils étaient analysés. Pour qu’un tel type de stage puisse être proposé, il était d’une part nécessaire qu’une demande de thérapie de couple coïncide avec le début de leur stage, et d’autre part que le stagiaire prenne l’engagement de poursuivre avec moi la thérapie jusqu’à son terme.
24Après dix années de ce type de travail dans ce centre, où je recevais aussi des couples comme thérapeute unique, l’évolution de mon travail profes~sionnel m’a amenée à quitter cette institution et à ne plus recevoir de couples qu’en cabinet : donc, à revenir à une pratique de thérapeute unique, et cela depuis dix ans maintenant.
25Ma seule pratique de cothérapie de couples fut donc dans cette institu~tion avec un psychiatre ou avec des stagiaires. Avec le psychiatre, il s’agis~sait soit de couples dont l’un des conjoints présentait des tendances paranoïaques et dont j’hésitais à entreprendre seule la prise en charge, soit de couples que ce psychiatre hésitait à prendre en charge dans son cabinet et qui présentaient le plus souvent des éléments de confusion importants. Il a pu s’agir aussi de couples conscients de leur destructivité qui cherchaient à être reçus ensemble par un couple et avaient trouvé un lieu où cela était possible. Si la pratique de la cothérapie m’a semblé un temps plus « confortable » de par l’étayage mutuel que nous pouvions nous apporter entre cothéra~peutes, elle s’est aussi révélée porteuse de troubles de pensée, de violence, de non-dit.
26En effet, à certains moments de la thérapie et dans certaines conditions, le couple thérapeutique se mettait à fonctionner en miroir du couple-consultant et à répéter en son sein le fonctionnement narcissique-paradoxal du couple. Nous n’étions plus un groupe, mais deux couples face à face, l’un étant le sup~port des projections de l’autre. Quand le couple-consultant fonctionne dans un registre schizo-paranoïde ou dans un registre narcissique-paradoxal (et nombre de couples le font au moins pendant un certain temps sous l’effet des angoisses issues de la crise et de la mise en place de la thérapie), le couple de thérapeutes risque de se mettre à fonctionner sur le même mode.
27Je pense à un couple qui fonctionnait dans un clivage du clair et du confus : quand nous parlions de lui après les séances, si l’un de nous disait qu’il avait enfin compris quelque chose, l’autre se trouvait dans l’obscurité la plus complète. Situation qui pouvait fort bien s’inverser à la séance suivante. De tels phénomènes sont courants. Il s’agit alors dans le couple de théra~peutes d’effectuer en son sein un travail sur le clivage, travail qui n’est sou~vent pas possible sans aide extérieure, sans l’apport soit d’un groupe d’étayage pouvant contenir ce clivage, soit d’un superviseur.
28Ma réflexion va partir du couple thérapeutique que j’ai formé avec ce cothérapeute et de ses aléas, car il me semble illustratif des bénéfices et des difficultés de la cothérapie avec un couple et permet de se poser quelques questions.
L’histoire de notre couple thérapeutique
29Il y eut, tout d’abord, l’« euphorie » des premiers temps de travail ensemble, durant lequel nous avons beaucoup appris mutuellement de nos approches respectives. J’emploie ce mot à dessein. J’ai beaucoup appris de cette approche différente et cela me fit beaucoup travailler. Pendant cette pre~mière période, qui dura longtemps, nous avons pris très régulièrement du temps pour travailler après les séances. Nous étions de formation différente et d’exercice différent, psychologue et psychiatre. Il intervenait plus sur l’in~trapsychique et moi sur le groupal. Ce mode de fonctionnement a été inté~ressant, car il prenait en compte les individus et le groupe. Cette première période fut comme un temps d’illusion groupale, nécessaire pour fonder un travail commun.
30Puis vint un deuxième temps. Devant le ralentissement de notre travail sur le contre-transfert et l’intertransfert, nous sommes allés ensemble prendre une supervision de groupe avec des collègues thérapeutes familiaux et théra~peutes conjugaux. Ce furent trois années fructueuses, au cours desquelles j’ai approfondi ma pratique et travaillé sur notre différence.
31C’est au cours de cette deuxième période que j’ai commencé à proposer à des stagiaires des cothérapies avec moi. Il me semblait que le fait qu’un couple et un seul travaille dans une institution était néfaste. J’ai aussi demandé à mon cothérapeute s’il pouvait en faire autant, mais cela ne fut pas entendu.
32Survint un troisième temps où il ne fut plus possible de travailler ensemble en supervision de groupe, il devint aussi difficile de prendre du temps ensemble après les séances. Je continuais les supervisions, mais il m’était difficile de travailler seule sur l’intertransfert. Peu à peu, je me suis ennuyée, comme si notre travail devenait vide. Il avait perdu sa vitalité, il ne me nourrissait plus. Je ne lui trouvais plus cette nécessité du départ pour approfondir le travail thérapeutique et je commençais à me demander si la cothérapie était plus importante que la thérapie avec un seul thérapeute. Je gardais en même temps mon intérêt pour la thérapie de couple.
33Puis on me proposa un travail de formatrice. Je renonçai alors à travailler dans cette institution, et je privilégiai le travail thérapeutique en cabinet privé, où je recevais seule les couples. Mon collègue parla de divorce, sans doute à juste titre.
34S. Rusczynski donne un exemple éclairant du blocage du couple théra~peutique qu’il constituait avec une collègue et du travail nécessaire pour en sortir : « Très vite, nous sommes devenus extrêmement tendus à l’égard l’un de l’autre. Je commençais à me sentir sous l’emprise des idées de ma col~lègue, de ses pensées, de ce qu’elle ressentait et il me semblait qu’elle reje~tait totalement ma participation à notre discussion. Je me suis senti très mal à l’aise physiquement, en colère, et je souhaitais désespérément en finir avec elle et avec notre échange. Il devint clair que nous étions tous les deux très irrités l’un contre l’autre, la tension montait. Finalement, nous avons pu nous arrêter et nous nous sommes étonnés de la manière dont nous avions agi dans notre contre-transfert (je dirais dans l’intertransfert. NDA ) une identification projective du couple. Nous avons commencé à réaliser que chacun de nous s’était senti dominé par l’autre. Il nous avait semblé que nos idées, notre pen~sée, ce que nous ressentions, avait été totalement ignorés par l’autre et que la seule façon d’éviter une colère terrible, physique, avait été de couper court et de nous isoler l’un de l’autre » (S.D. Rusczynski, 1992).
35À partir de l’histoire de notre couple thérapeutique et de la réflexion de Stanley Rusczinsky, plusieurs points demandent un approfondissement. Je les traiterai en comparant la thérapie à thérapeute unique et la cothérapie.
Que le thérapeute soit seul ou en cothérapie, un lieu de triangulation est toujours nécessaire
36Pour un grand nombre des cas cliniques que j’ai menés seule, le recours à certains moments de la thérapie à un tiers, collègue ou superviseur, à un groupe ou à l’écriture pour établir une triangulation avec le couple-patient, m’a été indispensable. L’analyse de mon contre-transfert ne pouvait souvent se faire que dans ces conditions.
37Quand il arrive que le couple-patient et le couple superviseur-supervisé se mettent à fonctionner sur le même mode, seul un groupe de référence est alors garant de la triangulation.
38Pour la cothérapie, sous certaines conditions, l’institution accueillante peut remplir cette fonction, mais seulement si le choix de la cothérapie dans l’institution a été suffisamment travaillé préalablement à son introduction. Dans notre cas, nous nous étions choisis mutuellement comme cothérapeutes et l’institution avait entériné ce choix. Mais ce choix mutuel au sein d’une équipe de travail ne pouvait qu’avoir un retentissement sur cette équipe. Nous étions un couple qui émergeait du groupe de professionnels travaillant dans ce lieu et, à ce titre, nous introduisions des dimensions nouvelles, que nous n’avons pas travaillées en groupe. Déjà, je me rendais compte que la présence des couples dans ce centre amenait une conflictualité qui demandait à l’institution une capacité contenante qu’elle n’avait pas toujours. La néces~sité d’un groupe de référence ou d’une supervision à l’extérieur en aurait été d’autant plus nécessaire.
Le pré-transfert du ou des thérapeutes sur la thérapie de couple
39L’élaboration de cette question, qui est déjà nécessaire quand l’on ren~contre seul les couples, l’est encore plus quand on reçoit à deux. Dans ce der~nier cas, il existe un pré-transfert sur la thérapie de couple et un pré-transfert sur la cothérapie. Ce dernier, s’il n’est pas suffisamment travaillé, peut entraî~ner le choix d’un thérapeute qui s’établit dans une collusion inconsciente, autour du même point aveugle chez tous deux. Le choix de travailler en cothérapie et le choix du cothérapeute ne sont anodins ni l’un ni l’autre.
40Le choix de travailler en cothérapie complexifie beaucoup la relation thérapeutique, au lieu de la simplifier.
Les filiations formatives
41Le travail thérapeutique en couple renvoie les conjoints du couple consultant et les partenaires du couple thérapeutique à leur histoire respective et à leurs filiations – filiations familiales et filiations formatives.
42Il m’a semblé qu’il nous était devenu peu à peu impossible à mon cothé~rapeute et à moi de réfléchir ensemble théoriquement à la groupalité. Mon désir d’approfondir les théories sur le groupe restait de plus en plus insatis~fait. Au lieu que nous nous fécondions mutuellement, je suis entrée dans l’en~nui. Or, l’ennui est le signe de la mort d’un couple.
43On peut se demander quels sont les critères minimum pour pouvoir tra~vailler à deux. Au-delà des personnalités, y a-t-il une formation commune minimum requise ? Faut-il avoir la même formation ? Toute la question de l’homogamie et de l’exogamie se trouve ainsi posée.
44Cette expérience de cothérapie fut pour moi une expérience instructive et utile pour travailler les problématiques de couple, elle m’a montré que le couple (thérapeutique) peut remplir à certaines périodes une fonction matu~rative et que sa cessation même peut être porteuse d’une élaboration par la suite. Cette réflexion en est le fruit.
Bibliographie
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