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Article de revue

« That polemic may be reduced to a science » : stratégies du logos dans The Federalist

Pages 605 à 628

Notes

  • [1]
    Les Antifédéralistes reprochaient au projet de Constitution rédigé par la Convention de Philadelphie son caractère anti-démocratique, critiquant notamment la forme de l’exécutif présidentiel, le mode d’élection des Sénateurs et la longueur du mandat sénatorial, l’étendue des pouvoirs attribués au gouvernement fédéral au détriment de ceux des États et l’absence d’une Déclaration des droits au niveau national. Voir Saul Cornell, The Other Founders : Anti-federalism and the Dissenting Tradition in America, 1788-1828, Chapel Hill, The University of North Carolina press, 1999, p. 30-31.
  • [2]
    Lucien Jaume, « De la philosophie politique et de son usage dans l’histoire des idées politiques », Le Banquet, n° 17, Paris, 2002, p. 143-144.
  • [3]
    Laurent Bouvet, Thierry Chopin, Le Fédéraliste. La démocratie apprivoisée, Paris, Michalon, coll. « Le bien commun », 1997. David Mongoin, Le Pari de la liberté : étude sur « Le fédéraliste », Paris, Classiques Garnier, 2012. Ce dernier souligne, il est vrai, la nécessité de tenir compte du fait que ce texte « est à la fois une expression particulière d’un moment historique et une contribution bien plus large à l’histoire des idées » (ibid., p. 18).
  • [4]
    Elise Marienstras, Naomi Wulf, The Federalist Papers. Défense et illustration de la Constitution fédérale des États-Unis, Paris, CNED/PUF, 2010.
  • [5]
    Jackson Main Turner, The Antifederalists : Critics of the Constitution, 1781-1788, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1961 ; R. A. Rutland, The Ordeal of the Constitution : The Antifederalists and the Ratification Struggle of 1787-1788, Norman, University of Oklahoma Press, 1966 ; Saul Cornell, The Other Founders : Anti-Federalism and the Dissenting Tradition in America, 1788-1828, op. cit. Les écrits des Antifédéralistes ont également fait l’objet d’importants travaux de rééditions. Voir notamment : Herbert Storing, éd., The Complete Anti-Federalist, London, University of Chicago press, 1981, 7 vol.
  • [6]
    La bibliographie sur ce sujet est très longue. On peut citer ici notamment, parmi les ouvrages : Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic (1776-1787), New York, Norton, 1969 ; Albert Furtwangler, The Authority of Publius : a Reading of the « Federalist » Papers, Ithaca, Cornell University Press, 1984.
  • [7]
    Parmi les articles récents traitant de la rhétorique dans The Federalist : James Jasinski, « Heteroglossia, Polyphony, and The Federalist Papers », Rhetoric Society Quarterly, n° 27, 1997, p. 23-46 ; Todd Estes, « The Voices of Publius and the Strategies of Persuasion in The Federalist », Journal of the Early Republic, vol. 28, n°4, 2008, p. 523-558. La rhétorique de Publius est également étudiée depuis longtemps pour tenter de trancher la question de la paternité de certains numéros du Federalist. Voir par exemple récemment : Jeff Collins, David Kaufer, Pantelis Vlachos, Brian Butler, Suguru Ishizaki, « Detecting Collaborations in Text : Comparing the Authors’ Rhetorical Language Choices in the Federalist Papers », Computers and the Humanities, n° 38, 2004, p. 15-36.
  • [8]
    Seul Michael Kramer semble s’être véritablement intéressé de près à cette question : Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 119-136.
  • [9]
    Douglass Adair, « “That politics may be reduced to a science” : David Hume, James Madison and the Tenth Federalist », Huntington Library Quarterly, vol. 20, n° 4, 1957, p. 343-360.
  • [10]
    Voir la définition du terme donnée par Todd Estes : « Framing is a practice, identified by scholars of communication and rhetoric, used to shape a particular text – be it a book, an essay, a newspaper article, a speech – for public consumption so as to produce a particular reading or understanding of the idea or material being presented », Todd Estes, « The Voices of Publius and the Strategies of Persuasion in The Federalist », op. cit., p. 528.
  • [11]
    Elise Marienstras, Naomi Wulf, The Federalist Papers. Défense et illustration de la Constitution fédérale des Etats-Unis, op. cit., p. 77.
  • [12]
    Toutes les références de pages entre parenthèses correspondent à l’édition suivante : Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, The Federalist, éd. Robert Scigliano, New York, Modern Library, 2000.
  • [13]
    Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, New York, Oxford University Press, 1987, p. 38.
  • [14]
    Douglass Adair, « “That politics may be reduced to a science” : David Hume, James Madison and the Tenth Federalist », op. cit., p. 346-348.
  • [15]
    Voir le n° 55 (Madison) et le n° 76 (Hamilton), p. 359 et p. 487-488.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Voir, entre autres, Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, op. cit., p. 85-112 et Daniel Walker Howe, « The Political Psychology of The Federalist », The William and Mary Quarterly, Third Series, n° 44, 1987, p. 485-509.
  • [18]
    Voir les n°14, 26, 28, 30, 34, 64 et 72.
  • [19]
    Comme le souligne notamment James Jasinski, « Heteroglossia, Polyphony, and The Federalist Papers », op. cit., p. 31.
  • [20]
    Dans les numéros 19, 22, 58 et 65 notamment, p. 116, p. 138, p. 376 et p. 421.
  • [21]
    Ibid., p. 93 et p. 67.
  • [22]
    Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 478.
  • [23]
    L’image mécaniste était commune en politique au 18e siècle. On la trouve sous la plume de Hume (David Hume, Selected Essays, Oxford, World’s Classics, 1998, p. 314). Blackstone l’utilise également dans ces Commentaries (William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, Chicago, The University of Chicago Press, 1979, vol. I, liv. I, chap. 2, p. 153). Gordon S. Wood souligne qu’elle était répandue dans les années 1760 et 1770 dans les colonies (Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic (1776-1787), op. cit., p. 52).
  • [24]
    Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, op. cit., p. 86.
  • [25]
    Voir, entre autres, les n° 10, 23 (p. 141) et 27 (p. 164).
  • [26]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 301. The Federalist, op. cit., p. 223.
  • [27]
    « Be amply sufficient to annihilate the state governments, and swallow them up in the grand vortex of general empire », Bernard Bailyn (dir.), The Debate on the Constitution, New York, The Library of America, 1993, vol. I, p. 540.
  • [28]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 263 (traduction modifiée). « There cannot be an effect without a cause,… the means ought to be proportioned to the end ; … every power ought to be commensurate with its object ; … there ought to be no limitation of a power destined to effect a purpose which is itself incapable of limitation », The Federalist, op. cit., p. 186.
  • [29]
    Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 363. « No axiom is more clearly established in law, or in reason, than that wherever the end is required, the means are authorized ; wherever a general power to do a thing is given, every particular power necessary for doing it is included », The Federalist, op. cit., n° 44, p. 290.
  • [30]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 387. « Power is of an encroaching nature », n° 48, p. 316.
  • [31]
    Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, op. cit., p. 38.
  • [32]
    Respectivement dans les n° 5, 22, 29, 31, 83, 84 et dans les n° 14, 30, 35, 41, 70, 74, 85.
  • [33]
    Ibid., p. 236. Bernard Bailyn (dir.), The Debate on the Constitution, op. cit., vol. I, p. 4.
  • [34]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 313. « No man would refuse to give brass for silver or gold, because the latter had some alloy in it. No man would refuse to quit a shattered and tottering habitation for a firm and commodious building, because the latter had not a porch to it, or because some of the rooms might be a little larger or smaller, or the ceilings a little higher or lower than his fancy would have planned them »,The Federalist, op. cit., p. 236.
  • [35]
    Thomas Paine, Le sens commun, éd. Bernard Vincent, Paris, Aubier, 1983, p. 93.
  • [36]
    « The general sense of America », n° 24, p. 145 et p. 148.
  • [37]
    « Shake up readers and challenge them to reconsider and reexamine received notions and fixed ideas », Todd Estes, « The Voices of Publius and the Strategies of Persuasion in The Federalist », op. cit., p. 536.
  • [38]
    John Trenchard, Thomas Gordon, Cato’s Letters : or, Essays on Liberty, Civil and Religious, and Other Important Subjects, Indianapolis, Liberty Fund, 1995, vol. 1, p. 174, 254, 267, 307, 463. Algernon Sidney, Discourses Concerning Government, Indianapolis, The Liberty Fund, 1996, p. 78.
  • [39]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 506.
  • [40]
    « Nous engageons mutuellement au soutien de cette Déclaration, nos vies, nos fortunes et notre bien le plus sacré, l’honneur », Bernard Cottret, La révolution américaine, Paris, Perrin, 2004, p. 341.
  • [41]
    The Federalist, op. cit., p. 9.
  • [42]
    On compte six références de ce type dans les n° 67, 68, 69, 73 et 78. The Federalist, op. cit., p. 431, 435, 442, 474 et 500.
  • [43]
    Voir notamment les n° 60, 67, 77 et 84, ibid., p. 388, 430, 490 et 552. Dans le n° 67, par exemple, Hamilton se réfère à l’idée exprimée par Edmund Randolph pendant la Convention, selon laquelle la présidence serait « l’embryon » d’une monarchie américaine (ibid., p. 430). Or, même si l’expression n’est pas entre guillemets, l’allusion est facilement identifiable pour le lecteur qui a connaissance de la teneur des débats de l’été 1787, ce qui n’était pas le cas de la plupart des lecteurs de Publius à l’époque, puisque le contenu des discussions ne fut pas rendu public avant les années 1840 avec la parution des notes de Madison. Hamilton, pourtant, n’emploie pas le même terme qu’E. Randolph, qui mettait en garde contre une institution qu’il voyait comme le « foetus de la monarchie ». Ralph Ketcham, éd., The Anti-federalist Papers and the Constitutional Convention Debates, New York, Penguin, Signet Classics, 2003, p. 43.
  • [44]
    Garry Wills évoque même une pluralité « schizophrénique » qui va au-delà des trois auteurs puisqu’il compte « cinq Publii : Jay, le Madison madisonien, le Madison hamiltonien, le Hamilton hamiltonien et le Hamilton madisonien ». Garry Wills, Explaining America : The Federalist, New York, Penguin Books, 2001, p. 78.
  • [45]
    Denis Lacorne, L’invention de la république américaine, Paris, Hachette, 1991, p. 227.
  • [46]
    Gordon S. Wood va jusqu’à parler de leur « désorganisation » et de leur « inertie » (Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic, op. cit., p. 485) tout en reconnaissant la « force politique de l’Anti-fédéralisme » (ibid., p. 498). Saul Cornell concède que « les Antifédéralistes n’ont pas toujours individuellement défendu un cadre constitutionnel ou un canevas de gouvernement clair » et que « leurs écrits incarnent un éventail de conceptions différentes du constitutionnalisme » (The Other Founders : Anti-federalism and the Dissenting Tradition in America, 1788-1828, op. cit., p. 49).
  • [47]
    Elise Marienstras, Naomi Wulf, The Federalist Papers. Défense et illustration de la Constitution fédérale des États-Unis, op. cit., p. 95.
  • [48]
    Bernard Bailyn, éd., The Debate on the Constitution, op. cit., vol. II, p. 782 et p. 841-842.
  • [49]
    Sur ce point, voir Herbert Storing, éd., The complete Anti-Federalist, op. cit., vol. 1, p. 9.
  • [50]
    Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic, op. cit., p. 565.
  • [51]
    Ibid., vol. I, p. 33.
  • [52]
    Ibid., vol I, p. 215.
  • [53]
    Voir également sa lettre du 11 octobre (ibid., vol I, p. 41), ainsi que les écrits de « Brutus » (ibid., vol. I, p. 169-170).
  • [54]
    Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, op. cit., p. 119.
  • [55]
    John Locke, An Essay Concerning Human Understanding, Londres, Everyman, 1993, p. 270, 273, 274, 276, 279, 280.
  • [56]
    Ibid., p. 276.
  • [57]
    Bernard Bailyn, éd., The Debate on the Constitution, op. cit., vol. I, p. 320.
  • [58]
    John Locke, An Essay Concerning Human Understanding, op. cit., p. 281.
  • [59]
    Ibid., p. 274.
  • [60]
    Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, op. cit., p. 127.
  • [61]
    Voir notamment Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic, op. cit., p. 499-500.
  • [62]
    William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, op. cit., vol. I, liv. I, chap. 2, p. 149-150.
  • [63]
    Voir Saul Cornell, The Other Founders : Anti-Federalism and the Dissenting Tradition in America, 1788-1828, op. cit., p. 30-31.
  • [64]
    C’est la traduction qu’en propose Jean-Fabien Spitz : John Locke, Le Second Traité du gouvernement, éd. Jean-Fabien Spitz, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. lxxviii.
  • [65]
    Par exemple, « The federal and State governments are in fact but different agents and trustees of the people », The Federalist, op. cit., n° 46, p. 299.
  • [66]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 310.
  • [67]
    Ibid., p. 222.
  • [68]
    « Show a nation their interest and they will certainly fall into it », John Trenchard, Thomas Gordon, Cato’s Letters : or, Essays on Liberty, Civil and Religious, and Other Important Subjects, op. cit., vol. 1, p. 671.
  • [69]
    Voir sur ce point David Epstein, The Political Theory of the Federalist, Chicago, The University of Chicago Press, 1984, p. 26-34.
  • [70]
    Il ne s’agit pas ici néanmoins d’accréditer la thèse de Charles Beard sur le détournement du pouvoir par les élites en 1787 : Charles Beard, An Economic Interpretation of the Constitution of the United States (1913), New York, Macmillan, 1944.
  • [71]
    Albert Furtwangler, « Strategies of Candor in the Federalist », Early American Literature, n°14, 1979, p. 91-109.
  • [72]
    Ibid., p. 107.
  • [73]
    Traduire « candid » par « candide » permet de la conserver.
  • [74]
    Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, op. cit., p. 134.
  • [75]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 306.
  • [76]
    Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, op. cit., p. 124.
  • [77]
    James Jasinski, « Heteroglossia, Polyphony, and The Federalist Papers », op. cit., p. 32.
  • [78]
    Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, op. cit., p. 51.
  • [79]
    Voir par exemple, D. H. Meyer, « The Uniqueness of the American Enlightenment », American Quarterly, n° 28, 1976, p. 182-184. Il n’y a pas néanmoins de consensus sur ce que recouvre l’expression « Lumières américaines ». Nathalie Caron et Naomi Wulf, « Les Lumières américaines : continuités et renouveau », Transatlantica, n° 2, 2009, http://transatlantica.revues.org/4566.
English version

1The Federalist, série d’articles écrits en 1787 et 1788 par Alexander Hamilton, John Jay et James Madison pour inciter les délégués aux conventions de ratification à accepter le texte de la nouvelle Constitution fédérale des États-Unis et contrer l’argumentaire des Antifédéralistes [1], est à la fois un texte de théorie politique et un écrit polémique qui se situe dans un contexte historique et intellectuel spécifique. Il ne s’agit pas d’un traité philosophique comme le Second traité du gouvernement civil de Locke, le Contrat social de Rousseau ou L’Esprit des lois de Montesquieu. Plus précisément, Lucien Jaume, qui s’est intéressé aux questions méthodologiques soulevées par l’histoire des idées, le place dans une catégorie d’ouvrages dans lesquels la philosophie politique est appliquée « aux usages du forum » et qu’il décrit comme des « textes d’intervention politique [2] ». Or, en France, ce classique de la pensée politique américaine est essentiellement vu comme un texte théorique [3], à l’exception de l’ouvrage de Naomi Wulf et d’Elise Marienstras qui étudie véritablement le texte dans son contexte [4]. En revanche, aux États-Unis, l’aspect polémique de cet écrit est considéré, surtout depuis le regain d’intérêt historiographique pour les Antifédéralistes à partir des années 1960 [5], comme partie prenante des études qui lui sont consacrées [6]. Les deux approches, théorique et contextuelle, se complètent et seule la prise en compte des deux dimensions permet de comprendre tous les enjeux de ce texte.

2La forme sous laquelle The Federalist se présente est contraignante au sens où elle contraint les développements théoriques qu’on y trouve et donc, dans une certaine mesure, la méthode d’analyse qu’on peut ou qu’on doit lui appliquer. L’étude de la langue et de la rhétorique de Publius, pseudonyme commun aux trois auteurs, est, à ce titre, un aspect essentiel de cette méthode et elle occupe une place légitime dans la littérature critique sur cette œuvre outre-Atlantique [7]. Le moyen de la polémique, le langage, est lui-même l’objet d’une réflexion théorique, voire même philosophique, assez approfondie dans The Federalist, notamment de la part de James Madison. Cet aspect reste néanmoins peu exploité dans les études critiques sur les articles de Publius [8]. Pourtant, on peut considérer qu’il y a tout au long de ceux-ci une science du langage qui est à la fois théorisée et mise en œuvre.

3À cet égard, l’une des caractéristiques marquantes du Federalist est la volonté affichée de Publius de présenter son interprétation du projet de Constitution fédérale comme relevant de la science politique. Le rôle de la science dans ce texte a été mis en avant en particulier depuis les travaux de Douglass Adair, publiés dans les années 1950, où ce dernier démontrait l’importance des Lumières écossaises et en particulier de la lecture de David Hume pour James Madison dans l’élaboration de sa théorie des factions [9]. Si la méthode scientifique de Publius a souvent été commentée depuis, il n’en va pas de même du langage de la science en tant qu’il est un des pivots de l’argumentation de « Publius ». Or, on trouve dans The Federalist ce que l’on peut appeler une langue des Lumières qui est mise au service de la démonstration et qui est un adjuvant essentiel de celle-ci : tandis que les conclusions des trois auteurs sont décrites comme rationnelles au plus haut point, les adversaires de Publius sont, eux, sans cesse renvoyés au fil des pages dans le domaine de l’imagination et de la fiction. Cette stratégie rhétorique utilise de manière consciente et explicite les Lumières, ou ce que Publius pense qu’elles représentent, comme « cadrage » (« framing ») du texte [10].

4C’est en ce sens qu’on peut dire qu’il y a dans ce texte à la fois un langage de la science et une science du langage. C’est, en effet, en instrumentalisant le discours de la science, pour paraphraser Lacan, que les trois auteurs du Federalist cherchent à renforcer la crédibilité de leur défense du projet de Constitution, ce qui n’est peut-être pas étranger au fait qu’aujourd’hui encore, un certain nombre de juges de la Cour Suprême ou de spécialistes de droit constitutionnel américain, partisans de l’originalisme, considèrent The Federalist comme un mode d’emploi de la Constitution fédérale et non comme une lecture « idéologique aboutie » de celle-ci selon l’expression d’Elise Marienstras et de Naomi Wulf [11], ce qu’il est bel et bien néanmoins. La rhétorique des Lumières est convoquée par Publius à la fois par l’affirmation du caractère scientifique de sa méthode et par l’application d’une lecture scientifique à l’utilisation du langage dans le débat.

5Hamilton, Madison et Jay veulent explicitement s’appuyer sur une « science du politique » (n° 9, p. 48) et sur une « science du gouvernement » (n° 37, p. 225 [12]). Ils se fondent, pour ce faire, disent-ils, sur « l’expérience » (« experience »), mot qui apparaît dans presque tous les articles. Comme l’a montré Morton White, ce terme recouvre des sens différents dans la mesure où Publius fait appel à des connaissances anthropologiques, sociologiques et politiques tantôt générales, tantôt spécifiques [13]. Prendre en compte ou construire ces expériences implique, selon les trois auteurs, de consulter et d’interpréter diverses sources. Dans le domaine américain, celles-ci comprenaient essentiellement les Constitutions d’État, ainsi que la première Constitution interétatique, les Articles de Confédération. Les régimes politiques des autres pays, européens notamment, aussi bien passés que présents, sont également considérés comme des références et, le plus souvent, comme des contre-modèles, en particulier celui de l’ancienne mère-patrie. Par ailleurs, Publius cite des ouvrages de science politique ou s’y réfère, comme ceux de Montesquieu, de Blackstone, de Hume ou de Mably (mais pas de Locke), des écrits scientifiques, tels l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (p. 30) ou Les Recherches philosophiques sur les Américains de Buffon et De Pauw (p. 69), ainsi que les Notes on the State of Virginia de Jefferson (p. 318 et p. 321). D’après Douglass Adair, c’est la leçon que Publius, Madison notamment, aurait retenue de sa lecture de Hume et de son Enquête sur l’entendement humain où le philosophe écossais affirme que l’histoire des sociétés et des gouvernements permet, selon une méthode inductive, de déduire des constantes dans le comportement humain en société et donc de créer une science législative [14].

6Les trois auteurs du Fédéraliste souhaitent, en effet, fonder leurs arguments sur une méthode d’analyse rigoureuse aussi bien politique qu’anthropologique. Publius entend faire reposer la constitution politique au sens moderne du terme, nouvellement acquis alors, selon lequel la constitution est une loi fondamentale écrite qui ne peut pas être amendée par le législatif ordinaire, sur « la constitution de l’homme » (p. 92), au sens plus ancien et plus organique du mot. L’architecture de la constitution politique dépend donc de la physiologie et de la psychologie humaine individuelle et collective. C’est une vision nuancée de l’homme qui peut permettre, selon Publius, de construire une saine constitution politique [15]. De fait, le projet de constitution fédérale préparé par la Convention de Philadelphie suppose l’existence d’une poignée d’hommes vertueux, qui est avérée, dit Hamilton, par « l’expérience [16] », et que le système électoral doit faire accéder aux plus hautes fonctions de l’État.

7Si la conception de l’homme dans The Federalist, moins pessimiste que cela a parfois été dit, a beaucoup été commentée [17], il n’en est pas de même des images utilisées par Publius pour présenter sa théorie politique. Or, la comparaison et le rapprochement entre la science et le politique sont présents tout au long du texte. L’image du « corps politique » (« body politic »), notamment, est récurrente [18] et elle se prolonge par un vocabulaire médical tissé tout au long des articles [19]. Comme le corps humain, le corps politique a son « principe vital », qui, d’après Hamilton, est « l’argent » (p. 180). Il peut être « atteint » de « maladies » (p. 99) contre lesquelles on peut néanmoins trouver des « remèdes » (p. 133). Certaines « mauvaises humeurs » du corps politique (p. 165) sont dues à un excès de « bile » (p. 415). Fort logiquement, ces « dérèglements de l’humeur » (p. 126) engendrent des « symptômes » (p. 496) qui peuvent être diagnostiqués par le « médecin » politique appelé au chevet de son complexe « patient » (p. 232). On peut relier cette image à celle des corps célestes, fréquente également sous la plume de Publius. Dans le numéro 15, par exemple, Hamilton évoque en termes newtoniens une organisation confédérale qui laisse trop de pouvoirs aux États lorsqu’il indique que les « orbes inférieurs » auront tendance à « s’éloigner du centre commun » dans leur révolution (p. 92), image reprise dans le numéro 18 où les États d’une confédération sont de nouveau assimilés à des « satellites des orbes de première grandeur » (p. 107).

8La science du fédéralisme est donc ramenée à une mécanique des planètes en mouvement. Le motif mécanique ou machiniste est, de fait, un autre leitmotiv de la terminologie politique du Federalist. Le gouvernement apparaît souvent comme une « machine [20] » dont les « rouages » sont mis en « mouvement » par une « circulation » du pouvoir [21] conçu comme une énergie physique qui devrait être « capable de diffuser sa force » et qui « peut se reproduire », selon les termes d’Alexander Hamilton dans le numéro 13 (p. 77), « énergie » étant l’un de ses mots clés. Dans le numéro 63, la représentation est même conçue comme « le pivot sur lequel [la république] tourne [22] » (p. 405). Ces images, qui ne se contredisent pas vraiment puisque le corps humain était considéré comme une machine au 18e siècle, semblent former un réseau qui sous-tend et étaie le caractère scientifique de l’argumentaire de Publius [23].

9Le politologue doit donc être à la fois médecin, astronome et physicien. Il doit également être mathématicien et maîtriser « l’arithmétique politique » (n°21, p. 128) tout en restant prudent, car dans le n°55, écrit par Madison ou Hamilton, Publius met en garde contre une trop grande proximité entre la politique et les mathématiques (p. 355). Il réitère cette réserve dans le dernier numéro, où Hamilton souligne qu’une « vérité politique » n’est que rarement l’aboutissement d’une « démonstration mathématique » (p. 564), tout en pensant que son raisonnement concernant la question des amendements à la Constitution est l’un de ces cas. D’après Morton White, il s’agirait là d’une entorse à l’approche humienne mise en œuvre dans The Federalist, puisque Hume, selon Morton White, établissait une différence entre la science politique comme science expérimentale et les mathématiques [24].

10Quels que soient ses instruments de mesure et de calcul, le rôle du politiste est donc de déterminer la « taille naturelle ou appropriée » (« natural or proper size ») des intitutions (p. 152) en veillant notamment à ce qu’elles soient bien « proportionnées », idée qui revient à de nombreuses reprises au fil des articles [25]. Il lui faut poser la « limite naturelle » de la république, que Madison définit comme la « distance » maximale « depuis le centre » qui « permet aux représentants » d’exercer leurs fonctions en se réunissant (n° 14, p. 81). La science politique requiert donc des qualités de géomètre et d’arpenteur, la conception de l’espace en lien avec le régime républicain étant un thème majeur du Federalist. Par conséquent, les institutions politiques qui sont hors de proportion sont monstrueuses et contre-nature. Cette forme de tératologie politique est employée plusieurs fois par Publius pour désigner les formes impropres de confédération, et en particulier celle prônée, selon les trois auteurs, par leurs adversaires. Dans le n° 15, Hamilton accuse les Antifédéralistes de vouloir créer un « monstre politique » (p. 88). Cette même expression est choisie par Madison dans le n° 19 (p. 115) pour qualifier l’empire germanique, considéré comme un contre-exemple. Il est ensuite dépeint comme une « machine désarticulée » (« disjointed machine », p. 116), image qui reprend le registre mécaniste. Dans le n° 44, la forme de fédéralisme que Publius dit être celle défendue par ses contradicteurs est plus précisément accusée d’être « un monstre, dont la tête serait sous la direction des membres » (p. 292). Enfin, dans le n° 33, Hamilton reproche aux Antifédéralistes de proposer une vision déformée de la Constitution fédérale puisqu’ils transforment l’État fédéral en « monstre hideux » aux « mâchoires voraces » (p. 196). La tâche que Publius s’est assignée est ainsi d’identifier et de prévenir les aberrations dans les institutions, les différents régimes politiques existants apparaissant comme des espèces politiques rentrant dans une taxinomie normative.

11L’équation que, selon Publius, le projet de Constitution fédérale résout est résumée par Madison dans le n° 37 : « concilier la stabilité et l’énergie requises dans le gouvernement avec la considération inviolable due à la liberté et à la forme républicaine [26] ». L’un des facteurs essentiels qui doivent être pris en considération dans les calculs permettant de la résoudre est la puissance du pouvoir législatif, d’où vient le plus grand danger pour l’État selon Publius. Madison représente cette menace sous la forme d’un « vortex impétueux » (« impetuous vortex ») dans le n° 48 (p. 316), terme qui dénote un tourbillon d’air ou d’eau, mais qui était aussi employé en astronomie. À cet égard, il est possible que ce dernier, qui publie ce numéro le premier janvier 1788, ait repris cette expression à ses adversaires et notamment aux Antifédéralistes de Pennsylvanie, qui, dans un texte datant du 18 décembre 1787, fustigeaient le pouvoir trop étendu du Congrès dans des termes similaires à ceux utilisés ensuite par Madison. Le pouvoir législatif leur paraissait, en effet, « être amplement suffisant pour annihiler les gouvernements d’État et les engloutir dans l’immense vortex de l’empire général [27] ». Cette hypothèse est d’autant plus plausible que Publius fait référence à ce texte dans le n° 78 (p. 500), mais pour en commenter un autre aspect.

12Afin de montrer que le projet de Constitution résout l’équation énoncée dans le n° 37 et correspond au meilleur agencement possible des « rouages » de la machine politique, Publius insiste sur la nécessité de prendre en compte des « axiomes » et de mettre en application des « principes » essentiels que Hamilton appelle « les véritables maximes du gouvernement libre » (n° 25, p. 154). Dans le n° 31, il pose ce qu’il considère comme les « vérités premières ou premiers principes » de la science politique, qu’il compare aux règles de base de la géométrie : « il ne peut exister d’effet sans cause, […] les moyens doivent être proportionnés à la fin ; […] tout pouvoir doit être commensurable à son objet ; […] il ne doit pas exister de limitation à un pouvoir destiné à réaliser un but qui n’est lui-même pas susceptible d’être limité [28] ». Dans les articles suivants, Publius n’a de cesse de rappeler au lecteur les règles fondamentales en vertu desquelles « aucun axiome n’est plus clairement établi en droit ou en raison que si la fin est exigée, les moyens sont autorisés ; partout où un pouvoir général de faire une chose est donné, tous les pouvoirs particuliers nécessaires pour la faire y sont compris [29] », ou encore : « tout gouvernement devrait contenir en lui-même les moyens de sa propre préservation » (n° 59, p. 378), le plus connu étant sans doute l’idée selon laquelle « le pouvoir est d’une nature envahissante [30] ». Il existe, néanmoins, selon Publius, des facteurs imprévisibles et qui ne rentrent pas dans les « règles ordinaires de calcul » (n° 16, p. 100), tels que les révolutions, les révoltes ou les guerres, mais Publius a la réponse adéquate à ces cas de figure extraordinaires : il suffit de donner aux différents pouvoirs fédéraux, et en particulier à l’exécutif, les moyens de faire face à ces événements inattendus dans le cours politique comme le fait le projet de Constitution.

13Dans le but d’achever de convaincre ses lecteurs, Publius met en avant la rationalité de sa démonstration en incluant la définition de certains mots clés comme la faction et la république dans le n° 10 (p. 56 et p. 58), dont l’importance a été maintes fois soulignée, ainsi que la notion de pouvoir dans le n° 33 (p. 196). La « raison » n’a, pourtant, semble-t-il, pas toujours le même sens dans les numéros du Federalist, comme le souligne Morton White, qui relie encore l’emploi de cette notion à l’épistémologie humienne. D’après lui, ce terme n’est pas nécessairement en contradiction avec celle-ci, en particulier dans le n° 31, cité ci-dessus, où Hamilton fait appel à la raison dans un sens humien car la raison peut venir à l’appui de « certains principes de la science expérimentale [31] ».

14Cependant, la « raison », comme l’indique Madison dans le n° 10 est « faillible » (p. 55) et pour pallier cette défaillance, Publius fait appel au « sens commun » et au « bon sens [32] ». La première notion relie The Federalist aux Lumières écossaises, une fois de plus, et à l’école du sens commun comme faculté distincte de la raison. Le sens commun, c’est aussi un ensemble de maximes évidentes et partagées par tous et il est alors synonyme de bon sens. Les vérités du sens commun, ces « dictats naturels et sans sophistication », comme les appellent Hamilton dans le n° 31, sont aussi « irrésistibles » que les premiers principes (p. 186). Le sens commun est donc un instrument essentiel de la science politique et un outil de persuasion pour Publius. Dans le numéro précédent, Hamilton faisait déjà référence à « la maxime du bon sens et de la saine politique, qui dicte que tout pouvoir doit être proportionné à son objet » (p. 182). Ce sens commun est l’équivalent, semble-t-il, de « l’opinion générale de l’humanité » (p. 33) ou du « savoir commun des affaires humaines » (p. 270).

15Dans le n° 38, Madison tourne en ridicule ce qu’il perçoit comme la volonté de perfection des Antifédéralistes qui refuseraient le projet de Constitution parce qu’il n’est pas parfait, reprenant la stratégie de Benjamin Franklin, qui, lors de la signature du texte par les membres de la Convention le 17 septembre 1787, exhortait ses condisciples à l’adopter au nom du pragmatisme, même si celui-ci présentait encore des défauts [33]. Pour étayer son argument, Madison recourt à des maximes du sens commun ou du bon sens populaire : « Aucun homme ne refuserait de donner du cuivre pour de l’argent ou de l’or parce que ces derniers contiendraient quelque alliage. Aucun homme ne refuserait de quitter une habitation en ruines et chancelante pour une maison solide et pratique, parce que cette dernière n’a pas de portique ou parce que certaines de ses pièces seraient plus grandes ou plus petites ou les plafonds plus hauts ou plus bas que son imagination l’aurait souhaité [34]. » Ce type d’argument fait écho à la méthode employée par Thomas Paine dans Common Sense, l’un des pamphlets les plus importants, sinon le plus important, de la décennie révolutionnaire américaine, publié en janvier 1776. Le « sens commun » de Paine était à la fois celui des Américains en tant que peuple et une série d’adages relevant de la sagesse populaire. Ils lui permirent de justifier la nécessité de l’indépendance et de rejeter les arguments de la Grande-Bretagne qui avançait que les colonies étaient encore trop faibles pour voler de leurs propres ailes : « autant dire que parce que le lait a profité à un enfant, celui-ci sera à jamais privé de viande », rétorquait Paine [35]. Publius fait d’ailleurs souvent appel à « l’opinion générale de l’Amérique [36] ». Dans une certaine mesure, on peut considérer que Publius reproduit la stratégie paradoxale employée par Paine dix ans plus tôt en essayant de « bousculer le lecteur et en le mettant au défi de reconsidérer et de réexaminer des idées reçues et des conceptions figées », selon les termes de Todd Estes [37], pour adhérer à de nouvelles idées qui sont, paradoxalement donc, présentées comme évidentes ou tombant sous le sens commun. Cette utilisation du sens commun inscrit The Federalist, au-delà de Paine, dans une tradition remontant à Algernon Sidney et aux Lettres de Caton de John Trenchard et Thomas Gordon, pour qui l’usage du sens commun par les gouvernés est un garant de la liberté politique [38].

16La méthode de raisonnement de Publius s’accompagne donc d’un discours de la méthode, puisqu’elle repose sur une rationalité autoproclamée. En revanche, les adversaires de Publius, qui ont recours à leur « imagination » et non à la raison ou au « raisonnement », se « perdent, dit Hamilton, au milieu des labyrinthes d’un château enchanté » (n° 31, p. 189). Ils ne sont, renchérit Madison, que des « théoricien[s] ingénieux » tout juste bons à élaborer une Constitution artificiellement symétrique « dans le cabinet de leur imagination » sans tenir compte des réalités (n° 37, p. 228). Madison file la métaphore architecturale de la « symétrie » artificielle dans le n° 47 où il considère que les Antifédéralistes voient dans la Constitution un manque d’harmonie et de proportions (p. 307). Hamilton, pour sa part, leur reproche explicitement d’être des « utopistes » (n° 6, p. 27) dont les idées « trahissent une ignorance des vrais ressorts par lesquels est mue la conduite des hommes » (p. 91) tandis que Publius se place, implicitement, dans la catégorie de ceux qu’il nomme les « observateurs fiables » de celle-ci (p. 92). Ce faisant, les trois auteurs cherchent à convaincre leur lecteur qu’ils parlent bel et bien le langage de la raison.

17Plus généralement, les Antifédéralistes apparaissent comme appartenant à un âge révolu et archaïque, celui de l’obscurité et de la sorcellerie ou, en d’autres termes, au Moyen Âge, tel que les Lumières pouvaient parfois le concevoir, tandis que Publius assure qu’il manie le langage de ces mêmes Lumières et de la modernité. Les opposants à la ratification de la Constitution sont accusés de mettre en œuvre des « artifices injustifiables [39] » (« unwarrantable arts », n°67, p. 434) afin « d’empêcher un jugement juste et impartial des mérites réels de la Constitution » selon les termes de Hamilton (p. 434). Dans le n° 40, Madison les associe, semble-t-il, indirectement à l’alchimie lorsqu’il les taxe d’étroitesse légaliste pour ce qui est des prérogatives des délégués à la Convention de Philadelphie dont le mandat n’incluait pas, selon eux, la possibilité de refondre totalement les Articles de Confédération. Il utilise, en effet, le mot « transmutation » pour décrire ce processus (p. 249).

18Dans un élan similaire, Publius les renvoie à un passé mythique ou mythologique sans rapport avec l’Amérique du 18e siècle. Dans le n° 30, ils sont, sous la plume de Hamilton, dénigrés et vus comme « des hommes qui espèrent voir se réaliser les scènes heureuses de l’âge poétique ou fabuleux en Amérique » (p. 185). Leurs idées en matière d’agencement institutionnel sont, dit-il, « à peine moins romantiques que l’esprit qui dompte les monstres, attribué aux héros fabuleux et aux demi-dieux de l’Antiquité » (p. 97). Dans le prolongement de cette caricature, leurs écrits sur le sujet sont comparés à « quelque conte ou roman mal écrit » (p. 178). Ils relèvent de la fiction alors que Publius écrit avec « le langage de l’expérience » (p. 300).

19Les auteurs du Federalist vont même plus loin, en suggérant que les Antifédéralistes et leurs contributions au débat ne sont pas américains, voire qu’ils sont anti-américains. Dans le n° 14, Madison explique qu’ils s’expriment dans une langue « contre-nature » et « non consacrée » (p. 84), à laquelle le Virginien oppose les « droits sacrés » des Américains et la sainteté de l’Union, image religieuse qui est en réalité une référence à la formule qui clôt la Déclaration d’Indépendance [40]. Dans l’article suivant, Hamilton renchérit en rappelant à ses lecteurs l’existence d’un « lien sacré qui unit le peuple d’Amérique » (p. 85), soupçonnant ses antagonistes de vouloir le briser. L’image est ici doublement religieuse, si l’on s’en réfère à l’étymologie du terme. Les balbutiements de la religion civique américaine sont déjà visibles et en considérant que les Antifédéralistes s’en prennent à ce qui constitue déjà une identité américaine d’après Publius, ils ne peuvent apparaître que comme de mauvais patriotes, au même titre que les loyalistes pendant la Guerre d’Indépendance – même si la comparaison ne va pas explicitement jusque là –, puisque la Révolution américaine est présentée par Jay dès le second article comme le moment fondateur et créateur, comme l’expérience initiatique de la nation américaine [41].

20Par ailleurs, il est à noter que Publius ne fait que très rarement référence à ces contradicteurs nommément [42]. Leurs arguments ne sont la plupart du temps pas cités exactement, mais résumés et parfois placés entre guillemets [43], ce qui facilite la manipulation ou la caricature des idées de l’adversaire, tactique commune dans toute polémique. Le traitement de la pensée des Antifédéralistes par Madison dans le n° 38 est représentatif de cette stratégie, dans la mesure où ce dernier dresse la liste de leurs objections de manière anonyme : « celui-ci nous dit que… », « un autre reconnaît que… », puis il poursuit l’énumération en les désignant par « un troisième », « un quatrième », « un cinquième » et ainsi de suite (p. 233-235). Cette approche permet à Publius de dévoiler le manque de cohérence et de cohésion de ces derniers tout en masquant sa propre pluralité sous un seul pseudonyme [44]. Le fait que les Antifédéralistes n’aient pas eu de « projet mobilisateur » commun, comme le dit Denis Lacorne [45], a ensuite été souligné à de nombreuses reprises [46]. Ceux-ci ne furent néanmoins pas en reste et répondirent à ce traitement de leurs idées par les Fédéralistes. Pendant les débats de la Convention de Ratification de l’État de New York, en juin et en juillet 1788, Melancton Smith, auteur des Letters from the Federal Farmer, l’une des réponses à Publius les plus lues, qui avait même circulé plus largement que les articles de ce dernier [47], rétorquait à Robert Livingstone que celui-ci « dénaturait » ses arguments et parvenait à en donner une « représentation déformée » (« misrepresentation ») en usant de moyens « théâtraux » afin de « divertir la Convention avec quelque chose d’imaginatif [48] », réutilisant ainsi le mode de critique employé par Publius.

21D’autre part, on est fondé à se demander si Publius n’a pas repris ce vocabulaire scientifique à ses adversaires pour le retourner contre eux en se l’appropriant, comme ce dernier et les autres Fédéralistes l’ont fait à propos de la notion même de fédéralisme [49] ou du langage démocratique des Antifédéralistes comme le pense Gordon S. Wood [50]. Un certain nombre de ceux qui n’approuvaient pas le projet de Constitution se réclamaient de la « raison et de la vérité [51] », tel « Caton », dont l’identité n’est pas certaine, mais qui était un Anti-fédéraliste de l’État de New York, peut-être George Clinton ou Abraham Yates Jr., et dont la première contribution, largement diffusée, date du 27 septembre 1787, soit un mois exactement avant le premier article de Publius rédigé par Hamilton. Le 25 octobre, il publiait sa troisième livraison et indiquait que l’expérience des régimes européens avait permis aux philosophes de définir « les axiomes dans la science du politique […] aussi irréfragables que n’importe lequel de ceux d’Euclide [52] », dont l’idée de Montesquieu sur l’étendue du territoire d’une république [53].

22Cependant, tout en utilisant ce langage des Lumières, Publius, et notamment Madison, met en avant les difficultés du passage de la science naturelle à la science politique. Dans le n° 37, ce dernier perçoit la science politique comme étant au mieux une science « obscure » (p. 226) non seulement parce que l’homme en est l’objet ou le sujet d’étude, mais parce que la nature du langage en elle-même est un obstacle à l’appréhension des choses. Le signifiant ne correspond, d’après lui, jamais pleinement au signifié, ce qui traduit en langage saussurien l’idée exprimée par Madison en ces termes : « aucun langage n’est assez riche pour fournir des mots et des expressions pour chaque idée complexe, ou assez exacts pour ne pas inclure de nombreuses idées différentes dénotées de manière équivoque » (p. 226). Le langage limite donc le politologue par son inhérente opacité. Madison le qualifie de fait de « véhicule nébuleux » (« cloudy medium ») en raison de son « inadéquation » ou de son « inévitable inexactitude » (p. 227). Madison prolonge ici une idée esquissée par Hamilton dans le n° 31, où ce dernier indique les limites d’une comparaison entre la science politique et les mathématiques, on l’a dit. Dans le premier domaine, il est plus probable, dit-il, que ceux qui raisonnent « s’empêtrent dans les mots et se confondent en subtilités » (p. 187). D’après Michael Kramer, Madison se détournerait là de la conception du langage des Lumières écossaises et notamment de l’école du sens commun pour s’appuyer sur une analyse lockéenne, telle qu’elle apparaît dans l’Essai sur l’entendement humain[54]. Dans les derniers chapitres de cet ouvrage, Locke insiste, en effet, sur la notion d’ « obscurité [55] » du langage et de la communication, qui est, dénonce Locke, savamment entretenue par certains rhéteurs pour embrouiller volontairement leurs adversaires dans les débats en créant un paravent de « brume [56] ». C’est bien en ces termes que Publius critique ses contradicteurs.

23Ces développements sont également une réponse aux Antifédéralistes qui reprochent aux hommes de Philadelphie de n’avoir adopté le langage de la démocratie que superficiellement pour mieux tromper le petit peuple. Il s’agit notamment pour Publius-Madison de défendre l’œuvre de la Convention et sa capacité de compromis, sans laquelle la Constitution n’aurait jamais pu voir le jour. Or, dans sa troisième livraison du 15 novembre 1787, Brutus soulevait déjà la question de la représentation en jouant sur la polysémie du mot. Il rapproche, en effet, le sens politique du sens linguistique du terme en indiquant que le représentant est « le signe » (« the sign ») et le représenté, « le peuple », « la chose signifiée » (« the thing signified [57] »). La nature du langage était donc déjà un des thèmes mis en jeu dans le débat, selon diverses modalités. C’est bien, en effet, de la représentation de la Constitution qu’il est question, ce qui explique pourquoi Publius prend la peine d’exposer sa propre philosophie du langage et prend soin de donner certaines définitions, nous l’avons vu. Locke, dans son Essai, recommande cette précaution lexicologique dans « les controverses sur la vérité » comme « remède [58] » contre le caractère équivoque des mots. Madison, dans le n° 14, parle de « confusion » (p. 79 et p. 80) entre la démocratie et la république, terme employé aussi par Locke [59], dans laquelle se fourvoient les opposants à la Constitution, pense-t-il.

24Malgré son pessimisme sur la capacité du langage à exprimer les idées du penseur, qu’on peut considérer avec Michael Kramer comme plus radical que celui de Locke [60], ou peut-être justement à cause de celui-ci, Madison utilise ensuite l’analyse linguistique à de nombreuses reprises. Dans le n° 40, par exemple, il compare et étudie en les citant le texte de la Déclaration d’Annapolis du 14 septembre 1786, rédigé par Hamilton, et les recommandations du Congrès du 21 février 1787 qui prévoyait la réunion de la future Convention de Philadelphie, afin de déterminer si la Convention a outrepassé ses prérogatives en proposant la nouvelle Constitution. Il définit pour ce faire « deux règles d’interprétation » (p. 248) qu’il départage en se fondant sur un critère de convergence sémantique de l’expression ou de la phrase en question. Il s’agit là de déterminer le périmètre autorisé aux hommes de Philadelphie et en particulier ce que « réviser » les Articles de Confédération signifie en évaluant la compatibilité des moyens mis en œuvre, les « modifications et clauses » qui devaient être ajoutées, pour parvenir au but, la mise en place d’un gouvernement « en adéquation avec les exigences du gouvernement et la préservation de l’Union » (p. 247). Madison conclut que le second primait sur les premiers. Le n° 47 peut aussi être considéré comme emblématique de cette méthode d’interprétation langagière. C’est un article important, puisque Madison y propose son exégèse politique d’une des bibles des Antifédéralistes, L’Esprit des lois[61], et en particulier du chapitre 6 du Livre XI. Il est surtout connu pour l’aboutissement du raisonnement de Madison, à savoir que, selon le président du Parlement de Bordeaux, la séparation des pouvoirs n’exclut pas leur chevauchement, Madison ne faisant, en réalité, qu’appliquer ici la théorie de Blackstone dans ces Commentaries on the Laws of England[62]. Ce qui a été moins mis en avant, néanmoins, c’est la méthode qu’utilise Madison pour y parvenir. Il a recours à une forme de sémiologie politique et il avance que son analyse du texte de Montesquieu permet de mettre au jour « la véritable signification attribuée à cette maxime [de la séparation des pouvoirs] par son auteur » (p. 315). Ce numéro vient clore une série d’articles (notamment les n° 40 à 44) où le Virginien met en application sa grille de lecture sémantique pour défendre le projet de Constitution. L’un des moyens de parvenir à la vérité est donc l’étude raisonnée du langage, à condition d’être conscient de ses défauts intrinsèques, comme le postule le n° 37.

25Tant Madison que Hamilton considèrent que tel n’est pas le cas des opposants à la ratification du texte de Philadelphie. Ils les accusent de déformer les mots de la Constitution ou de manier leur plume avec une désinvolture et un manque de rigueur inappropriés. Dans le n° 77, Hamilton s’intéresse à la question du rôle du Sénat dans les nominations de certains serviteurs de l’État et il s’attarde plus particulièrement sur l’objection mise en avant, selon lui, par les Antifédéralistes selon laquelle cette procédure risque de mettre en péril l’indépendance du Sénat qui subirait alors « l’influence » du président (p. 489). Après avoir jeté le discrédit sur ses antagonistes en insistant sur leur manque de cohérence, il déclare qu’une simple mise à l’épreuve de la logique de ce propos en « l’exprimant sous sa forme appropriée » (p. 490) suffit à en révéler le non-sens et le ridicule. Dans le paragraphe suivant, il dénonce la nature fallacieuse de l’idée inverse selon laquelle le Sénat pourrait avoir un poids trop important auprès du Président en soulignant que « le caractère indistinct de cette objection empêche une réponse précise » (ibid.). La manière même dont les Antifédéralistes expriment leurs positions rend donc tout débat rationnel impossible aux yeux de Publius. La charge menée par Hamilton dans le n° 24 contre leur opposition à la création d’une armée permanente, l’un de leurs arguments récurrents [63], résume bien les modalités de l’entreprise de décrédibilisation menée par Publius : les arguments des Antifédéralistes ne sont pas étayés par des preuves, ils n’ont pas de rigueur rhétorique, ils ne tiennent pas compte des écrits philosophiques publiés sur le sujet et ils vont à l’encontre de la tradition politique américaine (p. 145). Ce feu nourri qui multiplie les angles d’attaque vise à convaincre le lecteur de l’invalidité des thèses des Antifédéralistes qui doivent apparaître comme des amateurs mal intentionnés.

26Or, le choix qui fut fait de fonder une partie de la réfutation de ces idées sur le statut épistémique des écrits de leurs adversaires était un pari osé, voire risqué, car cette stratégie aurait pu se retourner contre les auteurs du Federalist. En effet, dans le premier article de la série, Hamilton définit le cadre du débat ou plutôt de ce qu’il appelle la « controverse » (p. 4) et met en garde le lecteur contre les arguments des deux camps. Il affirme notamment que « nous ne sommes jamais sûrs que ceux qui préconisent la vérité sont mus par des principes plus purs que leurs antagonistes » (ibid.). Pourtant, nous l’avons vu, Publius n’a de cesse de souligner le caractère irréfutable et vrai de ses démonstrations. Dans une certaine mesure, il semble donc que la prémisse posée par Publius sape, en réalité, sa propre crédibilité.

27Dans le même passage, Hamilton tente de se montrer magnanime à l’égard de ses adversaires, mais le cadre prétendument ouvert de la discussion qu’il se propose d’établir au commencement est très vite remis en question. Hamilton indique notamment que le peuple devrait se méfier des arguments avancés par les participants « de tout bord » s’ils ne « résultent [pas] de l’évidence de la vérité » (p. 6). C’est précisément ce que Publius va s’attacher à montrer par la suite au sujet des Antifédéralistes. Hamilton passe alors à la première personne, et sur le ton de la confidence, tente d’établir une relation de confiance avec le lecteur, car c’est bien ce qui est en jeu dans cette polémique : la confiance, à qui faire confiance. Cette notion joue déjà un rôle très important en politique puisque les fonctions gouvernementales sont décrites comme des « missions de confiance » (« trust [64] ») dans The Federalist qui reprend une idée lockéenne [65]. Il est également indispensable, selon Publius, d’accorder son « estime et sa confiance » (n° 55, p. 359) aux qualités et aux vertus de ceux qui acceptent les charges politiques, faute de quoi le régime républicain ne peut pas fonctionner. Dans la mesure où les uns, les Antifédéralistes proposent « une vue partiale » du sujet à cause de leur « jalousie qui décolore et défigure » leur vision (n° 58, p. 371) et où les autres, Publius, offrent au contraire « une vue impartiale » (n° 59, p. 380), le choix du lecteur doit se porter sur les arguments de ces derniers.

28Si dans le numéro initial, Hamilton souligne que « ses arguments seront ouverts à tous » et « peuvent être jugés par tous », le destinataire idéal ou idéalisé de Publius est le « lecteur candide » ou « de bonne foi [66] » (« candid reader », n° 38, p. 232) ou « ceux qui sont candidement » ou « de bonne foi [67] » « en quête de la vérité » (n° 23, p. 143). Comme les trois auteurs le répètent, leur objectif est « de convaincre ceux qui sont impartiaux et qui ont du discernement » (n° 23, p. 142) et « tous les hommes intelligents et candides » (n° 28, p. 170). Eux seuls sont capables d’entendre et d’écouter la « douce voix de la raison » (n° 41, p. 256) et donc les arguments de Publius, tandis que « ceux qui ne pensent pas » (« the unthinking ») ou « qui pensent mal » (« the misthinking ») restent sourds à ces idées rationnelles (ibid.). Publius postule et construit ainsi son lecteur idéal, qui partage la connaissance réaliste que ce dernier dit avoir de la nature humaine.

29Il se trouve que, d’après Publius, le peuple américain correspond à ce lectorat ouvert d’esprit et cultivé. Les Américains sont, en effet, dans de nombreux numéros du Federalist, dépeints comme « éclairés » (« enlightened ») et ce suffisamment pour ne pas se laisser abuser par ce que Publius dénonce comme les boniments des Antifédéralistes. Le peuple américain y est flatté et sa capacité de réflexion louée avec emphase : par exemple, dans le n° 26, Publius souligne que « le peuple d’Amérique a trop de discernement pour se laisser convaincre de sombrer dans l’anarchie » (p. 158) et dans le n° 63, il rend hommage à « un peuple aussi peu aveuglé par le préjugé ou corrompu par la flatterie que ceux à qui je m’adresse » (p. 403), même celle de Publius, serait-on tenté d’ajouter. Il met ainsi perpétuellement en avant « l’esprit vigilant et viril qui meut le peuple d’Amérique » (n° 57, p. 368). Dans une certaine mesure, ce ton paternaliste peut sembler démagogique. Le principe selon lequel « le peuple ne peut jamais trahir son intérêt volontairement » (n° 63, p. 405), qui est aussi un héritage du « républicanisme », au sens pocockien, de Trenchard et Gordon [68], fonctionne ici puisque Publius montre aux Américains où est leur intérêt [69]. Dans le n° 15, Hamilton se met en scène comme guide du peuple sur le chemin ou « la route » de la pensée et de la vérité, définissant ainsi une sorte de voyage du pèlerin, non pas comme Bunyan vers la rédemption, mais vers une forme de vérité politique (p. 85-86). Publius tend à manipuler quelque peu la voix du peuple [70] en considérant qu’un certain nombre de « faits […] se sont imposés à l’intelligence du peuple en général » (ibid.), comme l’état de crise dans lequel les Articles de Confédération ont conduit l’Union. Ce sont, de fait, les premiers mots du premier numéro. Dans le n° 23, Hamilton parle même d’« expérience non équivoque » (p. 143) en ce qui concerne l’importance du pouvoir fédéral pour mener la guerre, alors même que Madison insiste ensuite sur l’opacité caractérisant la communication.

30En définitive, on est donc fondé à se demander si c’est bien la raison et le sens commun du lecteur qui doivent primer selon Publius ou un autre critère, comme la « candeur », dont Albert Furtwangler a souligné l’importance et la polysémie [71], concluant que Publius s’appuie plutôt sur la notion de candeur au sens de « déférence [72] » que sur le sens plus moderne du terme [73], ou bien encore comme la vertu et la notion d’intention vertueuse, comme le pense Michael Kramer [74]. Dans le n° 37, Madison est, en réalité, contraint de faire intervenir une force surhumaine, le divin, pour se sortir de cette impasse, puisqu’il met en avant le caractère extraordinaire du travail de la Convention dont il idéalise le déroulement. C’est à « l’homme qui réfléchit pieusement » que Madison finit par faire appel après avoir interpelé l’« homme de candeur » (p. 228) ou « de bonne foi [75] ». C’est un acte de foi qui est demandé au lecteur, par-delà la confiance évoquée plus haut. Publius ne parvient donc pas véritablement, semble-t-il, à retomber sur ses pieds, contrairement à ce que suggère Michael Kramer [76], ou du moins y parvient-il partiellement en déplaçant la question. On ne peut pas, en effet, impunément ouvrir la boîte de Pandore comme le fait Madison. Le langage est bien en ce sens pour Publius un pharmakon, comme le suggère James Jasinski, un remède et un poison [77], mais l’imperfection inhérente au langage est indépassable et les solutions proposées par Publius pour sortir de ce mouvement de balancier ne résolvent pas l’équation linguistique.

31Il y a donc, selon Publius, un ordre politique naturel qui découle d’une analyse rationnelle de la nature de l’homme et qui permet de déduire des règles pour établir un corps politique sain, qui, ayant les mêmes passions collectives que les individus, doit être soumis à un système mécanique de freins et d’équilibres. Par-delà cette méthodologie politique, le langage de la science est aussi mis au service d’une stratégie polémique. À ce titre, cette « rhétorique épistémologique », selon l’expression de Morton White [78], s’avère être également un stratagème qui consiste en une mise en abyme de la langue des Lumières. Il a une fonction bien précise dans l’économie du discours de Publius : nier la crédibilité du langage de l’adversaire, réduit à une glossolalie, en le rejetant dans le domaine de la fiction. Ce faisant, Publius se place dans la position de Socrate dans le Phèdre de Platon : le philosophe rejette l’ordre du mythe, incarné par ses adversaires, et défend le logos, qu’il est censé maîtriser. Les Antifédéralistes sont encore des sophistes, tandis que Publius prétend conduire ou aider ses lecteurs à trouver la vérité. L’analogie s’arrête là cependant, car, d’une part, le débat se déroule sous forme écrite et parce que, d’autre part, Madison souligne que la frontière entre logos et mythos est poreuse. La pharmacie de Publius n’est pourtant pas sans rapport avec celle de Platon, serait-on tenté de dire en se référant à Derrida, dans la mesure où Publius construit un motif narratif pour discréditer ses adversaires tout en n’échappant pas lui-même à cette narration, se prenant ainsi, semble-t-il, à son propre piège en niant la fiabilité du langage. Même si la méthode scientifique autoproclamée de Publius n’est pas toujours strictement rigoureuse, ce mode d’argumentation permet aux trois auteurs de composer un texte qui affirme l’américanité de son contenu et de son style. Il est aujourd’hui généralement considéré comme appartenant aux « Lumières américaines [79] », sans doute notamment parce que la Constitution fut ratifiée grâce aux concessions faites par les Antifédéralistes lors des conventions de ratification, ce qui a pour longtemps relégué leur réflexion au second plan.


Date de mise en ligne : 17/07/2013

https://doi.org/10.3917/dhs.045.0605

Notes

  • [1]
    Les Antifédéralistes reprochaient au projet de Constitution rédigé par la Convention de Philadelphie son caractère anti-démocratique, critiquant notamment la forme de l’exécutif présidentiel, le mode d’élection des Sénateurs et la longueur du mandat sénatorial, l’étendue des pouvoirs attribués au gouvernement fédéral au détriment de ceux des États et l’absence d’une Déclaration des droits au niveau national. Voir Saul Cornell, The Other Founders : Anti-federalism and the Dissenting Tradition in America, 1788-1828, Chapel Hill, The University of North Carolina press, 1999, p. 30-31.
  • [2]
    Lucien Jaume, « De la philosophie politique et de son usage dans l’histoire des idées politiques », Le Banquet, n° 17, Paris, 2002, p. 143-144.
  • [3]
    Laurent Bouvet, Thierry Chopin, Le Fédéraliste. La démocratie apprivoisée, Paris, Michalon, coll. « Le bien commun », 1997. David Mongoin, Le Pari de la liberté : étude sur « Le fédéraliste », Paris, Classiques Garnier, 2012. Ce dernier souligne, il est vrai, la nécessité de tenir compte du fait que ce texte « est à la fois une expression particulière d’un moment historique et une contribution bien plus large à l’histoire des idées » (ibid., p. 18).
  • [4]
    Elise Marienstras, Naomi Wulf, The Federalist Papers. Défense et illustration de la Constitution fédérale des États-Unis, Paris, CNED/PUF, 2010.
  • [5]
    Jackson Main Turner, The Antifederalists : Critics of the Constitution, 1781-1788, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1961 ; R. A. Rutland, The Ordeal of the Constitution : The Antifederalists and the Ratification Struggle of 1787-1788, Norman, University of Oklahoma Press, 1966 ; Saul Cornell, The Other Founders : Anti-Federalism and the Dissenting Tradition in America, 1788-1828, op. cit. Les écrits des Antifédéralistes ont également fait l’objet d’importants travaux de rééditions. Voir notamment : Herbert Storing, éd., The Complete Anti-Federalist, London, University of Chicago press, 1981, 7 vol.
  • [6]
    La bibliographie sur ce sujet est très longue. On peut citer ici notamment, parmi les ouvrages : Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic (1776-1787), New York, Norton, 1969 ; Albert Furtwangler, The Authority of Publius : a Reading of the « Federalist » Papers, Ithaca, Cornell University Press, 1984.
  • [7]
    Parmi les articles récents traitant de la rhétorique dans The Federalist : James Jasinski, « Heteroglossia, Polyphony, and The Federalist Papers », Rhetoric Society Quarterly, n° 27, 1997, p. 23-46 ; Todd Estes, « The Voices of Publius and the Strategies of Persuasion in The Federalist », Journal of the Early Republic, vol. 28, n°4, 2008, p. 523-558. La rhétorique de Publius est également étudiée depuis longtemps pour tenter de trancher la question de la paternité de certains numéros du Federalist. Voir par exemple récemment : Jeff Collins, David Kaufer, Pantelis Vlachos, Brian Butler, Suguru Ishizaki, « Detecting Collaborations in Text : Comparing the Authors’ Rhetorical Language Choices in the Federalist Papers », Computers and the Humanities, n° 38, 2004, p. 15-36.
  • [8]
    Seul Michael Kramer semble s’être véritablement intéressé de près à cette question : Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, Princeton, Princeton University Press, 1992, p. 119-136.
  • [9]
    Douglass Adair, « “That politics may be reduced to a science” : David Hume, James Madison and the Tenth Federalist », Huntington Library Quarterly, vol. 20, n° 4, 1957, p. 343-360.
  • [10]
    Voir la définition du terme donnée par Todd Estes : « Framing is a practice, identified by scholars of communication and rhetoric, used to shape a particular text – be it a book, an essay, a newspaper article, a speech – for public consumption so as to produce a particular reading or understanding of the idea or material being presented », Todd Estes, « The Voices of Publius and the Strategies of Persuasion in The Federalist », op. cit., p. 528.
  • [11]
    Elise Marienstras, Naomi Wulf, The Federalist Papers. Défense et illustration de la Constitution fédérale des Etats-Unis, op. cit., p. 77.
  • [12]
    Toutes les références de pages entre parenthèses correspondent à l’édition suivante : Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, The Federalist, éd. Robert Scigliano, New York, Modern Library, 2000.
  • [13]
    Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, New York, Oxford University Press, 1987, p. 38.
  • [14]
    Douglass Adair, « “That politics may be reduced to a science” : David Hume, James Madison and the Tenth Federalist », op. cit., p. 346-348.
  • [15]
    Voir le n° 55 (Madison) et le n° 76 (Hamilton), p. 359 et p. 487-488.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Voir, entre autres, Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, op. cit., p. 85-112 et Daniel Walker Howe, « The Political Psychology of The Federalist », The William and Mary Quarterly, Third Series, n° 44, 1987, p. 485-509.
  • [18]
    Voir les n°14, 26, 28, 30, 34, 64 et 72.
  • [19]
    Comme le souligne notamment James Jasinski, « Heteroglossia, Polyphony, and The Federalist Papers », op. cit., p. 31.
  • [20]
    Dans les numéros 19, 22, 58 et 65 notamment, p. 116, p. 138, p. 376 et p. 421.
  • [21]
    Ibid., p. 93 et p. 67.
  • [22]
    Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 478.
  • [23]
    L’image mécaniste était commune en politique au 18e siècle. On la trouve sous la plume de Hume (David Hume, Selected Essays, Oxford, World’s Classics, 1998, p. 314). Blackstone l’utilise également dans ces Commentaries (William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, Chicago, The University of Chicago Press, 1979, vol. I, liv. I, chap. 2, p. 153). Gordon S. Wood souligne qu’elle était répandue dans les années 1760 et 1770 dans les colonies (Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic (1776-1787), op. cit., p. 52).
  • [24]
    Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, op. cit., p. 86.
  • [25]
    Voir, entre autres, les n° 10, 23 (p. 141) et 27 (p. 164).
  • [26]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 301. The Federalist, op. cit., p. 223.
  • [27]
    « Be amply sufficient to annihilate the state governments, and swallow them up in the grand vortex of general empire », Bernard Bailyn (dir.), The Debate on the Constitution, New York, The Library of America, 1993, vol. I, p. 540.
  • [28]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 263 (traduction modifiée). « There cannot be an effect without a cause,… the means ought to be proportioned to the end ; … every power ought to be commensurate with its object ; … there ought to be no limitation of a power destined to effect a purpose which is itself incapable of limitation », The Federalist, op. cit., p. 186.
  • [29]
    Alexander Hamilton, John Jay, James Madison, Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 363. « No axiom is more clearly established in law, or in reason, than that wherever the end is required, the means are authorized ; wherever a general power to do a thing is given, every particular power necessary for doing it is included », The Federalist, op. cit., n° 44, p. 290.
  • [30]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 387. « Power is of an encroaching nature », n° 48, p. 316.
  • [31]
    Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, op. cit., p. 38.
  • [32]
    Respectivement dans les n° 5, 22, 29, 31, 83, 84 et dans les n° 14, 30, 35, 41, 70, 74, 85.
  • [33]
    Ibid., p. 236. Bernard Bailyn (dir.), The Debate on the Constitution, op. cit., vol. I, p. 4.
  • [34]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 313. « No man would refuse to give brass for silver or gold, because the latter had some alloy in it. No man would refuse to quit a shattered and tottering habitation for a firm and commodious building, because the latter had not a porch to it, or because some of the rooms might be a little larger or smaller, or the ceilings a little higher or lower than his fancy would have planned them »,The Federalist, op. cit., p. 236.
  • [35]
    Thomas Paine, Le sens commun, éd. Bernard Vincent, Paris, Aubier, 1983, p. 93.
  • [36]
    « The general sense of America », n° 24, p. 145 et p. 148.
  • [37]
    « Shake up readers and challenge them to reconsider and reexamine received notions and fixed ideas », Todd Estes, « The Voices of Publius and the Strategies of Persuasion in The Federalist », op. cit., p. 536.
  • [38]
    John Trenchard, Thomas Gordon, Cato’s Letters : or, Essays on Liberty, Civil and Religious, and Other Important Subjects, Indianapolis, Liberty Fund, 1995, vol. 1, p. 174, 254, 267, 307, 463. Algernon Sidney, Discourses Concerning Government, Indianapolis, The Liberty Fund, 1996, p. 78.
  • [39]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 506.
  • [40]
    « Nous engageons mutuellement au soutien de cette Déclaration, nos vies, nos fortunes et notre bien le plus sacré, l’honneur », Bernard Cottret, La révolution américaine, Paris, Perrin, 2004, p. 341.
  • [41]
    The Federalist, op. cit., p. 9.
  • [42]
    On compte six références de ce type dans les n° 67, 68, 69, 73 et 78. The Federalist, op. cit., p. 431, 435, 442, 474 et 500.
  • [43]
    Voir notamment les n° 60, 67, 77 et 84, ibid., p. 388, 430, 490 et 552. Dans le n° 67, par exemple, Hamilton se réfère à l’idée exprimée par Edmund Randolph pendant la Convention, selon laquelle la présidence serait « l’embryon » d’une monarchie américaine (ibid., p. 430). Or, même si l’expression n’est pas entre guillemets, l’allusion est facilement identifiable pour le lecteur qui a connaissance de la teneur des débats de l’été 1787, ce qui n’était pas le cas de la plupart des lecteurs de Publius à l’époque, puisque le contenu des discussions ne fut pas rendu public avant les années 1840 avec la parution des notes de Madison. Hamilton, pourtant, n’emploie pas le même terme qu’E. Randolph, qui mettait en garde contre une institution qu’il voyait comme le « foetus de la monarchie ». Ralph Ketcham, éd., The Anti-federalist Papers and the Constitutional Convention Debates, New York, Penguin, Signet Classics, 2003, p. 43.
  • [44]
    Garry Wills évoque même une pluralité « schizophrénique » qui va au-delà des trois auteurs puisqu’il compte « cinq Publii : Jay, le Madison madisonien, le Madison hamiltonien, le Hamilton hamiltonien et le Hamilton madisonien ». Garry Wills, Explaining America : The Federalist, New York, Penguin Books, 2001, p. 78.
  • [45]
    Denis Lacorne, L’invention de la république américaine, Paris, Hachette, 1991, p. 227.
  • [46]
    Gordon S. Wood va jusqu’à parler de leur « désorganisation » et de leur « inertie » (Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic, op. cit., p. 485) tout en reconnaissant la « force politique de l’Anti-fédéralisme » (ibid., p. 498). Saul Cornell concède que « les Antifédéralistes n’ont pas toujours individuellement défendu un cadre constitutionnel ou un canevas de gouvernement clair » et que « leurs écrits incarnent un éventail de conceptions différentes du constitutionnalisme » (The Other Founders : Anti-federalism and the Dissenting Tradition in America, 1788-1828, op. cit., p. 49).
  • [47]
    Elise Marienstras, Naomi Wulf, The Federalist Papers. Défense et illustration de la Constitution fédérale des États-Unis, op. cit., p. 95.
  • [48]
    Bernard Bailyn, éd., The Debate on the Constitution, op. cit., vol. II, p. 782 et p. 841-842.
  • [49]
    Sur ce point, voir Herbert Storing, éd., The complete Anti-Federalist, op. cit., vol. 1, p. 9.
  • [50]
    Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic, op. cit., p. 565.
  • [51]
    Ibid., vol. I, p. 33.
  • [52]
    Ibid., vol I, p. 215.
  • [53]
    Voir également sa lettre du 11 octobre (ibid., vol I, p. 41), ainsi que les écrits de « Brutus » (ibid., vol. I, p. 169-170).
  • [54]
    Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, op. cit., p. 119.
  • [55]
    John Locke, An Essay Concerning Human Understanding, Londres, Everyman, 1993, p. 270, 273, 274, 276, 279, 280.
  • [56]
    Ibid., p. 276.
  • [57]
    Bernard Bailyn, éd., The Debate on the Constitution, op. cit., vol. I, p. 320.
  • [58]
    John Locke, An Essay Concerning Human Understanding, op. cit., p. 281.
  • [59]
    Ibid., p. 274.
  • [60]
    Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, op. cit., p. 127.
  • [61]
    Voir notamment Gordon S. Wood, The Creation of the American Republic, op. cit., p. 499-500.
  • [62]
    William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, op. cit., vol. I, liv. I, chap. 2, p. 149-150.
  • [63]
    Voir Saul Cornell, The Other Founders : Anti-Federalism and the Dissenting Tradition in America, 1788-1828, op. cit., p. 30-31.
  • [64]
    C’est la traduction qu’en propose Jean-Fabien Spitz : John Locke, Le Second Traité du gouvernement, éd. Jean-Fabien Spitz, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. lxxviii.
  • [65]
    Par exemple, « The federal and State governments are in fact but different agents and trustees of the people », The Federalist, op. cit., n° 46, p. 299.
  • [66]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 310.
  • [67]
    Ibid., p. 222.
  • [68]
    « Show a nation their interest and they will certainly fall into it », John Trenchard, Thomas Gordon, Cato’s Letters : or, Essays on Liberty, Civil and Religious, and Other Important Subjects, op. cit., vol. 1, p. 671.
  • [69]
    Voir sur ce point David Epstein, The Political Theory of the Federalist, Chicago, The University of Chicago Press, 1984, p. 26-34.
  • [70]
    Il ne s’agit pas ici néanmoins d’accréditer la thèse de Charles Beard sur le détournement du pouvoir par les élites en 1787 : Charles Beard, An Economic Interpretation of the Constitution of the United States (1913), New York, Macmillan, 1944.
  • [71]
    Albert Furtwangler, « Strategies of Candor in the Federalist », Early American Literature, n°14, 1979, p. 91-109.
  • [72]
    Ibid., p. 107.
  • [73]
    Traduire « candid » par « candide » permet de la conserver.
  • [74]
    Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, op. cit., p. 134.
  • [75]
    Le Fédéraliste, éd. Anne Amiel, op. cit., p. 306.
  • [76]
    Michael Kramer, Imagining Language in America : from the Revolution to the Civil War, op. cit., p. 124.
  • [77]
    James Jasinski, « Heteroglossia, Polyphony, and The Federalist Papers », op. cit., p. 32.
  • [78]
    Morton White, Philosophy, « The Federalist », and the Constitution, op. cit., p. 51.
  • [79]
    Voir par exemple, D. H. Meyer, « The Uniqueness of the American Enlightenment », American Quarterly, n° 28, 1976, p. 182-184. Il n’y a pas néanmoins de consensus sur ce que recouvre l’expression « Lumières américaines ». Nathalie Caron et Naomi Wulf, « Les Lumières américaines : continuités et renouveau », Transatlantica, n° 2, 2009, http://transatlantica.revues.org/4566.

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