Notes
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[1]
Nos références renvoient aux numéros des fragments dans Maximes et pensées, Caractères et anecdotes, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1982. Chamfort avait envisagé de publier ses réflexions sous le titre : « Produits de la civilisation perfectionnée ». Une édition critique de son œuvre reste à faire.
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[2]
C’est le thème du frontispice de l’édition originale du Discours sur l’Origine de l’inégalité ; Rousseau en a trouvé le récit dans l’Histoire générale des voyages qui reprenait le texte de Kolbe, lui-même ayant vraisemblablement plagié le manuscrit d’un résident de la colonie du Cap. On retrouve l’anecdote dans l’Histoire des deux Indes. Voir : F.-X. Fauvelle-Aymar, L’invention du Hottentot, p. 240-241, 273-275, 294 (référence abrégée en F.-A. dans nos notes).
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[3]
Article recueilli au tome III des Œuvres complètes, Paris, Chaumerot jeune, 1824-1825, p. 28-51, consultable sur Gallica et reproduit dans les Œuvres complètes, Paris, Éditions du Sandre, 2010, vol. II, p. 343-354. Dans les références, nous abrégeons le titre en CR, suivi du numéro de la page dans l’édition du Sandre. Nos références au texte de Levaillant renvoient, pour le premier volume, à l’édition originale et, pour le second, à l’édition de 1791, parue à Bruxelles, volumes consultables sur Google Books.
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[4]
François Le Vaillant (1753-1824) ; on écrit aujourd’hui Levaillant.
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[5]
Second Voyage dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, pendant les années 1783, 84, et 85. Paris, an IV (1795), 2 vol. Paris H. J. Jansen, in-4° ou 3 vol. in-8°, avec 22 gravures. Les deux ouvrages seront souvent repris (Voyage de F. Levaillant dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, nouvelle édition, revue et augmentée par l’auteur ; ornée de 20 fig., Paris, Desroy, an VI (1797), 2 vol. in-8°. Les deux ouvrages, revus par Levaillant, ont été réimprimés : Paris, an XI (1803), 3 vol. in-4° ; 5 vol. in-8°.
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[6]
M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), éd. M. Sennellart, F. Ewald et A. Fontana, Pris, 2004, p. 37. Voir L’Afrique du siècle des Lumières, C. Gallouët, D. Diop, M. Bocquillon et G. Lahouati éd., Oxford, Voltaire foundation, 2009, p. XIV-XVII.
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[7]
L’expression « Pérou des naturalistes » est de Chamfort, CR, p. 343.
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[8]
F.-X. Fauvelle-Aymar est très réticent à l’égard de Levaillant : il parle, à propos du tablier des Hottentotes, de ses « douteuses » expéditions, « des doutes sérieux que l’on peut émettre sur l’honnêteté de l’auteur », de son style où « le pittoresque le dispute à la grandiloquence » (op. cit., p. 313). On peut aussi se souvenir des remarques de Siegfried Huigen qui souligne les réserves qu’a suscitées la publication du récit de Levaillant (« Les aventures d’un créole du Surinam en Afrique », dans L’Afrique du siècle des Lumières, p. 79).
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[9]
Premier contact, au début de 1488 avec les équipages des trois navires de Bartolomeu Dias ; puis en novembre 1497, lors des escales de Vasco de Gama qui donnèrent lieu à des échauffourées, avant les massacres de mars 1510, lors de l’escale de Francesco de Almeida (voir F.-A., p. 29-48).
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[10]
Voir Michèle Duchet, Anthropologie et Histoire au siècle des Lumières, Albin Michel, Paris, 1995, p. 34 et suivantes ; F.-A., p. 285 et suivantes.
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[11]
Le terme « Khoisan » a été formé par la fusion des mots « Khoikhoi » (Hottentots ) et « San » (Bushmen ou Boschimans) ; il s’agissait de réunir deux groupes longtemps jugés différents, les premiers considérés comme des éleveurs, les seconds comme des chasseurs-cueilleurs. L’anthropologie et la linguistique distinguent aujourd’hui différents groupes à l’intérieur de l’ensemble Khoisan. Ces khoisan, qui ont occupé la majeure partie de l’Afrique australe, ont été progressivement confinés aux régions « les plus inhospitalières, renforçant par contrecoup l’association entre ces populations et la sauvagerie des déserts intérieurs », F.-A., p. 13.
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[12]
Nous suivons les analyse de F.-X. Fauvel-Aymar.
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[13]
Allégation fortement démentie en juillet 1649 dans le rapport officiel qui a conduit à la fondation de la colonie hollandaise du Cap. Voir F.-A., p. 125.
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[14]
On peut se demander si le mot « Hottentot » ne provient pas d’une reprise par les populations locales de la formule de salutation anglaise « How do you do », doublement déformée, d’abord par la phonologie khoikhoi, puis par sa perception par les navigateurs européens et enfin les colons hollandais. (Le mot a été parfois transcrit « hautitou » ou « ha’titou » voir F.-A., p. 130).
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[15]
A. de Beaulieu, Mémoire du voyage aux Indes orientales, dans M. Théveno, Relation de divers voyages curieux, Paris, 1664 (cité par F.-A., p. 134). Le témoignage de Beaulieu remonte à 1620 et 1622.
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[16]
Il s’agit d’un allongement des lèvres (macronymphie) qui est évoqué pour la première fois dans un récit en 1639. En 1708, Fr. Leguat publie une illustration représentant une Hottentote nue avec une sorte de peau masquant son sexe. Voltaire, dans les éditions de 1761 à 1775 de l’Essai sur les mœurs, attribue ce tablier aux hommes et aux femmes ; il en donne une description surprenante et involontairement cocasse : « une surpeau pendante du nombril, qui couvre les organes de la génération, en forme de tablier, qu’on hausse et qu’on baisse ». Dans l’article « Hottentot » de l’Encyclopédie (Jaucourt) le tablier descend à mi-cuisse (F.-A., p. 147, 151, 287-291).
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[17]
L’adaptateur français utilise des termes proches de ceux que Diderot mettra dans la bouche du Tahitien face à Bougainville : « Fuyez, malheureux Hottentots, fuyez » (F.-A. p. 294, 298-299).
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[18]
Nuremberg, 1719 ; traduction française sous le titre de : Description du Cap de Bonne-Espérance, Amsterdam, 1741.
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[19]
F.-A., p. 318.
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[20]
Ses Histoires naturelles (des perroquets, Paris, 1801-1805 ; des oiseaux de paradis, Paris, 1803, des promérops et des guêpiers, Paris, 1806), sont magnifiquement illustrées de gravures tirées des dessins de Jacques Barraband (1768-1809).
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[21]
Du Culte des dieux fétiches, Cramer, Genève. Voir notre étude : « Entre érudition et désinvolture : Charles de Brosses », dans Fr. Bidouze (dir.), Les Parlementaires, les Lettres et l’Histoire, Études CIHAE, vol. LXXXVIII, P. U. de Pau, 2008, p. 125-145.
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[22]
Lorsqu’il écrit à propos des Noirs « qu’il n’y a pas de pays au monde où les esclaves soient traités avec plus d’humanité qu’au Cap » (I, p. 82), est-ce un gage donné à la Compagnie des Indes Occidentales ou est-ce parce qu’il juge légitimes les entreprises de colonisation qui ne seraient pas des spoliations ?
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[23]
CR, p. 347-348. Voir Forbin, Mémoire […], 1729, p. 83-84 : « Ils couchent tous ensemble pêle-mêle, sans distinction de sexe, dans de misérables cabanes, et s’accouplent indifféremment comme les bêtes, sans aucun égard à la parenté » (F.-A., p. 187).
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[24]
F.-A., p. 7. Dans cet extrait de la lettre à Mme Necker du 6 septembre 1774, Diderot évoque vraisemblablement une conversation, entendue pendant son séjour en Hollande, entre R. J. Gordon et un certain docteur Robert.
La « vérité » ou, si l’on préfère, l’« authenticité », est justement l’une de ces catégories qui informent le regard et possèdent leur propre histoire.
2L’Afrique est presque totalement absente de l’œuvre des deux grands moralistes du 18e siècle : Vauvenargues et Chamfort. Vauvenargues n’en parle pas. Si Chamfort introduit une allusion à l’esclavage dans une formule devenue célèbre (« Les pauvres sont les Nègres de l’Europe », 519 [1]), celle-ci dénonce d’abord une situation européenne pour laquelle les Noirs ne servent que de comparant. Dans ses fragments, on trouve quelques rares références à l’Afrique. Il évoque ainsi « je ne sais quel voyageur » qui parle de la croyance « de certains sauvages de l’Afrique » en une forme d’immortalité de l’âme, croyance qui ne donnerait pas lieu à des pratiques religieuses (24). Là aussi, ce n’est pas l’Afrique qui l’intéresse mais l’abandon des spéculations métaphysiques par les philosophes de son temps. Dans le fragment 235, le Sénégal apparaît fugacement (« Quel est l’être le plus étranger à ceux qui l’environnent ? Est-ce un Français à Pékin ou à Macao ? Est-ce un Lapon au Sénégal ? ») mais c’est pour dénoncer l’absurdité des inégalités sociales : l’homme le plus isolé est celui qui a du « mérite » sans disposer d’or ni de « parchemins ». Dans le sillage de Rousseau, il reprend aussi le topos du sauvage préservé de la folie, du suicide et du désir d’intégrer la société européenne, qui rejette la religion chrétienne quand elle lui a été imposée et se dépouille des habits dont on l’a couvert pour retrouver une vie naturelle (470 [2]). Il signale encore, mais de façon ambiguë, l’intérêt possible des récits de voyage : « Un philosophe me disait qu’après avoir examiné l’ordre civil et politique des sociétés, il n’étudiait plus que les sauvages dans les livres de voyageurs, et les enfants dans la vie ordinaire » (1003). Sauvages et enfants sont significativement rapprochés dans les préoccupations de ce philosophe.
3C’est en interrogeant ce silence sur l’Afrique, que l’on découvre l’existence d’un long compte rendu (23 pages), publié par Chamfort dans le Mercure de France du 20 mars 1790, consacré au Voyage de M. Le Vaillant dans l’Intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, dans les années 1781, 1782, 1783, 1784 et 1785 [3].
4L’ouvrage de Levaillant [4] venait de paraître chez Leroy, à Paris, en 2 volumes, avec un célèbre frontispice mettant en scène l’auteur dans une scène de chasse à la girafe. Le récit a connu un succès immédiat ; les contrefaçons et les rééditions seront nombreuses. Cinq ans plus tard, Levaillant donnera son Second Voyage [5] qui, lui aussi, sera beaucoup lu et traduit dans les principales langues européennes.
5À partir d’une analyse de la relation de Levaillant, il est intéressant de réfléchir à la façon dont ses stratégies de véridiction ont pu être jugées par celui qui écrivait : « je ne conçois pas de sagesse sans défiance » (116). Pour comprendre comment la presse (ici un périodique littéraire, non le Journal des Savants) participe de l’instauration de ce « régime de véridiction » cher à Michel Foucault [6], il s’agira de voir ce que Chamfort retient des deux volumes qu’il vient de lire (par rapport à la « vérité » ou aux failles du témoignage de Levaillant) et de mettre en évidence la perception de l’Afrique, la nature des sociétés africaines et les caractères de l’Africain, tels que Chamfort les conçoit à travers sa lecture. Ceci pourrait constituer une première approche critique des discours sur l’Afrique et des Africains dans les périodiques français du 18e siècle.
Un « Pérou » africain [7]
6Si l’exactitude et la « vérité » des récits de Levaillant ont été souvent mises en cause [8], on peut cependant penser que ce texte, par ses stratégies d’écriture, constitue l’un des exemples les plus intéressants de discours tenus sur l’Afrique australe à la fin du dix-huitième siècle et l’une des formes de l’écriture du voyage les plus originales de ce temps. La première spécificité de l’auteur est d’être né à Paramaribo, la capitale de la Guyane néerlandaise (aujourd’hui le Surinam). Dans la présentation de son livre (« Précis historique »), il fait de son enfance tropicale l’origine de sa curiosité pour l’histoire naturelle et l’exploration de régions inconnues. Dans ce beau récit de vocation, il raconte comment est née sa passion pour les voyages et l’ornithologie au cours des expéditions organisées par ses parents dans l’intérieur du Surinam. Rentré en Europe avec sa famille en 1763, après les années de collège, il étudie l’ornithologie et, en 1780, part pour les Pays-Bas où il rencontre Jacob Temminck, ornithologue, alors trésorier de la Compagnie Hollandaise des Indes orientales. Ce serait lui qui aurait décidé de l’envoyer dans la province du Cap, en 1781, où il va effectuer ses deux voyages, l’un de 16 mois vers l’Est et l’autre, de 18 mois, vers le Nord de la rivière Orange. Mais Levaillant laisse plutôt entendre qu’il a pris lui-même cette décision :
On a dit, à la suite de Barbier (réfuté par Quérard), que la rédaction de son premier voyage avait bénéficié de l’aide de Casimir Varron et le second de celle de Le Grand d’Aussy. Et on a expliqué de façon schématique le « rousseauisme » de Levaillant par ces interventions extérieures. En matière de rousseauisme, il n’avait pourtant de leçons à recevoir de personne puisqu’on relève parmi ses enfants un surprenant Jean-Jacques Rousseau Levaillant (qui sera général et naturaliste).D’ailleurs et par-dessus tout, je songeais continuellement aux parties du Globe qui n’ayant point encore été fouillées, pouvaient, en donnant de nouvelles connaissances, rectifier les anciennes ; je regardais comme souverainement heureux, le mortel qui aurait le courage de les aller chercher à leur source ; l’intérieur de l’Afrique, pour cela seul, me paraissait un Pérou. C’était la terre encore vierge. L’esprit plein de ces idées, je me persuadais que l’ardeur du zèle pouvait suppléer au génie, et que pour peu qu’on fut un observateur scrupuleux, on serait toujours un assez grand écrivain. […] Ni les liens de l’amour, ni ceux de l’amitié ne furent capables de m’ébranler ; je ne communiquai mes projets à personne. Inexorable, et fermant les yeux sur tous les obstacles, je quittai Paris, 1e 17 Juillet 1780.
L’écriture du Voyage : expériences vécues et mise en scène de soi
7Depuis les descriptions des premières rencontres attestées [9] entre une population Khoikhoi et les équipages portugais, les Hottentots ont constitué une invention européenne, un archétype de l’Autre, une représentation chargée d’idéologie ; ils ont été l’objet, pendant quatre siècles, des débats entre partisans de l’homme social, défenseurs de la civilisation et de la colonisation (dénonçant un sauvage déshumanisé, bestial, anthropophage répugnant) et apologistes de l’homme naturel, partisans d’une Nature conçue comme un paradis perdu (idéalisant, en réponse aux vices des sociétés, une figure de bon sauvage généreux, sensible, humain et charitable [10]). Pour les militants des Lumières, ces Hottentots ont offert une excellente occasion d’affirmer des vérités nouvelles en taxant de fables, de romans, de mensonges, les récits antérieurs. Comme l’écrit F.-X. Fauvel-Aymar : « la vérité sur les Hottentots se façonne au gré de ces ballotements et règlements de compte » (p. 303), jusqu’à ce que ces populations d’Afrique australe perdent leur nom (dans les années 1920) et deviennent les Khoisan pour les ethno-anthropologues d’aujourd’hui [11].
8À mesure que les bateaux sont plus nombreux à relâcher dans la baie de la Table (au nord-ouest du Cap de Bonne-Espérance) et au fil des récits d’escale, on voit naître un stéréotype [12] par uniformisation et généralisation à partir de quelques individus rencontrés. Pour la plupart de ces auteurs, il s’agit d’un peuple cruel, parfois considéré comme cannibale [13], assimilé aux Noirs, même si leur couleur est tantôt perçue comme « rouge-brun », « brun jaune », « jaunâtre ». Porteurs de colliers de boyaux qu’ils mangent crus, enduits de graisse nauséabonde, ils gloussent comme des dindes ou comme les poules couveuses en « claquant » de la langue (allusion aux clicks et à l’occlusive glottale caractéristiques des langues khoisan) et sont absolument incompréhensibles [14]. Bref, il s’agit des « plus misérables sauvages qui aient été jusqu’ici découverts [15] ». Cette population acquerra une célébrité inattendue avec la question du « tablier » des hottentotes [16], attribué selon les commentateurs soit à la nature, soit à des pratiques rituelles. Au moment où Levaillant écrit, parmi les très nombreuses relations concernant l’Afrique australe, trois auteurs font référence.
9Olfert Dapper (env. 1635-1689) d’abord, qui n’a jamais voyagé mais a compilé de nombreuses synthèses sur la Chine, l’Inde, etc. On lui doit deux ouvrages sur l’Afrique (1668) adaptés en français sous le titre de Description de l’Afrique, contenant les noms, la situation et les confins […] (Amsterdam, Wofang et al., 1686). Il y décrit l’Afrique du sud comme le « pays des Cafres » et fait des Hottentots un peuple qui lutte pour conserver son indépendance [17].
10Peter Kolbe (1675-1725) ensuite, qui réfute dans son Caput Bonae Spei Hodierum [18] toutes les relations antérieures et trace un portrait non dénué de sympathie des Hottentots. Il les considère comme des descendants des Troglodytes qui auraient emprunté aux juifs la plupart de leurs traditions. Jusqu’aux années 1760, son récit fait référence, même si son auteur est souvent dénoncé comme un plagiaire sans scrupule et mystificateur.
11Le naturaliste suédois Anders Sparrman enfin (1748-1820), élève de Linné, qui a séjourné au Cap en 1772, et effectué en 1775, après avoir accompagné Cook dans son second voyage, une exploration de 8 mois dans l’intérieur de l’Afrique australe. Il publie son récit, en suédois, en 1783 et en français en 1787 sous le titre : Voyage au Cap de Bonne-Espérance, et autour du monde avec le Capitaine Cook, ainsi que dans les pays des Hottentos et des Cafres.
12C’est essentiellement contre ces récits que Levaillant va construire son témoignage. N’oublions pas qu’il écrit (et que Chamfort le lit) dans un monde où la conception des Hottentots est dominée par celle de Buffon pour qui ces derniers sont une infra-humanité, des êtres velus, grossiers, stupides et farouches, couverts de crasse plus proche du singe que de l’homme, si bien que le terme « Hottentot » est souvent utilisé comme synonyme « d’être dégradé [19] ».
13Levaillant justifie son écriture par l’expérience du réel, loin des stéréotypes livresques et sans complaisance pour ce qu’il appelle « les relations fades et ridicules de nos romanciers-voyageurs » (I, p. 372-373). Il refuse aussi bien les préjugés que les traditions de l’Antiquité qu’il considère comme fausses, même si on les présente comme des « vérités immuables » alors qu’elles ne sont, au mieux, que « les rêves de l’imagination ou de l’ignorance » ou, au pire « des mensonges avérés » (p. IX). Il réfute les mensonges des récits de voyages quand ils ne sont que « des contes ridicules de quelques charlatans téméraires qui marchandent avec la crédulité publique » (p. X-XI). Il se donne au contraire comme témoin de ce qu’il rapporte : « Bien résolu de ne parler que de ce que j’ai vu, de ce que j’ai fait, je ne dirai rien que d’après moi-même » (p. X). Il se souvient du préambule des Confessions de Rousseau pour marteler : « Ce que je suis, ce que j’ai vu, ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé ; voilà tout ce que je me suis proposé de leur apprendre » [à ses amis, à sa famille] (p. XIII). Il règle ainsi la question du tablier par une observation personnelle, qui lui permet de publier une gravure montrant qu’il s’agit d’une pratique liée à des visées esthétiques, comme le maquillage. Sans cesse, il réaffirme sa situation de témoin contre une tradition livresque et en opposition aux spéculations théoriques :
[…] tous les livres et les compilations et toute l’éloquence spéculative ne sauraient prévaloir contre des observations pratiques tant de fois répétées sur le grand théâtre des déserts d’Afrique (I, p. 344). Il faut répéter sans cesse que les gros livres ne sont rien auprès du grand livre de la Nature, et qu’une erreur pour avoir été consacrée par cent plumes éloquentes ne peut cesser d’être une erreur.
15Il se met ainsi en scène dans des situations dangereuses, plus liées aux animaux sauvages qu’aux hommes ; il exprime ses sentiments (indignation, trouble amoureux, ravissement devant les paysages, inquiétudes et angoisses, peur, regrets de son paradis africain perdu…) et insiste sur la noblesse, l’humanité des sauvages lorsqu’il ne sont pas dégradés par les contacts avec les colons :
Ce n’était plus ici ces Hottentots abâtardis et misérables qui languissent au sein des colonies, habitants méprisables et méprisés, qui ne connaissent de leur antique origine que le vain nom, et ne jouissent qu’aux dépens de leur liberté d’un peu de paix qu’ils achètent bien cher par les travaux excessifs des habitations et le despotisme de leurs chefs toujours vendus au gouvernement ! Je pouvais enfin admirer un peuple libre et brave, n’estimant rien que son indépendance, ne cédant point à des impulsions étrangères à la Nature, et faites pour blesser leur caractère franc, vraiment philanthropique et magnanime.
17Son écriture est celle d’une initiation, d’un enthousiasme aussi, pour la description encyclopédique, élans portés par l’Afrique elle-même :
J’ai traversé les mers ; j’ai voulu voir d’autres hommes, d’autres productions, d’autres climats ; je me suis enfoncé dans quelques déserts ignorés de l’Afrique ; j’ai conquis une petite portion de la terre.
19Ses passions sont l’ornithologie [20], la chasse (qui lui permet d’examiner et de disséquer les animaux) et la découverte d’un monde, d’autrui et de soi-même. Plutôt que de construire son récit sur une opposition Sauvage/Européen, il souligne le hiatus entre l’homme de la nature et l’homme de la société ; il réfléchit aussi sur le métissage, rappelle une évidence souvent ignorée en Europe : les populations d’Afrique du sud (Hottentots, Cafres, Gonaquois) ne sont pas des Nègres ; ils n’ont ni la même apparence, ni les mêmes langues, ni la même culture.
20Contrairement à toute une tradition que le Président de Brosse a synthétisée en 1760 [21], Levaillant minimise chez les Africains du Sud la présence du religieux, des rites, des pratiques superstitieuses. S’il les évoque à propos des Cafres, ses Hottentots sont débarrassés de toute croyance. Sans aucune visée missionnaire, il présente une vision rationaliste de leurs mœurs et de leurs coutumes. Quand une pratique semble bizarre, c’est parce que l’origine en est oubliée. Il le rappelle en dénonçant ce qu’il considère comme les escroqueries de Kolbe :
Il n’en est pas de même de ce que ce voyageur sédentaire a platement avancé sur les Hottentot et les cérémonies de leur religion ; si ce qu’il en dit a existé, il faut bien que l’esprit philosophique qui plane impérieusement sur l’Europe, ait un peu rafraîchi l’air brûlant des climats Africains ; car je n’y ai vu aucune trace de religion, rien qui approche même de l’idée d’un Être vengeur et rémunérateur. J’ai vécu assez longtemps avec eux, chez eux, au sein de leurs déserts paisibles ; j’ai fait, avec ces braves humains, des voyages dans des régions fort éloignées ; nulle part je n’ai rencontré rien qui ressemble à de la religion ; rien de ce qu’il dit de leur législation, de leurs enterrements ; rien de ce qu’ils pratiquent à la naissance de leurs enfants mâles; rien enfin, et surtout de ce qu’il se plaît à détailler, de la ridicule et dégoûtante cérémonie de leurs mariages [l’aspersion par l’urine].
22Il explique par la personnalité de leur auteur l’origine des discours fantaisistes de Kolbe :
On n’a point oublié au Cap le séjour de cet homme dans la colonie. On sait qu’il n’avait jamais abandonné la Ville, et cependant il parle de tout avec l’assurance d’un témoin oculaire. Ce qui n’est pas douteux néanmoins, c’est qu’après dix années de résidence, n’ayant rien fait de ce qu’on l’avait chargé de faire, il trouva plus prompt et plus commode de ramasser tous les ivrognes de la colonie qui se moquaient de lui en buvant son vin, lui dictaient ses fables de taverne en taverne, lui contaient à qui mieux mieux les anecdotes les plus absurdes, et l’endoctrinaient jusqu’à ce que les bouteilles fussent vides. C’est ainsi que se font les découvertes nouvelles, et que s’étendent les progrès de l’esprit humain !
24Contre Sparmann, il se refuse à croire ce qui est décrit comme des pratiques absurdement cruelles (le meurtre d’un jumeau, l’enterrement d’un nourrisson vivant avec sa mère morte, etc.). À propos des Cafres, qui lui semblent un peuple moins contaminé par les colons et plus « évolué » que les Hottentots, il nuance cependant ses analyses :
Une industrie mieux caractérisée, quelques arts de nécessité première, il est vrai, un peu de culture, quelques dogmes religieux annoncent, dans le Cafre, une nation plus civilisée que celles du côté du sud […], ils ont […] une très haute idée de l’auteur des êtres et de sa puissance ; ils croient à une autre vie, à la punition des méchants, à la récompense des bons ; mais ils n’ont point d’idée de la création ; ils pensent que le monde a toujours existé, qu’il sera toujours ce qu’il est ; ils ne se livrent, du reste, à aucune pratique religieuse, ne prient jamais, en sorte qu’on pourrait très bien dire qu’ils n’ont pas de religion, s’il n’y a point de religion sans culte ; ils sont eux-mêmes les instituteurs de leurs enfants, et n’ont point de prêtres. En revanche, ils ont des sorciers que la plus grande partie révère et craint beaucoup ; je n’ai jamais joui de la satisfaction d’en joindre un seul ; je doute fort, malgré tout leur crédit, qu’ils en imposent, autant que les nôtres, à la multitude.
26Dans cet effort de rationalisation, un lecteur d’aujourd’hui pourrait voir une négation de la spécificité d’un peuple, dans ses mythes et ses rites, mais, par une poétique du détail, Levaillant construit une stratégie de l’authenticité. Il indique les dates, précise les lieux, identifie les personnages rencontrés, s’arrête sur des faits secondaires qui constituent la véracité de son récit :
Je dévorais sans pain le pied de mon éléphant ; et mes Hottentots, assis près de moi, se régalaient avec d’autres parties qu’ils ne trouvaient pas moins excellentes. Ces détails paraîtront puérils, ou tout au moins indifférents au plus grand nombre des lecteurs ; il faut tout dire, puisqu’on n’a jusqu’ici que des notions bizarres ou d’absurdes romans sur le pays singulier que je parcours.
28Dans un tel contexte, les pratiques esclavagistes sont injustifiables et doivent être dénoncées :
Paisibles Hottentots, couvrez-les de vos mépris ces mortels qui vous réduisent en esclavage, et ne vous distinguent des bêtes que par les traitements cruels qu’ils leur épargnent pour vous en accabler !
30Le mal vient des européens qui pervertissent et dégradent ceux qu’il soumettent :
Partout où les sauvages sont absolument séparés des Blancs et vivent isolés, leurs mœurs sont douces; elles s’altèrent et se corrompent, à mesure qu’ils les approchent; il est bien rare que les Hottentots qui vivent avec eux ne deviennent des monstres.
32Cela conduit Levaillant à un hymne à son « frère Sauvage » :
Depuis ce jour heureux de ma vie, où j’ai connu la douceur d’être aimé purement et sans aucun mélange d’intérêt, le bon Klaas […] fut déclaré mon égal, mon frère, le confident de tous mes plaisirs, de mes disgrâces, de toutes mes pensées ; il a plus d’une fois calmé mes ennuis, et ranimé mon courage abattu.
34Cet éloge est complété par un crédo en forme de démenti : « Je ne crois point aux mangeurs d’hommes » (II, p. 23). La prétendue cruauté des Cafres est en réalité un droit légitime à la riposte devant les traitements inhumains que leur infligent les colons. Ainsi se constitue une vision édénique de l’Afrique quand elle n’est pas aux mains des colons. Même s’il traverse des déserts et gravit des montagnes impitoyables, c’est pour se livrer ensuite à des descriptions de paysages grandioses :
En quittant la rivière nous avions à gravir une montagne difficile et fort escarpée ; elle m’effrayait un peu. À force de patience, de soins et de temps, nous la laissâmes derrière nous. Nous fûmes bien dédommagés de nos fougues par le spectacle qui vint frapper nos regards, lorsque nous eûmes entièrement gagné son sommet. Nous admirâmes le plus beau pays de l’univers. Nous découvrions dans le lointain la chaîne de montagnes couverte de grands bois qui bornent la vue du côté de l’Ouest ; sous nos pas nous plongions sur une vallée immense, relevée par des collines agréables qui varient à l’infini, et moutonnent jusqu’à la mer. Des prairies émaillées et les plus beaux pâturages ajoutaient encore à ce site magnifique. J’étais vraiment en extase. […] La nature a fait de ces beaux lieux un séjour de féeries.
36À la majesté du paysage correspond la beauté et la sensibilité des femmes, mises en scène par la chaste idylle du voyageur avec Narina, une jeune Gonaquoise.
37Si Levaillant vise à émouvoir, il sait aussi varier les registres et pratiquer l’humour en racontant des anecdotes divertissantes : c’est le rôle qu’il attribue à son singe Keès, à son coq qui lui sert de réveil ou à sa longue barbe qu’il utilise comme humidificateur. C’est un aspect du texte auquel a dû être sensible Chamfort pour qui : « la plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri » (80).
La lecture de Chamfort
38Chamfort commence son long compte rendu par un rappel de la situation de la France : en cette année 1790, la nation est occupée « de grands objets » politiques qui ne devraient pourtant pas laisser dans l’ombre le livre de Levaillant. L’exploration de l’intérieur de l’Afrique constitue en effet, à ses yeux, un sujet neuf et passionnant, d’autant plus que l’auteur a su maintenir l’intérêt au long de son récit et même faire aimer l’Afrique par « l’intelligence », le goût, la variété des tableaux qu’offre son Voyage. Il a su ensuite associer raison, sentiment et imagination pour faire découvrir une aventure personnelle dans un territoire et au contact de populations mal connus. Si son livre a été critiqué parce qu’il ne semblait « pas assez savant », c’est simplement parce qu’on confond « ennuyeux » et savant (p. 343), alors que « peu de voyages se font lire avec autant de plaisir » (p. 353).
39Lorsqu’il résume les épisodes principaux du récit, Chamfort insiste sur l’aspect aventureux, vécu, du voyage, puis il montre comment, par l’observation directe, Levaillant dénonce les préjugés et la mauvaise foi de ses prédécesseurs. Ces préjugés sont ceux des colons, intéressés à salir les sauvages pour justifier leurs exactions. Dans la mesure où Levaillant « prouve par des exemples et par des faits, des vérités affligeantes » (p. 346), il adhère à ses analyses quand il explique les images négatives des Hottentots et des Cafres par les calomnies atroces et les horreurs perpétrées par les colons européens. À ces contre-vérités, il oppose l’« amour des sciences » de Levaillant et il reprend l’anecdote plaisante de l’explorateur dissimulé plusieurs jours de suite dans un arbre creux pour tirer des oiseaux inconnus (p. 345).
40Chamfort est aussi sensible aux qualités d’observateur de Levaillant qu’à la dimension esthétique du récit :
Les productions naturelles, les différents paysages, les sites pittoresques, agréables ou terribles, les phénomènes d’une nature nouvelle pour la plupart de ses lecteurs, se reproduisent sous les pinceaux de Téniers ou de Berghem.
42Il loue Levaillant d’avoir compris la nécessité de n’introduire des jugements moraux que par rapport aux contextes culturels et sociaux, d’avoir su aussi tenir compte des contraintes géographiques. Il insiste sur la qualité de l’information et rappelle un principe de base pour qui veut écrire sur des peuples étrangers : « Levaillant s’est donné la peine d’apprendre la langue des Hottentots » (p. 349). Il adhère donc à la dénonciation des stéréotypes des récits de voyages (« contes ridicules répétés par tous les voyageurs »). Séduit par le regard de Levaillant sur « ses fidèles hottentots, qu’il traitait en amis » (p. 345), il exalte à son tour le désir de connaissance et le goût de la solitude ; il parle « du charme d’une indépendance absolue », du « plaisir inexprimable que la nature attache aux grands développements de nos facultés morales et intellectuelles » (ibid.), en exprimant cette tentation du retrait, de la solitude si présente dans ses Fragments. Simultanément Chamfort se reconnaît en Levaillant et se rêve en sauvage vertueux : le lecteur retrouve dans ce compte rendu la voix du moraliste sujet à la misanthropie, cet « amour trop ardent de l’humanité » (p. 346).
43Lorsqu’il souligne l’absence de religion et d’idolâtrie des Hottentots, c’est aussi pour dénoncer les rites absurdes et dégradants qu’on leur a attribués par sottise ou malveillance ; il résume alors l’explication de Levaillant et parle des « rêves d’un voyageur sédentaire, qui recueillait les bruits populaires dans les tavernes du Cap » (p. 348). Le contraste s’impose alors entre les mœurs pures des « sauvages » (qui, contrairement a ce qui a été souvent dit, respectent la prohibition de l’inceste [23]) et l’absence de mœurs des colons.
44Le compte rendu est donc fidèle, sauf lorsque Chamfort fait de Narina la compagne de Levaillant, comme s’il voulait écrire l’idylle jusqu’au terme que Levaillant n’a pas voulu ou n’a pas osé lui donner (parce qu’il était marié en France). Pour Chamfort, la fiction est au service du réel, elle permet de construire la vérité : il apprécie le récit de l’idylle avec Narina, les descriptions des paysages et tout ce qu’il appelle l’imagination qui ne s’oppose pas à la réalité mais permet de la découvrir avec plaisir, grâce à la mise en récit. Cependant, contrairement à Levaillant, il exprime son pessimisme quant à la possibilité de corriger le système colonial de ses abus. Les excellents conseils de l’auteur resteront lettres mortes, prévoit-il, parce qu’il est de la nature des puissances absolues de courir à leur anéantissement : au moment où il écrit, la monarchie française est en train de lui donner un exemple de cet aveuglement.
45Si l’originalité de Levaillant réside dans ses efforts pour intégrer des éléments d’histoire et de culture africaines dans le récit des voyages d’un Européen en Afrique, on la distingue aussi dans ses dénonciations de la désintégration des sociétés africaines au contact des colons. L’originalité de la lecture de Chamfort se constitue dans le désir de tirer des leçons valables pour les Européens de cette expérience africaine. Chamfort s’efforce donc de faire comprendre à son lecteur de 1790 qu’entre aventures à la manière de Robinson, confidences façon Jean-Jacques, raisonnements voltairiens, émotions et condamnation des excès du colonialisme à la manière de Diderot, descriptions de paysages et construction d’une chaste idylle qui évoque Bernardin de Saint-Pierre, tout – ou presque – de l’idéal des Lumières est là, dans ce récit de voyage, dans ce désir de connaissance de l’autre, dans une condamnation des excès de la colonisation qui n’exclut pas une volonté de mise en valeur des territoires traversés. Idéal qui, en 1790, n’avait pas encore été confronté à la réalité ravageuse de la Terreur qui conduira Chamfort à une effroyable tentative de suicide. Dans les premiers temps d’une Révolution qui visait à régénérer les hommes, ambition à laquelle Chamfort a adhéré avec enthousiasme, cette peinture de sauvages profondément humains, libérés de l’effroi de la superstition et du joug de la religion, a dû lui sembler un exemple, une source de confiance et d’espoir. Il y a cru parce qu’il avait besoin d’y croire et parce qu’elle se présentait comme le récit personnel d’expériences vécues par un voyageur informé et sans préjugés. L’histoire lui donnera un double démenti dans les errements dévastateurs de la Terreur et l’entreprise d’exploitation systématique de l’Afrique au siècle suivant.
46Le lecteur d’aujourd’hui qui s’efforce de réfléchir aux mécanismes d’établissement de la « vérité » d’un discours s’étonne cependant de ne trouver aucune restriction de Chamfort sur la fiabilité d’un récit, sur les difficultés pour recueillir et interpréter des témoignages ; aucune conscience de la détermination de la perception par la culture ou l’absence de culture de l’observateur. Il y a là un optimisme de la vérité assez surprenant chez un philosophe du sarcasme, de la défiance. Cet aveuglement pourrait être le signe qu’en 1790 il reste impossible de penser l’Afrique en dehors des catégories européennes, mais il est vrai que, comme le rappelle F.-X. Fauvel-Aymar, Diderot ne partageait pas l’optimisme de Chamfort :
Le voyageur qui, à chaque tour de roue, jette une note sur ses tablettes, ne se doute pas qu’il écrit un mensonge : c’est pourtant ce qu’il fait. Il n’y a pas longtemps que j’ai eu le plaisir d’entendre deux hommes très instruits se contredire de la manière la plus formelle sur le tablier des Hottentotes. Ils avaient fait ensemble le voyage du Cap [24].
Notes
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[1]
Nos références renvoient aux numéros des fragments dans Maximes et pensées, Caractères et anecdotes, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1982. Chamfort avait envisagé de publier ses réflexions sous le titre : « Produits de la civilisation perfectionnée ». Une édition critique de son œuvre reste à faire.
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[2]
C’est le thème du frontispice de l’édition originale du Discours sur l’Origine de l’inégalité ; Rousseau en a trouvé le récit dans l’Histoire générale des voyages qui reprenait le texte de Kolbe, lui-même ayant vraisemblablement plagié le manuscrit d’un résident de la colonie du Cap. On retrouve l’anecdote dans l’Histoire des deux Indes. Voir : F.-X. Fauvelle-Aymar, L’invention du Hottentot, p. 240-241, 273-275, 294 (référence abrégée en F.-A. dans nos notes).
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[3]
Article recueilli au tome III des Œuvres complètes, Paris, Chaumerot jeune, 1824-1825, p. 28-51, consultable sur Gallica et reproduit dans les Œuvres complètes, Paris, Éditions du Sandre, 2010, vol. II, p. 343-354. Dans les références, nous abrégeons le titre en CR, suivi du numéro de la page dans l’édition du Sandre. Nos références au texte de Levaillant renvoient, pour le premier volume, à l’édition originale et, pour le second, à l’édition de 1791, parue à Bruxelles, volumes consultables sur Google Books.
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[4]
François Le Vaillant (1753-1824) ; on écrit aujourd’hui Levaillant.
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[5]
Second Voyage dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, pendant les années 1783, 84, et 85. Paris, an IV (1795), 2 vol. Paris H. J. Jansen, in-4° ou 3 vol. in-8°, avec 22 gravures. Les deux ouvrages seront souvent repris (Voyage de F. Levaillant dans l’intérieur de l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, nouvelle édition, revue et augmentée par l’auteur ; ornée de 20 fig., Paris, Desroy, an VI (1797), 2 vol. in-8°. Les deux ouvrages, revus par Levaillant, ont été réimprimés : Paris, an XI (1803), 3 vol. in-4° ; 5 vol. in-8°.
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[6]
M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), éd. M. Sennellart, F. Ewald et A. Fontana, Pris, 2004, p. 37. Voir L’Afrique du siècle des Lumières, C. Gallouët, D. Diop, M. Bocquillon et G. Lahouati éd., Oxford, Voltaire foundation, 2009, p. XIV-XVII.
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[7]
L’expression « Pérou des naturalistes » est de Chamfort, CR, p. 343.
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[8]
F.-X. Fauvelle-Aymar est très réticent à l’égard de Levaillant : il parle, à propos du tablier des Hottentotes, de ses « douteuses » expéditions, « des doutes sérieux que l’on peut émettre sur l’honnêteté de l’auteur », de son style où « le pittoresque le dispute à la grandiloquence » (op. cit., p. 313). On peut aussi se souvenir des remarques de Siegfried Huigen qui souligne les réserves qu’a suscitées la publication du récit de Levaillant (« Les aventures d’un créole du Surinam en Afrique », dans L’Afrique du siècle des Lumières, p. 79).
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[9]
Premier contact, au début de 1488 avec les équipages des trois navires de Bartolomeu Dias ; puis en novembre 1497, lors des escales de Vasco de Gama qui donnèrent lieu à des échauffourées, avant les massacres de mars 1510, lors de l’escale de Francesco de Almeida (voir F.-A., p. 29-48).
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[10]
Voir Michèle Duchet, Anthropologie et Histoire au siècle des Lumières, Albin Michel, Paris, 1995, p. 34 et suivantes ; F.-A., p. 285 et suivantes.
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[11]
Le terme « Khoisan » a été formé par la fusion des mots « Khoikhoi » (Hottentots ) et « San » (Bushmen ou Boschimans) ; il s’agissait de réunir deux groupes longtemps jugés différents, les premiers considérés comme des éleveurs, les seconds comme des chasseurs-cueilleurs. L’anthropologie et la linguistique distinguent aujourd’hui différents groupes à l’intérieur de l’ensemble Khoisan. Ces khoisan, qui ont occupé la majeure partie de l’Afrique australe, ont été progressivement confinés aux régions « les plus inhospitalières, renforçant par contrecoup l’association entre ces populations et la sauvagerie des déserts intérieurs », F.-A., p. 13.
-
[12]
Nous suivons les analyse de F.-X. Fauvel-Aymar.
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[13]
Allégation fortement démentie en juillet 1649 dans le rapport officiel qui a conduit à la fondation de la colonie hollandaise du Cap. Voir F.-A., p. 125.
-
[14]
On peut se demander si le mot « Hottentot » ne provient pas d’une reprise par les populations locales de la formule de salutation anglaise « How do you do », doublement déformée, d’abord par la phonologie khoikhoi, puis par sa perception par les navigateurs européens et enfin les colons hollandais. (Le mot a été parfois transcrit « hautitou » ou « ha’titou » voir F.-A., p. 130).
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[15]
A. de Beaulieu, Mémoire du voyage aux Indes orientales, dans M. Théveno, Relation de divers voyages curieux, Paris, 1664 (cité par F.-A., p. 134). Le témoignage de Beaulieu remonte à 1620 et 1622.
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[16]
Il s’agit d’un allongement des lèvres (macronymphie) qui est évoqué pour la première fois dans un récit en 1639. En 1708, Fr. Leguat publie une illustration représentant une Hottentote nue avec une sorte de peau masquant son sexe. Voltaire, dans les éditions de 1761 à 1775 de l’Essai sur les mœurs, attribue ce tablier aux hommes et aux femmes ; il en donne une description surprenante et involontairement cocasse : « une surpeau pendante du nombril, qui couvre les organes de la génération, en forme de tablier, qu’on hausse et qu’on baisse ». Dans l’article « Hottentot » de l’Encyclopédie (Jaucourt) le tablier descend à mi-cuisse (F.-A., p. 147, 151, 287-291).
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[17]
L’adaptateur français utilise des termes proches de ceux que Diderot mettra dans la bouche du Tahitien face à Bougainville : « Fuyez, malheureux Hottentots, fuyez » (F.-A. p. 294, 298-299).
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[18]
Nuremberg, 1719 ; traduction française sous le titre de : Description du Cap de Bonne-Espérance, Amsterdam, 1741.
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[19]
F.-A., p. 318.
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[20]
Ses Histoires naturelles (des perroquets, Paris, 1801-1805 ; des oiseaux de paradis, Paris, 1803, des promérops et des guêpiers, Paris, 1806), sont magnifiquement illustrées de gravures tirées des dessins de Jacques Barraband (1768-1809).
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[21]
Du Culte des dieux fétiches, Cramer, Genève. Voir notre étude : « Entre érudition et désinvolture : Charles de Brosses », dans Fr. Bidouze (dir.), Les Parlementaires, les Lettres et l’Histoire, Études CIHAE, vol. LXXXVIII, P. U. de Pau, 2008, p. 125-145.
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[22]
Lorsqu’il écrit à propos des Noirs « qu’il n’y a pas de pays au monde où les esclaves soient traités avec plus d’humanité qu’au Cap » (I, p. 82), est-ce un gage donné à la Compagnie des Indes Occidentales ou est-ce parce qu’il juge légitimes les entreprises de colonisation qui ne seraient pas des spoliations ?
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[23]
CR, p. 347-348. Voir Forbin, Mémoire […], 1729, p. 83-84 : « Ils couchent tous ensemble pêle-mêle, sans distinction de sexe, dans de misérables cabanes, et s’accouplent indifféremment comme les bêtes, sans aucun égard à la parenté » (F.-A., p. 187).
-
[24]
F.-A., p. 7. Dans cet extrait de la lettre à Mme Necker du 6 septembre 1774, Diderot évoque vraisemblablement une conversation, entendue pendant son séjour en Hollande, entre R. J. Gordon et un certain docteur Robert.