Notes
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[1]
René-Aubert de Vertot, Histoire des révolutions arrivées dans le gouvernement de la république romaine, La Haye, 1719.
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[2]
Charles Rollin, Histoire Romaine depuis la fondation de Rome jusqu'à la bataille d'Actium, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la République, dans @@ OEuvrescomplètes, t. 13-24, Paris, 1821-1825.
-
[3]
RR. PP. François Catrou & Julien Rouillé, Histoire Romaine, Paris, 1725, 10 vols.
-
[4]
Jean Ehrard, « Rome enfin que je hais » dans Storia e Ragione, Atti del Convegno Internazionale Organizzato dall'istituto universitario orientale e dalla Società italiana di studi sul secolo XVIII, éd. par Albert Postigliela, Naples, 1987, p. 23-32.
-
[5]
Georges Benrekassa, Montesquieu, la liberté et l'histoire, Paris, 1987.
-
[6]
Patrick Andivet et Catherine Volpilhac-Auger, « Introductions et commentaires », Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence dans Société Montesquieu, @@ OEuvrescomplètes de Montesquieu, t. 2, Oxford, Voltaire Foundation, 2000.
-
[7]
Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence dans @@ OEuvrescomplètes, éd. par Roger Caillois, Paris 1949-51, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, t. 2., p. 129.
-
[8]
Romains, ouvr. cité, p. 71. La distinction que propose Montesquieu entre « la cause » et « l'occasion » d'un événement apparaît déjà dans l'ouvrage de l'historien napolitain Paolo Mattia Doria, la Vita civile, Francfort, 1709, dont Montesquieu avait pris connaissance lors de son voyage en Italie.
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[9]
C'est d'ailleurs cet aspect de l'essai de Montesquieu qui frappa Maupertuis, homme de lettres, mathématicien, président de l'Académie des Sciences de Berlin sous Frédéric II de Prusse. Dans son « Éloge de Mr de Montesquieu », Maupertuis inscrit les Romains dans la lignée ouverte par les Lettres Persanes et de son intérêt pour la problématique des passions humaines : « Après avoir considéré les effets des passions dans l'homme pour ainsi dire isolé, M. de Montesquieu les considéra dans ces grandes collections d'hommes que forment les nations, et choisit pour cela la nation la plus fameuse de l'Univers, les Romains. S'il est difficile de découvrir les effets des passions dans un seul homme, combien l'est-il encore davantage de déterminer ce qui résulte du concours & de l'opposition des passions de tout un peuple. », Maupertuis, @ OEuvres, t. 3, Lyon, 1768, p. 399, souligné par nous.
-
[10]
Montesquieu, « Project de préface », Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence dans Société Montesquieu @@ OEuvrescomplètes de Montesquieu, t. 2, Oxford, Voltaire Foundation, 2000.
-
[11]
« On aura d'abort de la repugnance a lire un ouvrage sur un sujet qui a esté traité par mille autheurs mais si j'ay dit des choses nouvelles l'ouvrage deviendra par cela meme plus interessant. », « Project de préface », ouvr. cité, p. 316.
-
[12]
Thèse de l'unicité de Rome que Montesquieu réitère à plusieurs reprises : « L'empire romain a été un miracle de l'univers, dans lequel il a fallu que tant de circonstances aient concouru, que pareille chose n'arrivera peut-être jamais. », Montesquieu, Le Spicilège dans @@ OEuvrescomplètes, éd. André Masson, t. II, Paris, 1950-1955, p. 799. Ou encore : « Il y a peu de faits dans le monde qui ne dépendent de tant de circonstances qu'il faudrait l'éternité du monde pour qu'elles arrivassent une seconde fois. », Montesquieu, Pensées, dans @@ OEuvrescomplètes, éd. André Masson, t. II, Paris 1950-1955, pensée no10, p. 2.
-
[13]
« On a cherché dans cet ouvrage à rendre raison de cette fameuse usurpation du monde que les Romains firent par un travail de sept cents années par une force et par une politique qui se sont toujours prêtées à ce dessein. », « Project de préface », ouvr. cité, p. 316.
-
[14]
« Les ouvrages qui ont donné, et qui donnent encore aujourd'hui la plus haute idée de sa puissance, ont été faits sous les rois. On commençait déjà à bâtir la ville éternelle. » Romains, ouvr. cité, p. 69. Notons que cette première phrase ne se trouvait pas dans l'édition de 1734 : voir l'édition des Romains de 1734 dans les @@ OEuvrescomplètes de la Société Montesquieu, ouvr. cité, p. 89, ainsi que les commentaires de Catherine Volpilhac-Auger sur la différence entre la première édition et celle de 1748, « Introduction », I, ouvr. cité, p. 15.
-
[15]
« Project de préface », ouvr. cité, p. 315. Montesquieu note aussi : « C'était par un travail immense que les Romains se conservaient. », Romains, ouvr. cité, p. 76.
-
[16]
Voltaire, Essai sur les Mœurs, 1756. Ici : Paris, GF, 1990, t. 1, p. 303.
-
[17]
« Lorsque le gouvernement a une forme depuis longtemps établie, et que les choses se sont mises dans une certaine situation, il est presque toujours de la prudence de les y laisser, parce que les raisons, souvent compliquées et inconnues, qui font qu'un pareil état a subsisté, font qu'il se maintiendra encore ; mais, quand on change le système total, on ne peut remédier qu'aux inconvénients qui se présentent dans la théorie, et on en laisse d'autres que la pratique seule peut faire découvrir. », Romains, ouvr. cité, p.168, souligné par nous.
-
[18]
La syntaxe même du titre, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, redouble cette impression d'un cadre explicatif liant grandeur et décadence comme les facettes inséparables d'une même histoire. « Voici en un mot l'histoire des Romains. Ils vainquirent tous les peuples par leurs maximes : mais lorsqu'ils y furent parvenus, leur république ne pût subsister, il fallut changer de gouvernement et des maximes contraires aux premières, employées dans ce gouvernement nouveau, firent tomber leur grandeur. », Romains, ouvr. cité, p. 173.
-
[19]
À propos des motifs héroïques expliquant les nombreux suicides chez les Romains, Montesquieu introduit la distinction entre « voir » et « sentir » : « L'âme, tout occupée de l'action qu'elle va faire, du motif qui la détermine, du péril qu'elle va éviter, ne voit pas proprement la mort, parce que la passion fait sentir, et jamais voir. », Romains, ouvr. cité, p. 136, souligné par nous.
-
[20]
Dans son « Project de préface », Montesquieu insiste sur le « travail » au fondement de la réussite romaine : « On a cherché dans cet ouvrage à rendre raison de cette fameuse usurpation du monde que les Romains firent par un travail de sept cents années par une force et par une politique qui se sont toujours prêtées à ce dessein. », « Project de préface », ouvr.cité, p. 315.
-
[21]
Voltaire, Le Siècle des Louis XIV, 1751. Ici : @@ OEuvresHistoriques, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1957, p. 616.
-
[22]
René Descartes, Les Passions de l'âme, Amsterdam, 1649.
-
[23]
« ... les vices & les vertus humaines sont ordinairement l'effet des passions ... », Pensées, ouvr.cité, pensée no2035, p. 630.
-
[24]
Montesquieu, De l'Esprit des Lois, dans @@ OEuvrescomplètes, t. 2, éd. Roger Caillois, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1949-1951, livre 5, ch. 2, p. 274.
-
[25]
Voir l'article sur les « Passions » du Dictionnaire européen des Lumières, éd. par Michel Delon, Paris, Puf, 1997.
-
[26]
Bernard de Mandeville, The Fable of the Bees, or Private Vices, Publick Benefits, London 1714-29.
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[27]
Albert O. Hirschman, The Passions and the Interests. Political Arguments for Capitalism before its Triumph, Princeton, 1977.
-
[28]
De l'Esprit des lois, ouvr.cité, livre 21, ch. 20, p. 641.
-
[29]
Montesquieu peindrait l'homme comme un être sujet aux passions, et ces passions comme nécessairement néfastes aux sociétés tant qu'elles n'ont pas subi une forme de transmutation pacificatrice. Un tel portrait de l'homme comme créature passionnelle, mais toutefois répressible, repose sur une interprétation très unidimensionnelle de l'anthropologie de Montesquieu. Sur le « pluralisme des paradigmes anthropologiques » dans L'Esprit des lois, voir Céline Spector, Revue Montesquieu, no2, Grenoble, 1998, p. 139-161.
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[30]
Thèse développée dans Vanessa de Senarclens, Montesquieu, historien de Rome. Un tournant pour la réflexion sur le statut de l'histoire au XVIIIe siècle, Genève, Droz, 2003.
1La notion de « passions » placée au centre de cet article évoque un certain classicisme esthétique et moral à première vue peu adapté à la modernité de la pensée de Montesquieu. S'agissant en particulier de l'historiographie courante au 18e siècle, la notion de passion porte l'attention sur les fameux acteurs de l'histoire. Elle rappelle notamment les ouvrages de l'abbé de Vertot [1], de Charles Rollin [2] ou des pères Catrou et Rouillé [3], ses prédécesseurs les plus immédiats sur les voies de l'histoire romaine. Au sein de cette historiographie traditionnelle, le portrait des « grands capitaines » s'enchaîne au récit de leurs prouesses et leurs déconvenues ... Or, s'il fallait brièvement qualifier l'essai de Montesquieu, paru en 1734 et intitulé les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, il faudrait, après Jean Ehrard [4], Georges Benrekassa [5] et Catherine Volpilhac-Auger [6] insister sur son caractère novateur. L'auteur quitte le registre épique et moralisateur qui mettait l'accent sur les acteurs historiques pour s'intéresser aux institutions politiques et sociales de la Rome antique. Certes, Montesquieu évoque le « fol amour » de César pour Cléopâtre, la vanité d'Auguste, la lâcheté et le vil caractère de Tibère et relève ça et là le potentiel de violence des êtres en proie à une passion. Mais leurs tares individuelles — la jalousie, l'orgueil, l'ambition, la soif de vengeance — demeurent à la périphérie de l'histoire qu'il narre, sans incidence tangible sur son cours. Même César, ce personnage emblématique de l'historiographie classique, est dépeint par Montesquieu comme un acteur interchangeable et finalement peu signifiant de l'histoire romaine. De manière un peu provocante, il minimise son rôle et défend la thèse suivante : « Si César et Pompée avaient pensé comme Caton, d'autres auraient pensé comme firent César et Pompée ; et la république, destinée à périr, auroit été entraînée au précipice par une autre main » [7]. Si Jules César n'avait pas renversé la République, d'autres s'en seraient chargés et cette institution politique serait tombée à une autre « occasion » [8]. Ce qui importe à Montesquieu, ce ne sont pas les motifs individuels conduisant César à s'emparer du pouvoir, mais plutôt la faiblesse du cadre institutionnel républicain lui permettant d'agir de la sorte. Pourtant, et c'est la thèse que je veux défendre ici, le thème des passions qui semble en quelque sorte congédié au niveau de l'analyse des motifs individuels et de leurs poids sur le cours de l'histoire, fait retour sous la plume de Montesquieu lorsqu'il s'agit de définir l'identité romaine. Les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence soulignent la puissance d'une représentation collective que l'on pourrait associer à une passion romaine. S'il renonce à une interprétation de psychologie individuelle, impliquant une étude des intentions propres aux grands personnages de l'histoire romaine, l'auteur met en avant les mentalités et les variations qu'elles subissent au travers des changements de régime institutionnel comme un aspect déterminant pour comprendre la grandeur et la décadence de Rome [9].
2Avant de réfléchir sur cette passion romaine, il convient d'énumérer d'abord quelques éléments plus généraux permettant de mieux situer les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, une œuvre qui paraît en 1734 entre les Lettres persanes et L'Esprit des lois. En abordant le sujet, Montesquieu s'engage sur des voies interprétatives encombrées. Dans son « Project de préface » [10], retrouvé parmi les papiers inédits de la bibliothèque de la Brède et édité en annexe à la nouvelle édition des @@ OEuvrescomplètes de la Voltaire Foundation, il se justifie du choix d'un sujet aussi rebattu en affirmant avoir voulu écrire des « choses nouvelles » [11]. En quoi consistent-t-elles ? Lorsque paraît l'essai, il surprend d'abord les lecteurs par sa taille. Après les rayons de bibliothèques que consacraient ses prédécesseurs au topo romain, l'essai de Montesquieu ressemble davantage à un court bilan critique et interprétatif. Sa démarche surprend tout autant. Dans cet ouvrage, écrit dans un style dépouillé de toute emphase, l'auteur cherche à saisir la spécificité de l'histoire romaine. Au lieu d'insister sur le caractère exemplaire de l'histoire romaine et d'y puiser des leçons de politique ou de morale toujours valables pour les sociétés modernes, Montesquieu a pour objet l'équilibre politique et social de la puissance romaine et son évolution au travers des siècles [12]. Dans sa préface, il insiste sur le fait que l'histoire romaine est unique ; elle « n'a point d'exemple dans les histoires » et « ... selon toutes les apparances n'en aura jamais. » (« Project de préface », p. 315.) Ce qui, en l'occurrence, n'a « point d'exemple » pour lui, ce ne sont pas les vertueux patriotes républicains tant loués par ces prédécesseurs. Il s'agit, moins encore, de l'Empire et son prodigieux territoire. Mais davantage, ce que Montesquieu désigne successivement comme le « projet », la « politique constante », le « dessein » et la « conduite » du peuple romain. [13] Ainsi, la « ville éternelle », source intarissable de leçons de politique et de morale pour les historiens et les moralistes, est envisagée par Montesquieu comme une construction de l'histoire : ce qu'il désigne à la première page de son essai comme un « ouvrage » [14] ou, encore, dans son « Project de préface » comme « un travail de sept cens années » [15]. Voltaire reste perplexe et accablé par le fait qu'une civilisation aussi accomplie que Rome ait pu être détruite par de simples hordes barbares [16]. L'étonnement de Montesquieu, quant à lui, porte moins sur le déclin de cette civilisation que sur ce qu'il nomme le « prodige » de sa durée (Romains, p. 89). Ce qui retient surtout son attention, ce sont les idéaux sociaux et moraux qui permirent si longtemps à Rome, de perdurer.
3Les vingt-trois chapitres que comprennent les Considérations sur les causes de la Grandeur de Rome et de sa décadence recouvrent plus de dix siècles d'histoire et s'organisent autour des thèmes annoncés par le titre : la grandeur et la décadence de Rome. Les huit premiers chapitres isolent les aspects fondamentaux expliquant le succès de Rome, à savoir : son art militaire, sa conduite politique, ainsi que la structure de ses institutions ; les quinze derniers se vouent à l'analyse des changements territoriaux, institutionnels et moraux qui conduisirent au morcellement de l'Empire et, finalement, à sa chute. Dans son essai Montesquieu appréhende l'histoire romaine comme un ensemble cohérent ou, pour reprendre son expression, comme un « système total » [17]. Cette formule est révélatrice de son approche : de la République conquérante à l'Empire conservateur une logique, historique expliquant successivement grandeur et décadence [18].
4Dès la première page de l'essai, Montesquieu porte l'attention sur le peuple de Rome, qui apparaît comme la persona dramatis centrale, unie dans le « bonheur » comme dans le « malheur ». Le puissant lien romain est présenté sous des aspects bien concrets — l'auteur mentionne la « grande joie » (Romains, p. 70) suscitée par les rituels de distribution équitable des « blés et des troupeaux » après les batailles — mais aussi dans des termes abstraits désignant une identité communautaire. Le peuple romain se qualifie par ce que l'auteur nomme tantôt un « esprit », un « génie » ou, encore, un « caractère » spécifique. Il est « fier, hardi, entreprenant », épris de liberté, avide de nouvelles conquêtes et peu porté à la modération (p. 71). En effet, Montesquieu insiste sur le « désir immodéré de liberté » des Romains et leur « haine des Rois » (p. 111). Bref, il met en évidence un tempérament romain libertaire et querelleur. Dans sa quête des événements constitutifs de l'identité romaine, le refus d'un joug tyrannique manifesté lors de l'expulsion des premiers rois de Rome, six siècles avant Jésus-Christ, arrête son attention. Il y consacre le premier chapitre de son essai qui restitue les événements de la manière suivante. En s'arrogeant la couronne et en instaurant une monarchie héréditaire, Tarquin porte atteinte aux lois de la Cité. Le viol de Lucrèce perpétré par son fils Sextus pousse encore plus loin l'outrage. Un tel crime provoque la révolte du peuple et fait surgir ce fameux « esprit romain » dans toute sa force rebelle. Montesquieu note : « Un peuple peut aisément souffrir qu'on exige de lui de nouveaux tributs ; il ne sait pas s'il retirera point quelque utilité de l'emploi qu'on fera de l'argent qu'on lui demande : mais quand on lui fait un affront, il ne sent que son malheur, et il y ajoute l'idée de tous les maux qui sont possibles » (Romains, p. 71). La rébellion du peuple romain contre ses monarques est donc décrite comme une réponse émotionnelle. Elle témoigne d'un honneur populaire bafoué où se profile une identité collective. Dans le tourbillon des événements, il ne réfléchit pas en termes d'intérêt, ne soupèse pas ses actes à la lumière des conséquences que ceux-ci pourraient entraîner, mais réagit à des symboles puissants. Le comportement des Romains évoque celui de l'homme passionné, tel que Montesquieu en dresse le portrait. Ce dernier est incapable de prévoir ou de calculer ; il ne peut que « ressentir » et « agir » [19]. Notons, à cet égard que la notion de passion est moins liée au « pathos », c'est-à-dire à une souffrance endurée, qu'à un mouvement ou, pour reprendre un terme familier à l'œuvre de Montesquieu, qu'à un « ressort ». En l'occurrence, le peuple romain des débuts est décrit comme une entité soudée par une blessure collective, mais aussi, par une réaction commune de souveraineté populaire.
5Si l'origine de la grandeur de Rome est à mettre en rapport avec cet élan libertaire des premiers Romains, Montesquieu attribue la durée et la relative stabilité politique de la République à l'état de guerre continuelle dans laquelle elle s'installe : « Rome, était dans une guerre éternelle et toujours violente » (p. 73). Ces guerres incessantes avaient pour objectif le butin constitué des simples récoltes et dépouilles de chasse dérobées à l'ennemi. Ainsi, en dépit des triomphes successifs que remportent les Romains durant les premiers siècles de la République, leurs frontières demeurent inchangées, fait auquel l'auteur attribue un effet positif sur les mentalités. Le peuple romain est décrit comme égalitaire et belliqueux, constitué de citoyens fidèles aux humbles origines de sa patrie et dévoués à son honneur. C'est une communauté où prévaut « la discipline, l'austérité des mœurs et l'observation constante de certaines coutumes » (p. 114). En somme, cet état de guerre continuel sur lequel l'historien s'arrête est interprété en fonction de paramètres identitaires. A suivre Montesquieu : les Romains n'engageaient pas une guerre pour obtenir un territoire, mais pour manifester leur excellence militaire ou, plus exactement, leur « art » comme il le définit au second chapitre de son essai intitulé : « De l'art de la guerre chez les Romains » (Romains, p. 75). Reprenant une citation de Flavius Josèphe, Montesquieu avance : « la guerre était pour eux une méditation ; la paix, un exercice. » (p. 80) Ainsi, la véritable nature de Rome était guerrière et, à cet égard, ses institutions républicaines ne lui servaient que d'instrument. L'auteur insiste sur le fait que Rome n'avait pas, à l'instar de Sparte, pour objet la paix civile et la stabilité des institutions républicaines, mais la guerre comme rituel communautaire. Le succès de Rome s'explique donc par la concordance entre un « esprit » belliqueux et des institutions égalitaires adaptées à un état de guerre constant. A cet égard il fait remarquer : « Il n'y a rien de si puissant qu'une république où l'on observe les lois non par crainte, non par raison, mais par passion ... » (p. 85). De ce point de vue, l'absence de commerce qui caractérise selon Montesquieu le fonctionnement romain, a valeur métaphorique (p. 112, 163 et 185) : celle d'une mentalité peu encline à la négociation. Contrairement aux Carthaginois, qui « calculent sans cesse la recette et la dépense », les Romains sont dépeints comme des êtres incapables de toute forme de compromis (p. 85). La Rome républicaine pouvait donc se targuer d'une identité patriotique à nulle autre pareille. Ses agissements stratégiques n'émanaient pas d'un froid calcul, mais révélaient une passion partagée. La guerre n'était pas considérée comme le moyen d'obtenir des luxes supplémentaires, mais comme fin en soi. Elle incarnait le mode d'existence romain. À cet égard, Montesquieu conçoit le « travail » épuisant, et souvent fatal, impliqué par la politique belliqueuse des Romains comme, paradoxalement, un facteur essentiel de la continuité romaine : «...c'était par un travail immense que les Romains se conservaient » (p. 76), commente-t-il dans son « Project de Préface » [20].
6Contrairement à Voltaire qui loue le prestigieux siècle d'Auguste comme un des « seuls âges heureux » de la postérité, une des seules périodes de l'histoire humaine méritant d'être remémorée [21], Montesquieu identifie le tournant vers la chute de Rome à la fin de la République vers 91 avant Jésus-Christ, au moment où les institutions républicaines perdent de leur légitimité. Alors que la force de Rome tenait à une passion commune, entretenue par des guerres constantes, son dysfonctionnement est, à l'inverse, lié à une perte symbolique, lorsque « l'État sembla avoir perdu l'âme qui le faisait mouvoir. » (p. 74) Parmi les nombreuses explications historiques au déclin de Rome proposées dans les Romains, les « deux causes » mises en évidence au sein du chapitre IX évoquent l'étiolement progressif d'une passion commune. Si la grandeur de Rome résulte d'une identité commune aux habitants de la cité, son déclin, en revanche, est à mettre au compte d'un processus de « privatisation » des passions humaines et des forces divergentes que celles-ci constituent pour la société romaine. Parmi les explications à ce phénomène, l'auteur mentionne d'abord la simple taille du territoire lorsque les Romains ne s'en tinrent plus à des guerres de butins, mais cherchèrent à augmenter leur territoire. Dès que les légions dépassèrent les Alpes, en l'an 100 avant J.-C., les généraux romains prirent des libertés face à la capitale. Loin du contrôle républicain, ils entendirent faire régner l'ordre à leur avantage personnel. Les soldats, plutôt que de se battre pour une entité sublimée, la République romaine, devinrent les pions de généraux avides de pouvoir et affairés à s'enrichir. Ils ne furent plus les soldats de la République, mais ceux de Sylla, de Marius, de Pompée ou de César (Romains, p. 117). Par ailleurs, les richesses amassées durant les pillages, en augmentant considérablement de volume, altérèrent les rapports d'égalité et l'esprit de frugalité romains. Sous le poids d'immenses conquêtes à gérer, les intérêts romains se morcelèrent. Enfin, certains usages qui avaient contribué à la grandeur de Rome, telle la coutume d'accorder aux peuples vaincus le droit de cité, tel l'esprit de tolérance qui permettait à chaque ethnie d'honorer ses Dieux et de vivre selon ses traditions, cessèrent de jouer à l'avantage de Rome et finirent par porter atteinte à l'intégrité de la cité : « Pour lors, Rome ne fut plus cette ville dont le peuple n'avait eu qu'un même esprit, un même amour pour la liberté, une même haine pour la tyrannie ... » (p. 118). Évoquant les années de dissolution, Montesquieu constate encore : « La ville déchirée ne forma plus un tout ensemble : et, comme on n'en était citoyen que par une espèce de fiction ; qu'on n'avait plus les mêmes magistrats, les mêmes murailles, les mêmes dieux, les mêmes temples, les mêmes sépultures, on ne vit plus Rome des mêmes yeux, on n'eut plus le même amour pour la patrie, et les sentiments romains ne furent plus » (idem, souligné par nous). L'auteur décrit le déclin de Rome comme l'effet d'une lente et progressive désintégration de l'unité patriotique. Son analyse ne renvoie pas à des événements inopinés survenant pendant la guerre des Gaules, mais désigne un long processus de décomposition identitaire. Cherchant ce qui vint à bout du « prodige de constance » romain, Montesquieu souligne le poids d'une commune identification d'un peuple à sa nation. Il suggère même que dans une bataille, mieux vaut « une perte réelle » — même si celle-ci se chiffre à de nombreux morts — qu'une « perte imaginaire » portant atteinte à l'image qu'un peuple se fait de lui-même, car « ce n'est pas ordinairement la perte réelle que l'on fait dans une bataille (c'est-à-dire celle de quelques milliers d'hommes), qui est funeste à un État ; mais la perte imaginaire et le découragement, qui le privent des forces mêmes que la fortune lui avait laissées » (Romains, p. 90). Ce lien imaginaire romain, qui était fondé sur une certaine frugalité de mœurs, sur un courage guerrier et une égalité de fortune, constituait l'atout central de la puissance romaine. En revanche, aux confins de la décadence il ne reste plus à Rome qu'une « espèce de fiction », détachée des « sentiments » de sa population. En somme, l'essai de Montesquieu souligne combien le dysfonctionnement de Rome est lié à une « perte imaginaire » impliquant des causes abstraites. Une formule pour décrire la décadence romaine est, à cet égard, révélatrice. L'auteur écrit : « Les lois de Rome devinrent impuissantes pour gouverner la République » (p. 119). C'est là la description d'un nouvel état de fait. Elle diffère considérablement de phrase du type : « César fait ceci, ce qui a cela pour conséquence... ». L'auteur met en jeu un type d'explication plus complexe qui porte l'accent sur des phénomènes où un lien causal tangible fait défaut. Refusant un schéma explicatif linéaire, qui enchaîne dans un rapport non équivoque les causes et les effets, Montesquieu décrit « un état de choses » fort confus. La décadence de Rome ne tient à aucune mono-causalité : « Il ne s'est rien passé », mais le lien puissant qui soudait la ville s'est progressivement rompu. Ainsi, dans l'interprétation de Montesquieu, la décadence romaine ne tient pas aux « erreurs » des empereurs, aux « défauts » de tactiques des généraux et, moins encore, aux menaces extérieures constituées par les hordes de « Goths, Ostrogoths et Wisigoths », mais à une passion collective perdant progressivement de sa vigueur.
7Une telle fresque retraçant l'évolution de la passion romaine dans le temps laisse songeur ... Comment faut-il comprendre ce lien établi entre passion et histoire sous la plume d'un philosophe du siècle des Lumières ? J'évoquais au début de cet article la connotation moralisatrice du terme de « passion » et les attentes qu'il suscite. Or, ni dans son analyse de l'histoire romaine, ni dans son œuvre en général, Montesquieu n'envisage les passions comme un moraliste le ferait. Certes, son historiographie n'est pas dénuée de jugement de valeur et de marques de subjectivités. Il admire l'organisation sociale et politique de la Rome républicaine et ne cache pas sa déception à voir sa fidélité à ses institutions républicaines s'étioler. Mais pour lui, la vertu républicaine est moins une valeur morale atemporelle, qu'une « passion » mise au service du bien commun. Pour Montesquieu, les hommes ont des passions, et celles-ci sont le moteur de leur comportement, pourtant loin de lui le souci d'évaluer celles-ci en fonction de critères moraux [22]. Dans ses écrits si divers, des Lettres persanes à De l'Esprit des Lois, les passions semblent constitutives de l'homme, de tous les hommes, fussent-ils « monstres » avides ou héros plein d'abnégation. Elles peuvent vouer au « vice » — à la jalousie d'Usbek, à la tyrannie de Tibère, à la folie meurtrière de Néron — mais également à des « vertus » sociales et politiques comme les premiers Romains en donnent l'exemple [23]. Dans L'Esprit des lois, l'auteur soutiendra que les moines qui se soumettent à une règle monacale stricte sont des êtres tout aussi passionnels, que les tyrans en proie à des désirs impérieux. A l'apparente énigme anthropologique suggérée par la question : « Pourquoi les moines aiment-ils tant leur ordre ? », la réponse de l'auteur de L'Esprit des lois exclut toute idéalisation des motifs humains, fussent-ils religieux. Si ces moines « aiment » leur ordre, ce n'est pas parce qu'ils appartiennent à une humanité meilleure, libérée en quelque sorte de son lot d'émotions chaotiques que pour la puissance répressive que cette institution exerce sur leurs passions : « Pourquoi les moines aiment-ils tant leur ordre? C'est justement par l'endroit qui fait qu'il leur est insupportable. Leur règle les prive de toutes les choses sur lesquelles les passions ordinaires s'appuient : reste donc cette passion pour la règle même qui les afflige. Plus elle est austère, c'est-à-dire, plus elle retranche de leurs penchants, plus elle donne de force à ceux qu'elle leur laisse » [24].
8Si ce tableau des passions romaines proposé par Montesquieu n'est donc pas à mettre sur le compte d'un projet moralisateur, il éclaire un aspect souvent négligé de sa démarche qui l'éloigne de ce que l'on pourrait nommer le projet normatif de la philosophie des Lumières. En effet, les penseurs des Lumières envisagent les passions comme des forces que l'on ne saurait réprimer, mais que l'on peut, en revanche, diriger à l'image des « vents » [25]. Poursuivant l'analyse de Bernard de Mandeville, selon lequel les « vices privés », tels l'amour du luxe et la cupidité, ont des « vertus publiques » puisqu'elles créent des richesses et des industries, ils mettent l'accent sur les conséquences sociales et économiques bénéfiques des passions individuelles [26]. Dans son ouvrage intitulé The Passions and the Interests, Albert O. Hirschman trouve dans l'œuvre de Montesquieu le paradigme même de cet utilitarisme des Lumières structurant la modernité politique [27]. Son essai s'ouvre sur une citation en épigraphe issue de L'Esprit des lois au sein de laquelle s'articule le lien entre « passion » et « intérêt » : « Et il est heureux pour les hommes d'être dans une situation où pendant que leurs passions leur inspirent la pensée d'être méchants, ils ont pourtant intérêt à ne pas l'être » [28]. Mais cette thèse défendue par Hirschman lie le projet intellectuel de Montesquieu à une intention strictement normative et nie, de ce fait, les aspects descriptifs ou empiriques de son œuvre, tels qu'ils apparaissent notamment au travers de la problématique des passions [29]. Car, quelle leçon faut-il tirer de la passion romaine à une époque où l'on pense la vie collective en terme de gestion des passions individuelles, considérées comme des forces bonnes à être exorcisées, muselées, canalisées, transformées ou, encore, équilibrées les unes par les autres ? La leçon, s'il y en a une, se situe moins au niveau de la morale et de la politique qu'au niveau d'une réflexion sur l'histoire. En insistant avec les Romains sur des notions telles celle d' « esprit », d' « âme » ou de « génie », tout comme sur l'importance des symboles, des rituels et des valeurs qui fondent une collectivité, l'historiographie de Montesquieu prend pour objet des réalités abstraites qu'il tente de situer et de comprendre historiquement. Dans son essai, la « romanité » n'est pas une essence dont il faut extraire une loi universelle, ce sont des mœurs, des préjugés, des « manières de penser », des identifications collectives dont il importe peu de savoir s'ils sont vrais ou faux, moraux ou immoraux, mais qu'il veut comprendre parce qu'elles animent la société romaine dans ses aspirations et ses déceptions. De l'Esprit des lois est souvent identifié à l'optimisme de la philosophie politique des Lumières et à sa confiance dans la possibilité d'utiliser les passions individuelles pour le bien de tous, soit politiquement — par la séparation des pouvoirs —, soit économiquement — par le commerce. Mais cette assurance que les institutions peuvent et doivent avoir raison des passions humaines, tend à éclipser cette autre facette de la démarche de Montesquieu : celle de l'historien [30] qui prend ses distances par rapport à son objet d'étude et cherche moins à résoudre le « problème » constitué par les passions humaines, qu'à comprendre le lien qu'elles entretiennent avec l'histoire.
Notes
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[1]
René-Aubert de Vertot, Histoire des révolutions arrivées dans le gouvernement de la république romaine, La Haye, 1719.
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[2]
Charles Rollin, Histoire Romaine depuis la fondation de Rome jusqu'à la bataille d'Actium, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la République, dans @@ OEuvrescomplètes, t. 13-24, Paris, 1821-1825.
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[3]
RR. PP. François Catrou & Julien Rouillé, Histoire Romaine, Paris, 1725, 10 vols.
-
[4]
Jean Ehrard, « Rome enfin que je hais » dans Storia e Ragione, Atti del Convegno Internazionale Organizzato dall'istituto universitario orientale e dalla Società italiana di studi sul secolo XVIII, éd. par Albert Postigliela, Naples, 1987, p. 23-32.
-
[5]
Georges Benrekassa, Montesquieu, la liberté et l'histoire, Paris, 1987.
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[6]
Patrick Andivet et Catherine Volpilhac-Auger, « Introductions et commentaires », Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence dans Société Montesquieu, @@ OEuvrescomplètes de Montesquieu, t. 2, Oxford, Voltaire Foundation, 2000.
-
[7]
Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence dans @@ OEuvrescomplètes, éd. par Roger Caillois, Paris 1949-51, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, t. 2., p. 129.
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[8]
Romains, ouvr. cité, p. 71. La distinction que propose Montesquieu entre « la cause » et « l'occasion » d'un événement apparaît déjà dans l'ouvrage de l'historien napolitain Paolo Mattia Doria, la Vita civile, Francfort, 1709, dont Montesquieu avait pris connaissance lors de son voyage en Italie.
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[9]
C'est d'ailleurs cet aspect de l'essai de Montesquieu qui frappa Maupertuis, homme de lettres, mathématicien, président de l'Académie des Sciences de Berlin sous Frédéric II de Prusse. Dans son « Éloge de Mr de Montesquieu », Maupertuis inscrit les Romains dans la lignée ouverte par les Lettres Persanes et de son intérêt pour la problématique des passions humaines : « Après avoir considéré les effets des passions dans l'homme pour ainsi dire isolé, M. de Montesquieu les considéra dans ces grandes collections d'hommes que forment les nations, et choisit pour cela la nation la plus fameuse de l'Univers, les Romains. S'il est difficile de découvrir les effets des passions dans un seul homme, combien l'est-il encore davantage de déterminer ce qui résulte du concours & de l'opposition des passions de tout un peuple. », Maupertuis, @ OEuvres, t. 3, Lyon, 1768, p. 399, souligné par nous.
-
[10]
Montesquieu, « Project de préface », Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence dans Société Montesquieu @@ OEuvrescomplètes de Montesquieu, t. 2, Oxford, Voltaire Foundation, 2000.
-
[11]
« On aura d'abort de la repugnance a lire un ouvrage sur un sujet qui a esté traité par mille autheurs mais si j'ay dit des choses nouvelles l'ouvrage deviendra par cela meme plus interessant. », « Project de préface », ouvr. cité, p. 316.
-
[12]
Thèse de l'unicité de Rome que Montesquieu réitère à plusieurs reprises : « L'empire romain a été un miracle de l'univers, dans lequel il a fallu que tant de circonstances aient concouru, que pareille chose n'arrivera peut-être jamais. », Montesquieu, Le Spicilège dans @@ OEuvrescomplètes, éd. André Masson, t. II, Paris, 1950-1955, p. 799. Ou encore : « Il y a peu de faits dans le monde qui ne dépendent de tant de circonstances qu'il faudrait l'éternité du monde pour qu'elles arrivassent une seconde fois. », Montesquieu, Pensées, dans @@ OEuvrescomplètes, éd. André Masson, t. II, Paris 1950-1955, pensée no10, p. 2.
-
[13]
« On a cherché dans cet ouvrage à rendre raison de cette fameuse usurpation du monde que les Romains firent par un travail de sept cents années par une force et par une politique qui se sont toujours prêtées à ce dessein. », « Project de préface », ouvr. cité, p. 316.
-
[14]
« Les ouvrages qui ont donné, et qui donnent encore aujourd'hui la plus haute idée de sa puissance, ont été faits sous les rois. On commençait déjà à bâtir la ville éternelle. » Romains, ouvr. cité, p. 69. Notons que cette première phrase ne se trouvait pas dans l'édition de 1734 : voir l'édition des Romains de 1734 dans les @@ OEuvrescomplètes de la Société Montesquieu, ouvr. cité, p. 89, ainsi que les commentaires de Catherine Volpilhac-Auger sur la différence entre la première édition et celle de 1748, « Introduction », I, ouvr. cité, p. 15.
-
[15]
« Project de préface », ouvr. cité, p. 315. Montesquieu note aussi : « C'était par un travail immense que les Romains se conservaient. », Romains, ouvr. cité, p. 76.
-
[16]
Voltaire, Essai sur les Mœurs, 1756. Ici : Paris, GF, 1990, t. 1, p. 303.
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[17]
« Lorsque le gouvernement a une forme depuis longtemps établie, et que les choses se sont mises dans une certaine situation, il est presque toujours de la prudence de les y laisser, parce que les raisons, souvent compliquées et inconnues, qui font qu'un pareil état a subsisté, font qu'il se maintiendra encore ; mais, quand on change le système total, on ne peut remédier qu'aux inconvénients qui se présentent dans la théorie, et on en laisse d'autres que la pratique seule peut faire découvrir. », Romains, ouvr. cité, p.168, souligné par nous.
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[18]
La syntaxe même du titre, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, redouble cette impression d'un cadre explicatif liant grandeur et décadence comme les facettes inséparables d'une même histoire. « Voici en un mot l'histoire des Romains. Ils vainquirent tous les peuples par leurs maximes : mais lorsqu'ils y furent parvenus, leur république ne pût subsister, il fallut changer de gouvernement et des maximes contraires aux premières, employées dans ce gouvernement nouveau, firent tomber leur grandeur. », Romains, ouvr. cité, p. 173.
-
[19]
À propos des motifs héroïques expliquant les nombreux suicides chez les Romains, Montesquieu introduit la distinction entre « voir » et « sentir » : « L'âme, tout occupée de l'action qu'elle va faire, du motif qui la détermine, du péril qu'elle va éviter, ne voit pas proprement la mort, parce que la passion fait sentir, et jamais voir. », Romains, ouvr. cité, p. 136, souligné par nous.
-
[20]
Dans son « Project de préface », Montesquieu insiste sur le « travail » au fondement de la réussite romaine : « On a cherché dans cet ouvrage à rendre raison de cette fameuse usurpation du monde que les Romains firent par un travail de sept cents années par une force et par une politique qui se sont toujours prêtées à ce dessein. », « Project de préface », ouvr.cité, p. 315.
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[21]
Voltaire, Le Siècle des Louis XIV, 1751. Ici : @@ OEuvresHistoriques, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1957, p. 616.
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[22]
René Descartes, Les Passions de l'âme, Amsterdam, 1649.
-
[23]
« ... les vices & les vertus humaines sont ordinairement l'effet des passions ... », Pensées, ouvr.cité, pensée no2035, p. 630.
-
[24]
Montesquieu, De l'Esprit des Lois, dans @@ OEuvrescomplètes, t. 2, éd. Roger Caillois, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1949-1951, livre 5, ch. 2, p. 274.
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[25]
Voir l'article sur les « Passions » du Dictionnaire européen des Lumières, éd. par Michel Delon, Paris, Puf, 1997.
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[26]
Bernard de Mandeville, The Fable of the Bees, or Private Vices, Publick Benefits, London 1714-29.
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[27]
Albert O. Hirschman, The Passions and the Interests. Political Arguments for Capitalism before its Triumph, Princeton, 1977.
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[28]
De l'Esprit des lois, ouvr.cité, livre 21, ch. 20, p. 641.
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[29]
Montesquieu peindrait l'homme comme un être sujet aux passions, et ces passions comme nécessairement néfastes aux sociétés tant qu'elles n'ont pas subi une forme de transmutation pacificatrice. Un tel portrait de l'homme comme créature passionnelle, mais toutefois répressible, repose sur une interprétation très unidimensionnelle de l'anthropologie de Montesquieu. Sur le « pluralisme des paradigmes anthropologiques » dans L'Esprit des lois, voir Céline Spector, Revue Montesquieu, no2, Grenoble, 1998, p. 139-161.
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[30]
Thèse développée dans Vanessa de Senarclens, Montesquieu, historien de Rome. Un tournant pour la réflexion sur le statut de l'histoire au XVIIIe siècle, Genève, Droz, 2003.