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Article de revue

« Recouvrée à la pointe de l’épée »

Peuple et révolte dans le Discours sur l’inégalité

Pages 273 à 292

Notes

  • [1]
    Voir Francesco Toto, « Le Peuple contre l’État. Les deux logiques du Contrat social », Les Études Philosophiques, 2021/3, à paraître.
  • [2]
    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes, dans Œuvres complètes vol. III : Du contrat social ; Écrits politiques, éd. François Bouchardy, Jean Staraborinski, Robert Derathé, dir. Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèques de la Pléiade », 1964, p. 118.
  • [3]
    Ibid., p. 169.
  • [4]
    D’un point de vue pour ainsi dire « ethnologique », par exemple, les peuples peuvent être considérés dans les « variétés […] frappantes » de leurs figures, habitudes du corps, manières de vivre ; d’un point de vue géographique on peut distinguer les « peuples du nord » des « peuples du midi » ; d’un point de vue historique on peut opposer les « peuples sauvages » ou « barbares » aux peuples « policés » ; d’un point de vue politique confronter les « peuples libres » et les « peuples asservis » (ibid., p. 208, 143-144, 170 et 193, 181).
  • [5]
    Par exemple, la perspective géographique se lie à l’historique et à la politique en cela que, les peuples du nord se distinguent des peuples du midi par leur industrie, mais cette « industrie » est l’un des moteurs fondamentaux du procès de civilisation, de l’accumulation des richesses, de la production des inégalités et de la crise des institutions. De même, la perspective ethnologique se lie à l’historique quand Rousseau constate que les « différences nationales » étaient bien plus accentuées aux temps anciens qu’à nos jours, parce que « le commerce, les voyages et les conquêtes », avec la « communication » fréquente et généralisée qu’elles comportent, « réunissent […] les peuples », rapprochent leurs manières de vivre, réalisent en un mot le rêve des « grandes ames cosmopolites » réduisant les « barrieres […] qui séparent les peuples » à des « barrieres imaginaires » (ibid., p. 208 et 178). Enfin, la perspective historique se lie à la politique en cela que le progrès de la civilisation semble coïncider avec la perte de la liberté et l’approfondissement de la servitude.
  • [6]
    Ibid., p. 188.
  • [7]
    Ibid., p. 184-185.
  • [8]
    Ibid., p. 117-118. Sur ces lois, ainsi que sur le rapport entre pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et sur l’évolution de ce rapport entre Discours et Contrat, voir Robert D. Masters, The Political Philosophy of Rousseau, Princeton, Princeton University Press, 1968, p. 190-191 ; Robert Shackleton, « Montesquieu, Dupin and the Early Writings of Rousseau », dans Reappraisals of Rousseau. Studies in Honour of R. A. Leigh, dir. S. Harvey et al., Manchester, Manchester University Press, 1980, p. 234-249, ici p. 246 ; Bruno Bernardi, « L’invention de la volonté générale », dans Rousseau, Discours sur l’économie politique, éd. B. Bernardi, Paris, Vrin, 2002, p. 103-120, ici p. 110 ; Gabriella Silvestrini, Diritto naturale e volontà generale : il contrattualismo repubblicano di Rousseau, Roma, Claudiana, 2010, p. 43-44.
  • [9]
    Sur la décision d’adopter les termes de la tradition contractualiste et sur l’implicite prise de distance de cette tradition, voir Robert Derathé, Rousseau et la science politique de son temps, Paris, PUF, 1950, p. 57-58 ; et Robert D. Masters, ouvr. cité, p. 189-190.
  • [10]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 188.
  • [11]
    Ibid., p. 118.
  • [12]
    Ibid., p. 118.
  • [13]
    Ibid., p. 190.
  • [14]
    Ibid., p. 176-177.
  • [15]
    Ibid., p. 177. Cet aspect critique est le seul observé par la plupart des commentateurs. Voir par exemple Albert Schinz, La pensée de J.-J. Rousseau, Paris, Alcan, 1929, p. 170 ; Lucio Colletti, Ideologia e società, Roma/Bari, Laterza, 1969, p. 224-225 ; Patrick Riley, « A Possible Explanation of Rousseau’s General Will », dans J.-J. Rousseau. Critical Assessments of Leading Political Philosophers, vol. III : Political Principles and Institutions, dir. J. T. Scott, London, Routledge, 2006, p. 201-229, ici p. 207 ; Martin Rueff, « L’ordre et le système : l’empirisme réfléchissant de J.-J. Rousseau », dans Rousseau : anticipateur-retardataire, dir. J. Boulad-Ayoub et al., Paris, L’Harmattan, 2000, p. 274-344, ici p. 344, n. 93 ; Gérard Demouge, Rousseau ou la révolution impossible, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 172 ; Kevin Inston, Rousseau and Radical Democracy, London, Bloomsbury, 2010, p. 72; Anne Deneys-Tunney, Un autre J.-J. Rousseau : le paradoxe de la technique, Paris, PUF, 2015, p. 61 ; Jimmy Casas Klausen, Fugitive Rousseau : Slavery, Primitivism and Political Freedom, New York, Fordham University Press, 2014, p. 69 ; David L. Williams, Rousseau’s Platonic Enlightenment, University Park, Pennsylvania State University Press, 2010, p. 14.
  • [16]
    Sur la présence chez Rousseau du paradigme laboétien de la servitude volontaire, voir Blaise Bachofen, La condition de la liberté. Rousseau, critique des raisons politiques, Paris, Payot, 2002, p. 228 ; et B. Bachofen, « Y-a-t-il une philosophie politique de Rousseau ? », dans Rousseau et la philosophie, dir. A. Charrak et J. Salem, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 212-227, ici p. 222
  • [17]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 174-175 et 188.
  • [18]
    Ibid., p. 168 et 187.
  • [19]
    Ibid., p. 139, 161, 132, 181, 131, 192.
  • [20]
    Ibid., p. 190-191.
  • [21]
    Ibid., p. 131.
  • [22]
    Voir Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Paris, Vrin, 1974, p. 225 ; L. Vincenti, Rousseau : l’individu et la République, Paris, Kimé, 2001, p. 110 ; B. Bachofen, La condition de la liberté, ouvr. cité, p. 225.
  • [23]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 180.
  • [24]
    Ibid., p. 180-181.
  • [25]
    Ibid., p. 186.
  • [26]
    Ibid., p. 189.
  • [27]
    Ibid., p. 112.
  • [28]
    Ibid., p. 180, 187, 185.
  • [29]
    Ibid., p. 108, 186, 187-188.
  • [30]
    Ibid., p. 205.
  • [31]
    Ibid., p. 111 et 112. Sur l’émergence de cette deuxième vision de la politique dans la seconde partie du Discours, voir Francesco Toto, L’origine e la storia. Il « Discorso sull’ineguaglianza » di Rousseau, Pisa, Edizioni ETS, 2019, chapitre 6.2.
  • [32]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 117.
  • [33]
    Ibid., p. 189 et 187.
  • [34]
    Ibid., p. 180.
  • [35]
    Ibid., p. 112, 114, 116, 117.
  • [36]
    Voir B. Bachofen, « Why Rousseau Mistrusts Revolutions: Rousseau’s Paradoxical Conservatism », dans Rousseau and Revolution, dir. H. Ross Lauritsen et M. Thorup, London, Continuum, 2011, p. 17-30.
  • [37]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 127.
  • [38]
    Ibid., p. 113 et 181.
  • [39]
    Ibid., p. 113. Sur cette irréversibilité de la servitude, voir Iring Fetscher, « Rousseau’s Concept of Freedom in the Light of His Philosophy of History », dans Liberty, dir. C. J. Friedrich, New York, Atherton Press, 1962, p. 29-56, ici p. 43 ; et Franco Riccio, Le due logiche in J.-J. Rousseau, Palermo, ILA Palma, 1976, p. 74.
  • [40]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 176-177.
  • [41]
    Ibid., p. 185.
  • [42]
    Ibid., p. 127 et 191. D’un côté, le despotisme est le contraire de la licence, dont il constitue la plus sévère limitation : « les sujets n’ayant plus d’autre loi que la volonté du maître ». De l’autre, la licence n’est pas niée, mais seulement concentrée dans le despote qui, à son tour n’a « d’autre regle que ses passions » (ibid., p. 191).
  • [43]
    Ibid. Voir Jean Starobinski, J.-J. Rousseau. La Transparence et l’obstacle, Paris, Plon, 1958, p. 35.
  • [44]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 132 et 179. Voir Yves Vargas, « Rousseau et le droit naturel », Trans/Form/Ação », 31, 2008, p. 25-52, ici p. 42-43 ; et James Miller, « “The Abyss of Philosophy”: Rousseau’s Concept of Freedom », Modern Intellectual History, 3, 1, 2006, p. 95-103, ici p. 101.
  • [45]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 176, 175 et 179.
  • [46]
    Ibid., p. 187.
  • [47]
    Ibid., p. 190.
  • [48]
    Ibid., p. 190-191.
  • [49]
    Ibid., p. 175, 189, 156. Voir G. Demouge, ouvr. cité, p. 306.
  • [50]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 156.
  • [51]
    Ibid., p. 181-182.
  • [52]
    Sur le modèle romain, voir Denise Leduc-Fayette, J.-J. Rousseau et le mythe de l’Antiquité, Paris, Vrin, 1974, p. 106.
  • [53]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 113.
  • [54]
    Ibid., p. 116.
  • [55]
    Sur la prédilection envers l’armée populaire, voir Thomas Hippler, Soldats et citoyens : Naissance du service militaire en France et en Prusse, Paris, PUF, 2015, p. 55 ; et Hichem Ghorbel, L’idée de guerre chez Rousseau, Paris, L’Harmattan, 2010, vol. I, p. 80-81. Voir aussi Geraldine Lepan, J.-J. Rousseau et le patriotisme, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 455 ; et Helena Rosenblatt, Rousseau and Geneva : From the “First Discourse” to the “Social Contract”, 1749-1762, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 197.
  • [56]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 113.
  • [57]
    Ibid., p. 184-185.
  • [58]
    Voir G. Demouge, ouvr. cité, p. 223 ; et H. Rosenblatt, ouvr. cité, p. 170.
  • [59]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 141.
  • [60]
    Ibid., p. 183-184, 180, 187. Pour une lecture de ce « don essentiel » comme inaliénable, voir Guy Besse, « Le sage et le citoyen selon J.-J. Rousseau », Revue de métaphysique et de morale, 78, 1, 1973, p. 18-31, ici p. 30 ; Jim Miller, Rousseau : Dreamer of Democracy, New Haven, Yale University Press, 1984, p. 167 ; Nguyen Vinh-De, Le problème de l'homme chez Jean-Jacques Rousseau, Sillery, PUQ, 1991, p. 57 ; Annamaria Loche, « Le forme del patto e la teoria dei governi nel “Discours sur l’inégalité” di Rousseau », Rivista di Storia della Filosofia, 70, 1, 2015, p. 65-78, ici p. 71-72. À propos des problèmes soulevés par cette interprétation, voir F. Toto, ouvr. cité, p. 279-285 et 353-363.
  • [61]
    Rousseau, Du contrat social ou principes du droit politiques, dans Œuvres complètes, vol. III, éd. citée, p. 463, 464, 467. Voir Graeme Garrard, Rousseau’s Counter-Enlightenment : A Republican Critique of the Philosophes, Albany, SUNY Press, 2003, p. 77, où le Discours et le Contrat sont trop facilement rapprochés.
  • [62]
    Voir Rousseau, Œuvres complètes, vol. III, éd. citée, p. 224-225. Voir aussi M. Duchet et M. Launay, « Synchronie et diachronie : l’“Essai sur l’origine de langues” et le deuxième “Discours” », Revue Internationale de Philosophie, 82, 2, 1967, p. 421-442.
  • [63]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 187.
  • [64]
    Il est donc impossible de concorder avec ceux selon lesquels la seule « mission » légitime serait de ralentir la décadence des républiques existantes. Voir Arthur M. Melzer, « Rousseau’s “Mission” and the Intention of His Writings », American Journal of Political Science, 27, 2, 1983, p. 294-320.
  • [65]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 180. Sur Lycurgue, voir Steven Johnston, Encountering Tragedy : Rousseau and the Project of Democratic Order, Ithaca, Cornell University Press, 1999, p. 62-63, 67; et, sur Sparte, Carlo Borghero, Sparta tra storia e utopia. Il significato e la funzione del mito di Sparta nel pensiero di J.-J. Rousseau, dans Saggi sull’Illuminismo, dir. G. Solinas, Cagliari, STEF, 1973, p. 253-318. Sur l’acte de « nettoyer l’aire », voir Harry J. Benda, « Man, Society and the State : Rousseau’s Early Discourses (II) », Political Science, 6, 1, 1954, p. 17-28, ici p. 22 ; Alexis Philonenko, J.-J. Rousseau et la pensée du malheur, Paris, Vrin, 1984, vol. II, p. 229 ; Nicolas Bonhôte, Vision de l’histoire et autobiographie : étude de sociologie de la littérature, Lausanne, L’Âge d’homme, 1992, p. 34 ; Frank Tinland, « Perfectibilité humaine, hasard des événements, logique des enchaînements historiques et liberté selon J.-J. Rousseau », dans Sens du devenir et pensée de l’histoire au temps des Lumières, éd. B. Binoche et F. Tinland, Paris, Champ Vallon, 2000, p. 112-142, ici p. 136 ; H. Rosenblatt, ouvr. cité, p. 170.
  • [66]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 192.
  • [67]
    Ibid., p. 176.
  • [68]
    Ibid., p. 181.

Le peuple un et double

1Dans cet article je me demanderai si Rousseau laisse ou non une place à une résistance populaire légitime et efficace aux pouvoirs constitués. Ce travail porte sur le Discours sur l’inégalité, une démarche similaire étant toutefois entamée autour du Contrat social[1]. Ici, je mettrai d’abord en évidence la double image de la politique, comme calamité et comme salut, qui émerge des pages de cette œuvre. Ensuite, je me tournerai vers les passages qui semblent subsumer la rébellion à la première de ces conceptions, la réduisant à un moyen d’approfondissement de la corruption. Enfin, je montrerai de quelle façon la réintégration de ces passages dans leur contexte argumentatif permet de remettre en question cette réduction. Ainsi, j’espère montrer que la possibilité d’une révolte victorieuse et salvatrice est problématiquement mais intensément présente dans le Discours. Avant d’entreprendre ce parcours, il est néanmoins utile de dire quelques mots sur la signification du concept de « peuple », telle qu’elle se constitue à la croisée d’une pluralité de problématiques apparemment hétérogènes. C’est en effet sur l’arrière-fond de la conception du peuple que l’interrogation du problème d’une révolte populaire prend son sens.

2À la différence du Contrat social, le Discours n’offre aucune définition formalisée de la notion de « peuple », qu’il utilise pourtant fréquemment et avec une certaine flexibilité. À propos de cette ductilité, deux choses sont à remarquer. Premièrement, la pluralité de formes de mobilisation discursive du concept n’émerge que grâce à une double opération et à partir d’un présupposé partagé : d’un côté, le refoulement de toute acception divisive du peuple, comme celle dans laquelle il se réduirait par exemple aux « ouvriers [2] », à une partie de la société méprisée par une autre et en conflit avec elle ; de l’autre, l’assimilation du peuple à la « nation », entendue comme communauté en elle-même homogène (« unie de mœurs et de caracteres, […] par le même genre de vie et d’alimens, et par l’influence commune du climat [3] »). C’est bien à partir de sa compréhension minimale comme un sujet en lui-même unitaire et sans fractures que le peuple peut être envisagé d’une série de perspectives divergentes (ethnologique, géographique, historique, psychologique…) [4]. Deuxièmement, ces perspectives plurielles ne sont pas sans lien entre elles [5], mais s’articulent de façon hiérarchique autour du primat politique. Ce primat est un donné matériel indépendant de toute controverse interprétative : dans la plupart des occurrences, le peuple est dépeint dans l’acte de délibérer, de se donner des lois, de choisir des magistrats, d’honorer ces magistrats, puis de s’éloigner de son institution primitive, de se laisser fasciner et opprimer par ses « conducteurs [6] », de s’accoutumer à la dépendance, de tomber sous le joug de la tyrannie.

3Cet usage politique du concept de peuple pose au moins une difficulté. À un certain niveau, il est pleinement cohérent avec le présupposé d’union : le peuple apparaît ici comme un sujet doué d’une volonté qui « réunit […] en une seule » toutes les volontés des citoyens et qui s’explique dans les « loix fondamentales qui obligent tous les membres de l’Etat sans exception » et forment « les liens de leur union [7] ». En même temps, on rencontre une distinction qui trouble ce présupposé, et qui risque de se convertir en une opposition déchirante : la distinction entre le peuple et ses chefs. Dans sa forme physiologique, il est vrai, cette distinction se configure comme une relation d’intériorité. Quand Rousseau s’adresse par exemple aux Genevois et parle de leurs chefs comme « des plus éclairés et des plus zélés d’entre [eux] », ces chefs figurent comme des membres du peuple, leur seule « autorité » étant celle de « ministres des lois », de simples exécuteurs de la volonté populaire [8]. Cependant, la relation peut prendre un tournant pathologique d’extériorisation réciproque. À la lumière de la théorie exposée dans le Contrat social, on pourrait se demander si cette extériorité n’est pas déjà implicite dans la conception du rapport en termes contractuels [9] : comment le peuple et les chefs pourraient-ils contracter les uns avec les autres sans se concevoir comme deux sujets séparés ? Cette séparation devient éclatante quand Rousseau parle de la façon dont les « distinctions politiques » mènent aux « distinctions civiles ». « L’inégalité croissant entre le peuple et ses chefs », affirme-t-il, ne peut élever ces derniers au rang d’« une poignée de puissans et de riches au faîte des grandeurs et de la fortune » sans réduire le peuple à une « foule [qui] rampe dans l’obscurité et dans la misere [10] ». Dans ces conditions, l’affirmation selon laquelle « les premiers […] cesseroient d’être heureux si le peuple cessoit d’être misérable [11] » explicite l’aliénation réciproque qui rend les chefs et les peuples étrangers les uns aux autres. Sachant que le clivage gouvernants/gouvernés est pour Rousseau le résultat et la récapitulation de toutes les autres divisions qui hantent les peuples sur le plan de la richesse, de la réputation ou de la puissance, on a l’impression de se retrouver face à un véritable retour du refoulé : la collectivité dont, « sous le nom d’ouvriers et de peuple », on a chez les nations non démocratiques « des idées si basses et si fausses [12] », et que la sécession des riches et des puissants laisse aux marges de la communauté politique. Mais qu’en est-il du peuple quand les chefs qui devraient en protéger la volonté, et avec elle la liberté et l’unité, trahissent leur fonction et se constituent en caste, en groupe séparé et privilégié d’oppresseurs ? De quels « moyens légitimes [13] » dispose-t-il pour arrêter cette oppression ?

Ambivalence de la politique et conservatisme

4La tendance dominante du Discours, et très souvent la seule perçue par le lecteur, est de réduire la politique à une continuation de la guerre par d’autres moyens. Dans la fable du Discours, la politique naît comme résolution discursive de l’« horrible état de guerre » qui armait les membres de la société naissante « tous les uns contre les autres [14] », grâce au pacte qui constitue l’acte de naissance du peuple entendu comme unité égalitaire des citoyens. Cependant, les efforts de Rousseau visent surtout à une radicale déconstruction de cette solution, à sa réduction au masque idéologique de la domination et de la division. Ainsi, l’exhortation qui ouvre les portes au pacte (« unissons-nous ») se dévoile comme une forme de séduction, la protection que les faibles comptent obtenir contre l’oppression comme les « fers » au-devant desquels ils courent « croyant assurer leur liberté [15] ». La seconde partie du Discours peut être lue dans son entièreté comme l’exposition des facteurs qui convergent dans la genèse des rapports matériaux et symboliques de domination articulés autour de la propriété, et qui, quand ces mêmes rapports sont troublés par une guerre de tous contre tous qui est en même temps une guerre de classe des pauvres contre les riches, concourent à leur restauration dans la forme politique de la servitude volontaire [16]. C’est bien sur l’ambition déjà introduite dans la description de la « société naissante » comme l’un des corollaires de l’« amour propre intéressé » que l’usurpateur s’appuiera pour forger les laquais disponibles à « porter des fers pour en pouvoir donner à leur tour [17] ». De même, c’est l’amour pour les « commodités » qui empêchera le peuple de « briser ses fers » quand les chefs s’accoutumeront à compter leurs concitoyens comme « leurs esclaves » ou comme « du bétail [18] ». De ce point de vue, la politique, avec l’extériorisation réciproque des chefs et du peuple, n’est que la pédagogie du serf, l’art de dresser un peuple qui soit, d’un côté, « faible » et « craintif », c’est-à-dire capable d’accepter sans gémissements la violence de ses dominateurs et de leurs « caprices », et, de l’autre côté, « rampant », supporteur enthousiaste de sa propre servitude. Un sujet capable de « vanter sans cesse » une paix qui n’est en réalité qu’une miserrima servitudo, ou, encore, de se convaincre que « ceux qui commandent valent nécessairement mieux que ceux qui obéissent », de s’enorgueillir « de son esclavage », de parler avec « dédain de ceux qui n’ont pas l’honneur de le partager [19] ». Ainsi conçue, la politique trouve sa vérité dans la figure monstrueuse du despotisme, ce triomphe de la loi du plus fort qui structurait déjà la guerre de tous contre tous et dans lequel les sujets se trouvent finalement réduits au rang d’animaux domestiques qui n’ont autre loi que « la volonté du maître [20] ». De ce point de vue le nom de « peuple », entendu comme union égalitaire des citoyens, n’est que l’étendard sous lequel sont perpétrées la manipulation et l’oppression du peuple entendu comme totalité des exclus, de ceux qui n’ont pas accès aux « privilèges […] dont quelques-uns jouissent au préjudice des autres [21] ».

5Pourtant, cette première conception de la politique n’est pas la seule [22]. Étonnamment, les pages suivant la stipulation du pacte font table rase de tout ce qui avait été dit auparavant : la politique née de l’ambition dévorante du riche, de son « plaisir de dominer », renaît avec l’aide de « sages législateurs [23] ». La dégénération liée aux inégalités et aux divisions sociales disparaît, cédant la place au protagonisme de peuples « fiers et indomptés », dont les membres sont unis par un commun « amour de la liberté [24] ». Bien sûr, ces peuples sont différenciés en fonction du degré d’inégalité auquel les peuples étaient parvenus au moment de l’institution. « Les uns resterent uniquement soumis aux loix », conservant leur liberté dans le bonheur, tandis que « les autres obéirent bientôt à des maîtres [25] ». En même temps, cette différenciation présuppose que tous les peuples, dans leurs origines, ne sont soumis qu’aux lois qu’ils se sont données. Ainsi, cette différenciation identifie l’esclavage du peuple non plus à la forme originaire de la politique, mais au résultat de l’éloignement « de son institution primitive [26] ». Partout, le « joug salutaire et doux » des lois permet aux « têtes […] fieres » des citoyens de « n’en porter aucun autre [27] ». Les chefs auxquels le peuple confie le « dangereux dépôt de l’autorité publique » ne sont que ses « officiers », dont le seul soin est « de faire observer les délibérations du peuple », le seul pouvoir de « maintenir la constitution » et de « veiller à sa conservation », le plus grand intérêt d’agir « selon l’intention des commettans » en vue de l’utilité publique [28]. Ainsi, la politique trouve sa vérité non plus dans le rapport maître/esclave réalisé par le despotisme, mais dans les États qui « s’étoient le moins éloignés de l’état de nature », c’est-à-dire dans les démocraties [29]. Le conflit, la séparation, la domination, ne sont plus la réalité dissimulée de la politique, mais sa négation, son bouleversement, car la politique n’est plus « le mal », mais, en principe, le « remède [30] ». Elle est le maintien d’un « ordre public » inséparable du « bonheur des particuliers » et de leur liberté [31]. Elle est la réalisation de la promesse contenue dans le pacte, l’autoformation du peuple libre et de son « union perpétuelle [32] ».

6Clairement, ces visions de la politique sont incompatibles sous plusieurs respects. D’un point de vue conceptuel et synchronique, elles se nient réciproquement, car une même politique ne peut pas être en même temps lieu de domination et de liberté. D’un point de vue diachronique, il est impossible de lier ces images en une histoire unitaire. Le récit qui expose le procès de corruption comme un « chemin » ou « progres [33] » linéaire et nécessaire est incompatible avec la liberté et le bonheur auxquels sont vouées les démocraties ou les républiques apparemment soustraites au processus de corruption universelle. Conscient des tensions engendrées par cette dualité, Rousseau repense les « vices de la constitution » non plus comme l’effet du piège du riche, mais comme des simples « inconvéniens » liés au « défaut de philosophie et d’expérience » et destinés à prêter le flanc aux « abus » les plus variés [34]. Sans éliminer toutes les tensions, cette solution élève la corruption des institutions et la trahison de leur finalité originaire au rang de problème politique central : si les « peuples libres » ne constituent pas une simple exception mais bien, dans leurs origines, la norme, alors la politique de la liberté se configure comme une lutte permanente contre les facteurs qui risquent d’ouvrir les portes à la politique de la domination. « Les manœuvres obscures du vice », « les projets intéressés et mal conçus », les germes « d’aigreur ou de défiance », les « discours envenimés », l’incapacité du peuple de se contenter du bonheur dont il jouit déjà : autant de facteurs qui constituent le « levain funeste » d’où risquent de résulter l’ébranlement de la Constitution et « la ruine de l’Etat [35] ».

7À son tour, cette centralité du maintien des institutions légitimes semble donner à Rousseau une position nettement conservatrice [36]. Dans l’énigmatique passage de la préface où il expose son programme, le philosophe évoque « la violence des hommes puissants et l’oppression des faibles » déplorant non seulement la « dureté des uns », mais aussi l’« aveuglement des autres ». Ensuite, il mentionne les « établissements humains » fondés sur ces « relations extérieures […] qu’on appelle faiblesse ou puissance, richesse ou pauvreté », affirmant qu’ils n’ont pas plus de stabilité que des établissements « fondés sur des monceaux de sable mouvant ». Cependant, il ne le fait pas pour plaider le dépassement de la violence et de l’aveuglement ou l’effondrement des établissements qui les supportent. Au contraire, il le fait avec la finalité de réduire cette violence et cette instabilité à des apparences, à quelque chose que la société humaine « semble montrer », qui n’apparaît qu’à un regard superficiel. Quand on examine ces sociétés « de près », on aperçoit leur « base » ou « assiette » inébranlables, on apprend à « en respecter les fondements » qui ont fait « naître notre bonheur des moyens qui semblaient devoir combler notre misère [37] ». Prises à la lettre, ces lignes nient en bloc tout ce que dit la suite de l’ouvrage et semblent par cela exiger d’être lues à travers la lentille d’une ironie à peine dissimulée. Il est clair que le conservatisme dont elles témoignent, ou semblent témoigner, conditionne en profondeur la discussion sur la rébellion.

La rébellion comme avant-garde du despotisme

8À première vue, Rousseau semble bien déterminé à dépouiller les révoltes de toute efficacité et de toute légitimité. Deux passages gémeaux, issus l’un de la dédicace et l’autre de la « Partie seconde », sont voués à dénoncer la vanité des révolutions. Selon ces passages, « il en est de la liberté comme de ces aliments solides et succulents, […] propres à nourrir et fortifier les tempéraments robustes qui en ont l’habitude, mais qui accablent, ruinent et enivrent les faibles et délicats qui n’y sont point faits [38] ». En conséquence, « les peuples une fois accoutumés à des maîtres ne sont plus en état de s’en passer. S’ils tentent de secouer le joug, ils s’éloignent d’autant plus de la liberté que prenant pour elle une licence effrénée qui lui est opposée, leurs révolutions les livrent presque toujours à des séducteurs qui ne font qu’aggraver leurs chaînes [39] ». On constate une double analogie : entre cette « licence effrénée » et les passions également « effrénées » qui structuraient la guerre de tous contre tous ; entre ces « séducteurs » et la séduction qui ouvre les portes au pacte [40]. Cette double analogie configure les efforts de libération du peuple comme l’origine d’un nouvel état de nature et comme l’occasion du pacte scélérat. Ainsi, ces passages nient aux peuples « asservis » tout espoir de rédemption, abaissant « leurs révolutions » à un moyen d’approfondissement de leur dépravation et d’affirmation du pouvoir despotique.

9Un autre passage, apparemment destiné à nier la légitimité des révolutions, s’insère dans la discussion du droit du peuple « de renoncer au contrat », c’est-à-dire de « renoncer à la dépendance » face aux chefs, de les déposer. Ce « funeste droit » ou ce « dangereux pouvoir » serait porteur de « dissensions affreuses » et de « désordres infinis ». Ces dissensions et ces désordres servent à rappeler qu’« il était nécessaire au repos public que la volonté divine intervint pour donner à l’autorité souveraine un caractère sacré et inviolable qui ôtât aux sujets le funeste droit d’en disposer [41] ». Rousseau prône en toute lettre une sacralisation de l’autorité souveraine qui élimine le droit de résistance réduisant les expressions du mécontentement populaire au rang de désordres. Nous comprenons la raison pour laquelle les désordres provoqués par l’exercice du droit de résistance doivent être non seulement affreux, mais, proprement, « infinis », si nous nous tournons vers un dernier passage.

10Ce passage apparaît dans les pages dédiées au despotisme, qui est entendu par Rousseau comme la condition où « les notions du bien et les principes de la justice s’évanouissent » et « tout se ramene à la seule loi du plus fort », et qui, comme nous l’avons vu, constitue l’issue nécessaire de la « licence effrénée » des révolutions [42]. Ici, on lit que « l’émeute qui finit par étrangler ou détrôner un sultan est un acte aussi juridique que ceux par lesquels il disposait la veille des vies et des biens de ses sujets » et encore que « toutes choses se passent ainsi selon l’ordre naturel, et quel que puisse être l’événement de ces courtes et fréquentes révolutions, nul ne peut se plaindre de l’injustice d’autrui, mais seulement de sa propre imprudence [43] ». Ce passage semble constituer une justification de l’émeute ou des révolutions, mais la loi du plus fort, au nom de laquelle cette justification est fournie, n’a à proprement parler rien de « juridique » pour Rousseau. L’« ordre naturel » dont on parle ici est donc un ordre non pas contraire, mais homogène, à la violence : l’émeute et les révolutions s’inscrivent dans la logique du droit du plus fort et, par cela même, sont impuissantes à rétablir une « véritable société [44] ». Ainsi, les « révolutions » sont non seulement l’occasion de la naissance du despotisme, mais aussi, comme en témoigne le fait qu’elles sont « courtes et fréquentes », son origine permanente.

11La position conservatrice qui se construit à travers ces textes est claire. Quand les institutions sont saines, comme dans la démocratie rêvée dans la dédicace, ces révoltes ne peuvent être que le résultat des « manœuvres obscures du vice ». Au contraire, quand les institutions sont malades, le mal ne peut qu’être confirmé et approfondi par les révoltes. Ainsi, les passages fondamentaux de l’histoire politique de la corruption sont scandés par des désordres dont les ambitieux ne manquent pas de profiter. Le pacte est la conséquence de l’« affreux désordre » suscité par les brigandages des « surnuméraires », ces exclus des privilèges de la propriété qui sont devenus « pauvres sans avoir rien perdu », qui n’ont donc « rien à perdre que leur liberté », et qui préfèrent la faim dans l’indépendance, à la satiété dans l’esclavage [45]. De même, le procès de concentration du pouvoir, qui amène à la dégénération des chefs originairement élus en caste close vouée non plus au bien public mais à la reproduction d’elle-même, est consenti par la fréquence des élections, par les « factions » et les « partis » qui se forment et s’aigrissent, par les « guerres civiles » qui ramènent l’État sur les bords de l’« anarchie des temps antérieurs [46] ». Les armées originairement formées en vue de la défense de la patrie contre l’ennemi extérieur deviennent mercenaires, elles tiennent « sans cesse le poignard levé sur leurs concitoyens », et les « réclamations des faibles sont traitées de murmures séditieux », sujets à une répression qui ne laisse plus entrevoir des « moyens légitimes » pour arrêter l’oppression toujours croissante [47]. Ce vide de « moyens légitimes » constitue enfin l’arrière-fond du « désordre » et des « révolutions » qui aboutissent au despotisme [48]. L’échec est inévitable : quand les révoltes ne sont pas éteintes par la violence des appareils de répression auxquels elles donnent l’occasion de se développer et de se structurer, elles produisent un désordre qui sera l’origine d’un ordre nouveau intrinsèquement instable mais à chaque fois pire que le précédent.

La révolution comme libération

12Dans les passages que nous venons de lire, la révolte est présentée comme subalterne à la politique-domination. Cependant, d’autres passages nous permettent de corriger l’unilatéralité apparente de ce conservatisme.

13Prenons l’analyse de la pitié. L’amour-propre rend « tous les hommes […] rivaux ou plutôt ennemis », ils les « isole » et, à travers cette atomisation compétitive, produit le terrain sur lequel les pouvoirs arbitraires prospèrent [49]. Rousseau introduit la pitié comme antidote contre la férocité de cet amour-propre. D’une part, on a le « philosophe » : il dort tranquille dans son lit, et, quand on égorge « impunement son semblable sous sa fenêtre », met les mains sur ses oreilles et « dit en secret : “Péris si tu veux, je suis en sûreté” ». D’autre part, on a « la populace ». « Dans les émeutes, dans les querelles des rues », affirme-t-il, « la populace s’assemble, l’homme prudent s’éloigne : c’est la canaille, ce sont les femmes des halles, qui séparent les combattants, et qui empêchent les honnêtes gens de s’entr’égorger [50] ». Ainsi, l’appréciation manifestée envers la populace, la canaille et les femmes des halles se reflète-t-elle sur les émeutes, expression d’une solidarité brisant l’isolement compétitif à travers une résistance collective à la violence des pouvoirs établis mais devenus intolérables. La pitié qui est à la base de ces actions collectives est en outre pour Rousseau l’un des deux piliers du droit naturel, la source des seules obligations naturelles admises par le Discours. Se peut-il que l’émeute constitue le lieu où le droit naturel violé réapparaît dans sa forme violente, et que les difficultés rencontrées par le Discours dans la théorisation de ce droit soient déterminées par l’indicible lien entre ce droit et la révolte ?

14Rousseau ne tire jamais de pareilles conclusions. En outre, ces émeutes pourraient bien s’inscrire dans la typologie des formes de mobilisation populaires totalement impuissantes à modifier le cadre de corruption généralisée dans lequel elles s’inscrivent. Pourtant, la réactualisation par ces émeutes de la pitié, qui devrait avoir été étouffée par l’histoire, est la même qui signe les révoltes des « peuples libres ». Lorsque Rousseau dit qu’il en est « de la liberté comme de l’innocence et de la vertu », il semble condamner au désespoir les peuples accoutumés à la servitude. L’alinéa suivant oppose les peuples encore barbares qui se trouvent au seuil de la vie politique aux « peuples asservis ». En même temps, il compare les peuples barbares à ces « peuples libres » qui se sont démontrés capables de véritables « prodiges […] pour se garantir de l’oppression », sacrifiant « les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance et la vie même à la conservation de ce seul bien », la liberté [51]. Ce passage semble à première vue s’inscrire parfaitement dans l’orientation conservatrice des argumentations rousseauistes. Toutefois, cette apparence est dissipée dès qu’on lit intégralement son passage jumeau. Rousseau y introduit un exemple, celui de la Rome républicaine, qui a l’air de vouloir confirmer cette conclusion, mais qui, en réalité, la bouleverse. « Le peuple romain lui-même, ce modèle de tous les peuples libres, ne fut point en état de se gouverner en sortant de l’oppression des Tarquins [52] » : « avili par l’esclavage […], ce n’était d’abord qu’une stupide populace qu’il fallut ménager et gouverner avec la plus grande sagesse, afin que [elle] s’accoutuma[sse] peu à peu à respirer l’air salutaire de la liberté [53]. » Non seulement on retrouve ici la « populace » qui dans la suite du livre sera la protagoniste des émeutes compassionnelles, mais la révolution dont elle est la protagoniste est l’inversion pure et simple de la naissance du despotisme « sur les ruines de la république » : elle est la naissance de la république, et d’un peuple libre, sur les ruines du despotisme. Une voie de régénération capable de transformer les « âmes énervées ou plutôt abruties sous la tyrannie » dans « le plus respectable de tous les peuples » est inaugurée. La révolution victorieuse ouvre ainsi la possibilité de penser le problème général de la transformation ou de la transition politique non plus sous la forme d’une corruption qu’il faut dans la mesure du possible éviter ou retarder, mais aussi dans la forme contraire de la libération d’une corruption dévoilée. C’est bien cette possibilité qui constitue la prémisse de l’éloge rousseauiste de la souveraineté du peuple genevois, non seulement « conservée durant deux siècles à force de valeur et de sagesse », mais aussi « acquise ou recouvrée à la pointe de l’épée », c’est-à-dire à travers la rébellion [54]. Et c’est bien cette origine qui doit être perpétuée dans la quotidienneté de la vie civile : le peuple en armes [55], toujours prêt à abandonner les plaisirs et à donner sa vie pour se révolter contre la menace tyrannique, est la seule contre-mesure adéquate face aux risques de l’armée mercenaire asservie à l’intérêt du tyran [56]. Ce peuple armé n’est pas seulement le cauchemar qui trouble la tranquillité de la vie civile, mais aussi le spectre qui hante les nuits des chefs exposés à la tentation despotique.

15Rousseau se tient ici dans la perspective axiologiquement neutre de la constatation de l’efficacité et des possibilités de libération propres des révolutions, laissant encore en suspens la question de leur légitimité. Pourtant, plusieurs aspects dignes d’attention sont repérables dans le passage contenant l’éloge de cette sacralisation du pouvoir souverain qui « ôtât aux sujets le funeste droit d’en disposer ». D’abord, cette sacralisation s’inscrit dans un mouvement argumentatif voué, dans son premier moment, à attribuer au peuple le droit qui, avec une volte-face assez surprenante, lui est en un second moment soustrait par la religion. Le peuple et les chefs « s’obligent à l’observation des lois qui y sont stipulées et qui forment les liens de leur union », mais ces lois et ces liens ne sont que les « délibérations du peuple ». Affirmer qu’elles « obligent tous les membres de l’État sans exception », et que les chefs se trouvent par cela à ne pouvoir exercer de façon légitime le pouvoir qui leur a été confié sinon « selon l’intention des commettants », revient donc à dire que les conditions du rapport sont entièrement définies par l’une seule des parties, c’est-à-dire par le peuple. Certes, l’argument à travers lequel Rousseau établit le droit du peuple de se libérer de ses chefs semble poser les deux parties sur un plan de réciprocité : si les chefs qui croient que les conditions du pacte ont été violées ont le droit de révoquer les accords et d’abdiquer, alors le peuple doit a fortiori avoir le « droit de renoncer à la dépendance ». Cette réciprocité n’est pourtant qu’apparente. La magistrature et ses droits ne sont « établis que sur les lois ». Aussitôt que ces lois « seraient détruites, les magistrats cesseraient d’être légitimes, le peuple ne serait plus tenu de leur obéir, et […] chacun rentrerait de droit dans sa liberté naturelle [57] ». D’un certain point de vue, l’État est dissout, car on retourne au vide d’obligations morales propre de l’état de nature. D’un autre point de vue, l’État est restauré, car le vide d’obligations ne concerne pas les rapports entre les citoyens : le peuple qui n’est plus tenu à l’obéissance est toujours le peuple.

16Revenant sur les lignes qui nous incitent à « chérir et […] adopter » la religion, « même avec ses abus », parce qu’elle ôte aux sujets le « funeste droit » de disposer du pouvoir souverain et épargne ainsi « encore plus de sang que le fanatisme n’en fait couler », nous rencontrons alors quelques surprises. D’abord, on peut douter que l’acte d’ôter un droit soit réellement conçu ici comme un acte positif ou même possible [58]. En fait, le droit dont les sujets sont privés coïncide avec ce droit des droits qu’est la liberté. En niant la légitimité du pouvoir arbitraire, Rousseau réunit en un seul concept la liberté entendue politiquement comme subjection aux seules lois auxquelles on a donné son consentement et la liberté « métaphysique [59] » entendue comme capacité de consentir ou dissentir. Sur la base de cette unification, il peut affirmer que la liberté est l’un des « dons essentiels de la nature » : un don dont il est douteux que l’homme soit en mesure de se priver, ou, du moins, dont il ne peut se priver qu’au prix de « se mettre au niveau des bêtes esclaves de l’instinct [60] ». Ce passage est riche d’ambiguïtés. Sans mobiliser de façon rétrospective les conclusions qui seront présentées dans le Contrat social à propos de l’« esprit dominateur » et de l’esprit servile et « favorable à la tyrannie » propres au christianisme [61], il est pourtant clair que, déjà dans le Discours, le pouvoir sacralisé rentre dans la classe des pouvoirs arbitraires fondés sur un contrat impossible, insensé, et par cela même nul.

17Cette conclusion est corroborée par l’histoire rédactionnelle de l’ouvrage. Il y a un passage, dont on connaît deux rédactions successives et qui a été éliminé de la version finale du Discours, qui traite du rôle des religions. Il ne s’agit pas d’un manifeste athée, mais les prêtres y paraissaient comme les « ennemis mortels des lois », « toujours prêts à autoriser les usurpations injustes », engagés dans le bouleversement et l'anéantissement « de tous les droits de l’humanité [62] ». Le refoulement de ce passage de la version imprimée du Discours nous autorise à lire les lignes d’éloge de la religion comme une forme de compromis qui évite de prêter le flanc aux critiques d’athéisme. De même, la légitimité de la révolution est assurée par un passage lié à celui qui traite de la dissolution despotique de l’État et du cercle infernal où les « courtes et fréquentes révolutions » ouvrent les portes à des nouveaux despotes, qui à leur tour encouragent des nouvelles révolutions, et ainsi à l’infini. Parlant du « progrès de l’inégalité dans ces différentes révolutions », Rousseau ouvre une double possibilité : soit des « nouvelles révolutions dissolvent tout à fait le Gouvernement », soit elles – comme dans la Rome des Tarquins – « le rapprochent de l’institution légitime [63] ». Clairement, la révolte qui est à l’origine de l’institution légitime ne peut pas être illégitime [64]. « Nettoyer l’aire et écarter tous les vieux matériaux, comme fit Licurgue à Sparte » est toujours possible, sinon nécessaire, « pour élever ensuite un bon édifice », et ce n’est pas la tâche des grands législateurs seulement, mais aussi, en première personne, des peuples opprimés [65].

18La constatation de leurs efficacité et légitimité possibles nous permet désormais de tirer des conclusions sur la conception rousseauiste des révoltes présentée dans le Discours. D’abord, le sujet de la révolte n’est pas le peuple en tant que communauté indivise des citoyens, mais le peuple comme totalité des exclus. Le système rigidement réglé de cooptation sélective qui soutient les concentrations abusives de pouvoir est payé avec la perte de l’indépendance. Qui veut recueillir au moins les brins de ce système doit être « toujours actif » : « il travaille jusqu’à la mort, il y court même pour se mettre en état de vivre [66]. » Le peuple en révolte est alors le peuple auquel cette possibilité d’intégration est niée, le peuple de ceux qui ne sont rien et qui veulent être tout. Dans cette perspective, la révolte est la forme extrême dans laquelle le peuple invisible des opprimés constitue son unité, la forme extraordinaire – et dangereuse – dans laquelle la politique de la libération s’affirme contre la politique de la domination. De cette façon, le conservatisme de Rousseau n’est pas nié. Malgré l’appropriation actuelle de son nom de la part de mouvements « populistes », le philosophe souligne que les révolutions peuvent être des véritables calamités, ou bien que la « populace » ignorante et frustrée est l’objet idéel des manipulations de l’ambitieux. Cependant, il ne faut pas exagérer l’étendue de cette position conservatrice. La possibilité heureuse d’une révolution réussie montre que la dégénération n’est pas la seule transformation politique possible et que la tâche de la politique ne se limite pas à une conservation d’institutions légitimes qui livrerait les peuples asservis au désespoir.

19Malgré son envergure théorique et politique, cette option pour ainsi dire « philo-révolutionnaire » n’émerge dans le Discours que de façon tortueuse, à titre d’« impensée ». Premièrement, le primat assigné à la conception de la politique comme instrument de domination ne permet à la politique de la liberté d’apparaître que sous la forme d’une contradiction : non seulement une exception, mais un « prodige » qui ne peut faire irruption dans l’ordre du discours sans le suspendre. En fait, Rousseau tend à concevoir la temporalité de l’histoire sous l’aspect de la linéarité. Certes, cette linéarité est celle d’un progrès, celui de l’inégalité, qui est l’inverse de ce qu’aujourd’hui nous appelons « progrès ». La révolution réussie interrompt cette continuité pour laisser surgir tous les sentiers perdus du récit, ses lignes de fuite et ses anachronismes. En fait, elle est l’héritière de tous les échecs de l’histoire politique, la rédemption de tous ses rêves trahis. Elle relance la contestation des surnuméraires et des brigands qui, quand le riche affirme « C’est moi qui ai bâti ce mur ; j’ai gagné ce terrain par mon travail », lui demandent « en vertu de quoi prétendez-vous être payés à nos dépens d’un travail que nous ne vous avons point imposé ? Ignorez-vous qu’une multitude de vos freres périt ou souffre du besoin de ce que vous avez de trop [67] ? » Elle redonne la voix à l’amour de la liberté des peuples barbares qui, quand l’aspirant despote offre son secours en échange d’un pouvoir arbitraire, lui répondent : « Que nous fera de plus l’ennemi [68] ? » En fait, la révolution ne s’allume que grâce à la mobilisation de facteurs qui auraient dû être déjà oblitérés par le « progrès », et elle présuppose ainsi une temporalité plurielle qui domine et structure le récit.

20Au-delà de cette incompatibilité, on rencontre une indécision théorique décisive. La révolution apparaît parfois comme l’infraction de l’ordre établi, parfois comme sa restauration, et donc, en quelque sorte, comme sa conservation : la souveraineté est autant « acquise » que « recouvrée » à la pointe de l’épée. À quelle condition cette oscillation est-elle possible ? Pourquoi le changement de gouvernement ou la déposition des gouvernants par le peuple peuvent-ils se présenter autant comme le rétablissement de l’ordre violé que comme un changement de régime ? La théorie qui sera exposée par le Contrat est déjà latente dans le Discours, mais elle n’est pas encore adéquatement formulée et développée : le pouvoir exécutif est déjà subordonné au législatif, mais les chefs sont et ne sont pas des simples « officiers », le peuple est et n’est pas essentiellement le souverain, sa souveraineté est et n’est pas inaliénable. Si les chefs sont les souverains, alors la révolution présuppose la mort du corps politique et sa renaissance. Mais si on retourne à l’« ordre naturel », comment le peuple, qui ne devrait exister que dans son unité politique, peut-il survivre à la dissolution des institutions ? Au contraire, si le peuple survit au changement de la forme de gouvernement ou des gouvernants en tant que dépositaire de la souveraineté, comment Rousseau peut-il parler d’un retour à l’état de nature ? Il s’agit précisément des problèmes sur lesquels Rousseau reviendra dans le Contrat.


Mots-clés éditeurs : souveraineté, despotisme, Rousseau, politique, démocratie, résistance, peuple

Date de mise en ligne : 02/07/2021

https://doi.org/10.3917/dhs.053.0273

Notes

  • [1]
    Voir Francesco Toto, « Le Peuple contre l’État. Les deux logiques du Contrat social », Les Études Philosophiques, 2021/3, à paraître.
  • [2]
    Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondemens de l’inégalité parmi les hommes, dans Œuvres complètes vol. III : Du contrat social ; Écrits politiques, éd. François Bouchardy, Jean Staraborinski, Robert Derathé, dir. Bernard Gagnebin et Marcel Raymond, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèques de la Pléiade », 1964, p. 118.
  • [3]
    Ibid., p. 169.
  • [4]
    D’un point de vue pour ainsi dire « ethnologique », par exemple, les peuples peuvent être considérés dans les « variétés […] frappantes » de leurs figures, habitudes du corps, manières de vivre ; d’un point de vue géographique on peut distinguer les « peuples du nord » des « peuples du midi » ; d’un point de vue historique on peut opposer les « peuples sauvages » ou « barbares » aux peuples « policés » ; d’un point de vue politique confronter les « peuples libres » et les « peuples asservis » (ibid., p. 208, 143-144, 170 et 193, 181).
  • [5]
    Par exemple, la perspective géographique se lie à l’historique et à la politique en cela que, les peuples du nord se distinguent des peuples du midi par leur industrie, mais cette « industrie » est l’un des moteurs fondamentaux du procès de civilisation, de l’accumulation des richesses, de la production des inégalités et de la crise des institutions. De même, la perspective ethnologique se lie à l’historique quand Rousseau constate que les « différences nationales » étaient bien plus accentuées aux temps anciens qu’à nos jours, parce que « le commerce, les voyages et les conquêtes », avec la « communication » fréquente et généralisée qu’elles comportent, « réunissent […] les peuples », rapprochent leurs manières de vivre, réalisent en un mot le rêve des « grandes ames cosmopolites » réduisant les « barrieres […] qui séparent les peuples » à des « barrieres imaginaires » (ibid., p. 208 et 178). Enfin, la perspective historique se lie à la politique en cela que le progrès de la civilisation semble coïncider avec la perte de la liberté et l’approfondissement de la servitude.
  • [6]
    Ibid., p. 188.
  • [7]
    Ibid., p. 184-185.
  • [8]
    Ibid., p. 117-118. Sur ces lois, ainsi que sur le rapport entre pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et sur l’évolution de ce rapport entre Discours et Contrat, voir Robert D. Masters, The Political Philosophy of Rousseau, Princeton, Princeton University Press, 1968, p. 190-191 ; Robert Shackleton, « Montesquieu, Dupin and the Early Writings of Rousseau », dans Reappraisals of Rousseau. Studies in Honour of R. A. Leigh, dir. S. Harvey et al., Manchester, Manchester University Press, 1980, p. 234-249, ici p. 246 ; Bruno Bernardi, « L’invention de la volonté générale », dans Rousseau, Discours sur l’économie politique, éd. B. Bernardi, Paris, Vrin, 2002, p. 103-120, ici p. 110 ; Gabriella Silvestrini, Diritto naturale e volontà generale : il contrattualismo repubblicano di Rousseau, Roma, Claudiana, 2010, p. 43-44.
  • [9]
    Sur la décision d’adopter les termes de la tradition contractualiste et sur l’implicite prise de distance de cette tradition, voir Robert Derathé, Rousseau et la science politique de son temps, Paris, PUF, 1950, p. 57-58 ; et Robert D. Masters, ouvr. cité, p. 189-190.
  • [10]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 188.
  • [11]
    Ibid., p. 118.
  • [12]
    Ibid., p. 118.
  • [13]
    Ibid., p. 190.
  • [14]
    Ibid., p. 176-177.
  • [15]
    Ibid., p. 177. Cet aspect critique est le seul observé par la plupart des commentateurs. Voir par exemple Albert Schinz, La pensée de J.-J. Rousseau, Paris, Alcan, 1929, p. 170 ; Lucio Colletti, Ideologia e società, Roma/Bari, Laterza, 1969, p. 224-225 ; Patrick Riley, « A Possible Explanation of Rousseau’s General Will », dans J.-J. Rousseau. Critical Assessments of Leading Political Philosophers, vol. III : Political Principles and Institutions, dir. J. T. Scott, London, Routledge, 2006, p. 201-229, ici p. 207 ; Martin Rueff, « L’ordre et le système : l’empirisme réfléchissant de J.-J. Rousseau », dans Rousseau : anticipateur-retardataire, dir. J. Boulad-Ayoub et al., Paris, L’Harmattan, 2000, p. 274-344, ici p. 344, n. 93 ; Gérard Demouge, Rousseau ou la révolution impossible, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 172 ; Kevin Inston, Rousseau and Radical Democracy, London, Bloomsbury, 2010, p. 72; Anne Deneys-Tunney, Un autre J.-J. Rousseau : le paradoxe de la technique, Paris, PUF, 2015, p. 61 ; Jimmy Casas Klausen, Fugitive Rousseau : Slavery, Primitivism and Political Freedom, New York, Fordham University Press, 2014, p. 69 ; David L. Williams, Rousseau’s Platonic Enlightenment, University Park, Pennsylvania State University Press, 2010, p. 14.
  • [16]
    Sur la présence chez Rousseau du paradigme laboétien de la servitude volontaire, voir Blaise Bachofen, La condition de la liberté. Rousseau, critique des raisons politiques, Paris, Payot, 2002, p. 228 ; et B. Bachofen, « Y-a-t-il une philosophie politique de Rousseau ? », dans Rousseau et la philosophie, dir. A. Charrak et J. Salem, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004, p. 212-227, ici p. 222
  • [17]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 174-175 et 188.
  • [18]
    Ibid., p. 168 et 187.
  • [19]
    Ibid., p. 139, 161, 132, 181, 131, 192.
  • [20]
    Ibid., p. 190-191.
  • [21]
    Ibid., p. 131.
  • [22]
    Voir Victor Goldschmidt, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, Paris, Vrin, 1974, p. 225 ; L. Vincenti, Rousseau : l’individu et la République, Paris, Kimé, 2001, p. 110 ; B. Bachofen, La condition de la liberté, ouvr. cité, p. 225.
  • [23]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 180.
  • [24]
    Ibid., p. 180-181.
  • [25]
    Ibid., p. 186.
  • [26]
    Ibid., p. 189.
  • [27]
    Ibid., p. 112.
  • [28]
    Ibid., p. 180, 187, 185.
  • [29]
    Ibid., p. 108, 186, 187-188.
  • [30]
    Ibid., p. 205.
  • [31]
    Ibid., p. 111 et 112. Sur l’émergence de cette deuxième vision de la politique dans la seconde partie du Discours, voir Francesco Toto, L’origine e la storia. Il « Discorso sull’ineguaglianza » di Rousseau, Pisa, Edizioni ETS, 2019, chapitre 6.2.
  • [32]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 117.
  • [33]
    Ibid., p. 189 et 187.
  • [34]
    Ibid., p. 180.
  • [35]
    Ibid., p. 112, 114, 116, 117.
  • [36]
    Voir B. Bachofen, « Why Rousseau Mistrusts Revolutions: Rousseau’s Paradoxical Conservatism », dans Rousseau and Revolution, dir. H. Ross Lauritsen et M. Thorup, London, Continuum, 2011, p. 17-30.
  • [37]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 127.
  • [38]
    Ibid., p. 113 et 181.
  • [39]
    Ibid., p. 113. Sur cette irréversibilité de la servitude, voir Iring Fetscher, « Rousseau’s Concept of Freedom in the Light of His Philosophy of History », dans Liberty, dir. C. J. Friedrich, New York, Atherton Press, 1962, p. 29-56, ici p. 43 ; et Franco Riccio, Le due logiche in J.-J. Rousseau, Palermo, ILA Palma, 1976, p. 74.
  • [40]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 176-177.
  • [41]
    Ibid., p. 185.
  • [42]
    Ibid., p. 127 et 191. D’un côté, le despotisme est le contraire de la licence, dont il constitue la plus sévère limitation : « les sujets n’ayant plus d’autre loi que la volonté du maître ». De l’autre, la licence n’est pas niée, mais seulement concentrée dans le despote qui, à son tour n’a « d’autre regle que ses passions » (ibid., p. 191).
  • [43]
    Ibid. Voir Jean Starobinski, J.-J. Rousseau. La Transparence et l’obstacle, Paris, Plon, 1958, p. 35.
  • [44]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 132 et 179. Voir Yves Vargas, « Rousseau et le droit naturel », Trans/Form/Ação », 31, 2008, p. 25-52, ici p. 42-43 ; et James Miller, « “The Abyss of Philosophy”: Rousseau’s Concept of Freedom », Modern Intellectual History, 3, 1, 2006, p. 95-103, ici p. 101.
  • [45]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 176, 175 et 179.
  • [46]
    Ibid., p. 187.
  • [47]
    Ibid., p. 190.
  • [48]
    Ibid., p. 190-191.
  • [49]
    Ibid., p. 175, 189, 156. Voir G. Demouge, ouvr. cité, p. 306.
  • [50]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 156.
  • [51]
    Ibid., p. 181-182.
  • [52]
    Sur le modèle romain, voir Denise Leduc-Fayette, J.-J. Rousseau et le mythe de l’Antiquité, Paris, Vrin, 1974, p. 106.
  • [53]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 113.
  • [54]
    Ibid., p. 116.
  • [55]
    Sur la prédilection envers l’armée populaire, voir Thomas Hippler, Soldats et citoyens : Naissance du service militaire en France et en Prusse, Paris, PUF, 2015, p. 55 ; et Hichem Ghorbel, L’idée de guerre chez Rousseau, Paris, L’Harmattan, 2010, vol. I, p. 80-81. Voir aussi Geraldine Lepan, J.-J. Rousseau et le patriotisme, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 455 ; et Helena Rosenblatt, Rousseau and Geneva : From the “First Discourse” to the “Social Contract”, 1749-1762, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 197.
  • [56]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 113.
  • [57]
    Ibid., p. 184-185.
  • [58]
    Voir G. Demouge, ouvr. cité, p. 223 ; et H. Rosenblatt, ouvr. cité, p. 170.
  • [59]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 141.
  • [60]
    Ibid., p. 183-184, 180, 187. Pour une lecture de ce « don essentiel » comme inaliénable, voir Guy Besse, « Le sage et le citoyen selon J.-J. Rousseau », Revue de métaphysique et de morale, 78, 1, 1973, p. 18-31, ici p. 30 ; Jim Miller, Rousseau : Dreamer of Democracy, New Haven, Yale University Press, 1984, p. 167 ; Nguyen Vinh-De, Le problème de l'homme chez Jean-Jacques Rousseau, Sillery, PUQ, 1991, p. 57 ; Annamaria Loche, « Le forme del patto e la teoria dei governi nel “Discours sur l’inégalité” di Rousseau », Rivista di Storia della Filosofia, 70, 1, 2015, p. 65-78, ici p. 71-72. À propos des problèmes soulevés par cette interprétation, voir F. Toto, ouvr. cité, p. 279-285 et 353-363.
  • [61]
    Rousseau, Du contrat social ou principes du droit politiques, dans Œuvres complètes, vol. III, éd. citée, p. 463, 464, 467. Voir Graeme Garrard, Rousseau’s Counter-Enlightenment : A Republican Critique of the Philosophes, Albany, SUNY Press, 2003, p. 77, où le Discours et le Contrat sont trop facilement rapprochés.
  • [62]
    Voir Rousseau, Œuvres complètes, vol. III, éd. citée, p. 224-225. Voir aussi M. Duchet et M. Launay, « Synchronie et diachronie : l’“Essai sur l’origine de langues” et le deuxième “Discours” », Revue Internationale de Philosophie, 82, 2, 1967, p. 421-442.
  • [63]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 187.
  • [64]
    Il est donc impossible de concorder avec ceux selon lesquels la seule « mission » légitime serait de ralentir la décadence des républiques existantes. Voir Arthur M. Melzer, « Rousseau’s “Mission” and the Intention of His Writings », American Journal of Political Science, 27, 2, 1983, p. 294-320.
  • [65]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 180. Sur Lycurgue, voir Steven Johnston, Encountering Tragedy : Rousseau and the Project of Democratic Order, Ithaca, Cornell University Press, 1999, p. 62-63, 67; et, sur Sparte, Carlo Borghero, Sparta tra storia e utopia. Il significato e la funzione del mito di Sparta nel pensiero di J.-J. Rousseau, dans Saggi sull’Illuminismo, dir. G. Solinas, Cagliari, STEF, 1973, p. 253-318. Sur l’acte de « nettoyer l’aire », voir Harry J. Benda, « Man, Society and the State : Rousseau’s Early Discourses (II) », Political Science, 6, 1, 1954, p. 17-28, ici p. 22 ; Alexis Philonenko, J.-J. Rousseau et la pensée du malheur, Paris, Vrin, 1984, vol. II, p. 229 ; Nicolas Bonhôte, Vision de l’histoire et autobiographie : étude de sociologie de la littérature, Lausanne, L’Âge d’homme, 1992, p. 34 ; Frank Tinland, « Perfectibilité humaine, hasard des événements, logique des enchaînements historiques et liberté selon J.-J. Rousseau », dans Sens du devenir et pensée de l’histoire au temps des Lumières, éd. B. Binoche et F. Tinland, Paris, Champ Vallon, 2000, p. 112-142, ici p. 136 ; H. Rosenblatt, ouvr. cité, p. 170.
  • [66]
    Rousseau, Discours…, éd. citée, p. 192.
  • [67]
    Ibid., p. 176.
  • [68]
    Ibid., p. 181.

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