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Article de revue

Le trouble miroir de la harpe : l'ineffable musical et féminin dans The Wanderer de Fanny Burney

Pages 257 à 278

Notes

  • [1]
    Je remercie Claire Berget et Isabelle Bour pour leur relecture de cet article et leurs suggestions pertinentes.
  • [2]
    Richard Leppert, The Sight of Sound : Music, Representation and the History of the Body, Berkeley, Los Angeles, London, University of California P., 1992, p. xx, passim.
  • [3]
    Roselyn Rensch, The Harp, Its History, Technique and Repertoire, London, Gerald Duckworth & Co. Ltd., 1969, p. 48-65.
  • [4]
    Pierre Degott, « Saul de Haendel : une célébration inconditionnelle de la musique », livret du CD Saul, Arles, Harmonia Mundi, 2004, 8-13, p. 12.
  • [5]
    John Marson, The Book of the Harp, Stowmarket, Kevin Mayhew, 2005, p. 145.
  • [6]
    Id., p. 3-4. Hans Joachim Zingel, HarpMusic in the Nineteenth Century, trans. Mark Palkovic, Bloomington & Indianapolis, Indiana U. P., 1976/1992, p. 21.
  • [7]
    Sainte-Beuve, Les Causeries du Lundi, Paris, Garnier Frères, 1850, III, p. 19-38.
  • [8]
    Pierre Erard, The Harp in its present improved State Compared with the Original Pedal Harp, London, 1821, passim ; Roselyn Rensch, op. cit., p. 102.
  • [9]
    William Thomas Parke, Musical Memoirs, London, 1830, 2 vol., II, p. 183 ; toutes les traductions et adaptations à partir de l’anglais sont de l’auteur.
  • [10]
    William Hogarth, The Analysis of Beauty, London, 1753, Ronald Paulson (ed.), New Haven & London, Yale University Press, 1997, p. 42.
  • [11]
    Laurence Sterne, The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman, London, 1759-67, ed. Howard Anderson, New York & London, Norton, 1980V, xv, p. 365 ; voir Pierre Dubois, La conquête du mystère musical en Grande-Bretagne au siècle des Lumières, Lyon, PUL/ELLUG, 2009 p. 232-233.
  • [12]
    Maria Edgeworth, Helen, 1834 ; re-ed. London, Sort of Books, 2010, III, xlv, p. 488.
  • [13]
    Edmund Burke, A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and Beautiful, London, 1757, passim.
  • [14]
    Jane West, A Gossip’s Story, London, 1796, I, Dédicace, s. p.
  • [15]
    Marilyn Butler, Jane Austen and the War of Ideas, Oxford, Clarendon Press, 1975, p. 98.
  • [16]
    Jane West, A Tale of the Times, London, 1799, 3e ed. 1803, I, vii, p. 106-107.
  • [17]
    Maria Edgeworth, Belinda, 1802, re-ed. Oxford, Oxford U. P., 1994/2008, p. 3.
  • [18]
    Margaret Anne Doody (ed.), « Introduction », The Wanderer, Frances Burney, Oxford, Oxford UP 1991/2001, vii-xxxvii p. xxxiii.
  • [19]
    Julia Epstein, The Iron Pen. Frances Burney and the Politics of Women’s Writing, Bristol, Bristol Classical Press, p. 178.
  • [20]
    Frances Burney, The Wanderer ; or, Female Difficulties, 1814, Margaret Anne Doody, Robert L. Mack et Peter Sabor (ed.), Oxford, Oxford UP, 1991/2001, I, I, viii, p. 73.
  • [21]
    Michael Scannell, « The Treatment of Emotion in Jane Austen and Charlotte Bronte », Ph. D. Phil, Oxford, 1974, p. 46-47.
  • [22]
    Patrick Piggott, The Innocent Diversion : a Study of Music in the Life and Writings of Jane Austen, London, The Clover Hill Editions, 1979, p. 39.
English version

1La littérature offre un passionnant laboratoire de « représentations » du phénomène musical et de ses pratiques. En effet, subordonnées à des contraintes dramatiques, à une peinture psychologique ou à des intentions symboliques, allégoriques ou métaphoriques, les références à la musique renvoient presque inconsciemment à la conception latente qu’on avait alors de celle-ci : l’auteur ne tient pas explicitement ou délibérément un discours sur la musique mais utilise intentionnellement celle-ci dans la trame ou la texture de sa narration, assuré que le partage par ses lecteurs d’une même conception globale de ce que la musique représente pour eux rendra possible le déchiffrage de sa signification dans le texte. Ainsi, de même que Richard Leppert a souligné la façon dont le sens de la musique passait aussi par la perception visuelle qu’on pouvait avoir de son exécution et montré que les arts visuels pouvaient aider à comprendre comment on « pense » la musique à telle ou telle époque, dans tel ou tel contexte [2], on peut estimer que la littérature peut révéler la façon qu’on avait alors d’entendre et de concevoir la musique. Le travail sur l’« imaginaire » des instruments de musique consiste donc en une tentative de « sémiologie » sociale et esthétique au sein de l’histoire culturelle, car tout instrument de musique est davantage qu’un simple outil technique pour produire des sons : c’est un vecteur de sens (sonore, visuel, idéologique) au-delà même de sa fonction musicale.

2Si le chant, le clavecin, l’orgue, la flûte, etc., se rencontrent fréquemment dans les romans de la première moitié du 18e siècle, deux nouveaux instruments apparaissent dans la seconde moitié, peu de temps après leur apparition sur la scène musicale : le pianoforte et la harpe. Il est tout à fait remarquable de constater combien ces deux instruments dont l’invention est alors récente sont non seulement rapidement acceptés dans la bonne société anglaise mais aussi souvent représentés dans le roman de cette période. La raison de cette utilisation référentielle est vraisemblablement que ces deux instruments correspondent étroitement à la nouvelle sensibilité qui est en train d’émerger – qu’ils en sont les vecteurs privilégiés. Remplacer le clavecin (tel qu’on le trouve chez Samuel Richardson ou Tobias Smollett) par le piano-forte ou la harpe, c’est en quelque sorte affirmer que les personnages dépeints dans les romans de cette nouvelle vague appartiennent bien à une autre société – et donc que la sensibilité comme les enjeux littéraires et moraux ont évolué.

3Notre propos est d’essayer de cerner, au gré de quelques exemples, l’imaginaire de la harpe tel qu’il s’exprime dans le roman « sensible » de la fin du 18e siècle et à l’époque de la Régence, plus particulièrement dans le dernier roman de Fanny Burney, The Wanderer : or, Female Difficulties (1814). Après avoir rapidement rappelé les origines et raisons de l’émergence de cet instrument au début du 18e siècle et évoqué son « statut » social particulier – et notamment sa « féminisation » – nous essaierons de montrer que son utilisation en tant que topos littéraire est équivoque, alternativement négative et positive, et chercherons à dégager la signification de cette ambiguïté. Nous analyserons en particulier le rôle joué par la harpe dans The Wanderer – rôle crucial selon nous pour une bonne compréhension du roman et des intentions de Fanny Burney – et essaierons de montrer comment la harpe est utilisée par l’auteur pour établir une relation troublante entre sensibilité féminine d’une part et conception de l’ineffable musical d’autre part.

4Si la harpe moderne apparaît à peu près au même moment que le piano-forte, elle plonge ses racines dans une symbolique fort ancienne puisqu’elle est inséparable de l’image biblique du roi David, comme en témoignent nombre de représentations dans l’art roman, les enluminures ou la peinture du 15e au 17e siècles [3]. Dans l’Ancien Testament, David parvient à toucher et apaiser le roi Saül grâce aux sonorités de sa lyre (1 Samuel 16), ancêtre de la harpe, qui acquiert ainsi, et de façon durable, le statut symbolique d’instrument de tous le plus capable d’émouvoir. Haendel sut habilement se saisir de cette signification dans son oratorio Saul (1739) au cours duquel David joue de la lyre – évoquée par la harpe – afin de calmer la colère de Saül (acte I, scène V). Il s’agit d’une véritable scène de « concert dans le concert [4] » dans laquelle David incarne le pouvoir de la musique et grâce à laquelle celle-ci devient le centre de gravité de l’oratorio. C’est à Haendel que l’on doit également le premier concerto pour harpe, interprété au théâtre royal de Covent Garden en 1736 comme entracte au cours de la représentation du Festin d’Alexandre (Alexander’s Feast or the Power of Music, An Ode wrote in Honour of St. Cecilia) sur un livret de John Dryden, puis publié en 1738 dans une version pour clavecin ou orgue (op. 4). La harpe y évoque Sainte-Cécile dans un oratorio dont le propos est de montrer l’immense pouvoir de la musique. Haendel avait aussi utilisé la harpe dans Esther (1732) et Giulio Cesare (1724). Dans cette dernière œuvre, la harpe fait partie d’un ensemble de neuf instruments (autant que de muses) dont certains – la viole de gambe, le théorbe, la harpe – appartiennent au monde de la musique ancienne. Il est donc probable que la harpe utilisée ait été une « harpe galloise » (probablement jouée par un certain William Powell), instrument plus primitif que la harpe « moderne [5] » et probablement plus « masculin » que la harpe à pédale qui s’impose au cours du siècle (bien que l’on trouve une association de la harpe celtique à un personnage féminin dans The Irish Girl (1806) de Lady Morgan).

5En effet, si le symbolisme de la harpe est ancien, ce n’est qu’au début du 18e siècle qu’apparaît la harpe moderne à pédales. C’est à l’Allemand Jacob Hochbrücker (ca. 1673-1763) de Donauwörth que l’on doit vraisemblablement, vers 1720, l’invention d’un mécanisme permettant, au moyen de 7 pédales, de hausser d’un demi-ton les cordes disposées de façon diatonique, ce qui accroît aussitôt les possibilités expressives de l’instrument [6]. D’autres sources attribuent l’invention à Gaiffre ou Goepffert, Hansen, Vetter, ou Semler, tandis que Philippe Macquer mentionne un italien dénommé Petrini dans son Dictionnaire raisonné universel des Arts et Métiers, contenant leur description, et la police des manufactures de France et des pays étrangers de 1773 (John Marson, ouvrage cité, p. 22). Bientôt importée à Paris, la harpe s’y impose rapidement et le style parisien devient la référence partout ailleurs en Europe. Le premier traité de harpe, un Essai sur la vraie manière de jouer de la harpe avec une méthode de l’accorder de Philippe-Jacques Meyer (1732-1819) paraît à Paris en 1763. C’est aussi à Paris, en avril 1778, que le flûtiste Adrian-Louis Bonnières de Souastre, Comte de Guines, et sa fille harpiste créent le concerto en Ut majeur pour Flûte et Harpe (K. 299) de Mozart. L’influence de la France s’exerce tant à travers ses facteurs que ses harpistes, notamment Mme de Genlis (Roselyn Rensch, ouvrage cité), p. 104 née Stéphanie Félicité du Crest de Saint-Aubin en 1746, qui doit en partie son ascension sociale à ses talents exceptionnels de harpiste, cultivés dès l’âge de cinq ans. Mme de Genlis fait progresser la technique de l’instrument et en perfectionne les doigtés [7]. Il n’est donc pas étonnant que ce soit aussi à Paris que la harpe soit perfectionnée par Sébastien Erard qui brevète en 1794, puis perfectionne, son système à « double action [8] ». Le succès est immédiat et Erard produit un nombre considérables de harpes dans ses ateliers de Paris et de Londres. Après la Révolution française, en effet, nombre d’émigrés introduisent en Angleterre la harpe, jusqu’alors considérée comme un instrument essentiellement aristocratique (Marie-Antoinette elle-même ne jouait-elle pas de cet instrument ?). Un certain nombre de tableaux – citons par exemple ceux de Thomas Sully (Lady with a Harp : Eliza Ridgely, 1818), Charles Bird King (Mrs John Quincy Adams with her Harp, s.d.), George Romney (Lady Caroline and Lady Elizabeth Spencer, 1786-1791), Richard Cosway, Marianne Dorothy Harland (later Mrs Dalrymple, s. d.), John Russell (Emily de Visme, Later Lady Murray, as saint Cecilia, 1794) – témoignent de la mode croissante de cet instrument au sein de la gentry et de l’aristocratie à la fin du 18e et au début du 19e siècles. Si les premières pièces composées spécifiquement pour la harpe par un compositeur anglais sont celles publiées par Thomas Billington (1754-1836) en 1778 (Roselyn Rensch, ouvrage cité, p. 111), on trouve aussi des méthodes pour harpe éditées par divers musiciens d’origine française plus ou moins connus tel le célèbre violoniste François-Hippolyte Barthelemon (Tutor for the Harp in which are introduced Progressive Examples of Arpeggios and Sonatas with favourite Airs and Scotch Songs and also an easy Method for Tuning, London, s. d. – 1787) ou une certaine Mademoiselle Merelle (New and Complete Instructions for the Pedal Harp, London, s. d.), et tout un répertoire de pièces pour harpe dû à des compositeurs connus pour leurs œuvres pour piano-forte tels Jan Ladislav Dusseck ou Daniel Steibelt. La harpe sert souvent d’instrument d’accompagnement pour d’innombrables « canzonettes » vocales par des compositeurs mineurs (Margaret Essex, James Fisin, Timothy Essex, Maria Dickons, Stephen Storace, Johan Arnold Dahmen, etc.), pièces qui peuvent également s’accompagner au pianoforte, et on l’associe fréquemment à d’autres instruments (violon, flûte, guitare, luth, piano-forte) pour faciliter toutes les dispositions de musique de chambre envisageables dans le cadre domestique. Car, à n’en pas douter, la harpe est avant tout, au cours de cette période, un instrument domestique, essentiellement lié à la pratique musicale féminine, comme nous allons l’observer dans la représentation littéraire qui en est donnée, tandis que, paradoxalement, la plupart des professeurs de cet instrument sont de sexe masculin. De façon caractéristique pour l’époque, le hautboïste William Thomas Parke condamne la présence parmi les deux solistes d’une pièce concertante pour deux harpes (exécutée à Covent Garden en 1823) du harpiste français Robert-Nicolas-Charles Bochsa aux côtés de Miss Dibdin : il juge son exécution « scientifique et plaisante » mais estime qu’il y a quelque chose de répugnant à voir une personne aussi « gigantesque » que Mr Bochsa jouer d’un instrument « aussi féminin que la harpe, dont les cordes … ne devraient vibrer que sous les doigts délicats des dames [9] ».

6À la fin du 18e siècle et sous la Régence, la harpe semble donc cristalliser un faisceau de significations issues d’associations d’idées particulièrement fortes : d’une part, la harpe ne cesse d’évoquer le roi David ou Sainte-Cécile dans l’imaginaire collectif ; c’est aussi un instrument d’origine aristocratique française « importé » en Angleterre et par conséquent susceptible d’être associé à certaines des valeurs attribuées à ce pays ; d’autre part, les sons émis par la harpe sont l’effet du toucher physique des doigts sur les cordes (Roselyn Rensch, ouvrage cité, p. XV), et leur but est de toucher ou de « faire vibrer » le cœur et de parler à la sensibilité : c’est donc un instrument qui correspond parfaitement à la métaphore musicale – si répandue à l’époque – de la vibration des cordes par sympathie, analogique des relations affectives, telle que l’on en trouve des exemples chez Laurence Sterne (A Sentimental Journey through France and Italy, 1768) ou une tentative de théorisation scientifique chez David Hartley (Observations on Man, his Frame, his Duty, and his Expectations, 1749) et qui s’inscrit dans le cadre épistémologique esquissé par Adam Smith dans sa Theory of Moral Sentiments (1759) ; enfin, c’est un instrument perçu comme essentiellement « féminin », dont aussi bien l’aspect visuel que les sonorités graciles concourent à produire une impression de douceur et de charme. On pourrait certes considérer que la harpe – par sa taille et sa verticalité – projette une image de corps masculin qu’embrasseraient les bras de la musicienne. Toutefois, cela serait peu en accord avec la délicatesse des sonorités que l’instrument produit. Nous voyons donc plutôt dans le corps de la harpe une image réflexive, un miroir du corps de la femme. Comme le montrent bien les représentations picturales de harpistes de cette époque, la harpe se prêtait admirablement à une mise en scène élégante de postures gracieuses dans lesquelles les mains et les bras étaient mis à leur avantage (Roselyn Rensch, ouvrage cité, p. 106) et les lignes « serpentines » de l’instrument (pour reprendre le terme utilisé par William Hogarth [10]) semblaient refléter les courbes du corps de la musicienne. Symboliquement, l’apparente « sexualisation » de la harpe semble ainsi porteuse de l’idée d’une sensualité qui conduit, par sympathie, au sentiment. C’est en grande partie cette idée qui est mise en scène dans les représentations romanesques de la harpe à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle.

7De nombreuses références à la musique dans le roman du 18e siècle – qu’il s’agisse de la voix ou d’instruments particuliers – restent souvent vagues, « abstraites » et purement allégoriques. Dans la première partie du siècle, la voix et le clavecin sont fréquemment mentionnés dans les romans de Henry Fielding, Richardson ou Smollett. Plus tard, Sterne – qui jouait de la viole de gambe – s’intéresse aussi, quant à lui, aux instruments à cordes frottées, notamment, dans Tristram Shandy (1759-1768), au gré de la transcription littéraire de l’accord d’un violon qui se transforme en scène de désordre verbal [11]. Dans The Man of the World (1773) ou Julia de Roubigné (1777), Henry Mackenzie, porté par la vague « sentimentale » de Laurence Sterne, évoque la musique à seule fin d’attirer l’attention du lecteur sur toute situation dans laquelle la charge émotive et sentimentale est intense et ainsi tisser la toile de fond de la sensibilité mais il ne s’arrête pas à une description précise ou réaliste de tel ou tel instrument : la référence à la musique reste métaphorique et indéterminée.

8Toutefois, l’essor du piano-forte en Angleterre dans la seconde moitié du 18e siècle et la présence croissante de sa représentation dans la littérature de l’époque témoignent assurément d’une évolution de la sensibilité. Comme nous l’avons montré par ailleurs (Pierre Dubois, ouvrage cité, p. 236-251), le piano-forte s’impose progressivement aux dépens du clavecin en raison d’une modification profonde de la signification de la musique dans l’imaginaire de cette époque. Il y a une convergence extrêmement forte entre le succès grandissant du piano-forte dans les dernières décennies du 18e siècle en Angleterre et la recherche d’une expression sensible détachée de toute référence sémantique et portée par la seule musique instrumentale. Instrument trouble et délicat, nimbé de brumes mystérieuses ou de clair-obscur, qui traduit chaque émotion de l’interprète au gré d’un parcours évolutif dans la temporalité, le piano-forte place l’expression au centre de l’équation musicale. Comme on le voit notamment dans les romans de Jane Austen, le piano-forte est alors souvent associé à la pratique féminine de la musique. Les passages qui mettent en scène le piano-forte dans Pride and Prejudice (1813), notamment lorsqu’Elizabeth doit jouer devant Lady Catherine de Bourgh, les scènes de séduction autour de l’instrument de Marianne Dashwood dans Sense and Sensibility (1811), ou encore l’arrivée mystérieuse du piano de Jane Fairfax dans Emma (1815) témoignent de la prégnance de l’instrument dans l’univers domestique des classes moyennes supérieures et aristocratiques de cette époque. Par sa disposition et sa forme mêmes, le piano-forte possède en lui-même une qualité décorative semblable à celle de tout autre élément du mobilier. Son aspect visuel fait partie intégrante de son charme et c’est ce qui peut expliquer sa présence dans nombre de scènes littéraires de séduction. Mais il est également emblématique de l’espace domestique et de stabilité, de sécurité, de confort intérieur, comme, par exemple, à la fin de Helen (1834) de Maria Edgeworth, où, dans une scène pathétique préludant à la mort de Lady Davenant, mère de Lady Cecilia et également protectrice de l’héroïne Helen, le piano-forte symbolise l’innocence et le regret de l’harmonie enfuie de l’enfance et évoque à la fois le confort domestique de la demeure et les valeurs morales de Lady Davenant [12].

9Les références à la harpe dans les romans féminins de la fin du 18e siècle et du début du siècle suivant complètent les allusions au piano-forte que nous venons d’évoquer. Comme le piano-forte, la harpe est alors perçue comme un instrument de la sensibilité, particulièrement apte à exprimer les émotions et les sentiments les plus délicats et c’est à l’intérieur du cadre esthétique et théorique que nous avons tracé qu’on doit l’appréhender. Plus encore que le piano-forte, la harpe est en outre couramment associée à la féminité. Comme nous l’avons déjà dit, sa forme sinueuse évoque, comme en un effet de symétrie, le corps de l’interprète qui semble l’enchâsser de ses bras. Ses sonorités douces semblent correspondre à un idéal de retenue et de fragilité plus particulièrement compatibles avec la définition burkienne du « beau » féminin par opposition au « sublime » d’essence masculine [13]. Nous voudrions donc suggérer que le choix de cet instrument dans le roman est bien délibéré et signifiant. Toutefois, la difficulté d’interprétation provient du fait que le topos de la harpe est utilisé de façon paradoxale, tantôt négativement, tantôt positivement et qu’il est donc difficile de la réduire à une signification univoque.

10À première vue, c’est la représentation négative de la harpe qui semble dominer. Dans divers romans, la harpe est en effet clairement utilisée comme indice de la superficialité des personnages qui en jouent. C’est le cas par exemple dans A Gossip’s Story (1796) de Jane West, roman dont le but affiché par l’auteur dans sa dédicace est notamment de dénoncer toue « affectation de sensibilité [14] ». C’est la sincérité de l’émotion de Marianne, qui est charmée par « les douces sonorités de la harpe », aime « tout ce qui est passionné, élégant et sentimental en art, ou beau, méditatif et enchanteur dans la nature » (id., I, xvi, p. 205) et joue de la harpe de la même façon qu’elle se promène dans les bois au clair de lune ou écoute le bruit de chutes d’eau (id., I, xvii, p. 225), que l’auteur met ainsi en doute. Pour West, en effet, il est dangereux de ne se fier qu’aux intuitions et aux émotions superficielles [15] et le culte de la sensibilité – que la harpe représente – doit être évité. Il en va de même dans A Tale of the Times (1799), autre roman de Jane West où la harpe est clairement associée à l’opulence, à la mode et aux pratiques sociales des classes supérieures – comme c’est le cas aussi, plus tardivement, à travers le personnage de Mary Crawford dans Mansfield Park (1814) de Jane Austen. Jane West dépeint le personnage de Geraldine à la harpe en comparant celle-ci à la fois à Calliope, déesse de la poésie lyrique, et à Sainte-Cécile, patronne des musiciens [16] mais évoque dans le même paragraphe « l’éblouissante splendeur de la fortune » qui la définit socialement et l’oppose à son amie Lucy, plus modeste et effacée mais qui lui est moralement supérieure. Jane West convoque ironiquement l’image stéréotypée de la belle harpiste, les cheveux flottant au vent, caressant délicatement les cordes de sa harpe tout en chantant d’une voix suave un air où il est question de Cupidon et de fleurs ambrosiaques (id., I, xi, p. 190) Sa voix est « mélodieuse » et son toucher « magique » (id., II, xix, p. 29) Victime de sa sensibilité romantique, Geraldine, qui est mariée à Lord Monteith, croit que Fitzosborne (aux avances duquel elle finira par céder) est sincère quand il feint de se pâmer tandis qu’elle joue de la harpe et chante pour lui (Id., II, xxv, p. 139-140). La harpe est à la fois le reflet de sa propre sensibilité et le leurre au miroitement duquel elle-même se fait prendre. Dans ces scènes musicales, Jane West dénonce donc à la fois le maniérisme social associé à une certaine classe sociale et l’excès de sensibilité qui empêche Geraldine de percevoir le piège que lui tend Fitzosborne. La conclusion morale anti-jacobine – pour reprendre le terme utilisé par Marilyn Butler (Marilyn Butler, ouvrage cité, passim) – est que la modération est souhaitable en toute chose, comme le formule explicitement le digne Mr. Evans, père de la modeste Lucy (Jane West, A Tale of the Times, op. cit., III, xl, p. 263).

11Chez Maria Edgeworth, la façon de représenter la harpe est à la fois négative et positive. Dans Belinda (1802), qui est explicitement une « fable morale » (‘a Moral Tale’) comme l’auteur y insiste dans l’avertissement au début de l’ouvrage [17], la musique est souvent associée – comme chez Jane West – à la futilité de la vie mondaine et mentionnée à des fins de dénonciation morale. Toutefois, l’héroïne Belinda s’avère elle-même avoir des dons pour la harpe et elle chante mieux que quiconque. On est donc confronté à un paradoxe : la musique est à la fois valorisée comme signe de la sensibilité féminine et dénoncée comme indice de superficialité et de dissipation sociale. De même, dans Helen (déjà mentionné) du même auteur, les références à la musique servent essentiellement à formuler une critique de la vanité des « arts d’agrément » (« accomplishments ») féminins uniquement justifiés par le marché du mariage, auxquels s’oppose la sagesse des livres et de la lecture. Toutefois, là encore, la harpe de l’héroïne Helen révèle sa délicatesse et sa sensibilité. La harpe joue un rôle important dans une scène cruciale où Helen est contrainte par son amie d’enfance Cecilia à dissimuler à son prétendant Beauclerc que l’auteur de lettres d’amour jadis adressées à un certain D’Aubigny avaient été écrites par Cecilia et non par elle-même. La scène se produit alors que Helen s’apprête à jouer de la harpe ; dans son trouble, elle casse deux cordes de son instrument et s’applique aussitôt à les changer et à les accorder pour dissimuler sa confusion avant de se mettre à jouer « automatiquement, sans âme ni esprit » (Maria Edgeworth, Helen, op. cit., III, xxxiii, p. 356). L’harmonie est brisée et remplacée par une dissonance émotive. Il est intéressant que la harpe soit associée à ce moment clé : en effet, Helen est un roman sur la dissimulation. Cecilia est une menteuse qui invente des scénarios et cache la vérité ; son nom lui-même s’avère trompeur, puisqu’au lieu d’être synonyme d’harmonie (comme c’est le cas de la Cecilia de Fanny Burney dans le roman éponyme de 1782), c’est par elle au contraire que la discorde – la dissonance – s’installe dans la diégèse. L’allusion intertextuelle au personnage de Burney – qui ne peut être le fruit du hasard – est donc ironique : la Cecilia de Edgeworth n’est pas ce que son nom annonce et la « disharmonie » musicale à laquelle Helen est acculée révèle, au gré de cette métaphore musicale, le décalage entre apparence et réalité, mensonge et vérité, qui résulte du comportement de Cecilia. Le fait de casser les cordes de sa harpe révèle que la dissimulation à laquelle Helen est contrainte par Cecilia est contraire à sa nature profonde – et incompatible avec le fait même de faire de la musique – et que le lien de sympathie qui l’unissait jusqu’alors à son amie menace de se briser. La harpe, censée représentée les conventions d’une société policée et l’harmonie domestique, est ainsi tiraillée et faussée, parce que celle qui en joue se trouve en porte-à-faux dans la relation sociale où elle est impliquée. Elle est donc utilisée par Maria Edgeworth dans Helen, nous semble-t-il, comme un révélateur de l’adhésion, ou au contraire du divorce, de divers personnages par rapport à un code de moralité dont elle serait implicitement porteuse.
C’est toutefois dans The Wanderer ; or, Female Difficulties (1814) de Fanny Burney que cette dichotomie entre deux rôles contradictoires de la harpe – mondain et intime, superficiel et profond, négatif et positif – fait l’objet de la mise en œuvre la plus élaborée. Dernier des quatre romans de Fanny Burney et fruit d’un travail étalé sur quelques quatorze années, The Wanderer a longtemps été jugé avec sévérité, en raison principalement des critiques formulées à sa parution par un John Wilson Croker dans The Quarterly Review ou un William Hazlitt dans The Edinburgh Review[18] qui désapprouvaient le contenu idéologique et politique ambigu du roman, ce qu’ils percevaient comme sa trop grande tolérance à l’égard de la Révolution française, et le mélange de problématiques nationales, culturelles et religieuses avec des questions d’ordre identitaire et sexuel. Pourtant, si The Wanderer est effectivement écrit dans une veine alors déjà un peu dépassée, et si le message anti-jacobin n’est sans doute pas aussi radical que l’eût souhaité une partie du lectorat de l’époque, c’est un roman dont la grande force émotionnelle et la profondeur apparaissent clairement aujourd’hui. Comme son sous-titre le proclame, l’ouvrage pose essentiellement la question de la difficulté pour une jeune femme d’affirmer son identité propre dans une société de classes façonnée par les préjugés. L’héroïne, Juliet, élevée dans un couvent en France, est une jeune femme aux talents musicaux exceptionnels qui, dans toute la première partie du roman, essaie de gagner sa vie de façon indépendante en donnant des cours de harpe après avoir fui la France et sa violence révolutionnaire. Très curieusement, alors que cette activité musicale joue un rôle capital dans le roman (comme la musique en général dans Cecilia : or, Memoirs of an Heiress, 1782), elle a donné lieu à peu d’analyses critiques de la part des spécialistes de Fanny Burney, comme si elle devait être mise au même plan que les autres formes de travail ou d’activité auxquelles Juliet, une fois qu’elle doit renoncer à enseigner la harpe, doit s’adonner pour survivre. Or ce qui est en jeu dans la pratique musicale de Juliet est d’une part le conflit entre deux types de conceptions de la musique, considérée soit comme une activité d’ordre privé, soit comme une activité professionnelle, et d’autre part la relation d’identification qui s’établit entre la jeune femme et sa pratique musicale. Ce que la bonne société de Brighton veut contraindre Ellis/Juliet à faire, c’est à passer d’un statut à un autre, à s’abaisser au rang de musicienne professionnelle se produisant en public, ce qui impliquerait la fin de ses aspirations à réintégrer la société aristocratique à laquelle elle appartient par sa naissance. La chute sociale qu’elle subit au cours du roman est ainsi problématisée et mise en abyme par les épisodes du début du roman consacrés à la musique. On ne peut donc pas négliger cette partie du roman en réduisant la question musicale et les tentatives de Juliet de vivre grâce aux leçons de harpe qu’elle donne à une seule étape de sa chute en parlant des ses « périples à travers diverses classes sociales, professions, habitations et apparences » comme le fait Julia Epstein [19]. Il s’agit selon nous d’une étape cruciale, emblématique et fondatrice de ce qui définit, dans le roman, les rapports entre les classes sociales. Nous voudrions donc suggérer que Fanny Burney – fille du célèbre musicien et musicographe Dr. Burney – n’avait pas choisi cette activité par hasard mais précisément pour ce que la harpe et sa pratique pouvaient, mieux que tout autre passe-temps ou métier, emblématiser, et qu’une juste interprétation du roman passe par une étude des significations particulières associées à la harpe.
Recueillie par Mrs. Maple dont elle a pu faire la connaissance – ainsi que celle d’autres protagonistes du roman – lors de sa fuite de France incognito, Juliet, qui se fait alors appeler Ellis, est surprise par ses relations qui sont rentrées plus tôt que prévu d’une promenade alors qu’elle est en train de jouer de la harpe seule et pour elle-même. La description de son talent d’interprète réconcilie comme il se doit les deux pôles de la sensibilité et de la virtuosité : elle joue avec « goût et expression » un mouvement « lent et pathétique » toutefois mêlé d’« éclats d’exécution rapide » qui témoignent de son excellente technique, si bien que son auditoire invisible est à la fois « charmé et étonné ». L’alternance de pathos et d’« animation passionnée » dans son jeu révèle à la fois l’excellence de son sentiment et celle de son art [20]. De même que Fanny Burney, qui aspirait à une carrière de dramaturge encore plus qu’à celle de romancière, « théâtralise » parfois certaines scènes de ses romans au moyen d’expressions et de gestes correspondant à des postures scéniques stéréotypées qui font « tableau », on peut lire les formules appliquées à la musique comme autant d’images figées, de tropes vides de réalisme descriptif, mais susceptibles de déclencher chez le lecteur des mécanismes de reconnaissances automatiques. Comme l’écrit Michael Scannell, le « langage de la sensibilité consistait en un ensemble de mots culte [21] ». La description des qualités musicales de Juliet s’inscrit dans cette stratégie rhétorique : il convient de montrer à la fois qu’elle est naturellement douce et sensible et qu’elle a acquis, à force de travail, toute les qualités techniques souhaitables. Son talent à la harpe révèle non seulement ses dons naturels mais aussi son éducation supérieure et il lui confère un statut et une distinction sociale qui permettent de comprendre qu’en dépit de l’ignorance dans laquelle le lecteur est longtemps maintenu quant à son identité, elle appartient à la meilleure société. La construction de son « identité » de musicienne se fait conjointement au gré de références à des images ou comparaisons stéréotypées inscrites dans l’imaginaire : Riley dit d’elle qu’elle est « la meilleure harpiste depuis le Roi David » (Frances Burney, ouvrage cité, II, III, xxv, p. 253), Sir Lyell affirme qu’elle joue « comme une vingtaine d’anges et que toutes les femmes sont jalouses d’elle » (id., III, V, xlvi, p. 444) et Sir Jaspar (qui malgré son âge est tombé amoureux d’elle) l’appelle « la plus envoûtante de sirènes » (id., IV, VII, lxviii, p. 631) … Si le paradigme de la harpe se transforme et s’approfondit avec Fanny Burney, il repose néanmoins encore sur des images figées dans l’imagination collective. Par ailleurs, Juliet s’oppose en tout point à son double inversé, Elinor, anti-héroïne athée et radicale, plus désireuse de « choquer que de séduire » (id., I, I, viii, p. 77), qui est éprise du même homme (Harleigh) que Juliet et se laisse aller à toutes sortes de débordements passionnels. L’association de Juliet avec la harpe, instrument aristocratique par excellence en France, la démarque explicitement des dangereuses dérives révolutionnaires auxquelles sa rivale se prête.
Admirée pour son talent d’interprète (comme elle l’est aussi pour ses dons d’actrice), Juliet se voit offrir la protection de Miss Arbe qui lui promet de la mettre en relation avec des familles respectables afin que Juliet puisse dispenser des cours de harpe. Miss Arbe prétend être la meilleure juge en matière d’art et de goût mais sa préoccupation principale est de se donner un rôle social et de feindre un raffinement qu’elle ne possède pas vraiment (id., II, III, xxiii, p. 223). Comme nous l’avons remarqué à propos de Jane West et Maria Edgeworth, on constate donc que Fanny Burney présente la harpe aussi sous l’angle d’une critique sociale : la harpe est cet appendice indispensable à toute jeune fille de bonne famille pour feindre une sensibilité de bon aloi et ainsi d’accroître ses chances de séduire un bon parti. De même, dans Mansfield Park (qui date de 1814, comme The Wanderer), Jane Austen utilise ironiquement, pour dépeindre Mary Crawford, le stéréotype de la harpiste « jolie et vive », qui séduit au moyen de son élégance lorsqu’elle joue près d’une fenêtre ouverte sur une pelouse se détachant sur un riche feuillage d’été … La harpe fut ainsi très tôt appréciée parce qu’elle était particulièrement apte à mettre en valeur le charme féminin [22] et Jane Austen – qui mentionne l’instrument également dans Emma et dans Persuasion – contribue à la mise en place critique et ironique de ce mythe. Dans les scènes qui décrivent les leçons de harpe dispensées par Juliet, Fanny Burney dresse une sorte de catalogue de tous les types de mauvaise élève imaginables et parvient ainsi à définir a contrario toutes les qualités réelles nécessaires pour devenir une bonne musicienne. L’une de ses élèves n’entend rien à la musique et ne se soucie que de son apparence et de l’effet visuel qu’elle peut produire en jouant l’instrument, croyant que « parce qu’il révèle la beauté et la grâce, on le choisit souvent pour exhiber celles qui n’ont ni l’une ni l’autre » comme si la harpe pouvait « procurer les charmes qu’elle ne peut que rendre visibles » (Frances Burney, ouvrage cité, II, III, xxiv, p. 229-230). Une autre élève, Miss Sycamore, s’avère douée mais se refuse à tout effort si bien que « rien n’étant travaillé, rien n’est jamais abouti » (id., II, III, xxiv, p. 237). En dépit de ses dons, elle n’arrive à rien par manque de vrai sentiment et d’application. Burney analyse lucidement la logique sociale et sexuelle qui sous-tend alors la mode de la harpe dans les classes aisées. Et si Juliet possède quant à elle la beauté, le charme et la force de séduction que la harpe met en évidence chez elle, cela ne veut pas dire inversement qu’il suffise de toucher une harpe pour acquérir ces qualités. La harpe sert donc ici de révélateur de la superficialité d’un monde qui méprend l’apparence pour l’essence, tandis que paradoxalement, c’est bien l’essence même de Juliet que ce même instrument énonce. L’apprentissage de la musique, qui exige non seulement une réelle grâce intérieure et une certaine « harmonie de tempérament » mais aussi du travail, de la patience, de la diligence, apparaît de la sorte à la fois comme un moyen de caractérisation au sein du roman et comme une forme de marquage moral. Fanny Burney se détache ainsi de façon critique de la conception partagée par les élites sociales qui ne voyaient dans l’apprentissage musical qu’un art d’agrément nécessaire pour toute jeune fille en quête d’un mari pour souligner que la maîtrise d’un tel savoir-faire ne saurait s’acquérir à défaut d’une véritable construction morale de l’individu.
Parce qu’elle n’est pas réellement musicienne professionnelle mais simple amateur (id., II, IV, xxix, p. 288), Juliet refuse de céder à la demande pressante de son entourage de se produire en public (id., I, I, ix, p. 81). Pour elle, la musique est une activité exclusivement privée, qui lui permet d’exprimer ses sentiments ou d’oublier un instant son chagrin mais qui ne saurait se pratiquer devant un public d’inconnus ou à des fins commerciales. Au 18e siècle, en effet, la ligne de partage social était extrêmement stricte entre musicien professionnel et amateur ou dilettante (à titre d’illustration, on peut mentionner le cas de la chanteuse Elizabeth Linley, contrainte d’abandonner sa carrière lors de son mariage à Richard Brinsley Sheridan, ou celui d’Ann Ford – troisième épouse de Philip Thicknesse –, virtuose à la viole de gambe, également en conflit avec sa famille qui lui interdit de se produire en public). Quand Juliet est finalement contrainte à participer à un concert par souscription à son propre bénéfice, elle consacre tout son temps à se préparer afin que son interprétation soit au dessus de toute critique : Fanny Burney montre la conscience aiguë qu’elle a de la réalité de la condition du musicien, qui ne peut se contenter d’être doué et inspiré mais doit aussi travailler avec acharnement (id., I, II, xv, p. 134). Contrairement à ses élèves, Juliet fait preuve d’assiduité et d’industrie, ce qui conforte l’idée selon laquelle l’image de perfection qu’elle donne en jouant de la harpe n’est pas une simple image abstraite mais le résultat effectif d’un effort et que cette perfection a donc une résonance morale. La répétition du concert en question se transforme pour Juliet en scène de cauchemar au cours de laquelle elle finit par céder à une véritable panique et joue et chante médiocrement (id., II, IV, xxxii, p. 310), ce que les gens présents ne remarquent même pas, non plus qu’ils ne l’applaudissent quand, à l’inverse, elle joue et chante bien. Le jeu social s’oppose à une juste perception et compréhension de la musique elle-même (id., II, IV, xxxii, p. 314-315). Tout comme les jeunes filles se soucient davantage de leur apparence à l’instrument que de la beauté de la musique qu’elles exécutent, le critère d’appréciation du concert n’est pas la qualité de la musique ou l’excellence des instrumentistes mais les préjugés liés à la position des interprètes dans la hiérarchie sociale. Très significativement, les dames organisatrices de la soirée veulent contraindre Juliet à porter, pour le concert, une robe rouge qui la distinguerait des autres musiciennes non-professionnelles et lui ferait symboliquement perdre son image d’innocence aux yeux du public (Margaret Anne Doody, ouvrage cité, p. 177-178) alors que sa simple robe blanche en satin « convient à son style de beauté hellénique et semble également correspondre au caractère de son esprit » dont ceux présents peuvent juger qu’il est « pur et noble » (Frances Burney, ouvrage cité, II, IV, xxxviii, p. 355). Ainsi, bien que donné à son bénéfice, le concert est organisé contre les intérêts réels de Juliet, par un comité de dames davantage soucieuses de leur propre image et de leur statut que de la réputation de leur protégée.
L’incapacité momentanée dans laquelle Juliet se trouve de jouer s’exprime par une réelle paralysie physique due à l’« agitation de son esprit » (id., II, IV, xxxviii, p. 355). En s’évanouissant lorsqu’elle voit Elinor déguisée en homme, un couteau à la main, prête à s’immoler en public, Juliet révèle physiquement son incapacité à assumer ce rôle de musicienne exposée aux regards des autres et évite ainsi le déshonneur d’avoir à se produire en public. La musique dépend en effet de l’état psychologique et des émotions de l’individu et s’exprime par le corps. Son exercice n’est pas représenté de façon abstraite et allégorique (comme dans la référence désincarnée qu’y faisaient un Mackenzie ou une Elizabeth Inchbald dans A Simple Story, 1791) mais comme une pratique effective qui nécessite un contrôle des nerfs et des émotions.
Si Juliet ne peut consentir à renoncer à son statut de musicienne non-professionnelle afin de ne pas déroger à sa classe d’origine, les musiciens professionnels ne sont néanmoins pas condamnés par Fanny Burney, assurément influencée à cet égard par son père musicien. Les épisodes des cours de harpe que dispense Juliet permettent de poser très explicitement la question sociale ambiguë du statut particulier du professeur de musique au 18e siècle. En effet, comme le rappelle Richard Leppert, le musicien professionnel qui passait le seuil du domicile d’élèves appartenant aux classes supérieures jouissait à la fois d’une aura particulière liée à son savoir-faire et à son image d’artiste et d’une image négative en raison de la suspicion latente de menace qu’il faisait peser sur la vertu desdites élèves (Richard Leppert, op. cit., p. 66). Perçu à la fois comme socialement inférieur (et souvent d’origine étrangère) et cependant comme investi, le temps de la leçon, d’une réelle autorité sur son élève, le professeur de musique apparaissait comme un personnage « amphibie » et inquiétant. Juliet/Ellis possède certains des attributs de ce professeur de musique archétypique : elle est en effet perçue comme socialement inférieure et « étrangère » puisqu’on ignore son origine et qu’elle est arrivée comme immigrée de France. Toutefois, elle est femme, et en cela elle ne menace pas directement la vertu de ses élèves. En revanche, cette menace se trouve déplacée puisqu’elle séduit malgré elle – et en grande partie grâce à son talent musical – aussi bien Harleigh que Lord Melbury, confirmant ainsi – et paradoxalement – le fait que la musique et le musicien sont potentiellement dangereux. Tous les épisodes consacrés aux leçons de harpe données par Juliet dénoncent la difficulté du statut social du professeur de musique qui est censé réprimander ses élèves mais ne cesse de se faire rappeler sa position de subordination par rapport à ceux-là mêmes qui lui assurent sa subsistance. Le musicien reste essentiellement à l’époque dans la situation d’un serviteur, ce « humble servant » que Juliet cherche pourtant à essayer de ne pas être (Frances Burney, ouvrage cité, II, III, xxiii, p. 227-228) et qu’elle sera finalement obligée de devenir au service de Mrs Ireton femme riche, arrogante et sans culture (id., III, VI, lii, p. 490). Le personnage naïf et sympathique de Mr Giles Arbe permet à Fanny Burney de formuler une critique en règle de la soumission dans laquelle les musiciens sont maintenus et du mépris dont ils sont l’objet de la part des élites sociales (id., II, IV, xxix, p. 299). C’est lui qui déclare que « personne n’est jamais né pour se faire piétiner » (id., III, VI, lvi, p. 522) et s’étonne que de si nobles personnes puissent être aussi ignobles (« How can great people be so little ? » ; id., III, VI, lvi, p. 525).
Aucun autre auteur de la période n’a une telle conscience de la question du statut social des musiciens ; assurément, Fanny Burney avait été sensibilisée à ce problème par ce qu’elle avait pu observer dans le milieu musical de son père, mais ce qui est remarquable est la critique « radicale » qu’elle en propose. Margaret Anne Doody souligne le paradoxe politique central chez Fanny Burney : la société elle-même n’est pas bonne et doit être réformée, mais elle ne peut l’être que par un individu moral. L’individu susceptible d’effectuer cette transformation doit donc se détacher de ladite société (Margaret Anne Doody, ouvrage cité, p. 96), ce qui est précisément ce que fait – presque malgré elle – Juliet. La musique et le statut qu’elle lui confère sont précisément la ligne de partage entre elle et la société. Fanny Burney dénonce les gens fortunés qui ne payent pas ce qu’ils doivent pour les leçons qu’on a dispensées à leurs filles (Frances Burney, ouvrage cité, II, IV, xxxi, p. 303 ; II, IV, xxxiii, p. 323). De même qu’elle s’était attachée dans Cecilia à relier la question musicale à celle de la charité en montrant qu’une personne sensible a des prédispositions à la sympathie pour autrui et donc à la générosité, elle utilise ici la musique pour dénoncer le luxe ostentatoire et l’iniquité des élites fortunées. La professionnalisation de la musique révèle ainsi un nœud de tensions et de dissonances sociales latentes dans la société anglaise de cette époque. Tout comme son père qui ne cessait d’aspirer à gravir, par l’écriture, les échelons de la respectabilité sociale afin d’échapper à son statut initial de musicien, Fanny Burney elle-même s’était trouvée, à la cour, à la fois dans une situation élevée et dans une humiliante position ancillaire, et son écriture traduit ces tensions. Métaphore de la sensibilité féminine, la musique révèle l’harmonie de la personne mais elle est aussi une construction sociale qui se transforme en champ d’affrontement et de contradictions idéologiques. Le paradoxe de Fanny Burney est qu’elle est à la fois conservatrice et anti-jacobine, et néanmoins révoltée par l’inégalité de la société qu’elle observe. Elle est à la fois aristocratique et démocrate, pour reprendre les termes utilisés par Margaret Anne Doody (Margaret Anne Doody, ouvrage cité, p. 102) si bien qu’elle n’offre donc pas de réponse politique précise. La harpe incarne ce paradoxe, car d’origine aristocratique et jouée par les demoiselles de la « bonne société » la plus hautaine et la plus superficielle, elle représente, avec Juliet, la voix même de la sensibilité et de l’intégrité morale. Mais aussi, celle-ci utilise son talent à la harpe, fruit de son éducation aristocratique, pour survivre par ses propres moyens de façon « commerciale » (id., p. 183). La harpe se définit donc par son ambiguïté même qui fait écho aux tensions latentes dans la société.
Ellis/Juliet est une femme « errante » (« wanderer ») à la recherche d’une identité qui lui est refusée par la société. Comme le souligne Julia Epstein, The Wanderer est un roman « claustrophobe » à propos d’une femme sans visage et sans identité, enfermée en elle-même comme si cette identité même était une prison, incapable qu’est Juliet elle-même de se nommer (Julia Epstein, ouvrage cité, p. 181). Ayant abandonné la France pour se faire reconnaître par sa vraie famille, elle doit se cacher, se déguiser et taire son vrai nom. Inversement, le seul moyen d’accès à une connaissance d’elle, et donc à cette identité niée, est ce qui mieux que tout la définit : sa musicalité et son talent à la harpe. C’est quand elle joue et chante qu’elle exprime qui elle est vraiment et ceux qui sont sensibles à ce qui est mis en œuvre dans sa musique – Harleigh, Sir Jaspar, Mr Giles Arbe – comprennent sa personnalité et devinent son appartenance originelle à la meilleure société. Pourtant – et ce n’est pas le moindre des paradoxes – ce que la harpe « dit » d’elle reste indéfini et informulé. Cette identité que son aptitude à la harpe exprime n’est pas verbalisée : elle émane du spectacle visuel et sonore qu’elle offre à ses auditeurs mais n’est pas « qualifiée ». Car – comme la musique elle-même à ce tournant du siècle, qui s’est émancipée des contraintes sémantiques pour toucher directement les émotions et parler au cœur sans le support d’un sens précis (Voir Pierre Dubois, ouvrage cité, passim) – sa personnalité profonde demeure ineffable et mystérieuse. La harpe, elle-même nimbée de mystère, est le vecteur privilégié de son identité insaisissable. Ce que révèle la harpe de Juliet, c’est que Juliet n’est pas réductible à une interprétation simpliste. Il est significatif qu’alors que l’on sait que Juliet joue une pièce de Haydn au piano-forte (Frances Burney, ouvrage cité, I, II, xiii, p. 115), on ne sait jamais quelle musique elle interprète à la harpe et que les paroles des airs qu’elle chante en s’accompagnant à la harpe ne sont jamais mentionnées (contrairement à l’ode composée par la Clarissa Harlow de Richardson, à l’air chanté par le Joseph Andrews de Fielding, ou à la chanson accompagnée à la harpe de la Géraldine de Jane West, etc.). Comme Juliet elle-même, la musique qu’elle joue est sans nom, mystérieuse, secrète, séduisante mais inaccessible. En de nombreuses circonstances au cours du roman, Juliet reste d’ailleurs silencieuse quand elle est confrontée à une situation particulièrement délicate : Juliet la femme errante est une figure insaisissable, comme la musique qu’elle tire de sa harpe.
Ainsi, la harpe, comme le piano-forte, mais de façon encore plus clairement sexualisée, accompagne dans l’imaginaire de l’époque cette idée que la musique ressortit au mystère et à l’indicible. Ce qui se joue dans le spectacle de Juliet jouant de la harpe, c’est la mise en scène visuelle à la fois de l’ineffable musical et de l’ineffable féminin – cet Ewig-Weibliche fascinant et indéfinissable que devait célébrer Goethe à la fin de son Faust à la même époque (1808-1833). La harpe est donc un révélateur de la beauté et du charme féminins, qu’elle semble refléter. Et si elle expose la beauté du corps féminin, elle n’en révèle pas le secret. Cette beauté visible qu’elle sublime est ineffable et sans nom, comme sont mystérieux les sons qui en émanent. Fanny Burney utilise ainsi la harpe pour signifier le charme de Juliet, là où Austen se sert du charme de séduction de la harpe avec ironie. Derrière une apparence similaire, le sens donné à l’instrument est en réalité quasiment inversé. Austen prend une distance critique par rapport au mythe de la harpe (et du pianoforte) et s’en sert pour se moquer des codes des élites et des classes moyennes. Là où Harleigh est justifié par Burney de succomber au charme de Juliet/Ellis la harpiste, la séduction de Mary Crawford est présentée par Jane Austen comme une illusion trompeuse. La harpe de Juliet dit la vérité, mais une vérité intraduisible en d’autres termes que ceux de la musique, tandis que celle de Mary Crawford n’est qu’apparence trompeuse. L’une incarne la finesse d’une éducation et l’excellence d’un goût et valide la musicienne, l’autre signifie au contraire que la maîtrise des arts d’agrément tant prisés par les classes supérieures ne correspond pas à des vertus morales.
Dans l’imaginaire de l’époque, la harpe serait donc avant tout un miroir de l’âme de celles qui en jouent. Paradoxalement, le même instrument peut n’être qu’un leurre quand il est joué par des femmes qui n’ont comme préoccupation que de se donner une apparence sans avoir suffisamment travaillé ni acquis les vertus morales nécessaires à une bonne compréhension de la musique. Tout comme on a pu écrire que la baleine Moby Dick, dans le roman éponyme de Melville, n’est pas le symbole de Dieu mais qu’elle en est l’analogie, puisque l’ouvrage contient à la fois Dieu et la baleine blanche, nous pourrions dire que la harpe n’est pas symbole mais analogie de la femme et de la féminité dans l’imaginaire exprimé par le roman anglais du 18e siècle, puisque la harpe cohabite avec la femme harpiste dans la représentation littéraire. Elle ne se substitue pas au corps de la femme qu’elle évoque, mais contribue à mettre celui-ci en scène et à le thématiser. Elle sert à la fois à exhiber la grâce du geste féminin et à contraindre le corps, à le limiter dans un espace circonscrit et défini culturellement et socialement, comme pour éviter les débordements de sensualité que, pourtant et paradoxalement, la musique jouée sait suggérer. Le topos littéraire de la harpe tel qu’il est thématisé par Fanny Burney dans The Wanderer résume ainsi le conflit qui traverse en permanence l’appréhension qu’on a alors de la femme – à la fois être pur et éthéré à l’âme sensible et menace de séduction condamnable ; à la fois idéal de vertu désincarnée et tentatrice de chair – et qui tout au long du 18e siècle traverse aussi la musique elle-même, à la fois cultivée pour son aptitude à évoquer les plus hauts sentiments et redoutée pour sa force de séduction jugée immorale. L’ineffable féminin se reflète dans le charme trouble et insaisissable de l’instrument.

Notes

  • [1]
    Je remercie Claire Berget et Isabelle Bour pour leur relecture de cet article et leurs suggestions pertinentes.
  • [2]
    Richard Leppert, The Sight of Sound : Music, Representation and the History of the Body, Berkeley, Los Angeles, London, University of California P., 1992, p. xx, passim.
  • [3]
    Roselyn Rensch, The Harp, Its History, Technique and Repertoire, London, Gerald Duckworth & Co. Ltd., 1969, p. 48-65.
  • [4]
    Pierre Degott, « Saul de Haendel : une célébration inconditionnelle de la musique », livret du CD Saul, Arles, Harmonia Mundi, 2004, 8-13, p. 12.
  • [5]
    John Marson, The Book of the Harp, Stowmarket, Kevin Mayhew, 2005, p. 145.
  • [6]
    Id., p. 3-4. Hans Joachim Zingel, HarpMusic in the Nineteenth Century, trans. Mark Palkovic, Bloomington & Indianapolis, Indiana U. P., 1976/1992, p. 21.
  • [7]
    Sainte-Beuve, Les Causeries du Lundi, Paris, Garnier Frères, 1850, III, p. 19-38.
  • [8]
    Pierre Erard, The Harp in its present improved State Compared with the Original Pedal Harp, London, 1821, passim ; Roselyn Rensch, op. cit., p. 102.
  • [9]
    William Thomas Parke, Musical Memoirs, London, 1830, 2 vol., II, p. 183 ; toutes les traductions et adaptations à partir de l’anglais sont de l’auteur.
  • [10]
    William Hogarth, The Analysis of Beauty, London, 1753, Ronald Paulson (ed.), New Haven & London, Yale University Press, 1997, p. 42.
  • [11]
    Laurence Sterne, The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman, London, 1759-67, ed. Howard Anderson, New York & London, Norton, 1980V, xv, p. 365 ; voir Pierre Dubois, La conquête du mystère musical en Grande-Bretagne au siècle des Lumières, Lyon, PUL/ELLUG, 2009 p. 232-233.
  • [12]
    Maria Edgeworth, Helen, 1834 ; re-ed. London, Sort of Books, 2010, III, xlv, p. 488.
  • [13]
    Edmund Burke, A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas of the Sublime and Beautiful, London, 1757, passim.
  • [14]
    Jane West, A Gossip’s Story, London, 1796, I, Dédicace, s. p.
  • [15]
    Marilyn Butler, Jane Austen and the War of Ideas, Oxford, Clarendon Press, 1975, p. 98.
  • [16]
    Jane West, A Tale of the Times, London, 1799, 3e ed. 1803, I, vii, p. 106-107.
  • [17]
    Maria Edgeworth, Belinda, 1802, re-ed. Oxford, Oxford U. P., 1994/2008, p. 3.
  • [18]
    Margaret Anne Doody (ed.), « Introduction », The Wanderer, Frances Burney, Oxford, Oxford UP 1991/2001, vii-xxxvii p. xxxiii.
  • [19]
    Julia Epstein, The Iron Pen. Frances Burney and the Politics of Women’s Writing, Bristol, Bristol Classical Press, p. 178.
  • [20]
    Frances Burney, The Wanderer ; or, Female Difficulties, 1814, Margaret Anne Doody, Robert L. Mack et Peter Sabor (ed.), Oxford, Oxford UP, 1991/2001, I, I, viii, p. 73.
  • [21]
    Michael Scannell, « The Treatment of Emotion in Jane Austen and Charlotte Bronte », Ph. D. Phil, Oxford, 1974, p. 46-47.
  • [22]
    Patrick Piggott, The Innocent Diversion : a Study of Music in the Life and Writings of Jane Austen, London, The Clover Hill Editions, 1979, p. 39.
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