Notes
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[1]
Je remercie les participants au colloque « Conseillers et ambassadeurs dans l’Antiquité » pour leurs très pertinentes suggestions ainsi que ma directrice de thèse, Mme Michèle Ducos, pour ses conseils et ses relectures.
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[2]
Tite-Live, Préf., 8 : […] per quos uiros quibusque artibus domi militiaeque et partum et auctum imperium sit.
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[3]
Tite-Live, IX, 3. Les Samnites parviennent à bloquer l’armée romaine dans une gorge aux Fourches Caudines. Ils consultent le père de leur général, Hérennius Pontius sur la stratégie à adopter. Celui-ci leur conseille soit de laisser partir les Romains indemnes soit de les tuer tous. En choisissant une troisième solution, humilier l’armée romaine en la faisant passer sous le joug, les Samnites créent les conditions de leur propre défaite : quelques mois plus tard, galvanisés par leur désir de vengeance, les Romains mettent l’armée samnite en pièces.
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[4]
Achard 1995, p. 91.
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[5]
Cl. Hermann remarque qu’Égérie symbolise dans une femme « l’esprit conseiller mais discret et nocturne », (Hermann 1964, p. 23). J. Poucet rappelle que l’image du roi législateur inspiré par les dieux est un modèle d’origine grecque (Poucet 1994, p. 170).
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[6]
Tite-Live, I, 19, 5 : Qui cum descendere ad animos sine aliquo commento miraculi non posset, simulat sibi cum dea Egeria congressus nocturnos esse : eius se monitu, quae acceptissima diis essent, sacra instituere… : « Mais, comme il était impossible de faire pénétrer (le sentiment religieux) dans les cœurs sans avoir recours à quelque prodige, il feint d’avoir avec la déesse Égérie des entrevues nocturnes : “C’était sur ses conseils, [disait-il], qu’il instituait les cérémonies les plus agréables aux dieux…” »
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[7]
Cette expression a été inventée par Heurgon 1993 [1969] (p. 113) à propos de Tanaquil, puis reprise par Martin 1985 (p. 5) et Briquel 1998 (p. 113). D. Briquel étend l’expression à Tullia qui participe au complot pour tuer son propre père et le remplacer par son mari.
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[8]
Boёls 2006 ; Briquel 1998 ; Martin 1985.
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[9]
Tite-Live, I, 41, 5 : Interim Seruio Tullio iubere populum dicto audientem esse ; eum iura redditurum obiturumque alia regis munia esse : « En attendant, elle invite le peuple à écouter les ordres de Servius Tullius ; c’est lui qui rendra la justice et remplira les autres fonctions du roi », (traduction CUF en partie modifiée).
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[10]
Tite-Live, I, 48, 5 : Carpento certe, id quod satis constat, in forum inuecta nec reuerita coetum uirorum euocauit uirum e curia regemque prima appelauit : « Ce qui est certain du moins, c’est qu’elle alla en voiture au forum, sans rougir devant cette foule d’hommes, qu’elle fit venir son mari hors de la curie et lui donna la première le titre de roi. »
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[11]
Tite-Live, I, 34, 7 : Facile persuadet ut cupido honorum et cui Tarquinii materna tantum patria esset. Sublatis itaque rebus amigrant Romam : « Elle le persuade facilement, en homme assoiffé d’honneurs qu’il était et pour qui Tarquinies n’était que la patrie de sa mère, et, ayant réuni tous leurs biens, ils partent pour Rome » (traduction CUF en partie modifiée).
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[12]
Tite-Live, I, 34, 9 : Accepisse id augurium laeta dicitur Tanaquil, perita, ut uolgo Etrusci, caelestium prodigiorum mulier. Excelsa et alta sperare complexa uirum iubet… : « Tanaquil accueillit, dit-on, ce présage avec joie, car elle avait la science, répandue en Étrurie, des prodiges célestes. Elle engage son mari en l’embrassant à concevoir de grandes et hautes espérances… »
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[13]
Tite-Live, I, 39, 3.
-
[14]
La divination et l’haruspicine sont en effet des pratiques religieuses d’origine étrusque. D. Briquel remarque cependant qu’aucune source ne fait mention de femmes haruspices. Il faudrait donc davantage lire dans ce passage le reflet d’un « mythe » romain à propos des étrusques qui conduit à imaginer qu’ils avaient tous des aptitudes particulières pour le surnaturel (Briquel 1998, p. 118) ; A. Hus au contraire considère que la divination était une pratique des grandes familles de l’aristocratie étrusque à laquelle les femmes aussi pouvaient être initiées, comme en témoigne le rôle de Tanaquil dans cet épisode (Hus 1980, p. 185).
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[15]
Le terme est de R. M. Ogilvie qui, dans son commentaire de ce passage, signale que la tournure scire licet n’apparaît pas ailleurs chez Tite-Live et qu’elle est habituellement employée chez Lucrèce ou chez Celse « in their most didactic moments ». Il y aurait donc chez Tite-Live la volonté de donner aux paroles de Tanaquil un ton professoral pour renforcer son autorité en tant que conseillère (Ogilvie 1965, p. 143).
-
[16]
Tite-Live, XXIV, 22, 8-10.
-
[17]
Cf. OLD, s.u. « admonere » : « to give a reminder to (a person) » ; « to give advise, to make a recommendation or suggestion » ; « to warn (of dangers), caution, admonish ».
-
[18]
Tite-Live, I, 48, 5 : Creditur, quia non abhorret a cetero scelere, admonitu Tulliae id factum : « On pense – parce que cela n’est pas incompatible avec ses autres crimes – que c’est sur le conseil de Tullia que le meurtre eut lieu » (traduction personnelle).
-
[19]
Tite-Live, XXIV, 24, 2 : Fessus tandem uxoris uocibus monentis nunc illud esse tempus occupandi res… : « Ce dernier avait fini par être fatigué par les paroles de sa femme ; elle l’avertissait que le moment était venu d’occuper le pouvoir… »
-
[20]
Tanaquil interprète le bonnet replacé par l’aigle sur la tête de Tarquin comme un signe des dieux : diuinitus redderet (Tite-Live, I, 34, 9) ; Tullia explique au futur Tarquin le Superbe que tout, depuis son père jusqu’à son nom l’appelle à la Royauté (Tite-Live, I, 47, 4). Les spécialistes de religion romaine ont souligné les similitudes qui existent entre les deux aristocrates étrusques et la déesse Fortuna, « dispensatrice du regnum », dont elles ne sont probablement qu’une forme historicisée (Boëls 2006, p. 49-50). Ce thème de la fortune, de la chance qu’il faut saisir, ressurgit ici dans le discours de Damarata.
-
[21]
Quintilien, Institution Oratoire, V, 11, 6 : Potentissimum autem est inter ea, quae sunt huius generis, quod proprie uocamus exemplum, id est rei gestae aut ut gestae utilis ad persuadendum id, quod intenderis, commemoratio : « Parmi les arguments de ce genre, le plus efficace est celui que nous appelons proprement exemple, c’est-à-dire le rappel d’un fait historique ou présumé tel, qui sert à persuader l’auditeur de l’exactitude de ce que l’on a en vue. »
-
[22]
Tite-Live, XXIV, 24, 2.
-
[23]
La tyrannie de Denys l'Ancien est l'un des thèmes de la lettre VII attribuée à Platon, récit de son entreprise visant à persuader Denys le Jeune de mener la même politique. Aristote l'évoque dans La Politique (V, 5, 10 [1305a]), il deviendra un stéréotype moqué dans plusieurs pièces de théâtre comiques et un sujet récurrent dans l’historiographie grecque, cf. Sanders 1987, p. 21-25.
-
[24]
Turchetti 2001, p. 44 ; c’est aussi la figure type du tyran dans les exercices de déclamation, cf. Béranger 1935, p. 87.
-
[25]
Tite-Live, XXIV, 5, 4 : Hiéronyme, le tyran assassiné, avait lui-même pris modèle sur le comportement despotique de Denys, notamment en se déplaçant sur un char attelé de quatre chevaux blancs.
-
[26]
Spencer, Theodorakopoulos 2006.
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[27]
Tite-Live, I, 34, 4.
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[28]
Tite-Live, I, 34, 9.
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[29]
Tite-Live, I, 46, 7 : […] sed initium turbandi omnia a femina ortum est.
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[30]
Tite-Live, I, 46, 8 : adulescentem suae temeritatis implet.
-
[31]
Tite-Live, XXIV, 25, 6 : […] sed animos eis regios regias coniuges fecisse, alteri Hieronis, alteri Gelonis filias nuptas.
-
[32]
Tite-Live, I, 34, 6.
-
[33]
Tite-Live, I, 41, 3 : Et nos peregrini regnauimus ; qui sis, non unde natus sis reputa : « Nous aussi, bien qu’étrangers, nous avons régné. Ne songe qu’à ce que tu es ; oublie ta naissance. »
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[34]
Tite-Live, I, 47, 6 : Cum Tanaquil, peregrina mulier, tantum moliri potuisset animo ut duo continua regna uiro ac deinceps genero dedisset, ipsa regio semine orta nullum momentum in dando adimendoque regno faceret : « Tanaquil, une étrangère, avait pu accomplir ce tour de force de donner deux fois de suite la couronne à son mari, puis à son gendre, et elle, issue de souche royale, elle n’aurait aucune influence pour faire ou défaire un roi ! »
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[35]
Tite-Live, I, 47, 6 : « […] par des reproches de ce genre, elle excite le jeune homme… » Le verbe increpare a ici le sens de « faire de violents reproches », cf. OLD, s.u. « increpare ».
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[36]
Tite-Live, I, 47, 1-5 : Nec nocte nec interdiu uirum conquiescere pati […] « Si tu is es cui nuptam esse me arbitror, et uirum et regem appello ; sin minus, eo nunc peius mutata res est, quod istic cum ignauia est scelus. […] di te penates patriique et patris imago et domus regia et in domo regale solium et nomen Tarquinium creat uocatque regem. Aut si ad haec parum est animi, quid frustraris ciuitatem ? Quid te ut regium iuuenem conspici sinis ? Facesse hinc Tarquinios aut Corinthum, deuoluere retro ad stirpem, fratri similior quam patri » : « Ni jour ni nuit, elle ne laisse son mari en repos […] : “Si tu es l’homme que j’ai cru épouser, je te reconnais pour mari et pour roi. Sinon mon état n’a fait qu’empirer, car il réunit la lâcheté et le crime. […] Les dieux de ton foyer et de ta patrie, l’image de ton père, de ton palais, le trône qui s’y trouve, ton nom de Tarquin, tout te fait et te déclare roi. Si tu n’en as pas l’âme, pourquoi tromper Rome ? Pourquoi te donner des airs de prince ? Retourne à Tarquinies ou à Corinthe. Redescends jusqu’à ton origine, toi, tout le portrait de ton frère, et non de ton père.” »
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[37]
Tite-Live, I, 41, 3 : Tuum est, inquit, Serui, si uir es, regnum, non eorum, qui alienis manibus pessimum facinus fecere. Erige te deosque duces sequere, qui clarum hoc fore caput diuino quondam circumfuso igni portenderunt. Nunc te illa caelestis excitet flamma, nunc expergiscere uere. […] Si tua re subita consilia torpent, at tu mea consilia sequere : « “C’est à toi, Servius”, dit-elle, “si tu es un homme, que revient le trône, et non aux lâches qui ont emprunté le bras d’autrui pour commettre leur forfait. Debout ! et laisse-toi guider par les dieux qui ont annoncé la gloire réservée à ton front en l’entourant jadis d’un feu céleste. Voici l’heure d’être animé de ce feu divin. Voici l’heure du vrai réveil. […] Si ce coup imprévu glace ta décision, suis du moins la mienne.” »
-
[38]
Tite-Live, XXIV, 24, 2.
-
[39]
Tite-Live, XXXIV, 2, 13, (traduction CUF en partie modifiée).
-
[40]
Tite-Live, XXIV, 22, 8.
-
[41]
Tourraix 1976, p. 371.
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[42]
Tite-Live, XXIV, 22, 8.
-
[43]
À ce sujet, cf. Martin 1994, p. 3-11.
-
[44]
Tite-Live, I, 42, 5.
-
[45]
Briquel 1998, p. 119-124.
-
[46]
Ces détails n’apparaissent ni chez Cicéron, ni chez Denys d’Halicarnasse, cf. Michels 1951, p. 14.
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[47]
Tite-Live, I, 35, 2-6 : Isque primus et petisse ambitiose regnum et orationem dicitur habuisse ad conciliandos plebis animos conpositam. […] quam in petendo habuerat etiam regnantem ambitio est : « Il fut le premier, dit-on, qui fit acte de candidat au trône et qui prononça un discours pour gagner les suffrages de la plèbe. […] Le désir de popularité dont il avait fait preuve au moment de sa candidature se retrouva également lorsqu’il fut roi » (traduction CUF en partie modifiée).
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[48]
Penella 2004.
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[49]
Sur cette question : Feig Vishnia 2012, p. 134 ; Yakobson 1999, p. 22 ; Lintott 1990 ; Deniaux 1987 ; Linderski 1985.
-
[50]
Penella 2004, p. 633.
-
[51]
Tite-Live, I, 35, 2.
-
[52]
Tite-Live, I, 34, 5.
-
[53]
Tite-Live, I, 47, 7 : His muliebribus instinctus furiis Tarquinius circumire et prensare minorum maxime gentium patres ; admonere paterni beneficii ac pro eo gratiam repetere ; allicere donis iuuenes…
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[54]
Tite-Live, I, 48, 7 : […] amens, agitantibus furiis sororis ac uiri, Tullia per patris corpus carpentum egisse fertur.
-
[55]
Johner 1992, p. 34-37 rapproche Tullia de Médée. Dans leurs emplois courants furia et furor désignent tous deux une folie furieuse se manifestant par une rage parfois accompagnée d’un désir de vengeance. Cf. OLD, s.u. « furor » et « furia » ; Johner 1992, p. 34-37.
-
[56]
Tite-Live, I, 49, 2 : Tarquin le Superbe fait notamment mettre à mort une partie des sénateurs et rend seul la justice.
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[57]
Tite-Live, I, 41, 6 : « Servius, soutenu par une garde solide, fut le premier qui devint roi sans être choisi par le peuple et avec le seul consentement du sénat. »
-
[58]
Tite-Live, I, 47, 2.
-
[59]
Meulder 2005, p. 545 ; Fox 1996, p. 132-133.
-
[60]
Tite-Live, I, 49, 3 : […] neque enim ad ius regni quicquam praeter uim habebat, ut qui neque populi iussu neque auctoribus patribus regnaret […] : « Il n’avait, en effet, d’autre droit au trône que la force, lui que ni les suffrages du peuple, ni l’approbation du sénat n’avaient fait roi. »
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[61]
Le peuple se réunit « à l’Achradina, près de la curie », sur lequel trône un autel de la Concorde (XXIV, 22, 1) ; Adranadorus est sommé de se soumettre « au pouvoir du sénat et du peuple » (XXIV, 22, 4) ; un peu plus loin, l’Achradina est qualifiée de « forum » (XXIV, 22, 12) ; des comices sont tenus pour élire des préteurs (XXIV, 23, 1).
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[62]
L’ensemble de l’épisode de Syracuse au livre XXIV semble l’occasion pour Tite-Live d’illustrer une nouvelle fois le processus politique qui conduit de la monarchie à la tyrannie puis de la tyrannie à la res publica sur le modèle de l’histoire de Rome, cf. Lentano 1999.
-
[63]
Tite-Live, XXIV, 22, 1-5.
-
[64]
Tite-Live, I, 59, 9.
-
[65]
Tite-Live, II, 1, 8.
-
[66]
Tite-Live, II, 1, 9 : Omnium primum auidum nouae libertatis populum, ne postmodum flecti precibus aut donis regiis posset, iure iurando adegit : neminem Romae passuros regnare : « Avant tout pour empêcher le peuple épris de la liberté nouvelle de céder plus tard à des sollicitations ou libéralités royales, il lui fit jurer de ne plus tolérer de rois à Rome. »
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[67]
Tite-Live, XXIV, 24, 2 : Fessus tandem uxoris uocibus monentis nunc illud esse tempus occupandi res dum turbata omnia noua atque incondita libertate essent, dum regiis stipendiis pastus obuersaretur miles, dum ab Hannibale missi duces adsueti militibus iuuare possent incepta : « Ce dernier avait fini par être fatigué par les paroles de sa femme ; elle l’avertissait que le moment était venu d’occuper le pouvoir, maintenant que la confusion était générale, du fait d’une liberté nouvelle et mal contrôlée, maintenant qu’allaient et venaient en public des soldats engraissés par la solde du roi et que les chefs envoyés par Hannibal, eux qui étaient les familiers des soldats, pouvaient favoriser ses entreprises. »
-
[68]
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 8, 5.
-
[69]
Plutarque, Dion, XXXV, 2-6 : Plusieurs années plus tard, Philistos, qui venait secourir Denys, est vaincu par les Syracusains lors d’une bataille navale. Plutarque rapporte alors deux versions de l’histoire. Selon la première (celle d’Éphore), Philistos s’est donné la mort sur le bateau. Selon la deuxième (celle de Timonidès) il aurait été fait prisonnier, torturé, décapité, et son corps aurait été traîné le long de l’Achradina par des enfants. Une troisième version (celle de Timée) précise que, Philistos étant boiteux, les enfants l’auraient traîné par la jambe en référence au célèbre conseil qu’il avait donné à Denys.
-
[70]
Tite-Live, XXIV, 24, 4.
-
[71]
Tite-Live, XXIV, 6, 1.
-
[72]
Tite-Live, XXIV, 5, 8 ; XXIV, 24, 2.
-
[73]
Lorsqu’il l’évoque pour la première fois, Syphax ne prononce pas son nom mais parle d’une Carthaginiensem matronam, une « femme de Carthage », Tite-Live, XXX, 13, 12.
-
[74]
Furor désigne dans son premier sens un état de folie d’apparition violente, un délire, un moment d’égarement parfois lié à une possession divine, cf. OLD, s.u. « furor ».
-
[75]
Tite-Live, XXX, 13, 10-12 : […] exitum sui furoris eum fuisse, non principium ; tum se insanisse […] cum Carthaginiensem matronam domum acceperit […] illam furiam pestemque omnibus delenimentis animum suum auertisse atque alienasse.
-
[76]
Briand-Ponsart 2005, p. 336.
-
[77]
Le phénomène est très net dans la scène de rencontre entre Sophonisbe et Massinissa : propiusque blanditias iam oratio esset quam preces, non in misericordiam modo prolapsus est animus uictoris, sed, ut est genus Numidarum in Venerem praeceps, amore captiuae uictor captus (Tite-Live, XXX, 12, 18). Le terme blanditiae désigne des discours doucereux, des cajoleries ou des flatteries, cf. OLD, s.u. « blanditia ».
-
[78]
De manière générale, Tite-Live ne donne que très peu de détails sur l’apparence physique des femmes qui se résume à quelques détails symboliques comme « les cheveux dénoués pour marquer l’intensité émotionnelle d’une scène », cf. Erne 1998, p. 56.
-
[79]
Au point que l’on a proposé de rapprocher l’image de Sophonisbe dans ce passage de celle que la littérature latine véhicule à propos de Cléopâtre, cf. notamment Briand-Ponsart 2005, p. 338 ; Haley 1998.
-
[80]
Tite-Live, XXX, 15, 8 ; cf. Briand-Ponsart 2005, p. 340-343.
-
[81]
De tels rapprochements invitent d’ailleurs à penser que Tite-Live s’inspire peut-être, pour brosser le portrait des rois étrusques de l’époque archaïque, de celui des souverains hellénistiques : voir à ce sujet Glinister, 2006, p. 17-33.
-
[82]
Briquel 1998, p. 124 rappelle que la tradition qui entoure Tanaquil et Tullia : « globalement, n’a aucune chance de correspondre à la réalité historique ». À l’opposé, Hiéron est une figure historique de même que sa fille, Damarata. Cependant, il est évident que les détails de son intervention auprès d’Adranadorus sont largement romancés et influencés par des souvenirs littéraires, probablement d’origine grecque.
-
[83]
Tite-Live, VI, 34.
-
[84]
Sur ce sujet, voir Ducos 1987, p. 134-135.
-
[85]
Tite-Live, II, 1, 6 : tranquilla moderatio imperii.
-
[86]
La Sicile est devenue province romaine en 227 av. J.-C., à l’exception du royaume d’Hiéron qui avait conservé son propre régime, cf. Baslez 2004 [1994], p. 234.
-
[87]
Tite-Live, XXIV, 22, 17.
-
[88]
Tite-Live, XXIV, 23, 1.
-
[89]
Tite-Live, XXII, 40-50, pour une analyse du consilium en contexte militaire, voir Johnston, 2008.
-
[90]
Tite-Live, XLIV, 22, 11-12 : Non sum is, Quirites, qui non existumem admonendos duces esse : immo eum, qui de sua unius sententia omnia gerat, superbum iudico magis quam sapientem : « Je ne suis pas homme à penser, Romains, que les généraux n’ont pas besoin de conseils ; bien au contraire, celui qui veut tout faire d’après ses seules idées est, à mon avis, plus présomptueux que sage. »
-
[91]
Crook 1955, p. 5 ; Johnston 2008, p. 1, ajoute que les conseils du sénat aux magistrats prenaient la forme d’un décret officiel, le senatus consultum.
-
[92]
Tite-Live, V, 20, 3.
-
[93]
Tite-Live, II, 40, 5-10 : Coriolanus prope ut amens consternatus ab sede sua cum ferret matri obuiae complexum, mulier, in iram ex precibus uersa, « Sine, priusquam complexum accipio, sciam, inquit, ad hostem an ad filium uenerim, captiua materne in castris tuis sim. […] de his uideris, quos, si pergis, aut immatura mors aut longa seruitus manet. » Vxor deinde ac liberi amplexi, fletusque ab omni turba mulierum ortus et comploratio sui patriaeque fregere tandem uirum : « Coriolan, bouleversé et comme affolé, s’élança de son siège au-devant de sa mère pour l’embrasser ; mais elle, passant des prières à la colère : “Attends, avant de m’embrasser, lui dit-elle, je veux savoir si je suis chez mon ennemi ou chez mon fils ; si, dans ton camp, je suis ta captive ou ta mère […] songe à ceux que voici : un pas de plus et une mort prématurée ou un long esclavage les attend.” Alors, les embrassements de sa femme et de ses enfants, les sanglots qui montaient de toute la foule des femmes, et leurs lamentations sur la patrie et sur elles-mêmes finirent par briser son énergie. »
-
[94]
Tite-Live, XXXIX, 10-11.
-
[95]
Kowalewski 2002, p. 58.
-
[96]
Moreau 1995, p. 57.
-
[97]
Kowalewski 2002, p. 68.
-
[98]
Tite-Live, I, 39, 3.
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[99]
Tite-Live, I, 48, 5 : creditur admonitu Tulliae id factum.
-
[100]
Tite-Live, XXIV, 22, 8 : euocatum eum ab legatis Damarata uxor.
-
[101]
Tite-Live, III, 36, 2 : « Tous les jours ils s’assemblaient sans témoins ; dès lors, la tête pleine de projets insensés qu’ils mûrissaient en secret, ne dissimulant plus leur arrogance, difficiles à aborder, hautains envers leurs interlocuteurs… »
-
[102]
Dangel 2006, p. 163-188.
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[103]
Ramírez Díez 1994.
-
[104]
Tacite, Annales, I, 5.
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[105]
Meulder 2005, p. 545 ; Fox 1996, p. 132-133.
1L’art de gouverner constitue l’un des thèmes majeurs de l’Histoire romaine de Tite-Live qui annonce dans sa préface son projet d’étudier : « les grands hommes et la politique, intérieure et extérieure, qui ont créé et agrandi l’Empire [2]. » Il est assez étonnant, dès lors, de n’y trouver que de si rares figures de conseillers : si certains personnages, principalement dans un contexte militaire, sont sollicités ponctuellement pour leur expérience ou donnent spontanément leur avis, celui-ci est rarement écouté, souvent à tort, comme les Samnites l’apprendront à leurs dépens, en méprisant les conseils du vieil Hérennius Pontius lors de l’épisode des Fourches Caudines [3].
2Pourtant, la lecture du premier livre attire l’attention sur un personnage particulier et récurrent, celui de la conseillère présente aux côtés de certains rois, motif qui paraît d’autant plus significatif que les personnages féminins sont rares, en proportion, dans le récit [4]. La première de ces « conseillères » est une figure à part puisqu’il s’agit de la nymphe Égérie, qui d’après la légende, donnait la nuit, dans les bois, des conseils de gouvernement au roi Numa [5]. Ce n’est pas sans ironie que Tite-Live évoque cette légende : selon lui, il ne s’agirait que d’une supercherie inventée par Numa pour inspirer au peuple romain le respect des dieux [6]. Dès le départ, la relation « conseillère-conseillé » paraît donc entourée d’une forte suspicion. Or, dans la suite du récit, trois figures de conseillères attirent justement l’attention : celles, bien connues, de Tanaquil et de Tullia, les « faiseuses de rois [7] » du livre I qui conseillent respectivement Tarquin l’Ancien, Servius Tullius et Tarquin le Superbe, et celle de Damarata au livre XXIV, épouse d’Adranadorus – le tuteur du jeune tyran de Syracuse Hiéronyme qui vient d’être assassiné – qu’elle pousse à s’emparer du pouvoir. Le rapprochement entre ces trois figures part d’une remarque simple : toutes commencent par intervenir en paroles auprès de leurs maris (ou gendre dans le cas de Tanaquil et Servius Tullius), dans des discours de bonne longueur rapportés au style direct ou au style indirect libre, constituant ce que l’on pourrait appeler de véritables « scènes de conseil ». On en vient dès lors à s’interroger sur les raisons pour lesquelles Tite-Live souligne de manière appuyée l’influence exercée par ces conseillères sur certains rois. Leur présence aux côtés des trois rois étrusques – parmi lesquels se trouve Tarquin le Superbe – et d’un tyran de Sicile semble être symptomatique d’une forme de dérive ou de dégradation du pouvoir monarchique. Dès lors, qu’est ce qui, dans les conseils qu’elles donnent, induit cette dégradation et en quoi ces scènes sont-elles révélatrices de la réflexion livienne sur l’exercice du pouvoir ?
Des stratégies rhétoriques efficaces mais qui nuisent à la crédibilité des conseillères
3Les études consacrées à Tanaquil et à Tullia par P. M. Martin, D. Briquel ou encore N. Boëls-Janssen [8] ont conduit à forger à leur propos l’expression de « faiseuses de rois » parce qu’elles ont un rôle actif dans l’accession au pouvoir de Servius Tullius et de Tarquin le Superbe : la première, à la mort de son mari Tarquin l’Ancien, donne le trône à Servius Tullius et, apparaissant à la fenêtre du palais royal, le présente au peuple comme le nouveau roi [9] ; la seconde, après le meurtre de son père Servius Tullius, est la première à saluer Tarquin le Superbe du titre de roi [10]. Cependant, les discours qui précèdent ces actions et les procédés rhétoriques que ces femmes mettent en œuvre pour convaincre leurs maris de s’emparer du pouvoir n’ont pas souvent attiré l’attention. Pourtant, Tanaquil, la première à apparaître, a bien un rôle de conseillère auprès de son mari Tarquin l’Ancien comme en témoignent les verbes employés pour décrire son intervention : alors qu’ils vivent encore à Tarquinies, elle le « persuade facilement » (facile persuadet) de partir pour Rome [11] en chargeant tous ses biens sur un chariot ; puis, lorsqu’un aigle surgit, soulève le bonnet de Tarquin et le repose sur sa tête, elle l’engage (iubet) à interpréter l’événement comme le signe d’un destin exceptionnel [12]. Plus tard, alors qu’il est devenu roi, lorsque la tête de Servius Tullius, un jeune esclave du palais, s’entoure miraculeusement de flammes pendant son sommeil, c’est encore elle qui lui conseille en ces termes d’élever l’enfant avec soin et de lui donner une bonne éducation :
Mox cum somno et flammam abisse. Tum abducto in secretum uiro Tanaquil : Viden tu puerum hunc, inquit, quem tam humili cultu educamus ? Scire licet hunc lumen quondam rebus nostris dubiis futurum praesidiumque regiae adflictae : proinde materiam ingentis publice priuatimque decoris omni indulgentia nostra nutriamus.
Juste à son réveil la flamme disparut. Alors, prenant à part son mari, Tanaquil lui dit : « Vois-tu cet enfant que nous élevons dans une condition si humble ? Sache qu’un jour il sera notre rayon de lumière en des moments critiques et le soutien de notre trône ébranlé. Ce germe d’une gloire immense pour l’État et pour notre maison, apportons toute notre sollicitude à le développer [13]. »
6Cette réplique prémonitoire, annonciatrice du destin de Rome, puisque Servius Tullius remplacera effectivement Tarquin l’Ancien sur le trône, parvient sans difficulté à convaincre Tarquin d’accorder une attention particulière à l’enfant. Tanaquil est en effet très convaincante à double titre : son autorité de conseillère repose d’une part sur les connaissances qu’elle détient dans l’art d’interpréter les signes divins, liées à ses origines étrusques [14] et qui s’étaient déjà manifestées de manière pertinente lors de l’épisode de l’aigle ; d’autre part, elle est capable d’organiser rigoureusement son propos pour souligner de manière très « didactique [15] » la logique de ses arguments : après avoir fait remarquer l’enfant à son mari (Viden tu), elle suggère d’interpréter la flamme comme d’un signe d’élection (Scire licet) et en tire les conséquences qui s’imposent dans la formulation d’un conseil exprimé au subjonctif présent (proinde […] nutriamus) dans lequel elle s’inclut en tant que locutrice.
7 Damarata, l’épouse d’Adranadorus, étonne elle aussi par son habileté rhétorique. Juste après l’assassinat du tyran de Sicile Hiéronyme en 214 av. J.-C., les conjurés envoient à son mari, ancien tuteur du jeune homme, une délégation afin de connaître ses intentions. C’est alors qu’elle intervient pour lui conseiller de gagner du temps et de recruter en secret des mercenaires pour l’aider à s’emparer du trône :
Sed euocatum eum ab legatis Damarata uxor, filia Hieronis, inflata adhuc regiis animis ac muliebri spiritu, admonet saepe usurpatae Dionysi tyranni uocis, qua pedibus tractum, non insidentem equo relinquere tyrannidem dixerit debere : facile esse momento quo quis uelit cedere possessione magnae fortunae ; facere et parare eam difficile atque arduum esse. Spatium sumeret ad consultandum ab legatis ; eo uteretur ad arcessendos ex Leontinis milites, quibus si pecuniam regiam pollicitus esset, omnia in potestate eius futura.
Mais, après l’avoir fait venir loin des députés, sa femme, Damarata, fille d’Hiéron, encore gonflée d’un orgueil royal et d’une hardiesse de femme, lui rappelle le mot souvent cité de Denys le tyran : « C’est quand on est tiré par les pieds, non quand on est à cheval, que l’on doit quitter la tyrannie. Il est facile en un moment, quand on le veut, d’abandonner la possession d’une haute fortune, mais la créer et la construire est difficile et ardu ». Qu’il obtienne des députés du temps pour réfléchir, qu’il s’en serve pour faire venir des soldats de Léontini ; s’il leur promettait l’argent du roi, tout serait en sa possession [16].
10 L’emploi du subjonctif imparfait (sumeret), qui marque la modalité injonctive dans un texte passé, confirme qu’il s’agit bien d’un conseil de même que l’hypothétique finale : « s’il leur promettait de l’argent du roi, tout serait en sa possession », qui résonne comme une promesse et rappelle que le temps du conseil est d’abord le futur, la prédiction. Le conseil est introduit par le verbe admonet qui signifie « rappeler » mais aussi « recommander » et « avertir, faire prendre garde [17] » et qui, dans sa forme simple, monet, semble venir spontanément à l’esprit de Tite-Live pour évoquer la modalité du conseil. On trouve ainsi le substantif admonitu pour évoquer les propos d’Égérie et de Tullia [18], mais aussi le participe présent monentis dans la seconde réplique de Damarata [19].
11 La force du propos de Damarata repose sur l’autorité d’une citation à valeur de proverbe attribuée au tyran Denys dont elle propose une interprétation fondée sur des tournures généralisantes : abandonner le pouvoir lorsqu’on a la chance de l’obtenir est facile. En revanche, le conquérir est difficile et ardu, c’est pourquoi il ne faut accepter de le quitter qu’en dernier recours. Comme Tanaquil et Tullia avant elle, Damarata semble convaincue que son mari a un destin (fortuna) et qu’il doit saisir le moment propice pour le réaliser, car sa chance ne se représentera pas [20]. Ce type de citation historique que Quintilien nomme exemplum au livre V de l’Institution Oratoire constitue, selon ce rhéteur, la plus efficace des preuves fondées sur la ressemblance [21]. De fait, quelque temps plus tard, Adranadorus appliquera à la lettre le conseil de son épouse en préparant un complot pour reprendre le pouvoir [22]. Damarata s’impose donc comme une conseillère habile capable de prendre appui sur une forme de sagesse historique pour parvenir à ses fins. Cependant, la référence à Denys l’Ancien peut éveiller la méfiance d’un lecteur avisé puisque Denys est, dans la littérature latine, comme déjà chez Platon et Aristote [23], l’archétype du tyran sanguinaire [24] : comme Hiéronyme avant elle [25], Damarata choisit le plus terrible des modèles politiques.
12 Et, en effet, la légitimité de ces femmes à prodiguer des conseils apparaît rapidement comme bien fragile. Dans un article sur la rhétorique du conseil paru en 2006 [26], Diana Spencer, analysant le personnage de Nestor dans l’Iliade, note que dans l’Antiquité un bon conseiller est censé convaincre par ses talents oratoires, justifier d’une forme de savoir ou d’expérience qui confère une autorité à ses propos, et enfin inciter à une conduite mesurée. Or, si certaines des conseillères semblent remplir les deux premières conditions, la légitimité à conseiller de chacune d'entre elles est minée dès le départ par l’ambition démesurée qui les anime et qu’elles transmettent à leurs interlocuteurs. Tanaquil est une femme de haute naissance (summo loco nata) mariée à celui qui n’est encore que Lucumon, un étranger d’origine grecque méprisé par les habitants de Tarquinies, sa ville d’adoption [27]. Ne pouvant se résoudre à vivre en dessous de sa condition, c’est elle qui détermine le futur Tarquin l’Ancien à partir pour Rome et à viser les plus hautes charges (excelsa et alta sperare iubet [28]). De même, Tullia, qui souhaite obtenir pour elle-même le pouvoir de son père Servius Tullius qu’elle estime lui revenir de droit, rencontre en secret Lucius Tarquin, le mari de sa sœur, chez qui elle croit reconnaître une ambition et une audace aussi grandes que les siennes. C’est elle que Tite-Live présente comme l’unique responsable des crimes de Tarquin [29], elle qui, par les conseils dispensés lors de leurs rendez-vous nocturnes « remplit le jeune homme de son audace » [30]. Damarata enfin, est la fille de l’ancien tyran de Sicile Hiéron et, comme le démontre Sopater, le préteur de Syracuse, juste avant qu’elle ne soit mise à mort, c’est uniquement pour retrouver son ancienne condition royale qu’elle a poussé son mari à prendre le pouvoir [31]. Toutes sont convaincues que leur aspiration au trône est légitime soit parce qu’elles sont de sang royal soit parce qu’il existe des précédents pour lesquels elles ne cachent pas leur jalousie : Tanaquil fait valoir à Tarquin l’Ancien que Tatius, Numa et Ancus Marcius étaient des rois étrangers [32] et à Servius Tullius qu’elle et son mari, bien que venus de Tarquinies, ont réussi avant lui à accéder au pouvoir [33]. Tullia, pour sa part, rappelle à Lucius Tarquin qu’une autre femme avant elle, Tanaquil, qui n’était pas fille de roi, a réussi à mettre son mari et son gendre sur le trône [34].
13 De plus, la passion qui les anime transparaît dans la formulation même de leurs conseils. Tite-Live montre qu’elles parviennent à leurs fins davantage par la véhémence de leurs propos que par la rigueur de leur argumentation. Le discours que Tullia adresse à Lucius Tarquin emprunte les tonalités du blâme et de l’invective (increpando iuuenem instigat [35]). Elle mêle à ses encouragements à le voir prétendre au trône d’amers reproches visant à l’humilier : sa lâcheté le rend indigne d’elle et de la famille des Tarquins et le condamne à retourner à Tarquinies vivre dans l’anonymat [36] plutôt que d’abuser le peuple romain. Tanaquil avait eu recours à des procédés similaires pour convaincre Servius Tullius [37] en blessant son amour-propre (si uir es) et en cherchant à le galvaniser par de violentes exhortations formulées à l’impératif : Erige te (debout !), mea consilia sequere (suis mes conseils !). Tite-Live cherche à insister sur leur acharnement qui finit par rendre toute forme de résistance impossible. Ainsi, Tullia harcèle Lucius Tarquin nuit et jour (nec nocte nec interdiu uirum conquiescere pati) ; Adranadorus, qui avait d’abord pris un autre parti que celui que lui conseillait son épouse et accepté les conditions des assassins de Hiéronyme, finit par céder « fatigué » (fessus), par le harcèlement dont il est l’objet [38]. Ces femmes apparaissent donc comme des conseillères douteuses parce que leur comportement et leurs paroles sont dominés par l’émotion et par l’excès. Du reste, il s’agit là d’un trait de caractère féminin stéréotypé qui reparaît ailleurs dans le récit. Le discours de Caton contre l’abrogation de la loi Oppia en 195 av. J.-C. en est un exemple bien connu. Témoin de la manifestation des femmes sur le forum pour réclamer la fin de cette loi somptuaire qui leur interdisait les parures et les vêtements luxueux, Caton raille leur « nature incapable de se maîtriser » (impotenti naturae), et leur caractère « indompté » (indomito animali [39]), termes qui ne sont pas sans rappeler la « hardiesse de femme » (muliebri spiritu [40]) qui caractérise le comportement de Damarata. La démesure et l’ambition des femmes, comme le remarque A. Tourraix à propos d’Hérodote, sont deux caractéristiques qui, déjà chez les auteurs grecs, font d’elles les inspiratrices privilégiées de la tyrannie, un « symbole de démesure annonciateur de l’hybris qui fait le tyran et qui l’incite à une surhumanité usurpée [41]. »
Des conseils à l’origine d’une dégradation de la monarchie
14Tite-Live lui aussi établit un lien étroit entre la personnalité des conseillères et leur propension à réveiller chez leurs maris une ambition royale (regiis animis [42]). Il est dès lors tentant, mais peut-être réducteur, de lire dans la méfiance qu’inspirent ces personnages à l’historien une simple manifestation de l’odium regni, la haine de la royauté, qui a marqué si durablement la mentalité romaine [43]. En effet, tous les rois conseillés ne sont pas exactement sur le même plan. Tarquin le Superbe est l’incarnation de la tyrannie sous ses aspects les plus sanguinaires alors que Servius Tullius, par exemple, est présenté comme un excellent roi, auteur de la réforme du cens, « institution très heureuse pour la grandeur future de l’empire [44]. » Par conséquent, l’analyse que propose Tite-Live semble plus nuancée. D. Briquel, à la suite de P. M. Martin et J. Heurgon, a établi que chacun des rois étrusques était le précurseur de pratiques politiques en rupture avec le fonctionnement traditionnel des institutions et que Tite-Live rend responsables de la dégradation de la monarchie [45]. Mais on a peu souligné qu’il s’agit en fait du résultat d’un processus par lequel les conseillères parviennent à inspirer directement ces pratiques qui sont aussi le reflet de leur propre rapport au pouvoir. Ainsi, on voit leur ambition personnelle se transformer en une ambitio politique qui conduit leurs maris à briguer la royauté par des procédés frauduleux. Tite-Live est le seul auteur qui suggère que l’arrivée au pouvoir de Tarquin l’Ancien a été entourée par des irrégularités [46]. Il est le premier roi à se lancer dans ce que l’historien présente comme une véritable « campagne électorale », procédé jusqu’alors inconnu à Rome : il sollicite individuellement les électeurs (petisse ambitiose regnum) et prononce un discours destiné à les convaincre [47]. Même après son élection, il cherchera constamment à se faire aimer du peuple (etiam regnantem ambitio est). Tarquin l’Ancien est donc présenté comme le premier à avoir introduit l’ambitio dans la pratique politique romaine [48]. À l’époque où Tite-Live écrit, l’ambitio était devenue une pratique normale dans un contexte d’élection, qui consistait pour un candidat à faire le tour (circumire) de ses électeurs potentiels et à les solliciter individuellement pour gagner leurs votes. Contrairement à l’ambitus, qui impliquait des malversations ou une forme de corruption, l’ambitio n’était pas considérée comme une pratique illégale [49]. Cependant, du point de vue du moraliste qui est celui de Tite-Live, Tarquin l’Ancien introduit bien une rupture dans la pratique politique romaine traditionnelle, à la suite de laquelle le candidat n’est plus « élu » par le peuple et par les sénateurs pour ses qualités exceptionnelles ou « choisi » par les dieux, comme l’avaient été Romulus, Numa, Ancus Marcius et Tullus Hostilius, mais élu parce qu’il a su convaincre, – et donc potentiellement tromper – ses électeurs par des sollicitations et des discours. Cette innovation contribue donc à donner une image trouble de l’accession au pouvoir de Tarquin [50] qui, en outre, semble prêt à toutes les intrigues pour devenir roi puisqu’il assure son élection en éloignant de Rome les fils de son prédécesseur Ancus Marcius, légitimes prétendants au trône [51]. Or c’est Tanaquil qui, la première, souhaitait qu’il fasse tout pour acquérir une notoriété puisqu’elle était prête à quitter Tarquinies « pourvu qu’elle vît son mari parvenir aux honneurs [52] ». Ce phénomène est encore plus net dans le cas de Tullia dont il est clairement dit qu’elle a poussé Lucius Tarquin à intriguer pour convaincre les sénateurs de l’élire roi : « Poussé par la folie de sa femme, Tarquin se met à solliciter et à prier les Pères, surtout ceux du second rang ; il leur rappelle ce que son père a fait pour eux et leur demande de le payer de retour. Il séduit la jeunesse par ses largesses… [53] » Dans le texte, l’action qui consiste à aller « faire le tour » (circumire) des sénateurs et à leur « presser le bras » (prensare) pour obtenir leurs suffrages est présentée comme la conséquence directe de la folie de Tullia (muliebribus furiis), de même que la corruption pure et simple à laquelle Lucius Tarquin se livre en distribuant des cadeaux à la jeunesse (allicere donis iuuenes), qui dépasse le simple excès d’ambitio dont il s’était rendu coupable. Ce sont ces mêmes furies vengeresses qui pousseront Tullia à faire passer son char sur le cadavre de son père Servius Tullius (agitantibus furiis [54]). Cette forme de fureur meurtrière provoquée par une violente passion, proche par certains aspects du furor tragique qui prive l’individu de sa raison [55], ne se manifeste ni chez Tanaquil ni chez Damarata. Or, Tarquin le Superbe, que Tullia met sur le trône, est aussi le seul véritable tyran : après avoir pris le pouvoir par la force, il l’exercera seul en faisant régner la terreur [56]. Tite-Live semble donc établir une étroite corrélation entre la personnalité des conseillères et les pratiques politiques dont elles sont à l’origine, comme si la plus dévorante des passions humaines, l’ambition, faisait brutalement irruption sur la scène politique par leur intermédiaire. Ainsi la pratique politique du futur Tarquin le Superbe, inspirée par sa conseillère, est aussi le reflet de la personnalité de celle-ci, portée aux intrigues et au crime.
15Cette ambition sans limite conduit logiquement à une prise de pouvoir illégale et illégitime alors que se pose le problème politique précis de la succession au trône après la mort d’un roi. Ainsi, alors que Tite-Live s’attache à présenter la royauté romaine comme élective, Servius Tullius, obéissant aux injonctions de Tanaquil, est le premier roi à accéder au trône sans avoir été élu par le peuple : Seruius praesidio firmo munitus, primus iniussu populi, uoluntate patrum regnauit [57]. Tarquin le Superbe se rend coupable de la même usurpation, encore aggravée par la revendication de sa parenté avec Tarquin l’Ancien, argument qui provient directement du discours de Tullia [58]. Il affirme ainsi clairement sa volonté d’établir un principe de succession héréditaire étranger à la monarchie romaine [59] qu’il imposera par la force puisqu’il ne sera jamais confirmé dans ses fonctions ni par le peuple, ni par les sénateurs [60].
16Or, ce sont des éléments que l’on retrouve, encore amplifiés, dans le récit concernant Adranadorus. Dans un contexte politique que Tite-Live pense sur le modèle romain [61], Damarata pousse Adranadorus à refuser de se soumettre au pouvoir du peuple et du sénat qui soutiennent les conjurés. À Syracuse, un personnage de haut rang, Polyaenus, s’adresse au peuple près de la « curie » dans un discours qui rappelle beaucoup celui de Brutus après la destitution de Tarquin le Superbe [62] :
[…] Polyaenus contionem et liberam et moderatam habuit : seruitii onus indignitatesque homines expertos aduersus notum malum inritatos esse […]. In praesentia legatos ad Adranodorum mitti placere qui denuntient ut in potestate senatus ac populi sit […]. Si tutelam alieni regni suum regnum uelit facere, eundem se censere multo acrius ab Adranodoro quam ab Hieronymo repeti libertatem.
[…] Polyaenus prononça un discours à la fois franc et plein de mesure. En hommes qui avaient éprouvé les terreurs et les outrages de l’esclavage, ils s’étaient irrités contre un mal qu’ils connaissaient […]. Pour le moment, il est d’avis d’envoyer des députés à Adranadorus pour lui signifier qu’il devait se soumettre au pouvoir du sénat et du peuple […]. S’il veut transformer la tutelle et la royauté d’autrui en royauté personnelle, il est lui-même d’avis qu’il faut réclamer la liberté beaucoup plus vigoureusement à Adranadorus qu’à Hiéronyme [63].
19 Comme Brutus, qui plaint les misères endurées par la plèbe sous le règne de Tarquin le Superbe (miseriae et labores plebis [64]), Polyaenus évoque les vexations auxquelles le peuple a été soumis sous le règne du tyran (seruitii onus indignitatesque). En outre, alors que Brutus, en défenseur de la liberté (uindex libertatis [65]), fait prêter serment aux Romains de ne plus jamais tolérer de rois à Rome [66], Polyaenus invite le peuple de Syracuse à réclamer sa liberté à Adranadorus (libertatem repetere) s’il s’avère que ses intentions sont de transformer sa tutelle en royauté. Dans le premier cas, Brutus demande solennellement au nom du peuple romain le départ de son collègue Tarquin Collatin et obtient sa démission avec l’aide de tous les nobles de la cité. Dans le deuxième, Adranadorus feint d’accepter le nouveau régime et se fait même élire préteur, mais une seconde intervention de Damarata le poussera à passer outre la « liberté nouvelle et mal contrôlée » du peuple syracusain et à préparer une prise de pouvoir par la force [67]. À la manière de Tarquin le Superbe, il s’arroge le pouvoir contre la volonté d’un peuple. Il suit en cela l’exemple de Denys le tyran que lui a suggéré Damarata. En effet, il faut noter que le proverbe auquel elle fait allusion est une phrase que Diodore de Sicile [68] et Plutarque [69] attribuent à Philistos, l’un des conseillers de Denys l’Ancien. Ce dernier avait pris le pouvoir à Syracuse après la libération de la ville de la domination carthaginoise. En 404 av. J.-C., il avait dû faire face à un soulèvement. Alors qu’on lui conseillait de fuir, Philistos lui avait conseillé de ne pas abdiquer tant qu’il ne serait pas « traîné par les pieds ». Damarata identifie bien la similitude des situations : dans les deux cas, il s’agit de prendre le pouvoir contre la volonté d’un peuple et Tite-Live ne fait que substituer, dans cette anecdote sans doute bien connue, une conseillère à un conseiller. Cependant, si Philistos avait permis à Denys de réaffirmer son pouvoir, Damarata conduit Adranadorus à l’échec puisqu’il sera dénoncé et assassiné avec ses complices avant même d’avoir pu entrer au sénat [70].
20 En outre, l’épisode de Syracuse revêt un second enjeu politique d’importance qui vient s’ajouter à celui de la succession royale, commun aux trois récits. Hiéronyme, le tyran assassiné, avait envisagé une alliance avec Hannibal et rompu avec Rome en faisant mettre à mort certains partisans de l’alliance romaine comme Thrason [71]. Adranadorus, en tant qu’ancien conseiller, fait partie de cette tendance pro-carthaginoise et était d’ailleurs sur le point de reprendre le pouvoir avec l’aide de chefs carthaginois envoyés par Hannibal [72]. Dans l’esprit de Tite-Live et de ses lecteurs romains, Damarata évoque donc peut-être une autre conseillère importante du récit : Sophonisbe. Cette princesse carthaginoise [73], dont l’histoire est racontée au livre XXX, est la fille d’Hasdrubal et l’épouse du roi numide Syphax. Lorsque Syphax est fait prisonnier par les Romains et que Sophonisbe séduit son vainqueur, Massinissa, qui l’épouse à son tour, Syphax met en garde les Romains contre le danger d’écouter les conseils de cette femme : c’est elle qui, par ses embrassements, l’a convaincu de prendre les armes contre Rome, décision qui ne peut s’expliquer que par un état de folie temporaire provoqué par la passion qu’elle lui a inspirée (furor [74]). Elle a en même temps « séduit son cœur et perverti sa raison », c’est un « fléau » (pestem), une « furie [75] » (furiam). Par la suite, Scipion, effrayé par le récit de Syphax et la déchéance à laquelle les conseils de Sophonisbe l’ont conduit, s’emploie à convaincre Massinissa d’abandonner sa nouvelle épouse et l’invite à se conformer à la retenue qui doit être celle d’un homme politique romain [76]. Sophonisbe diffère de nos trois conseillères par son mode d’action : c’est une très belle femme capable de convaincre par des discours caressants [77], dimension tout à fait absente dans le cas de Tanaquil, Tullia et Damarata qui ne sont jamais décrites physiquement [78] et dont le mode d’expression est plus volontiers celui de l’exhortation que de la flatterie. Sa figure est par ailleurs moins négative que celle de Tullia bien qu’elles soient toutes deux qualifiées de furies (furia) : alors que Syphax, en amant malheureux, dresse de Sophonisbe le portrait inquiétant d’une « furie » capable d’ensorceler les hommes au point de leur faire prendre des décisions politiques insensées [79], Tite-Live semble finalement la réhabiliter en décrivant en termes admiratifs la fierté et le courage qui la conduisent à préférer se donner la mort plutôt que de tomber vivante aux mains des Romains [80]. Ces scènes de conseils laissent néanmoins apparaître des points communs qui font penser à l’élaboration progressive d’un motif. La présence d’une conseillère auprès d’un roi s’avère constituer dans l’Histoire romaine un des signes précurseurs d’une forme de dégradation de la monarchie, qu’elle concerne les pratiques politiques, comme la recherche de popularité de Tarquin l’Ancien, ou la prise de pouvoir en elle-même, qui devient alors usurpation, ou tentative d’usurpation, comme dans le cas de Tarquin le Superbe et d’Adranadorus. Transposable à des époques différentes, sans doute influencé par la représentation que se faisaient les Romains des royautés hellénistiques [81], ce motif ne semble plus avoir d’ancrage historique réel. Il se greffe sur l’élaboration littéraire du portrait de personnage féminin façonné par la tradition [82] et devient dès lors signifiant parce qu’il est révélateur d’une réflexion plus générale sur le pouvoir et son exercice et sur le rôle du conseil dans la pratique politique.
La figure du conseiller ou le danger d’un rapport personnel au pouvoir
21Tite-Live est un historien qui souligne fréquemment le rôle des facteurs humains dans le devenir historique des États. À lire l’ensemble du récit, la jalousie et l’ambition des jeunes femmes apparaissent comme l’un des moteurs les plus puissants des évolutions politiques et institutionnelles. La proposition des lois licinio-sextiennes en 367 av. J.-C., qui imposent l’élection d’au moins un consul plébéien sur les deux consuls élus, est ainsi attribuée à la jalousie de la femme de Gaius Licinius, un des auteurs de la loi, qui avait constaté qu’elle ne pouvait prétendre aux mêmes honneurs que sa sœur mariée à un tribun militaire patricien, et en avait conçu un fort sentiment d’infériorité [83]. Il n’est donc par rare de voir l’ambition féminine être présentée comme l’origine de changements institutionnels importants [84].
22Cependant, s’il y a une leçon à tirer de l’histoire de ces trois conseillères, comme semble le suggérer la répétition du même motif, celle-ci paraît plus complexe qu’une simple constatation du danger des passions humaines en politique. Elle révèle également un intérêt prononcé de Tite-Live pour les facteurs qui accélèrent la dégradation d’un régime présenté comme démocratique qu’il soit royauté ou république, en un régime tyrannique ou en passe de le devenir. En effet, de la royauté romaine avant la période des rois étrusques, Tite-Live donne l’image d’une période de tranquillité où les rois exerçaient un pouvoir modéré [85].
23De même, de manière tout à fait anachronique [86], il fait du régime de transition brièvement instauré par les révoltés de Syracuse une res publica [87] où les décisions sont prises démocratiquement, puisqu’un sénat est rétabli et des comices convoqués pour les élections [88]. En dramatisant ainsi les enjeux et en forçant le trait, il fait de l’intervention des conseillères un moment charnière de son récit et de son analyse politique qui précipite la rupture avec une manière institutionnelle d’exercer le pouvoir et fait des rois conseillés de mauvais rois, voire même, dans le cas de Tarquin le Superbe et Adranadorus, des tyrans.
24Or, il est révélateur de constater que c’est dans la nature de la relation entre ces rois et leurs conseillères que l’historien perçoit les signes d’une telle rupture. Pour un dirigeant politique ou un chef militaire, recevoir des conseils est en soi une pratique que l’expérience historique et la pratique républicaine encouragent. L’histoire du peuple romain mais aussi celle des peuples étrangers est en effet pleine d’exemples des conséquences désastreuses qu’entraîne le fait de ne pas écouter les conseils d’autrui, que l’on pense à l’épisode des Fourches Caudines ou à la bataille de Cannes où le refus de Varron d’écouter les conseils de son collègue Paul-Émile qui préconisait d’attendre avant d’attaquer l’armée d’Hannibal conduit à une immense catastrophe militaire pour les Romains [89]. Le fils de Paul-Émile, futur vainqueur de Persée, se souviendra de cette leçon lorsqu’il déclarera, au moment de partir pour la Macédoine en 168 av. J.-C., ne pas être « de ceux qui pensent que les généraux n’ont de conseils à recevoir de personne », et qu’un tel général serait « plus présomptueux que sage [90] ». Comme le suggère J. Crook dans son ouvrage Consilium principis [91], la pratique du conseil politique est inscrite dans la mentalité romaine républicaine, comme suffit à le prouver l’existence même du sénat. Tite-Live y souscrit d’ailleurs complètement puisqu’il accorde une place tout à fait prépondérante à l’avis des sénateurs en montrant les chefs dont il admire les qualités exceptionnelles les consulter régulièrement. Camille par exemple, dictateur au moment de la prise de Véies, prend la peine de leur écrire pour leur demander quoi faire du butin gagné [92].
25 En outre, les femmes aussi peuvent être de bon conseil : Véturie, la mère de Coriolan, qui, en 484 av. J.-C., parvient à convaincre son fils de ne pas attaquer Rome à la tête de l’armée volsque est une figure de vertu et de courage. Par certains aspects, son intervention ressemble à celles des autres conseillères, puisqu’elle prend la parole seule et assez longuement pour adresser à son fils une série de reproches et cherche à lui faire honte d’assiéger sa propre patrie. Cependant, ses motivations sont tout autres : c’est au nom de la paix et de l’amour maternel qu’elle intervient, pour empêcher un conflit fratricide [93] et non poussée par sa propre ambition. La scène est dominée par une tonalité pathétique, absente des discours de Tanaquil, Tullia et Damarata, et c’est finalement l’ensemble de la foule des femmes rassemblées qui parviennent à fléchir Coriolan par leurs larmes et leurs embrassements. De la même façon, l’épisode des Bacchanales en 186 av. J.-C., met en scène deux figures positives de conseillères : une affranchie, Hispala Faecenia, qui met en garde le jeune P. Aebutius contre les dangers d’une initiation au culte de Bacchus et la tante du garçon, Aebutia, qui lui conseille judicieusement d’aller trouver le consul Postumius pour lui révéler toute l’affaire [94]. Parmi les conseillères, Tite-Live ne semble donc réprouver que la conduite de celles qui sont au plus près du pouvoir et ont un projet politique concerté [95]. Comme l’a suggéré Ph. Moreau à propos du discours de Caton, par une telle approche, l’historien retrouve une forme de morale traditionnelle qui condamne toute prise de parole des femmes sur un sujet politique, qu’elle ait lieu sur le forum ou en privé [96].
26 Enfin, l’étude des modalités d’intervention des trois conseillères met aussi en évidence l’ascendant irrésistible que ces femmes parviennent à exercer sur leurs maris, substituant, pour ainsi dire, leurs propres volontés à celles des rois. L’essentiel de la critique livienne ne réside donc pas dans le fait de recevoir des conseils, mais plutôt dans la personnalisation du pouvoir qu’induit la relation à un conseiller unique et tout-puissant. Ce phénomène d’emprise est d’autant plus net dans le cas des rois étrusques que Tite-Live ne montre aucun d’entre eux contester les conseils qu’on leur prodigue [97]. Leur silence renforce l’impression qu’ils sont manipulés et passifs tout au long du processus qui les conduit au pouvoir. Dans le même ordre d’idée, il faut insister sur le caractère occulte et officieux de l’activité des conseillères. Ainsi, Tanaquil prend son mari à part (abducto in secretum uiro Tanaquil) pour lui révéler le destin de Servius Tullius [98]. De même, l’emploi du passif impersonnel creditur suggère que la responsabilité de Tullia dans le projet de meurtre de son père n’est pas absolument certaine parce que tout s’est joué sans témoin [99]. Enfin, Damarata tire son mari à l’écart des légats [100] pour lui conseiller de préparer sa prise de pouvoir. Dès que les conseillères interviennent, les décisions se prennent en secret, à l’intérieur du cercle familial, dans une relation duelle et exclusive du dirigeant avec sa conseillère. Or, c’est dans cet enfermement du pouvoir sur lui-même que Tite-Live semble voir un indice certain de la tyrannie. Cette dimension est déjà très présente dans le récit qu’il fait du second décemvirat [101], constitution créée temporairement en 449 av. J.-C. pour donner des lois à Rome, et qui se transforme progressivement en monarchie autoritaire. Le principal signe extérieur de cette dégradation est la rupture de la communication entre les décemvirs et le peuple : les dix hommes se réunissent sans témoin, les rencontrer ou leur parler devient impossible et le peuple n’est plus informé de leurs décisions que par des rumeurs.
27 Ce type d’épisode prouve que Tite-Live est particulièrement sensible aux risques inhérents à la confiscation du pouvoir par quelques-uns. À travers ces scènes de conseils, il en propose la démonstration par la mise en relation de passages bâtis autour des mêmes éléments : une épouse de sang royal qui cherche à retrouver son rang intervient dans l’ombre et, par une « rhétorique émotionnelle [102] », parvient à provoquer une rupture institutionnelle. Cette démonstration est de plus en plus évidente au fur et à mesure des épisodes comme si Tite-Live l’affinait progressivement. Ainsi, Tarquin l’Ancien ne fait que forcer un peu le destin et solliciter les votants pour accélérer son élection ; Servius Tullius se passe uniquement du vote du peuple mais il est choisi par les sénateurs ; Tarquin le Superbe, en revanche, se passe à la fois du peuple et des sénateurs qu’il fait mettre à mort ; quant à Adranadorus, sa décision d’écouter finalement les conseils de Damarata le pousse explicitement à passer outre les volontés du sénat et du peuple en fomentant lui-même une conjuration. L’étude des relations qu’entretiennent les couples « conseillères-conseillers » du récit intéresse donc Tite-Live parce qu’elle s’inscrit dans la réflexion politique plus large qu’il mène autour de la légitimité du pouvoir et des conditions de son exercice, réflexion qu’il faut très certainement mettre en lien avec la période de transition entre République et Principat dont il est le témoin.
28 Le portrait qui se dessine de la conseillère des rois chez Tite-Live apparaît en définitive comme relativement stéréotypé. Les conseillères se manifestent en parole dans des discours qui mêlent tous les procédés d’une rhétorique à la fois logique et émotionnelle. Celle-ci est le reflet exact de leur personnalité rusée et dominée par la passion du pouvoir. C’est ce second aspect qui les disqualifie dès le départ : elles ne peuvent être de bon conseil parce qu’elles sont intéressées et prêtes à toutes les démesures pour arriver à leurs fins. Et, de fait, leur intervention conduit à ce que Tite-Live présente comme une rupture avec les institutions, un point de bascule vers la tyrannie. La conseillère constitue dès lors un personnage-clé dans l’œuvre parce qu’elle permet à l’historien de démontrer les dangers d’un rapport trop personnel au pouvoir contre lequel il semble vouloir mettre en garde ses contemporains.
29 Il y a là en germe un thème que Tacite reprendra dans les Annales dans lesquelles il met en évidence le rôle des femmes dans l’accession au pouvoir des empereurs. On a tout particulièrement souligné les points communs entre Tanaquil et Livie [103] qui dissimulent toutes les deux la mort de leurs maris pour imposer sur le trône l’une son gendre, Servius Tullius, l’autre son fils, Tibère [104]. Cependant, il y a chez Tanaquil, qui se contente d’intriguer pour favoriser la bonne fortune de son mari, une forme d’« ambition positive [105] ». Contrairement à Tullia, qui participe au meurtre de son propre père, et à Livie, que Tacite soupçonne fortement d’avoir empoisonné Auguste, elle n’est ni criminelle, ni sanguinaire. En outre, s’il est vrai que toutes deux mettent sur le trône un candidat illégitime, c’est aussi le cas de Tullia et de Damarata, qui veut rétablir un roi à la tête de Syracuse contre la volonté du peuple. Il est donc très probable que la Livie de Tacite ne soit pas seulement inspirée de Tanaquil mais de plusieurs autres « conseillères » liviennes. Cette proximité entre les deux historiens révèle, s’il en était encore besoin, que Tite-Live n’est pas qu’un habile conteur mais aussi un fin observateur des facteurs qui président aux mutations politiques et institutionnelles des États et dont la réflexion a nourri celle des auteurs postérieurs.
Bibliographie
Bibliographie
Abréviations
- OLD = P.G.W. Glare (éd.), Oxford Latin Dictionary, 2 volumes, Oxford, 1968-1982.
Sources
- Sauf mention contraire, les traductions sont empruntées à la CUF :
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- Tite-Live, Histoire romaine, tome II, livre II, éd. J. Bayet, G. Baillet, [7e tirage éd. revue et corrigée par R. Bloch et Ch. Guittard], Paris, 2002.
- Tite-Live, Histoire romaine, tome III, livre III, éd. J. Bayet, G. Baillet, Paris, 2003 [5e tirage].
- Tite-Live, Histoire romaine, tome XIV, Livre XXIV, éd. P. Jal, Paris, 2005.
- Tite-Live, Histoire romaine, livres XXVI à XXX, éd. A. Flobert, Paris, 1994.
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Mots-clés éditeurs : Rhétorique du conseil, Monarchie, Tyrannie, Emprise, Femmes, Ambition, Pouvoir personnel
Mise en ligne 11/12/2017
https://doi.org/10.3917/dha.hs17.0487Notes
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[1]
Je remercie les participants au colloque « Conseillers et ambassadeurs dans l’Antiquité » pour leurs très pertinentes suggestions ainsi que ma directrice de thèse, Mme Michèle Ducos, pour ses conseils et ses relectures.
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[2]
Tite-Live, Préf., 8 : […] per quos uiros quibusque artibus domi militiaeque et partum et auctum imperium sit.
-
[3]
Tite-Live, IX, 3. Les Samnites parviennent à bloquer l’armée romaine dans une gorge aux Fourches Caudines. Ils consultent le père de leur général, Hérennius Pontius sur la stratégie à adopter. Celui-ci leur conseille soit de laisser partir les Romains indemnes soit de les tuer tous. En choisissant une troisième solution, humilier l’armée romaine en la faisant passer sous le joug, les Samnites créent les conditions de leur propre défaite : quelques mois plus tard, galvanisés par leur désir de vengeance, les Romains mettent l’armée samnite en pièces.
-
[4]
Achard 1995, p. 91.
-
[5]
Cl. Hermann remarque qu’Égérie symbolise dans une femme « l’esprit conseiller mais discret et nocturne », (Hermann 1964, p. 23). J. Poucet rappelle que l’image du roi législateur inspiré par les dieux est un modèle d’origine grecque (Poucet 1994, p. 170).
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[6]
Tite-Live, I, 19, 5 : Qui cum descendere ad animos sine aliquo commento miraculi non posset, simulat sibi cum dea Egeria congressus nocturnos esse : eius se monitu, quae acceptissima diis essent, sacra instituere… : « Mais, comme il était impossible de faire pénétrer (le sentiment religieux) dans les cœurs sans avoir recours à quelque prodige, il feint d’avoir avec la déesse Égérie des entrevues nocturnes : “C’était sur ses conseils, [disait-il], qu’il instituait les cérémonies les plus agréables aux dieux…” »
-
[7]
Cette expression a été inventée par Heurgon 1993 [1969] (p. 113) à propos de Tanaquil, puis reprise par Martin 1985 (p. 5) et Briquel 1998 (p. 113). D. Briquel étend l’expression à Tullia qui participe au complot pour tuer son propre père et le remplacer par son mari.
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[8]
Boёls 2006 ; Briquel 1998 ; Martin 1985.
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[9]
Tite-Live, I, 41, 5 : Interim Seruio Tullio iubere populum dicto audientem esse ; eum iura redditurum obiturumque alia regis munia esse : « En attendant, elle invite le peuple à écouter les ordres de Servius Tullius ; c’est lui qui rendra la justice et remplira les autres fonctions du roi », (traduction CUF en partie modifiée).
-
[10]
Tite-Live, I, 48, 5 : Carpento certe, id quod satis constat, in forum inuecta nec reuerita coetum uirorum euocauit uirum e curia regemque prima appelauit : « Ce qui est certain du moins, c’est qu’elle alla en voiture au forum, sans rougir devant cette foule d’hommes, qu’elle fit venir son mari hors de la curie et lui donna la première le titre de roi. »
-
[11]
Tite-Live, I, 34, 7 : Facile persuadet ut cupido honorum et cui Tarquinii materna tantum patria esset. Sublatis itaque rebus amigrant Romam : « Elle le persuade facilement, en homme assoiffé d’honneurs qu’il était et pour qui Tarquinies n’était que la patrie de sa mère, et, ayant réuni tous leurs biens, ils partent pour Rome » (traduction CUF en partie modifiée).
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[12]
Tite-Live, I, 34, 9 : Accepisse id augurium laeta dicitur Tanaquil, perita, ut uolgo Etrusci, caelestium prodigiorum mulier. Excelsa et alta sperare complexa uirum iubet… : « Tanaquil accueillit, dit-on, ce présage avec joie, car elle avait la science, répandue en Étrurie, des prodiges célestes. Elle engage son mari en l’embrassant à concevoir de grandes et hautes espérances… »
-
[13]
Tite-Live, I, 39, 3.
-
[14]
La divination et l’haruspicine sont en effet des pratiques religieuses d’origine étrusque. D. Briquel remarque cependant qu’aucune source ne fait mention de femmes haruspices. Il faudrait donc davantage lire dans ce passage le reflet d’un « mythe » romain à propos des étrusques qui conduit à imaginer qu’ils avaient tous des aptitudes particulières pour le surnaturel (Briquel 1998, p. 118) ; A. Hus au contraire considère que la divination était une pratique des grandes familles de l’aristocratie étrusque à laquelle les femmes aussi pouvaient être initiées, comme en témoigne le rôle de Tanaquil dans cet épisode (Hus 1980, p. 185).
-
[15]
Le terme est de R. M. Ogilvie qui, dans son commentaire de ce passage, signale que la tournure scire licet n’apparaît pas ailleurs chez Tite-Live et qu’elle est habituellement employée chez Lucrèce ou chez Celse « in their most didactic moments ». Il y aurait donc chez Tite-Live la volonté de donner aux paroles de Tanaquil un ton professoral pour renforcer son autorité en tant que conseillère (Ogilvie 1965, p. 143).
-
[16]
Tite-Live, XXIV, 22, 8-10.
-
[17]
Cf. OLD, s.u. « admonere » : « to give a reminder to (a person) » ; « to give advise, to make a recommendation or suggestion » ; « to warn (of dangers), caution, admonish ».
-
[18]
Tite-Live, I, 48, 5 : Creditur, quia non abhorret a cetero scelere, admonitu Tulliae id factum : « On pense – parce que cela n’est pas incompatible avec ses autres crimes – que c’est sur le conseil de Tullia que le meurtre eut lieu » (traduction personnelle).
-
[19]
Tite-Live, XXIV, 24, 2 : Fessus tandem uxoris uocibus monentis nunc illud esse tempus occupandi res… : « Ce dernier avait fini par être fatigué par les paroles de sa femme ; elle l’avertissait que le moment était venu d’occuper le pouvoir… »
-
[20]
Tanaquil interprète le bonnet replacé par l’aigle sur la tête de Tarquin comme un signe des dieux : diuinitus redderet (Tite-Live, I, 34, 9) ; Tullia explique au futur Tarquin le Superbe que tout, depuis son père jusqu’à son nom l’appelle à la Royauté (Tite-Live, I, 47, 4). Les spécialistes de religion romaine ont souligné les similitudes qui existent entre les deux aristocrates étrusques et la déesse Fortuna, « dispensatrice du regnum », dont elles ne sont probablement qu’une forme historicisée (Boëls 2006, p. 49-50). Ce thème de la fortune, de la chance qu’il faut saisir, ressurgit ici dans le discours de Damarata.
-
[21]
Quintilien, Institution Oratoire, V, 11, 6 : Potentissimum autem est inter ea, quae sunt huius generis, quod proprie uocamus exemplum, id est rei gestae aut ut gestae utilis ad persuadendum id, quod intenderis, commemoratio : « Parmi les arguments de ce genre, le plus efficace est celui que nous appelons proprement exemple, c’est-à-dire le rappel d’un fait historique ou présumé tel, qui sert à persuader l’auditeur de l’exactitude de ce que l’on a en vue. »
-
[22]
Tite-Live, XXIV, 24, 2.
-
[23]
La tyrannie de Denys l'Ancien est l'un des thèmes de la lettre VII attribuée à Platon, récit de son entreprise visant à persuader Denys le Jeune de mener la même politique. Aristote l'évoque dans La Politique (V, 5, 10 [1305a]), il deviendra un stéréotype moqué dans plusieurs pièces de théâtre comiques et un sujet récurrent dans l’historiographie grecque, cf. Sanders 1987, p. 21-25.
-
[24]
Turchetti 2001, p. 44 ; c’est aussi la figure type du tyran dans les exercices de déclamation, cf. Béranger 1935, p. 87.
-
[25]
Tite-Live, XXIV, 5, 4 : Hiéronyme, le tyran assassiné, avait lui-même pris modèle sur le comportement despotique de Denys, notamment en se déplaçant sur un char attelé de quatre chevaux blancs.
-
[26]
Spencer, Theodorakopoulos 2006.
-
[27]
Tite-Live, I, 34, 4.
-
[28]
Tite-Live, I, 34, 9.
-
[29]
Tite-Live, I, 46, 7 : […] sed initium turbandi omnia a femina ortum est.
-
[30]
Tite-Live, I, 46, 8 : adulescentem suae temeritatis implet.
-
[31]
Tite-Live, XXIV, 25, 6 : […] sed animos eis regios regias coniuges fecisse, alteri Hieronis, alteri Gelonis filias nuptas.
-
[32]
Tite-Live, I, 34, 6.
-
[33]
Tite-Live, I, 41, 3 : Et nos peregrini regnauimus ; qui sis, non unde natus sis reputa : « Nous aussi, bien qu’étrangers, nous avons régné. Ne songe qu’à ce que tu es ; oublie ta naissance. »
-
[34]
Tite-Live, I, 47, 6 : Cum Tanaquil, peregrina mulier, tantum moliri potuisset animo ut duo continua regna uiro ac deinceps genero dedisset, ipsa regio semine orta nullum momentum in dando adimendoque regno faceret : « Tanaquil, une étrangère, avait pu accomplir ce tour de force de donner deux fois de suite la couronne à son mari, puis à son gendre, et elle, issue de souche royale, elle n’aurait aucune influence pour faire ou défaire un roi ! »
-
[35]
Tite-Live, I, 47, 6 : « […] par des reproches de ce genre, elle excite le jeune homme… » Le verbe increpare a ici le sens de « faire de violents reproches », cf. OLD, s.u. « increpare ».
-
[36]
Tite-Live, I, 47, 1-5 : Nec nocte nec interdiu uirum conquiescere pati […] « Si tu is es cui nuptam esse me arbitror, et uirum et regem appello ; sin minus, eo nunc peius mutata res est, quod istic cum ignauia est scelus. […] di te penates patriique et patris imago et domus regia et in domo regale solium et nomen Tarquinium creat uocatque regem. Aut si ad haec parum est animi, quid frustraris ciuitatem ? Quid te ut regium iuuenem conspici sinis ? Facesse hinc Tarquinios aut Corinthum, deuoluere retro ad stirpem, fratri similior quam patri » : « Ni jour ni nuit, elle ne laisse son mari en repos […] : “Si tu es l’homme que j’ai cru épouser, je te reconnais pour mari et pour roi. Sinon mon état n’a fait qu’empirer, car il réunit la lâcheté et le crime. […] Les dieux de ton foyer et de ta patrie, l’image de ton père, de ton palais, le trône qui s’y trouve, ton nom de Tarquin, tout te fait et te déclare roi. Si tu n’en as pas l’âme, pourquoi tromper Rome ? Pourquoi te donner des airs de prince ? Retourne à Tarquinies ou à Corinthe. Redescends jusqu’à ton origine, toi, tout le portrait de ton frère, et non de ton père.” »
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[37]
Tite-Live, I, 41, 3 : Tuum est, inquit, Serui, si uir es, regnum, non eorum, qui alienis manibus pessimum facinus fecere. Erige te deosque duces sequere, qui clarum hoc fore caput diuino quondam circumfuso igni portenderunt. Nunc te illa caelestis excitet flamma, nunc expergiscere uere. […] Si tua re subita consilia torpent, at tu mea consilia sequere : « “C’est à toi, Servius”, dit-elle, “si tu es un homme, que revient le trône, et non aux lâches qui ont emprunté le bras d’autrui pour commettre leur forfait. Debout ! et laisse-toi guider par les dieux qui ont annoncé la gloire réservée à ton front en l’entourant jadis d’un feu céleste. Voici l’heure d’être animé de ce feu divin. Voici l’heure du vrai réveil. […] Si ce coup imprévu glace ta décision, suis du moins la mienne.” »
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[38]
Tite-Live, XXIV, 24, 2.
-
[39]
Tite-Live, XXXIV, 2, 13, (traduction CUF en partie modifiée).
-
[40]
Tite-Live, XXIV, 22, 8.
-
[41]
Tourraix 1976, p. 371.
-
[42]
Tite-Live, XXIV, 22, 8.
-
[43]
À ce sujet, cf. Martin 1994, p. 3-11.
-
[44]
Tite-Live, I, 42, 5.
-
[45]
Briquel 1998, p. 119-124.
-
[46]
Ces détails n’apparaissent ni chez Cicéron, ni chez Denys d’Halicarnasse, cf. Michels 1951, p. 14.
-
[47]
Tite-Live, I, 35, 2-6 : Isque primus et petisse ambitiose regnum et orationem dicitur habuisse ad conciliandos plebis animos conpositam. […] quam in petendo habuerat etiam regnantem ambitio est : « Il fut le premier, dit-on, qui fit acte de candidat au trône et qui prononça un discours pour gagner les suffrages de la plèbe. […] Le désir de popularité dont il avait fait preuve au moment de sa candidature se retrouva également lorsqu’il fut roi » (traduction CUF en partie modifiée).
-
[48]
Penella 2004.
-
[49]
Sur cette question : Feig Vishnia 2012, p. 134 ; Yakobson 1999, p. 22 ; Lintott 1990 ; Deniaux 1987 ; Linderski 1985.
-
[50]
Penella 2004, p. 633.
-
[51]
Tite-Live, I, 35, 2.
-
[52]
Tite-Live, I, 34, 5.
-
[53]
Tite-Live, I, 47, 7 : His muliebribus instinctus furiis Tarquinius circumire et prensare minorum maxime gentium patres ; admonere paterni beneficii ac pro eo gratiam repetere ; allicere donis iuuenes…
-
[54]
Tite-Live, I, 48, 7 : […] amens, agitantibus furiis sororis ac uiri, Tullia per patris corpus carpentum egisse fertur.
-
[55]
Johner 1992, p. 34-37 rapproche Tullia de Médée. Dans leurs emplois courants furia et furor désignent tous deux une folie furieuse se manifestant par une rage parfois accompagnée d’un désir de vengeance. Cf. OLD, s.u. « furor » et « furia » ; Johner 1992, p. 34-37.
-
[56]
Tite-Live, I, 49, 2 : Tarquin le Superbe fait notamment mettre à mort une partie des sénateurs et rend seul la justice.
-
[57]
Tite-Live, I, 41, 6 : « Servius, soutenu par une garde solide, fut le premier qui devint roi sans être choisi par le peuple et avec le seul consentement du sénat. »
-
[58]
Tite-Live, I, 47, 2.
-
[59]
Meulder 2005, p. 545 ; Fox 1996, p. 132-133.
-
[60]
Tite-Live, I, 49, 3 : […] neque enim ad ius regni quicquam praeter uim habebat, ut qui neque populi iussu neque auctoribus patribus regnaret […] : « Il n’avait, en effet, d’autre droit au trône que la force, lui que ni les suffrages du peuple, ni l’approbation du sénat n’avaient fait roi. »
-
[61]
Le peuple se réunit « à l’Achradina, près de la curie », sur lequel trône un autel de la Concorde (XXIV, 22, 1) ; Adranadorus est sommé de se soumettre « au pouvoir du sénat et du peuple » (XXIV, 22, 4) ; un peu plus loin, l’Achradina est qualifiée de « forum » (XXIV, 22, 12) ; des comices sont tenus pour élire des préteurs (XXIV, 23, 1).
-
[62]
L’ensemble de l’épisode de Syracuse au livre XXIV semble l’occasion pour Tite-Live d’illustrer une nouvelle fois le processus politique qui conduit de la monarchie à la tyrannie puis de la tyrannie à la res publica sur le modèle de l’histoire de Rome, cf. Lentano 1999.
-
[63]
Tite-Live, XXIV, 22, 1-5.
-
[64]
Tite-Live, I, 59, 9.
-
[65]
Tite-Live, II, 1, 8.
-
[66]
Tite-Live, II, 1, 9 : Omnium primum auidum nouae libertatis populum, ne postmodum flecti precibus aut donis regiis posset, iure iurando adegit : neminem Romae passuros regnare : « Avant tout pour empêcher le peuple épris de la liberté nouvelle de céder plus tard à des sollicitations ou libéralités royales, il lui fit jurer de ne plus tolérer de rois à Rome. »
-
[67]
Tite-Live, XXIV, 24, 2 : Fessus tandem uxoris uocibus monentis nunc illud esse tempus occupandi res dum turbata omnia noua atque incondita libertate essent, dum regiis stipendiis pastus obuersaretur miles, dum ab Hannibale missi duces adsueti militibus iuuare possent incepta : « Ce dernier avait fini par être fatigué par les paroles de sa femme ; elle l’avertissait que le moment était venu d’occuper le pouvoir, maintenant que la confusion était générale, du fait d’une liberté nouvelle et mal contrôlée, maintenant qu’allaient et venaient en public des soldats engraissés par la solde du roi et que les chefs envoyés par Hannibal, eux qui étaient les familiers des soldats, pouvaient favoriser ses entreprises. »
-
[68]
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XIV, 8, 5.
-
[69]
Plutarque, Dion, XXXV, 2-6 : Plusieurs années plus tard, Philistos, qui venait secourir Denys, est vaincu par les Syracusains lors d’une bataille navale. Plutarque rapporte alors deux versions de l’histoire. Selon la première (celle d’Éphore), Philistos s’est donné la mort sur le bateau. Selon la deuxième (celle de Timonidès) il aurait été fait prisonnier, torturé, décapité, et son corps aurait été traîné le long de l’Achradina par des enfants. Une troisième version (celle de Timée) précise que, Philistos étant boiteux, les enfants l’auraient traîné par la jambe en référence au célèbre conseil qu’il avait donné à Denys.
-
[70]
Tite-Live, XXIV, 24, 4.
-
[71]
Tite-Live, XXIV, 6, 1.
-
[72]
Tite-Live, XXIV, 5, 8 ; XXIV, 24, 2.
-
[73]
Lorsqu’il l’évoque pour la première fois, Syphax ne prononce pas son nom mais parle d’une Carthaginiensem matronam, une « femme de Carthage », Tite-Live, XXX, 13, 12.
-
[74]
Furor désigne dans son premier sens un état de folie d’apparition violente, un délire, un moment d’égarement parfois lié à une possession divine, cf. OLD, s.u. « furor ».
-
[75]
Tite-Live, XXX, 13, 10-12 : […] exitum sui furoris eum fuisse, non principium ; tum se insanisse […] cum Carthaginiensem matronam domum acceperit […] illam furiam pestemque omnibus delenimentis animum suum auertisse atque alienasse.
-
[76]
Briand-Ponsart 2005, p. 336.
-
[77]
Le phénomène est très net dans la scène de rencontre entre Sophonisbe et Massinissa : propiusque blanditias iam oratio esset quam preces, non in misericordiam modo prolapsus est animus uictoris, sed, ut est genus Numidarum in Venerem praeceps, amore captiuae uictor captus (Tite-Live, XXX, 12, 18). Le terme blanditiae désigne des discours doucereux, des cajoleries ou des flatteries, cf. OLD, s.u. « blanditia ».
-
[78]
De manière générale, Tite-Live ne donne que très peu de détails sur l’apparence physique des femmes qui se résume à quelques détails symboliques comme « les cheveux dénoués pour marquer l’intensité émotionnelle d’une scène », cf. Erne 1998, p. 56.
-
[79]
Au point que l’on a proposé de rapprocher l’image de Sophonisbe dans ce passage de celle que la littérature latine véhicule à propos de Cléopâtre, cf. notamment Briand-Ponsart 2005, p. 338 ; Haley 1998.
-
[80]
Tite-Live, XXX, 15, 8 ; cf. Briand-Ponsart 2005, p. 340-343.
-
[81]
De tels rapprochements invitent d’ailleurs à penser que Tite-Live s’inspire peut-être, pour brosser le portrait des rois étrusques de l’époque archaïque, de celui des souverains hellénistiques : voir à ce sujet Glinister, 2006, p. 17-33.
-
[82]
Briquel 1998, p. 124 rappelle que la tradition qui entoure Tanaquil et Tullia : « globalement, n’a aucune chance de correspondre à la réalité historique ». À l’opposé, Hiéron est une figure historique de même que sa fille, Damarata. Cependant, il est évident que les détails de son intervention auprès d’Adranadorus sont largement romancés et influencés par des souvenirs littéraires, probablement d’origine grecque.
-
[83]
Tite-Live, VI, 34.
-
[84]
Sur ce sujet, voir Ducos 1987, p. 134-135.
-
[85]
Tite-Live, II, 1, 6 : tranquilla moderatio imperii.
-
[86]
La Sicile est devenue province romaine en 227 av. J.-C., à l’exception du royaume d’Hiéron qui avait conservé son propre régime, cf. Baslez 2004 [1994], p. 234.
-
[87]
Tite-Live, XXIV, 22, 17.
-
[88]
Tite-Live, XXIV, 23, 1.
-
[89]
Tite-Live, XXII, 40-50, pour une analyse du consilium en contexte militaire, voir Johnston, 2008.
-
[90]
Tite-Live, XLIV, 22, 11-12 : Non sum is, Quirites, qui non existumem admonendos duces esse : immo eum, qui de sua unius sententia omnia gerat, superbum iudico magis quam sapientem : « Je ne suis pas homme à penser, Romains, que les généraux n’ont pas besoin de conseils ; bien au contraire, celui qui veut tout faire d’après ses seules idées est, à mon avis, plus présomptueux que sage. »
-
[91]
Crook 1955, p. 5 ; Johnston 2008, p. 1, ajoute que les conseils du sénat aux magistrats prenaient la forme d’un décret officiel, le senatus consultum.
-
[92]
Tite-Live, V, 20, 3.
-
[93]
Tite-Live, II, 40, 5-10 : Coriolanus prope ut amens consternatus ab sede sua cum ferret matri obuiae complexum, mulier, in iram ex precibus uersa, « Sine, priusquam complexum accipio, sciam, inquit, ad hostem an ad filium uenerim, captiua materne in castris tuis sim. […] de his uideris, quos, si pergis, aut immatura mors aut longa seruitus manet. » Vxor deinde ac liberi amplexi, fletusque ab omni turba mulierum ortus et comploratio sui patriaeque fregere tandem uirum : « Coriolan, bouleversé et comme affolé, s’élança de son siège au-devant de sa mère pour l’embrasser ; mais elle, passant des prières à la colère : “Attends, avant de m’embrasser, lui dit-elle, je veux savoir si je suis chez mon ennemi ou chez mon fils ; si, dans ton camp, je suis ta captive ou ta mère […] songe à ceux que voici : un pas de plus et une mort prématurée ou un long esclavage les attend.” Alors, les embrassements de sa femme et de ses enfants, les sanglots qui montaient de toute la foule des femmes, et leurs lamentations sur la patrie et sur elles-mêmes finirent par briser son énergie. »
-
[94]
Tite-Live, XXXIX, 10-11.
-
[95]
Kowalewski 2002, p. 58.
-
[96]
Moreau 1995, p. 57.
-
[97]
Kowalewski 2002, p. 68.
-
[98]
Tite-Live, I, 39, 3.
-
[99]
Tite-Live, I, 48, 5 : creditur admonitu Tulliae id factum.
-
[100]
Tite-Live, XXIV, 22, 8 : euocatum eum ab legatis Damarata uxor.
-
[101]
Tite-Live, III, 36, 2 : « Tous les jours ils s’assemblaient sans témoins ; dès lors, la tête pleine de projets insensés qu’ils mûrissaient en secret, ne dissimulant plus leur arrogance, difficiles à aborder, hautains envers leurs interlocuteurs… »
-
[102]
Dangel 2006, p. 163-188.
-
[103]
Ramírez Díez 1994.
-
[104]
Tacite, Annales, I, 5.
-
[105]
Meulder 2005, p. 545 ; Fox 1996, p. 132-133.