Notes
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[1]
Ancien préfet de la Ville, en disgrâce (Hartke (1951) a ouvert la piste, ensuite reprise par Schlumberger (1974). Voir les réticences de Turcan (1993b, p. 22 et 61-62)).
-
[2]
SYME 1968. Voir la mise au point récente de Paschoud (1996, p. XVI) qui propose les années 395-397 comme terminus post quem de la mise en forme définitive de la collection des vies.
-
[3]
Car s’il est un texte sur lequel historiens et littéraires se rencontrent, c’est bien celui-là, comme en témoignent les colloques régulièrement réunis, à Bonn d’abord (Bonner Historiae Augustae Colloquium, désignés sous le sigle BHAC), puis dans différentes universités européennes. Les traductions utilisées ici sont, soit celles des volumes de la CUF, soit celle d’A. Chastagnol.
-
[4]
BOWERSOCK 1994, p. 5.
-
[5]
CALLU 1995, p. 137. De nombreuses interventions au cours de ces colloques annuels analysent les procédés utilisés par l’auteur. Voir aussi PASCHOUD 2002, p. VIII-IX.
-
[6]
BÉRANGER 1972/74, p. 29-36.
-
[7]
CALLU 1992, p. VIII.
-
[8]
Sfez (1990, p. 109-151), à propos de Machiavel auteur de biographie, retrouve les termes de G.W. Bowersock.
-
[9]
BOWERSOCK 1998, replace l’Histoire Auguste dans la perspective des biographies dynastiques.
-
[10]
Sans compter la fameuse Enmannsche Kaisergeschichte, acceptée par les uns, refusée par les autres.
-
[11]
VIGOURT 1993, p. 131. Voir surtout son ouvrage, VIGOURT 2001, en particulier l’introduction, qui pose la question de la « nécessité » du présage dans la biographie ou dans le récit. De Kisch (1973, p. 333) voit dans l’Histoire Auguste la convergence de l’annalistique, de la biographie et de l’hagiographie de son époque.
-
[12]
Pour reprendre les termes de BÉRANGER 1972, p. 43.
-
[13]
SMADJA 2002, p. 197-199. Voir aussi DE KISCH 1973, p. 333.
-
[14]
La vie de Diaduménien « relève de la fiction », comme le souligne Chastagnol (1994, p. 471), et les prodiges annoncés dans l’introduction et décrits aux chapitres 4 et 5 sont bien probablement imaginaires. C’est le seul cas où la description des signes a pour but de pallier le vide de l’information, comme l’auteur l’avoue lui-même : Nihil habet vita memorabile, nisi quod Antoninus est dictus et quod ei stupenda omina sunt facta imperii non diutini, ut evenit (« Il n’y eut rien de mémorable dans sa vie, sinon qu’il fut appelé Antonin et que se produisirent des signes étonnants d’un pouvoir éphémère, ce qu’il advint. » 1.1).
-
[15]
C’est-à-dire la dynastie constantinienne (V. Claud. 10. 3-5).
-
[16]
V. Clod. Alb.
-
[17]
V. Maximin. 30. 4.
-
[18]
V. Hadr, 26. 6.
-
[19]
V. Pert. 14. 1.
-
[20]
V. Tac. 17. 1.
-
[21]
Ep. 73 (72) 23 1-2. Hérodien, 2. 9. 3, mentionne « toutes sortes de prophéties ». Voir MILLAR 1964, surtout p. 134-150 et BERTRAND-DAGENBACH 1998, p. 23-59. Il s’agit de vies du « premier groupe », les mieux documentées.
-
[22]
Voir par exemple, V. Max. Balbin, 5, 3 : « Sur le moment on ne vit dans l’incident aucun présage ».
-
[23]
Comme c’est le cas pour Septime Sévère, à la différence d’Antonin le Pieux.
-
[24]
Comme le fait le père de Clodius Albinus ; la mère d’Aurélien comprend également que son fils est promis à un destin impérial, mais il n’en résulte rien de concret.
-
[25]
R. Syme voit dans Marius Maximus la source essentielle de l’auteur concernant les rapports de Septime Sévère avec l’astrologie. La biographie de cet empereur par Dion Cassius n’est jamais citée dans l’Histoire Auguste. Deux rêves de Septime Sévère sur cinq coïncident avec ceux qui sont rapportés par Dion Cassius.
-
[26]
Voir sur ce point l’étude de CRAMER 19962 , p. 162-178 et 208-217.
-
[27]
Pour les Sévères et le IIIè. s., voir MONTERO 1991.
-
[28]
V. Clod. Alb. 5.10. Voir SYME 1964/65, p. 270-271, et 1971, p. 96-98 ; DE KISCH 1970, p. 337, n. 3. Mais Callu (1992, p. XXII-XXIII) pense que ce surnom, s’il est peut-être sorti de l’imagination de l’auteur, pourrait recouvrir un continuateur de Marius Maximus.
-
[29]
RE II, col. 146, s. v. Apollonios 97.
-
[30]
Cité à trois reprises, V. Aur. 4. 2.
-
[31]
Voir par exemple le grand oncle d’Hadrien (V. Hadr. 2. 4), et Septime Sévère (V. Seu. 3. 9 ; V. Ant. Get. 2. 7 ; V. Pesc. N. 9. 6). Pour les druidesses gauloises, voir V. Car., Carin. et Num. 14. 3.
-
[32]
Voir par exemple Suétone, Tiberius, LVIII : « Enfin, on alla jusqu’à faire périr un citoyen qui s’était laissé investir d’une magistrature dans sa colonie le même jour où l’on avait autrefois décerné des charges à Auguste » (trad. CUF). Voir aussi Galba, VI, 1, et le commentaire qu’en donne VIGOURT 2001, p. 348.
-
[33]
V. Max. 30, 6. L’anecdote la plus étrange est celle de l’énorme carapace de tortue transformée en baignoire à l’image de celles des princes (V. Clod. Alb. 5. 6-7).
-
[34]
V. Ant. Comm. 10. 2. Il montre celui-ci tout à fait conscient de la portée de cette coïncidence : il fait mettre à mort un homme qui lisait la vie de Caligula par Suétone. Autre exemple : Diaduménien naît le même jour qu’Antonin le Pieux (V. Ant. Diad. 5. 4).
-
[35]
V. Seu. Al. 5. 2. Ce détail est inventé par l’auteur.
-
[36]
1998, p. 207.
-
[37]
NOCK 1972, p. 496-97.
-
[38]
VIGOURT 2001, p. 117.
-
[39]
À la naissance de Geta (Geta 3. 5).
-
[40]
Les douze brebis de couleur pourpre nées sur une propriété de Macrin (V. Ant. Diad. 4. 5)
-
[41]
V. Seu. Al. 14. 1.
-
[42]
V. Get. 3. 2, V. Alex. Sev. 13. 1.
-
[43]
BRIQUEL 1999, p. 185-188. La grappe de raisin d’une taille extraordinaire fait penser à l’ancêtre des augures romains, Attus Navius, qui fait aux dieux qui l’ont aidé à retrouver l’animal qu’il gardait l’offrande de la plus grosse grappe de la vigne familiale, et devient l’augure de Tarquin (Cicéron, div. I, 17).
-
[44]
CRAMER 19962, p. 232-281 analyse la loi augustéenne de 11 ap. J.-C. et son application. Les Sentences de Paul (5. 21. 3-4) interdisent les consultations sur la santé du Prince ou les affaires de l’État.
-
[45]
Cth. IX, 16,4. Voir GRODZYNSKI 1974, p. 287, et MONTERO 1999, p. 82-83, qui suit son argumentation.
-
[46]
Amm. Marc. 22. 1. 1.
-
[47]
MONTERO1991, p.93-102.
-
[48]
Amm. Marc. 30. 1. 1 et Zos. 4. 21.
-
[49]
CTh., XVI, 10, 10. Politique qui n’évoluera pas avec Stilicon.
-
[50]
DE KISCH 1970 p. 340.
-
[51]
PASCHOUD 1996, p. XV.
-
[52]
FEARS 1977.
-
[53]
Par exemple celui qui enlève le petit Aurélien pour le transporter sur un autel (V. Aur. 4. 6).
-
[54]
V. Aur. 5. 5.
-
[55]
V. Sev. Al. 13. 5 ; V. Max. 30. 2 ; V. Gord. tr. 23. 2.
-
[56]
BERTRAND-DAGENBACH 1990, p. 76-77.
-
[57]
BERTRAND-DAGENBACH 1990, p. 107, SCHWARZ 1964/65, p. 199.
-
[58]
Artémidore, La clef des songes, 4. 67-68.
-
[59]
V. Max. 5. 3.
-
[60]
Suet. Div. Aug. 94. 11.
-
[61]
Met. 11. 1.
-
[62]
V. Clod. Alb. 5. 8.
-
[63]
V. Ant. P. 3. 5.
-
[64]
18. 3. 2. Voir GRODZYNSKI 1974, p. 282.
-
[65]
En. 7. v. 64-67.
-
[66]
Voir à ce sujet la réflexion de Molinier-Arbo (2002, p. 173-190).
-
[67]
Y. DE KISCH 1973, p. 354.
-
[68]
V. Claud.
-
[69]
BRUGGISSER 1998, p. 59-87.
-
[70]
V. Seu. 3, 4, et Epit. LXXIVb 3, 2.
-
[71]
ÉTIENNE 1958, p. 498-499.
-
[72]
V. Hadr.12. 3. L’auteur a-t-il « fabriqué » le rêve à partir de cette mention de la restauration par Hadrien, ou repris un récit qui avait été mentionné dans ses sources et diffusé à l’époque sévérienne ?
-
[73]
Sur le modèle augustéen de Septime Sévère, voir DESNIER 1993.
-
[74]
DAREGGI 1998, p. 137-153, WEBER 2000, p. 206-207.
-
[75]
Voir NICOLET 1988, p. 41-59. On sait qu’à l’époque sévérienne la représentation des nations est reprise comme thème iconographique : voir le portique du temple de Caelestis à Thugga. Cette thématique a été diffusée dans les provinces (Aphrodisias en Carie sous les Julio-Claudiens, Éphèse dans le temple de Marc Aurèle et Lucius Verus).
-
[76]
Dio. Cass. 74. 4. 5.
-
[77]
V. Sev. I. 8.
-
[78]
M. BEARD, dans la discussion suivant l’intervention de G.W. Bowersock, in EHLERS 1998, p. 212.
1 S’il est une œuvre provocante pour ses lecteurs, une œuvre dont les exégètes ne cessent de mettre les jeux en évidence, c’est bien l’Histoire Auguste. Elle est, on le sait, une suite de biographies d’empereurs, suite qui commence avec la vie d’Hadrien pour se terminer avec les vies groupées de Carus, Carin et Numérien. Trente vies, dont la rédaction doit être attribuée à un seul auteur (Nicomaque Flavien junior [1] ou senior ? Rien n’est sûr), un auteur qui s’est caché derrière six pseudonymes différents, organisant un jeu de notations et d’inventions de plus en plus fantaisistes au fur et à mesure de la progression de l’ouvrage. Les historiens sont maintenant d’accord pour en fixer la date à l’extrême fin du IVe s. (plus précisément la dernière décennie ; cependant certains la repoussent encore d’une vingtaine d’années), et pour suivre R. Syme et d’autres lorsqu’il affirme qu’elle est postérieure à la publication de l’Histoire d’Ammien Marcellin (au moins à la partie rédigée avant 392) [2]. On a vu dans l’Histoire Auguste une des expressions d’une résistance passive de cercles cultivés païens à l’empire chrétien finissant ou tout simplement un refuge dans un intérêt renouvelé pour l’historiographie antique et dans le jeu du pastiche. Pourtant, étant donné l’abondance des travaux suscités par l’Histoire Auguste, il faut croire que les historiens et les littéraires [3] n’ont pas renoncé à y rechercher une ou des « vérités historiques, en dépit de ses absurdités textuelles », pour reprendre les termes de G.W. Bowersock [4], de sa négligence à l’égard de ses sources, de ses manipulations et plus généralement de ses « « dimensions ludiques » [5]. La question fondamentale y reste cependant celle du pouvoir : comme l’écrit J. Béranger, « l’Histoire Auguste présente une idéologie impériale, c’est-à-dire un faisceau d’idées, d’opinions constituant un modèle de souverain, réalisé ou réalisable » [6] , malgré la « fascinante combinaison d’authenticité et de fiction » [7] qu’elle constitue. Nous verrons un aspect de ce modèle, qui apparaît en filigrane dans les constructions de la « fiction biographique » [8] et en particulier dans l’annonce de l’Empire par les signes.
2 Émanation des cercles cultivés romains, que l’on a aussi reliée à la tradition des specula principis d’époque hellénique et hellénistique, l’Histoire Auguste a été rattachée à un courant (la seconde sophistique) pour lequel l’histoire a tendance a devenir un simple divertissement littéraire, la forme suppléant au manque de rigueur du contenu [9]. Le goût pour les récits insolites tend à tourner, dans certains cas, au recueil de commérages. Et la référence aux sources n’y répond pas à un souci d’exhaustivité ; bien au contraire elle constitue souvent un rideau de fumée destiné à rendre le jeu du récit plus complexe. L’érudition littéraire, le jeu des emprunts sont parfois virtuoses, alliés à des inventions pures et simples. Il y a des modèles, des références (Suétone est la référence la plus évidente [10]), des topoi, et tout un jeu de réélaboration. Ces manipulations sont particulièrement visibles en ce qui concerne les omina imperii. Dans un discours qui prend en charge, examine les actes et les réalisations d’un empereur, les signes, que l’on trouve le plus souvent désignés dans le texte sous le terme d’omina (même lorsqu’il ne s’agit pas de « paroles annonciatrices »), ont toujours eu leur place (il suffit de lire Suétone [11]). Le genre de la biographie demande en effet l’intervention de la fortune, d’autant plus que l’élévation à la « condition » d’empereur constitue de plus en plus souvent après la chute des Sévères un « saut » d’un début obscur à la toute-puissance impériale. Il faut alors admettre que le destin impérial est prédéterminé, d’une manière ou d’une autre, même si on reconnaît une valeur personnelle à celui qui accède au pouvoir [12]. De là vient le problème que pose à l’auteur la succession impériale, et sur lequel il revient à plusieurs reprises, de manière souvent contradictoire, et par là même jugée décevante.
3 Les Vies ne présentent pas toutes des mentions de signes de pouvoir. J’ai déjà montré, d’une part, que ce sont les Vies les plus documentées qui contiennent le plus de signes, et d’autre part, que les empereurs pour lesquels les signes de pouvoir ne sont pas mentionnés sont aussi ceux dont la vie fait l’objet de plus d’invention (c’est-à-dire les vies de la fin de l’ouvrage) [13]. Ainsi, l’absence de signes n’est pas le fruit du hasard, mais traduit la plupart du temps l’absence d’avenir impérial réel (comme c’est le cas pour Aelius César), ou bien l’accès au pouvoir dans le cadre de l’hérédité. L’accession d’un fils d’empereur n’a pas à être justifiée par des signes, puisqu’elle est en quelque sorte légitime. La Vie de Commode ou celle de Caracalla sont tout à fait significatives à cet égard : s’ils ont des présages de mort, ils n’ont pas d’omina imperii. Il arrive cependant que les signes annonçant le destin exceptionnel d’un fils justifient l’accession au pouvoir de son père, pour lequel les signes ne sont pas mentionnés, comme c’est le cas pour les vies de Macrin et de son fils Diaduménien [14]. Le cas de Claude est différent : l’oracle qu’il interroge à Comagéna lui annonce le pouvoir de ses descendants [15]. Tout ceci montre bien que les signes ont une valeur historique pour l’auteur et pour son public, ou en tout cas qu’une biographie doit intégrer les prodiges et les signes.
4 La mention des signes peut paraître relever du procédé, si l’on en juge par la manière dont ils sont introduits. La plupart du temps, c’est de la manière la plus simple, sans beaucoup d’efforts de transition. L’économie de moyens domine ; une simple phrase suffit. Par exemple dans la Vie de Clodius Albinus, les présages sont groupés après la phrase d’introduction : Huic multa imperii signa, « de nombreux présages de son destin impérial se manifestèrent, dit-on » [16]. Encore plus lapidaire est la formule concernant Maximin le Jeune [17] : « Pour le fils ce furent les présages que voici ». On compte huit occurrences d’omina regroupés, dont cinq placés en début des Vies. Il en va de même pour les présages de mort. Ils sont introduits, dans la Vie d’Hadrien, de la façon suivante [18] : Signa mortis haec habuit, « voici quels furent les présages de sa mort ». Même formule pour Pertinax [19], ou Tacite [20].
5 Mais dans d’autres cas, les signes sont insérés dans la trame du récit biographique. Ainsi : imperii omen factum est, ou imperii omen accepit jalonnent les responsabilités gouvernementales d’Antonin le Pieux. Même formule pour Hadrien et Marc-Aurèle, les signes manifestant la prédestination de ce dernier au pouvoir dès l’âge de huit ans. C’est la vie de Septime Sévère qui en offre le meilleur exemple : dès son enfance, puis lors de son premier séjour à Rome, plus tard en Afrique, en Espagne, en Sicile, et en Pannonie, les signes se succèdent, suivis des consultations de devins, lorsque se précise son ambition impériale. L’auteur, en ce cas précis, a bénéficié d’une information abondante : on sait que Dion Cassius avait composé un ouvrage sur « les songes et les signes qui ont fait espérer le pouvoir à Septime Sévère » [21].
6 Ces deux formes d’introduction sont conformes à la conception traditionnelle des signes : c’est toujours a posteriori qu’est assurée leur pertinence ; ils ne sont pas la cause, mais le révélateur du destin impérial. Les signes en effet prédestinent le futur empereur à l’exercice du pouvoir, ils constituent une justification de son accès à l’empire. Ils sont la plupart du temps facilement compréhensibles, même si l’auteur introduit parfois une notation sur l’ambiguïté de tel ou tel signe ou sur le manque de sérieux de l’évènement rapporté [22]. S’ils ont un effet d’annonce, ils n’ont pas d’influence directe sur le cours des événements, sauf s’ils suscitent une action délibérée de la part d’un ambitieux [23]. Leur principale caractéristique est d’être liés au pouvoir, mais sans être totalement contraignants : il faut généralement le recul du temps pour les mettre en relation avec l’accession au pouvoir, bien que des parents clairvoyants prennent la précaution de les prendre en compte [24].
7 Le biographe recueille donc dans ses sources des récits de prodiges et de signes ; il y fait un choix. Il ne peut être question d’authenticité, parfois mise en doute par l’auteur lui-même, qui fait mine de considérer certains de ceux qu’il cite comme le fruit d’une superstition frivole. Il en rajoute aussi : il est certain qu’il en invente une bonne partie. Mais il en « authentifie » d’autres, par exemple par des références à Marius Maximus, historien dont on admet généralement qu’il a servi de source, mais il ne cite pas, en revanche, les œuvres de Dion Cassius [25]. On dira simplement que certains signes, parfois, sont corroborés par d’autres sources. C’est le cas de quelques omina de Septime Sévère que l’on retrouve mentionnés dans Dion Cassius et dans Hérodien. Nombre de recueils de présages et de prodiges circulaient dans le monde romain, constamment adaptés et modifiés.
8 La diversité est de règle. Jusqu’à Gordien, les Vies sont parsemées de notations sur les pratiques et les consultations astrologiques des empereurs, Hadrien et surtout Septime Sévère en ayant une connaissance approfondie [26]. De nombreux signes sont liés à l’haruspicine, de manière explicite ou non [27]. Les songes, pour lesquels il n’est besoin d’aucune exégèse, les oracles, les sortes virgilianae, les phénomènes curieux de tout genre coexistent. D’autres paraissent bien n’être que des jeux de correspondance, de citations, de pastiches mis en œuvre par l’auteur, et dont la référence est parfois attribuée à des auteurs fantômes comme Aelius Junius Cordius [28], qu’il accuse d’être friand de détails insignifiants, le philosophe platonicien syrien Apollonius (est-ce une référence indirecte à Apollonios de Tyane, mentionné dans la vie d’Aurélien ? [29]) ou le doctissimus scriptor, Callicrate de Tyr [30].
9 Dans la plupart de ces épisodes semble régner la plus grande fantaisie. L’absence de hiérarchie et la variété des signes dominent ; il en est de même d’ailleurs pour les interprètes auxquels recourent les intéressés ou leur famille (leur père en général). Les lieux où sont rendus les oracles, comme l’identité et le sexe des interprètes des signes, sont très variés : si la géographie des signes annonçant l’ascension de Septime Sévère est logiquement liée aux lieux où se déroule sa carrière, c’est un cas exceptionnel. Quant aux interprètes, dans la liste se côtoient haruspices, augures, chaldéens, prêtres ou prêtresses, un membre de la famille impériale ou l’empereur lui-même, lorsqu’il est versé dans l’astrologie, et que penser des druidesses gauloises, par exemple [31] ? Enfin, on peut parler d’une « inflation » ominale, à partir du moment où toute coïncidence fait signe. Manipulation et invention portent sur des coïncidences de dates, qui relèvent du modèle suétonien [32] (mais qui sont parfois fausses) ; d’une façon plus ludique, elles font entrer dans la catégorie de signes la transmission d’objets (le diamant de Nerva donné par Trajan à Hadrien), ou la simple « contamination » (par exemple s’installer dans un char de Caracalla, ou enfourcher un cheval ayant appartenu à un empereur, comme le fait le jeune Maximin [33]). Ce jeu des analogies et des coïncidences produit des relations porteuses de sens entre différents empereurs : il n’est pas tout à fait neutre que Commode naisse le même jour que Caligula [34] par exemple, ou que l’anniversaire de Sévère Alexandre soit celui de la mort d’Alexandre le Grand [35]. Il relève bien de l’histoire romanesque, ou de la « fictional biography », comme la qualifie G.W. Bowersock [36].
10 Cette accumulation, sans ordre apparent, et sans hiérarchie, de signes et d’interprètes est tout d’abord le reflet d’une banalisation ancienne des pratiques divinatoires [37]. Coexistence de dates, astrologie, haruspicine, consultations diverses, songes, circulations d’objets, tout ceci donne l’impression que c’est l’accumulation qui est le message. Il suffit de puiser dans un ensemble d’anecdotes fabuleuses, éventuellement de les transformer. Ce ne sont pas n’importe lesquelles, et cet ensemble repose sur une longue tradition de prodiges, rassemblés par les historiens et les biographes impériaux [38]. On peut déceler dans cet ensemble, soit des thèmes propres à certains empereurs, soit des dominantes qui parcourent la trame de l’ouvrage. On voit alors comment le jeu de ces références s’insère dans l’ensemble, et contribue à une tonalité générale. Quelques épisodes marquants, dans les vies principales, sont traités d’une façon plus détaillée, et il suffit ensuite de quelques notations rapides et superficielles, disséminées ou groupées, pour ranimer de façon ludique le thème de l’élection divine d’un futur empereur. L’insistance sur les correspondances de dates et d’objets n’est pas neutre : elle fonde la continuité de l’Empire, à laquelle est liée la continuité des signes.
11 Dominique Briquel a analysé les nombreux signes qui relèvent de l’haruspicine, et qui sont étroitement liés à la manifestation d’un destin impérial. Il s’agit d’animaux (agneau [39], brebis [40], serpent [41], œufs [42]) ou d’objets (lance, cuirasse, et grappe de raisin) dont le point commun est la couleur pourpre [43]. On retrouve dans ce domaine la même irrégularité : certains signes nécessitent l’appel à l’haruspice, d’autres sont simplement mentionnés, et alors l’interprétation est implicite.
12 Toujours la part de jeu domine ; mais ne disparaît pas pour autant le sérieux du savoir astrologique, surtout lorsqu’il est le fait d’un empereur. Il en va de même pour l’haruspicine. Le point commun de ces notations, quelle que soit leur réalité historique, est le rapport avec le pouvoir ; la science astrologique, comme l’haruspicine, donne à ceux qui la maîtrisent une connaissance du destin impérial (ou de l’absence de destin impérial).
13 Dans l’ensemble, ces références aux signes s’inscrivent dans le genre de la biographie impériale telle qu’elle a été mise en œuvre par Suétone. Mais elles y introduisent aussi une tonalité politique, dans la mesure où elles mettent en jeu la pratique de l’art divinatoire, une question d’actualité pour notre auteur. On sait que la divination publique constitue une part importante de la religion, et qu’on la distingue nettement de la magie. En revanche, la divination privée a toujours été contrôlée sous l’empire [44]. La répression prend un autre tour au IVe s. S’adressant au peuple en 357, Constance II interdit la consultation des haruspices, mathématiciens, devins ; il ordonne que cesse le recours aux augures et aux interprètes de songes ou d’oracles, comme aux Chaldéens et autres mages, demandant que sileat omnibus perpetuo divinandi curiositas [45]. Il s’agit donc d’une interdiction générale, concernant aussi bien les consultations privées que les consultations publiques, et mettant sur le même plan divination et magie, et elle est confirmée l’année suivante. Même s’il s’agit d’une mesure à portée plus politique que religieuse — Constance, instruit par l’expérience, ayant à cœur de se protéger contre les usurpations —, elle ravale la divination au rang de la magie et ignore les antiques traditions religieuses romaines. Julien, au contraire, si l’on en croit Ammien Marcellin, s’intéresse à l’auguration [46], il s’est initié aux secrets de l’haruspicine, puisqu’il est capable lui-même d’interpréter les prodiges et de lire l’avenir dans les viscères des animaux, et il s’entoure d’« haruspices étrusques » [47]. Malgré le retour des empereurs au christianisme, prodiges et présages continuent à susciter commentaires et interprétations des vates auguresque [48], jusqu’au règne de Théodose, qui développe une politique rigoureuse contre les cultes et les sacrifices païens, interdisant en particulier de consulter même si rien n’est demandé contra salutem principis [49].
14 C’est donc dans ce contexte de « combat autour des oracles [50] » et de repli du paganisme [51] qu’il faut placer le jeu de l’auteur, membre de cette aristocratie païenne, désormais minoritaire, attachée aux cultes et aux pratiques traditionnels, sur les signes de pouvoir. Invention, pastiche, réalité, artistement mêlés, construisent un récit fondé sur un système de références qui donne en filigrane une image du pouvoir impérial, lié à la religion. Les signes alors ne jouent pas seulement un rôle anecdotique, ils contribuent à rendre ce lien manifeste ; ils rendent évident le choix des dieux [52]. L’auteur utilise librement, pour ce faire, un répertoire puisé dans le riche matériel que lui fournissent l’histoire, la biographie et la littérature républicaines et impériales.
15 Il met en œuvre avec éclectisme, mais il effectue des choix. De l’ensemble des signes décrits dans l’Histoire Auguste se dégagent une série de thèmes figuratifs symboliques du pouvoir, impliquant les principaux aspects d’une théologie païenne du pouvoir. On y trouve en effet références joviennes, éléments herculéens, et une thématique solaire qui n’est pas liée au seul Aurélien, trois éléments caractéristiques des IIe et IIIe s. La révélation du destin impérial passe ainsi à plusieurs reprises par la médiation d’un ou de plusieurs aigles [53] ou de la foudre. Le serpent, qui à plusieurs reprises intervient pour annoncer un destin exceptionnel, relève évidemment, mais pas seulement, de la thématique herculéenne. Les prodiges solaires font bien sûr partie du répertoire de signes prédestinant Aurélien à l’Empire [54], mais ils concernent également Alexandre Sévère, Maximin et Gordien le Jeune [55].
16 Ces thèmes étaient déjà en germe dans à l’époque augustéenne, et la référence implicite au fondateur est une constante dans la mobilisation des thèmes divinatoires, enrichis par les associations. C. Bertrand-Dagenbach a bien montré, en ce qui concerne Sévère Alexandre, les analogies entre ses omina imperii et ceux d’Alexandre le Grand [56], en les mettant en rapport avec la vogue que connaît le personnage d’Alexandre dans la seconde moitié du IVe s. Il est clair également que certains présages de l‘Empire sont repris de ceux du fondateur : le halo qui entoure le soleil à la naissance de Sévère Alexandre, comparable à ce qui s’est produit au moment de l’entrée d’Octave dans Rome après l’assassinat de César, le refus du nom d’Antonin proposé par le sénat, au motif que celui d’Auguste est le plus prestigieux. L’auteur affirme, de plus, que Sévère Alexandre refuse le nom d’Antonin le 6 mars ; or c’est le jour où Auguste est élu au grand pontificat, et où fut dédicacé le temple de la Concorde, lieu où l’Histoire Auguste place les acclamations sénatoriales à Alexandre Sévère [57]. On trouve aussi parmi ces thèmes celui du rêve du serpent, variante de la légende d’Atia endormie dans le temple d’Apollon. La mère de Sévère Alexandre rêve qu’elle donne naissance à un petit serpent pourpre, présage augustéen aussi bien qu’alexandrin.
17 Avant elle, Faustine avait rêvé qu’elle mettait au monde deux serpents, dont l’un était particulièrement féroce. Il y a une différence, cependant : ces rêves de mères de futurs empereurs ne vont pas, comme à l’époque augustéenne, jusqu’à faire pressentir des liens de descendance entre une divinité (Apollon en l’occurrence) et l’empereur. L’auteur fait du serpent un simple indicateur du futur impérial du l’intéressé, en particulier lorsqu’il est de couleur pourpre. Commode fait exception : son destin est tout tracé, et le serpent préfigure son caractère violent. On est alors très proche de l’oniromancie privée, qui prend en compte le songe de serpent des femmes enceintes [58] et l’analyse en fonction du statut social ou du caractère de la mère.
18 D’autre part, les jeunes prédestinés à l’Empire ont des rapports particuliers avec les serpents : un serpent se love autour de la tête du jeune Septime Sévère, arrivant à Rome, sans lui faire de mal (référence plutôt à Néron ?). Le même phénomène se répète à propos de Maximin le Père [59]. Un serpent se désigne lui-même comme animal familier d’Aurélien enfant, et ne peut être délogé de la cuvette dans lequel celui-ci fait sa toilette. Sa mère, qui connaît les destins, nous a dit le texte précédemment, empêche qu’on le chasse. La référence, là-encore, est néronienne. On voit comment l’auteur procède à partir des archétypes suétoniens, leur donnant une inflexion humoristique ou familière.
19 Il en va de même de l’aigle. Un aigle avait arraché à Octave enfant un morceau de pain, l’avait emporté très haut dans le ciel, puis était redescendu le lui rendre [60]. Ce signe a clairement servi de modèle à une série d’anecdotes, comme celle de l’aigle qui arrache son bonnet au jeune Diaduménien pour le déposer sur la statue d’un roi, celui qui apporte une palombe royale sur son berceau le jour de sa naissance, ou celle de l’aigle qui laisse tomber un morceau de bœuf dans la chambre de Maxime à sa naissance, le reprend et le dépose dans un sanctuaire de Jupiter Praestes voisin. Plus spectaculairement, un aigle s’empare d’Aurélien pour le déposer sur un autel. Et ce sont sept aiglons, le septième jour après sa naissance (un chiffre pythagoricien, Apulée n’aurait pas manqué de le signaler [61]), que l’on dispose autour du berceau de Clodius Albinus [62].
20 Autre prodige augustéen, le prodige de la foudre est extrêmement fréquent dans l’histoire romaine. L’auteur a lu Tite-Live, mais c’est évidemment à Suétone que se réfère l’épisode de la foudre s’abattant sur la maison d’Antonin le Pieux, de la même façon que sur la maison d’Auguste. Un autre fait prodigieux est cité à la suite : celui de l’essaim d’abeilles qui se fixe sur ses statues, en Étrurie [63]. L’auteur joue avec la référence étrusque, sachant bien que ce type de prodige relève de l’haruspicine étrusque, qui le considère comme défavorable. Il l’interprète pourtant de façon favorable comme une annonce de l’Empire, comme il l’avait été dans l’épisode de Barbation raconté par Ammien Marcellin [64]. Le modèle ici est celui de l’essaim qui s’installe sur le laurier de la maison du roi Latinus, lui annonçant l’arrivée d’un « héros étranger » qui s’installera dans le Latium [65], et donc à mettre en relation avec les citations de l’Énéide, le plus souvent sous la forme de réponses oraculaires. On reliera ce signe à une série d’autres données concernant les pratiques divinatoires, les consultations des sortes Virgilianae ou les réponses oraculaires sous la forme de vers de l’Énéide.
21 Dans cette perspective, le recours aux sortes Vergilianae, s’il reflète les préoccupations de l’auteur au sujet de la succession impériale, et donc de la stabilité de l’Empire [66], les rattache aux actes de son fondateur. A ce titre, la citation, dans la vie de Sévère Alexandre, des vers 851 à 853 du chant VI de l’Énéide est fondamentale. On ne peut que souscrire aux conclusions d’Y. De Kisch qui a montré qu’elle s’insère dans le contexte de l’affaire de l’autel de la Victoire (l’empereur ayant ordonné de retirer de la curie romaine tout symbole païen, et donc la statue de la Victoire qui y avait été placée par Auguste), et se greffe sur une question plus profonde, qui est celle de l’exégèse de ces vers dans un sens apologétique, en référence à « un débat essentiel entre païens et les chrétiens sur les fondements et la nature de l’imperium de Rome » [67]. De la même manière, la prophétie de Jupiter à Vénus sur l’avenir des Énéades est reportée sur Claude et ses descendants, à qui l’oracle de Jupiter Apenninus répond sous la forme de vers virgilien [68]. La référence augustéenne a aussi été mise en évidence dans un épisode de la Vita de ce dernier [69]. Il ne s’agit plus de rêve, ni de signes, mais des honneurs qui lui sont, selon l’auteur, conférés après sa mort, et qui sont très clairement inspirés des honneurs décernés par le Sénat à Auguste, et particulièrement du bouclier des vertus. Il s’agit là encore d’élever Claude, ancêtre de la lignée de Constantin, au niveau du premier fondateur de l’Empire. Derrière la glorification de Claude, ancêtre supposé de la dynastie à laquelle les prétendus auteurs se seraient adressés, se profile à nouveau la controverse sur la statue de la Victoire portant le bouclier des vertus placée dans la curie romaine, qui est dès l’origine de l’Empire le symbole du principat.
22 C’est également l’imperium de Rome qui est en jeu dans un rêve de Septime Sévère, et aussi en rapport avec le fondateur de l’Empire. L’Histoire Auguste a repris le récit du rêve fait par Septime Sévère à Tarragone, rapporté également par Dion Cassius [70], qui, lui, le situe à Lyon. En songe, Septime Sévère se voit enjoint de restaurer le « temple d’Auguste qui tombait en ruines ». Le choix du lieu par l’auteur de l’Histoire Auguste n’est pas neutre : Tarragone joue un rôle important dans les débuts du culte impérial, puisque c’est à Tarragone que se trouve Auguste lorsque l’y suivent les délégués d’Asie, venus l’informer des honneurs divins qu’ils lui décernent [71]. C’est là qu’est édifié le premier autel du culte impérial, suivi dix ans après par l’érection d’un temple en son honneur, partie d’un grand complexe monumental étagé en terrasses. Restaurer le temple (comme le fit avant lui Hadrien [72]), c’est s’inscrire dans la suite du premier empereur [73], ce qu’il continuera à faire à Rome, comme le montre la politique édilitaire qu’il y développa, et les thèmes qu’il choisit pour l’arc du forum.
23 La seconde partie du rêve montre Septime Sévère contemplant, « du haut d’une montagne élevée, le monde entier et la ville de Rome, tandis que chantaient en chœur les provinces aux sons de la lyre et de la flûte » [74]. On y retrouve le thème de la domination universelle de Rome, développé par Auguste, à la suite de Pompée : dans l’impressionnant complexe construit par celui-ci sur le Champ de Mars, les représentations des quatorze nations vaincues ornaient l’enceinte du théâtre ; à proximité, Auguste fit ériger une porticus ad nationes et Dion nous apprend que les personnifications des provinces furent portées dans la pompe funéraire d’Auguste [75]. La représentation des nations, qui symbolise la domination universelle du souverain, devient canonique : le thème a été repris par Antonin le Pieux dans le grand sanctuaire d’Hadrien construit sur le Champ de Mars et dédié en 145. Aux funérailles de Pertinax, dont il prendra le nom, Septime Sévère fera également défiler les images des provinces [76]. Et des inscriptions africaines le célèbreront en tant que propagator imperii. Le thème de l’harmonie musicale donne une connotation cosmique au rêve. Que ce soit Septime Sévère lui-même, ou les Espagnols de son entourage, qui ait inspiré l’invention et la diffusion de ce rêve, il place celui-ci en successeur d’Auguste, dominateur de l’œkoumène, assurant l’harmonie universelle. Nouveau fondateur de Rome, il a fait un rêve romuléen, se voyant téter les mamelles d’une louve [77]. Il est étonnant, dans cette perspective, que l’Histoire Auguste ne mentionne pas la célébration des jeux séculaires, qui plaçaient justement Septime Sévère dans cette perspective cyclique. Contrairement à l’héroïsation de Claude par le Sénat, largement inventée par notre auteur, le rêve de Septime Sévère qui est corroboré par Dion Cassius et par Hérodien, ne l’est pas ; il a plus probablement circulé à l’instigation de l’entourage impérial. Il est d’ailleurs très différent du genre d’anecdote sur les signes que l’on rencontre dans l’Histoire Auguste. Si l’auteur a choisi de mentionner ce rêve en deux parties, c’est qu’il offre une vision harmonique insérant l’imperium de Rome dans l’univers, tout en le rattachant à son fondateur, Auguste. Il s’agit donc là d’un élément de plus dans l’expression d’une idéologie impériale traditionnelle et païenne dans laquelle Rome continue à occuper une place centrale.
24 Dans l’Histoire Auguste, les signes relèvent le plus souvent du pastiche et de la fantaisie, de la pure et simple fabrication. Ils n’en révèlent pas moins une image du pouvoir impérial, les prodiges évoquant ses fondements religieux, et les divinités depuis longtemps liées au pouvoir, à commencer par Jupiter. La biographie participe, non seulement de la réflexion sur la politique, mais aussi de la politique elle-même [78] : le caractère caricatural, souvent sardonique, trait distinctif de l’Histoire Auguste, reflète le sentiment d’impuissance de l’aristocratie romaine mise sur la touche par le déplacement du centre de gravité de l’empire et par l’échec des tentatives de rétablissement d’un empire païen.
Abréviations
25 BHAC = Bonner Historia-Augusta-Colloquium, Bonn.
26 HAC = Historia-Augusta-Colloquium.
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- G. WEBER, Kaiser, Träume und Visionen in Prinzipat und Spätantike, Historia Einzelschriften, 143, Stuttgart 2000.
Notes
-
[1]
Ancien préfet de la Ville, en disgrâce (Hartke (1951) a ouvert la piste, ensuite reprise par Schlumberger (1974). Voir les réticences de Turcan (1993b, p. 22 et 61-62)).
-
[2]
SYME 1968. Voir la mise au point récente de Paschoud (1996, p. XVI) qui propose les années 395-397 comme terminus post quem de la mise en forme définitive de la collection des vies.
-
[3]
Car s’il est un texte sur lequel historiens et littéraires se rencontrent, c’est bien celui-là, comme en témoignent les colloques régulièrement réunis, à Bonn d’abord (Bonner Historiae Augustae Colloquium, désignés sous le sigle BHAC), puis dans différentes universités européennes. Les traductions utilisées ici sont, soit celles des volumes de la CUF, soit celle d’A. Chastagnol.
-
[4]
BOWERSOCK 1994, p. 5.
-
[5]
CALLU 1995, p. 137. De nombreuses interventions au cours de ces colloques annuels analysent les procédés utilisés par l’auteur. Voir aussi PASCHOUD 2002, p. VIII-IX.
-
[6]
BÉRANGER 1972/74, p. 29-36.
-
[7]
CALLU 1992, p. VIII.
-
[8]
Sfez (1990, p. 109-151), à propos de Machiavel auteur de biographie, retrouve les termes de G.W. Bowersock.
-
[9]
BOWERSOCK 1998, replace l’Histoire Auguste dans la perspective des biographies dynastiques.
-
[10]
Sans compter la fameuse Enmannsche Kaisergeschichte, acceptée par les uns, refusée par les autres.
-
[11]
VIGOURT 1993, p. 131. Voir surtout son ouvrage, VIGOURT 2001, en particulier l’introduction, qui pose la question de la « nécessité » du présage dans la biographie ou dans le récit. De Kisch (1973, p. 333) voit dans l’Histoire Auguste la convergence de l’annalistique, de la biographie et de l’hagiographie de son époque.
-
[12]
Pour reprendre les termes de BÉRANGER 1972, p. 43.
-
[13]
SMADJA 2002, p. 197-199. Voir aussi DE KISCH 1973, p. 333.
-
[14]
La vie de Diaduménien « relève de la fiction », comme le souligne Chastagnol (1994, p. 471), et les prodiges annoncés dans l’introduction et décrits aux chapitres 4 et 5 sont bien probablement imaginaires. C’est le seul cas où la description des signes a pour but de pallier le vide de l’information, comme l’auteur l’avoue lui-même : Nihil habet vita memorabile, nisi quod Antoninus est dictus et quod ei stupenda omina sunt facta imperii non diutini, ut evenit (« Il n’y eut rien de mémorable dans sa vie, sinon qu’il fut appelé Antonin et que se produisirent des signes étonnants d’un pouvoir éphémère, ce qu’il advint. » 1.1).
-
[15]
C’est-à-dire la dynastie constantinienne (V. Claud. 10. 3-5).
-
[16]
V. Clod. Alb.
-
[17]
V. Maximin. 30. 4.
-
[18]
V. Hadr, 26. 6.
-
[19]
V. Pert. 14. 1.
-
[20]
V. Tac. 17. 1.
-
[21]
Ep. 73 (72) 23 1-2. Hérodien, 2. 9. 3, mentionne « toutes sortes de prophéties ». Voir MILLAR 1964, surtout p. 134-150 et BERTRAND-DAGENBACH 1998, p. 23-59. Il s’agit de vies du « premier groupe », les mieux documentées.
-
[22]
Voir par exemple, V. Max. Balbin, 5, 3 : « Sur le moment on ne vit dans l’incident aucun présage ».
-
[23]
Comme c’est le cas pour Septime Sévère, à la différence d’Antonin le Pieux.
-
[24]
Comme le fait le père de Clodius Albinus ; la mère d’Aurélien comprend également que son fils est promis à un destin impérial, mais il n’en résulte rien de concret.
-
[25]
R. Syme voit dans Marius Maximus la source essentielle de l’auteur concernant les rapports de Septime Sévère avec l’astrologie. La biographie de cet empereur par Dion Cassius n’est jamais citée dans l’Histoire Auguste. Deux rêves de Septime Sévère sur cinq coïncident avec ceux qui sont rapportés par Dion Cassius.
-
[26]
Voir sur ce point l’étude de CRAMER 19962 , p. 162-178 et 208-217.
-
[27]
Pour les Sévères et le IIIè. s., voir MONTERO 1991.
-
[28]
V. Clod. Alb. 5.10. Voir SYME 1964/65, p. 270-271, et 1971, p. 96-98 ; DE KISCH 1970, p. 337, n. 3. Mais Callu (1992, p. XXII-XXIII) pense que ce surnom, s’il est peut-être sorti de l’imagination de l’auteur, pourrait recouvrir un continuateur de Marius Maximus.
-
[29]
RE II, col. 146, s. v. Apollonios 97.
-
[30]
Cité à trois reprises, V. Aur. 4. 2.
-
[31]
Voir par exemple le grand oncle d’Hadrien (V. Hadr. 2. 4), et Septime Sévère (V. Seu. 3. 9 ; V. Ant. Get. 2. 7 ; V. Pesc. N. 9. 6). Pour les druidesses gauloises, voir V. Car., Carin. et Num. 14. 3.
-
[32]
Voir par exemple Suétone, Tiberius, LVIII : « Enfin, on alla jusqu’à faire périr un citoyen qui s’était laissé investir d’une magistrature dans sa colonie le même jour où l’on avait autrefois décerné des charges à Auguste » (trad. CUF). Voir aussi Galba, VI, 1, et le commentaire qu’en donne VIGOURT 2001, p. 348.
-
[33]
V. Max. 30, 6. L’anecdote la plus étrange est celle de l’énorme carapace de tortue transformée en baignoire à l’image de celles des princes (V. Clod. Alb. 5. 6-7).
-
[34]
V. Ant. Comm. 10. 2. Il montre celui-ci tout à fait conscient de la portée de cette coïncidence : il fait mettre à mort un homme qui lisait la vie de Caligula par Suétone. Autre exemple : Diaduménien naît le même jour qu’Antonin le Pieux (V. Ant. Diad. 5. 4).
-
[35]
V. Seu. Al. 5. 2. Ce détail est inventé par l’auteur.
-
[36]
1998, p. 207.
-
[37]
NOCK 1972, p. 496-97.
-
[38]
VIGOURT 2001, p. 117.
-
[39]
À la naissance de Geta (Geta 3. 5).
-
[40]
Les douze brebis de couleur pourpre nées sur une propriété de Macrin (V. Ant. Diad. 4. 5)
-
[41]
V. Seu. Al. 14. 1.
-
[42]
V. Get. 3. 2, V. Alex. Sev. 13. 1.
-
[43]
BRIQUEL 1999, p. 185-188. La grappe de raisin d’une taille extraordinaire fait penser à l’ancêtre des augures romains, Attus Navius, qui fait aux dieux qui l’ont aidé à retrouver l’animal qu’il gardait l’offrande de la plus grosse grappe de la vigne familiale, et devient l’augure de Tarquin (Cicéron, div. I, 17).
-
[44]
CRAMER 19962, p. 232-281 analyse la loi augustéenne de 11 ap. J.-C. et son application. Les Sentences de Paul (5. 21. 3-4) interdisent les consultations sur la santé du Prince ou les affaires de l’État.
-
[45]
Cth. IX, 16,4. Voir GRODZYNSKI 1974, p. 287, et MONTERO 1999, p. 82-83, qui suit son argumentation.
-
[46]
Amm. Marc. 22. 1. 1.
-
[47]
MONTERO1991, p.93-102.
-
[48]
Amm. Marc. 30. 1. 1 et Zos. 4. 21.
-
[49]
CTh., XVI, 10, 10. Politique qui n’évoluera pas avec Stilicon.
-
[50]
DE KISCH 1970 p. 340.
-
[51]
PASCHOUD 1996, p. XV.
-
[52]
FEARS 1977.
-
[53]
Par exemple celui qui enlève le petit Aurélien pour le transporter sur un autel (V. Aur. 4. 6).
-
[54]
V. Aur. 5. 5.
-
[55]
V. Sev. Al. 13. 5 ; V. Max. 30. 2 ; V. Gord. tr. 23. 2.
-
[56]
BERTRAND-DAGENBACH 1990, p. 76-77.
-
[57]
BERTRAND-DAGENBACH 1990, p. 107, SCHWARZ 1964/65, p. 199.
-
[58]
Artémidore, La clef des songes, 4. 67-68.
-
[59]
V. Max. 5. 3.
-
[60]
Suet. Div. Aug. 94. 11.
-
[61]
Met. 11. 1.
-
[62]
V. Clod. Alb. 5. 8.
-
[63]
V. Ant. P. 3. 5.
-
[64]
18. 3. 2. Voir GRODZYNSKI 1974, p. 282.
-
[65]
En. 7. v. 64-67.
-
[66]
Voir à ce sujet la réflexion de Molinier-Arbo (2002, p. 173-190).
-
[67]
Y. DE KISCH 1973, p. 354.
-
[68]
V. Claud.
-
[69]
BRUGGISSER 1998, p. 59-87.
-
[70]
V. Seu. 3, 4, et Epit. LXXIVb 3, 2.
-
[71]
ÉTIENNE 1958, p. 498-499.
-
[72]
V. Hadr.12. 3. L’auteur a-t-il « fabriqué » le rêve à partir de cette mention de la restauration par Hadrien, ou repris un récit qui avait été mentionné dans ses sources et diffusé à l’époque sévérienne ?
-
[73]
Sur le modèle augustéen de Septime Sévère, voir DESNIER 1993.
-
[74]
DAREGGI 1998, p. 137-153, WEBER 2000, p. 206-207.
-
[75]
Voir NICOLET 1988, p. 41-59. On sait qu’à l’époque sévérienne la représentation des nations est reprise comme thème iconographique : voir le portique du temple de Caelestis à Thugga. Cette thématique a été diffusée dans les provinces (Aphrodisias en Carie sous les Julio-Claudiens, Éphèse dans le temple de Marc Aurèle et Lucius Verus).
-
[76]
Dio. Cass. 74. 4. 5.
-
[77]
V. Sev. I. 8.
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[78]
M. BEARD, dans la discussion suivant l’intervention de G.W. Bowersock, in EHLERS 1998, p. 212.