Introduction
1Les Centres d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP) sont des établissements qui s’adressent aux enfants de moins de six ans et à leur famille. Les missions des CAMSP sont régies par le code de l’Action Sociale et des Familles français, définissant les missions générales des établissements médico-sociaux. Ils assurent des missions très diverses aussi bien de prévention, de dépistage, que de diagnostic et de soins selon les besoins des enfants qui viennent consulter avec leur famille. Le principal motif de consultation est une inquiétude des parents et/ou des professionnels concernant le développement précoce des enfants.
2Dans un CAMSP polyvalent, trois types de population sont à distinguer :
- les enfants présentant des pathologies déjà bien identifiées, comme un syndrome polymalformatif ou une pathologie génétique. Le travail en CAMSP porte alors sur deux dimensions principales :
- une intervention la plus précoce possible, en complément des professionnels ou structures qui interviennent déjà, avec comme fonction principale de coordonner les rééducations et les diverses interventions médicales ;
- une guidance et un soutien des parents.
3Les enfants rencontrés peuvent également être au début d’un parcours de soins alors que l’étiologie des troubles est encore indéterminée. C’est le cas d’enfants présentant un retard global des acquisitions avec ou sans déficience intellectuelle associée, d’enfants présentant une affection génétique potentiellement responsable de multi-handicaps (syndromes de Rett, d’Angelman, etc.), d’enfants présentant une encéphalopathie épileptogène précoce, mais également d’enfants présentant un trouble envahissant du développement. Le travail est ici orienté vers une adaptation progressive des démarches diagnostiques, mais également du mode de guidance parentale et des techniques de rééducation de ces enfants.
4Enfin, les enfants anciens prématurés sont rencontrés dans le cadre d’un suivi systématique en relais de la néonatalogie. Ceci afin de proposer :
- le dépistage des troubles neurocognitifs repérables ultérieurement ;
- la poursuite d’une guidance parentale ;
- la mise en place d’une rééducation spécifique avec orientation adaptée ultérieure si besoin.
5Pour recevoir ces enfants présentant le plus souvent des pathologies intriquées, l’équipe soignante est « mixte » en termes de provenance, à la fois issue de services somatiques et psychiatriques. Cette situation oblige chacun à sortir de son cadre respectif et à constituer un langage commun, compréhensible et validé par tous.
6Ainsi, l’équipe est composée de médecins aux spécialités différentes : neuropédiatre et pédopsychiatre. Chacune assure ses propres consultations, mais la première rencontre avec le patient et sa famille est généralement effectuée sous la forme d’une consultation médicale conjointe (neuropédiatre/pédopsychiatre) pour décider ensemble de la réalisation ou non d’un bilan pluridisciplinaire au CAMSP ou en libéral. L’équipe comprend également des psychologues, psychomotriciens, orthophonistes, éducateurs spécialisés, une kinésithérapeute, une puéricultrice, une assistante sociale, un cadre administratif et deux secrétaires médicales. Ainsi, le travail en CAMSP, du fait de la diversité des missions, permet au professionnel de rencontrer des enfants très jeunes présentant des difficultés somatiques et/ou psychiques. Ces enfants, aux profils très variés, peuvent rapidement mettre en difficulté le consultant s’il ne s’appuie pas sur une réflexion théorique.
7Dans ce cadre, la théorie de l’attachement, par l’attention particulière portée aux stratégies adaptatives en situation attachement pertinente, a semblé la plus intéressante à étudier. Ainsi, elle a été une base de travail pour repenser le déroulement et l’aménagement du cadre d’une consultation conjointe neuropédiatre-pédopsychiatre au sein d’un CAMSP.
8Ce travail décrit d’abord la consultation conjointe avec les aménagements proposés « attachement informé », puis une vignette clinique illustre l’intérêt d’un tel dispositif.
Les spécificités de la consultation médicale conjointe
9Les parents, le plus souvent, viennent avec leur enfant pour lequel, à juste titre, ils sont très inquiets, principalement sur le plan somatique mais aussi sur le plan psychique et sur son devenir. Ils font face à un état d’impuissance ou de souffrance qui affecte leur fonction parentale et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Ils ont en effet le plus souvent un vécu d’hospitalisations longues et prolongées dans les premiers mois de vie de l’enfant, un sentiment de ne pas avoir pu le rencontrer et surtout un vécu d’incompétence parentale lié au fait de ne pas avoir « réussi une grossesse » (surtout pour les prématurés) ou un « joli bébé en bonne santé ». Ils sont dans une situation qu’ils n’ont pas choisie, sont angoissés par rapport au diagnostic et à l’évolution de leur enfant.
10Dans ce cadre, comme le souligne Seligman, et al., en 1984, repris par Rusconi-Serpa, et al., en 2009 (p. 8), « le travail du professionnel en santé mentale a ainsi un triple objectif qui se situe dans une perspective délibérément pragmatique :
- que les parents soient d’accord pour revenir après le premier rendez-vous puisque les enfants sont dépendants d’eux pour venir à la consultation et recevoir un soin ;
- qu’ils collaborent au projet thérapeutique ;
- qu’ils acceptent l’idée d’un soin pour leur enfant, lorsqu’il s’avère nécessaire ».
11Afin de répondre à ces objectifs, la consultation médicale conjointe pédiatre/pédopsychiatre, de par la formation différente de chaque consultant, a plusieurs intérêts :
- elle permet de combiner, dans le même temps, les regards somatique et psychique, afin de s’approcher au plus près de la réalité clinique du patient et de sa famille pour essayer de proposer la prise en charge la mieux adaptée à ses besoins.
- Cette double présence permet à chaque professionnel de soutenir l’autre. Ainsi, le psychiatre s’étaie sur le pédiatre pour « calmer ses angoisses » quant à l’atteinte somatique tout en l’aidant à se décaler de la position médicale classique.
La Consultation médicale conjointe en CAMSP active le système d’attachement
L’attachement du patient et de ses parents
12En effet, comme le note John Bowlby (Bowlby, 1988), la rencontre avec un professionnel dans le contexte d’une demande de soins constitue pour le demandeur d’aide une situation paradigmatique d’activation du système d’attachement, équivalent au phénomène de recherche de proximité. En effet, les parents qui viennent consulter pour leur enfant sont en situation de vulnérabilité, de détresse ou d’échec. Ils viennent rencontrer un professionnel censé être « une figure plus sage et plus forte capable de l’aider » (Stronger and wiser, and willing to help) (Bowlby, 1988 ; Marvin, 2002) cité par Guedeney et Attale (2010).
13La théorie de l’attachement peut alors aider les consultants à réagir de manière appropriée en fonction des types de représentation et de comportement présents chez le patient en demande d’aide et par là même de mieux les accueillir. L’objectif de la première consultation est dès lors d’expliquer et de faire ressentir aux parents que les professionnels et eux-mêmes sont réunis autour de l’enfant avec le désir de trouver ensemble tous les moyens pour l’aider.
Le système d’attachement du consultant est aussi activé, de même que son système de caregiving
14En effet, « la relation professionnel-patient sollicite, de par sa nature interpersonnelle, le système d’attachement du thérapeute et son système de caregiving, car il est aussi celui qui aide le patient. » (Guedeney, 2010).
15Le caregiving est défini comme l’ensemble des soins physiques et émotionnels prodigués aux enfants par les personnes qui s’en occupent. Il est particulièrement activé quand le caregiver perçoit une vulnérabilité chez l’enfant et une menace. Dans le cadre d’une relation consultant-patient, le consultant est le caregiver, considéré comme « le plus fort, le plus sage », celui qui prodigue des soins au patient venu demander de l’aide.
16Le système d’attachement du consultant est également très sollicité lors d’une première rencontre avec une famille. Cette situation le confronte à une part plus ou moins grande d’inconnu selon les caractéristiques de la famille. Dans le cas particulier d’une consultation spécialisée dans le handicap, du fait des enfants rencontrés qui présentent des pathologies intriquées, l’insécurité est majorée en obligeant chaque consultant à sortir de ses habitudes rassurantes.
17Ainsi, le sentiment « d’inconnu » est permanent « Et si le petit fait un état de mal épileptique devant moi ? » est aussi angoissant pour le psychiatre que l’est « Et si le petit commence à s’automutiler ? » pour le pédiatre. Comme le conseillent Rusconi, et al., (2009), il est important dans ces conditions de diminuer le stress des consultants afin qu’ils retrouvent leur fonction soignante, puis de diminuer celui des parents.
18En abaissant le niveau de stress auquel il est exposé, le thérapeute peut espérer réduire l’activation de son propre système d’attachement et, du même coup, lever la compétition qui existait entre les deux systèmes, laissant ainsi plus de champ à l’expression libre de son caregiving. Le professionnel peut alors retrouver ses compétences soignantes et les mettre au service de la famille en choisissant dans l’éventail de ses stratégies thérapeutiques celles qui seront les mieux adaptées. (Rusconi, et al., 2009). C’est pourquoi, le cadre de la consultation conjointe est aidant. Il permet l’instauration d’un dialogue afin que chaque consultant réalise ce qui peut mettre en difficulté l’autre et activer son système d’attachement au détriment de son caregiving. Ce travail d’échanges permet à chacun de s’appuyer sur l’autre comme base de sécurité à partir de laquelle explorer, c’est-à-dire rencontrer le patient et ses parents afin de créer les bases d’une alliance de travail qui puissent mieux engager l’enfant et ses parents dans les soins. Cela permet en outre à chaque consultant de se repositionner en tant que havre de sécurité pour l’autre en cas de difficulté.
19Au total, il apparaît que le fait de penser le cadre des consultations conjointes avec l’apport de la théorie de l’attachement a permis d’établir une relation de travail « suffisamment bonne » entre les consultants, équivalente d’un attachement sécure, qui soutient le caregiving.
Déroulement et aménagement « attachement informé » de la consultation médicale conjointe
20Certains aspects de la consultation ont été aménagés afin de travailler dans un cadre plus sécure à la fois pour les patients et pour les consultants.
21Les trois temps de la consultation conjointe (anamnèse, examen médical, conclusion), sont autant de « séquences » durant lesquelles les systèmes d’attachement et de caregiving des enfants et des parents sont activés. Ces moments sont de précieux indices qui permettront dans un deuxième temps de définir des objectifs de soins pour l’enfant.
22Cependant, un quatrième temps semble pertinent à étudier : « le moment des présentations ».
23Il commence dès la salle d’attente. Ainsi, il est intéressant d’observer qui est là, la manière dont les parents sont positionnés par rapport à leur enfant, la manière dont ils entrent dans le bureau.
24Afin d’activer inutilement le système d’attachement parental, il a été convenu de recevoir autant que faire se peut les familles à l’heure. Si ce n’est pas le cas, des excuses sont formulées systématiquement.
25Puis, pédiatre et pédopsychiatre se présentent, le déroulement et la durée de la consultation sont ensuite exposés afin que les familles puissent se représenter le cadre d’intervention. Ainsi, bien qu’elle se nomme consultation « conjointe », la consultation se présente davantage au départ comme une consultation pédiatrique, menée par le pédiatre « en présence » d’un psychiatre. En effet, les parents, même s’ils ont accepté ce mode de consultation duelle, s’adressent au début essentiellement au pédiatre.
26La consultation débute toujours par l’anamnèse. Durant ce temps, les questions sont posées principalement par le pédiatre. C’est l’occasion pour la famille d’évoquer les antécédents, le niveau de souffrance lié aux expériences passées et actuelles, les attentes concernant la consultation et la structure.
27Il permet de s’attacher au repérage des troubles et d’évaluer leur place dans l’organisation de la personnalité de l’enfant et dans le système d’interactions du groupe familial. Il semble important d’ajouter à cette observation classique des questions sur les réponses obtenues par les parents lors de leurs demandes d’aide antérieures pour eux et leur enfant. Ces questions sont le plus souvent bien acceptées par les parents qui, à ce moment-là, ont le sentiment qu’une attention est portée sur leur vécu sans qu’il s’agisse pour autant d’une intrusion.
28Durant ce temps de dialogue avec les parents, il est également très intéressant d’être attentif au système d’attachement de l’enfant. En effet, à partir de douze mois, ses patterns d’attachement sont observables avec la figure d’attachement présente lors de la consultation. Cela permet d’observer :
- la Figure d’Attachement Principale, si plusieurs caregivers accompagnent l’enfant ;
- la manière dont l’environnement répond habituellement aux besoins de sécurité de l’enfant selon les stratégies mises en place par l’enfant.
29Les différents types d’attachement décrits par Ainsworth dans le cadre de la situation étrange sont ainsi observés, (Ainsworth et Blehar, 1978).
- Attachement de type sécure : lorsque l’environnement répond de façon adéquate la plupart du temps et permet à l’enfant de ressentir de la sécurité en situation attachement-pertinente. Les enfants avec un attachement de type sécure peuvent faire appel à autrui quand ils en ont besoin ; ils manifestent une protestation lors des séparations et du plaisir lors des retrouvailles.
- Attachement de type insécure : ce sont des stratégies que l’on retrouve quand l’environnement ne répond pas de manière adéquate, mais n’est ni effrayant ni trop imprévisible. Ce sont des stratégies adaptatives qui ont une valeur protectrice.
30Ainsworth a décrit deux types de stratégies :
- l’attachement ambivalent-résistant qui se manifeste par une maximalisation du système de détresse de l’enfant dès le départ de sa mère. L’enfant est alors difficile à réassurer.
Ce type d’attachement est observé quand la réponse du caregiver est imprévisible. - L’attachement évitant qui se manifeste par une minimisation de l’expression des besoins d’attachement de l’enfant. L’enfant a peu de réactions positives par rapport à sa mère ou à une personne inconnue. Il semble plus autonome et indépendant, montre de nombreuses conduites d’exploration. Cependant, si on mesure son cortisol salivaire, on observe un niveau de stress élevé. Cela révèle qu’il ne sait pas faire appel à autrui quand il en a besoin. Les émotions négatives n’ont plus la même valeur d’information sur son état intérieur. Ce type d’attachement est observé quand il n’y a pas de réponse du caregiver.
31Il arrive également, lors de la consultation, d’observer le quatrième pattern d’attachement décrit par Main (Main et Solomon, 1990) : l’attachement désorganisé. Il se manifeste quand la réponse de l’environnement a été durablement défaillante ou source de menace. L’enfant ne réussit pas à mettre en place des stratégies protectrices organisées du fait de l’activation simultanée de systèmes incompatibles. Il met alors en place des comportements contradictoires simultanés allant des stéréotypies, au figement. Puis au fur à mesure du développement, l’enfant met en place des stratégies de contrôle rigides pour parer sa propre désorganisation.
32Le système d’exploration permet une alternance d’exploration au moment des jeux libres à partir de la base de sécurité et de recherche de proximité vers le havre de sécurité.
33Ainsi, il est important de noter la qualité de l’exploration, mais également, la demande d’aide de l’enfant, l’implication du caregiver (est-il adapté ? Intrusif ?, Evitant ?), les interactions familiales sont-elles de tonalité plutôt chaleureuses, inquiétantes au vu des différentes expériences déjà vécues ? Comment réagit l’enfant à la consultation ? Est-il en retrait, ou au contraire trop familier ? Explore-t-il la salle ? Comment ? Il est intéressant d’observer en fonction de l’âge de l’enfant et de sa capacité de locomotion, la manière dont il contrôle sa distance avec sa figure d’attachement, mais aussi dont il s’éloigne d’elle pour explorer.
34Dans ce cadre-là, l’aménagement du bureau de consultation a été particulièrement pensé. En effet, primitivement, pour accéder aux jeux qu’il avait à sa disposition, l’enfant devait s’éloigner du parent et se rapprocher des consultants de telle sorte qu’il se retrouvait plus proche des consultants que de ses parents. Ainsi, de très nombreux enfants étaient décrits dans les observations comme « collé à leurs parents ». Le seul fait d’avoir mis le bac à jouets plus accessible, c’est-à-dire, qu’en cas de problème, l’enfant est plus rapidement vers sa figure d’attachement que vers des étrangers, a « décollé » beaucoup d’enfants…
35Après le temps d’observation qui généralement permet à l’enfant et ses parents de prendre possession de l’espace et de faire connaissance avec les consultants, l’examen clinique neuropédiatrique réactive de façon majeure le système d’attachement chez chacun d’entre eux.
36Ce moment de la consultation est particulièrement intéressant pour le psychiatre « observateur » afin d’évaluer le caregiving des parents en situation attachement-pertinente.
37Le caregiving est défini comme l’ensemble des soins physiques et émotionnels prodigués aux enfants par les personnes qui s’en occupent. Il est caractérisé par un ensemble de comportements guidé par une représentation de la relation actuelle parent-enfant (Bekhechi, et al., 2009) et est particulièrement activé quand le caregiver perçoit un potentiel danger pour son enfant.
38La consultation permet ainsi d’observer le fonctionnement dynamique entre les deux systèmes motivationnels de l’attachement du parent et du caregiving.
39« Chez les parents sécures, il y a synergie entre les deux systèmes, celui de l’attachement favorisant la pleine expression du caregiving. Chez les parents insécures, le système d’attachement ne joue plus son rôle de facilitateur de l’expression du caregiving. Chez le parent désorganisé, il peut y avoir compétition entre les deux systèmes. » (Bekhechi V., Rabouam C., Guédeney N., 2010).
40La consultation permet d’évaluer si le caregiver a un caregiving sensible aussi bien du point de vue des besoins d’attachement que ceux d’exploration.
- Concernant l’attachement, il est important d’être vigilant à la notion de sensibilité parentale : ainsi est observée la capacité du parent à percevoir et à interpréter le comportement de son enfant, sa disponibilité émotionnelle et sa manière d’y répondre.
41Cette observation est particulièrement intéressante dans les situations attachement-pertinentes (par exemple, demande de réconfort au moment de l’examen somatique) mais aussi dans les situations plus libres, afin de voir quel est le comportement du parent pour soutenir l’exploration de l’enfant.
42Fonagy a décrit une autre dimension qu’il juge importante dans l’évaluation du caregiving : la fonction réflexive, qu’il définit comme la capacité pour le parent à définir ses propres états mentaux et ceux du bébé (Fonagy et Target, 1997).
- Concernant l’exploration, l’attitude du caregiver face aux besoins d’exploration de son enfant est observée : soutien ? Intrusion ? Va-t-il le laisser seul ? L’accompagner, voire même faire les activités à sa place pour que l’enfant ne soit pas en difficulté ? Qui y va ? Le père, la mère, les deux ?
43Là encore, ce moment a été pensé avec l’apport de la théorie de l’attachement. Il commence toujours par les « jeux ». Cependant, il est accordé une vigilance toute particulière pour que l’enfant soit toujours plus proche de ses caregivers que des consultants lors de l’examen, que ce soit pour shooter dans un ballon, sauter à cloche pied ou autre.
44Une brève situation clinique permet d’illustrer ces propos. Lors d’une consultation avec une petite fille présentant des troubles neuromoteurs, la pédiatre lui demande de venir vers elle à cloche pied, dos à ses parents, en s’éloignant d’eux. La petite fille, dans ce cadre-là, saute deux à trois fois sur le même pied, ses parents étant étonnés car à la maison « c’est mieux ». Se saisissant de cette remarque, la psychiatre lui demande alors de venir à cloche pied vers ses parents, l’éloignant ainsi du « danger pédiatrique ». Si son trouble neuromoteur n’a pas disparu en voyant ses parents, elle a pu sauter beaucoup mieux ; ce qui à la fois a permis de rassurer ses parents sur les troubles purement physiques mais aussi sur la qualité de leur caregiving : « C’est tout de même mieux de trouver papa et maman plutôt qu’un inconnu ».
45Par ailleurs, pour les plus jeunes enfants, l’examen somatique « pur » est systématiquement proposé sur un des parents plutôt que sur la table d’examen. Cette question est intéressante car elle permet de voir comment les protagonistes réagissent. Si l’examen se fait sur la table, qui accompagne l’enfant ? Dans quelles conditions ? C’est encore un moment où la compétition entre le caregiving et le système d’attachement est en place.
46Parallèlement, ce moment peut donner l’occasion au psychiatre d’intervenir. Certains parents, en effet, profitent du fait que l’enfant soit avec le pédiatre pour faire part au psychiatre de leurs préoccupations ou de leurs questionnements par rapport aux troubles de leur enfant, aux répercussions possibles pour lui mais aussi pour la fratrie, à l’équilibre du couple parental.
47Enfin, le terme de cette première consultation a fait l’objet d’une réflexion particulière. En effet, quelle que soit la décision prise à ce moment-là, il semble important que le climat de confiance instauré durant la consultation puisse perdurer au sein de l’équipe ou en établissant un relais le plus sécurisant possible pour tous. Ainsi, le moment des propositions thérapeutiques est alors un moment de dialogue. Chaque consultant fait la synthèse de ses observations puis discute des propositions de prise en charge de l’enfant avec les parents.
48Ainsi, comme le conseillent Attale et Consoli (2005) en utilisant la classification de Bartholomew, les attitudes thérapeutiques devraient être adaptées en fonction du style d’attachement des personnes.
49Pour les sujets qui semblent avoir un attachement « préoccupé », il est important de prévenir leur anxiété en leur donnant la réassurance nécessaire avant qu’ils ne l’aient demandée. L’idée étant qu’un soutien leur sera apporté, que l’enfant ait un symptôme ou non. Cela passe par une attitude fiable, concernée en tentant de ne pas être négatif avec le parent.
50En revanche, pour les parents semblant avoir un attachement « craintif », dont la demande de soins peut être très forte bien que dénuée de confiance dans la capacité des autres à les aider, l’objectif principal pour le consultant est de maintenir le rôle de régulateur externe et d’éviter un hyperinvestissement des soins, ou au contraire, un désengagement.
51L’idée d’un partenariat parent-soignant est expliquée. Elle se concrétise dans les consultations ultérieures par la signature d’un Document Individuel de Prise En Charge (DIPEC), obligatoire dans les établissements médico-sociaux mais qui a l’avantage de contractualiser les liens qui unissent parents et professionnels dans leur engagement. Pour tous, il a été convenu d’énoncer la disponibilité des consultants que ce soit par téléphone ou par mail. Ce dernier point est intéressant à étudier car si les parents s’en saisissent tous, très peu rappellent entre deux consultations, que le fait de se tenir à leur disposition semble être suffisant.
Vignette clinique
Présentation
52Tony est adressé par les pédiatres de l’hôpital pour une anorexie du nourrisson.
53Lors de la première rencontre, Tony a quinze mois. Il est avec sa mère et « son parrain ».
54Tony est un petit garçon dont pédiatre et psychiatre ont entendu parler de manière très différente :
- la psychiatre, par l’équipe de psychiatrie périnatale de la maternité. La maman de Tony a en effet été suivie là-bas durant sa grossesse, par l’assistante sociale et la psychiatre. Elle est décrite comme une maman en souffrance, que les pédiatres ne comprennent pas, avec un enfant qui a de réelles difficultés somatiques.
- Les pédiatres de l’hôpital (néonatologue et gastroentérologue) tiennent un tout autre discours à la pédiatre du CAMSP : « Cette mère est folle, elle rend malade son fils ».
55Une partie du discours est cependant commune, c’est un enfant et sa maman qu’il faut voir vite, il y a urgence. La consultation a donc lieu, chaque consultant ayant ses références théoriques et ses préjugés… Mme K. arrive avec Tony, accompagnée d’un homme d’une quinzaine d’années plus jeune qu’elle, le « parrain » de Tony. Au cours de la consultation, plusieurs parrains seront évoqués pour Tony. Mme K. ne passe pas inaperçue, ses cheveux sont « orange vif », avec des lunettes de soleil sur le front cachant une large cicatrice, ne porte que des vêtements de marque. Par ailleurs, elle garde les séquelles d’un grave accident vingt ans plus tôt. Ainsi, malgré plus d’une trentaine d’opérations chirurgicales, elle présente des douleurs chroniques et une boiterie. De ce fait, elle prend de grandes quantités d’antalgiques et un traitement anticomitial pour une épilepsie résiduelle.
56Tony, lui, est un tout petit garçon de quinze mois. Il est vêtu de manière coquette. Il mesure 66 cm et pèse 6,550 kg (mensurations d’un enfant de cinq à huit mois), il est d’une extrême vivacité. Tony marche, commence à courir, sollicite beaucoup du regard, explore la pièce. Ce décalage le rend aux yeux de la psychiatre étonnant, voire effrayant. Durant toute la consultation, il bouge dans la pièce, ne tenant pas en place, faisant des allers-retours entre le lavabo et son « parrain », n’allant jamais voir sa mère.
57Par moment, il s’arrête, comme figé sans but, puis repart. Il peut, quand sa mère évoque son hospitalisation en néonatalogie, initier un mouvement vers elle mais s’interrompt. A un moment de la consultation, Tony se met contre la porte, s’assoit et commence à se balancer d’avant en arrière, se cognant la tête, ce qui fait évoquer à la psychiatre des stéréotypies, dans un contexte non autistique. L’histoire de Tony et sa maman est très laborieuse à reconstituer.
58L’histoire de Mme K. est émaillée de ruptures. Elle a été abandonnée à la naissance, puis placée en foyer où elle a été battue. Son discours est rapide, haché, par moment incohérent, ce qui ne facilite pas la compréhension. A dix-sept ans, elle a un grave accident. A l’âge de vingt ans, elle a une fille d’un premier homme qu’elle élève seule dans un premier temps. Puis, Mme K. a une relation durant une dizaine d’années avec un autre homme alcoolique. Ce compagnon aide Mme K. à élever sa fille, finalement placée à l’âge de dix ans. Lorsque nous voyons Mme K., sa fille est âgée de 22 ans.
59Durant cette relation, Mme K. est enceinte deux fois. Lors de la première grossesse, elle fait une fausse couche tardive (4 mois ½). En revanche, elle accouche prématurément à 26 semaines d’aménorrhée pour sa deuxième grossesse. Cependant, à sa naissance, l’enfant est mort. Elle l’appelle Anthony. Suite à ce deuil, Mme K. se sépare du père d’Anthony. Quelques mois plus tard, elle a alors une aventure de passage avec un homme et « tombe » enceinte de Tony. Précédant une intervention possible, et surtout redoutée de la part des consultants, Mme K. précise : « aucun rapport entre Anthony et Tony ». Actuellement, Mme K. ne travaille pas, vit de l’Allocation Adulte Handicapé dans un studio avec sa grande fille qui vient de revenir vivre avec elle, son fils Tony et un gros rottweiler.
60L’histoire de Tony est émaillée d’hospitalisations et de séparations avec sa mère. La grossesse pour Tony a été difficile avec de nombreuses hospitalisations à la maternité du fait d’un retard de croissance intra-utérin détecté dès la seconde échographie. Par ailleurs, Mme K. a présenté une hypertension avec pré-éclampsie nécessitant un accouchement par césarienne à 34 semaines d’aménorrhée. Tony est né avec un retard de croissance très important. A sa naissance, il pèse 1,250 kg pour une taille de 37 cm. Il passe alors un mois en néonatalogie, sans grosse difficulté dans un premier temps.
61Durant toute l’hospitalisation en néonatalogie, Tony a une sonde nasogastrique. Mme K. évoque avec colère « avoir été mise dehors » avec son fils 24 heures après l’ablation de la sonde, avec un retour à la maison où elle s’est sentie complètement abandonnée.
62Lors des consultations de suivi en néonatalogie, Mme K. a le sentiment d’être rejetée, non entendue : « ils regardaient mourir mon fils alors que je leur demandais de l’aide ».
63Finalement, Mme K., seule, prend contact avec une spécialiste des anorexies du nourrisson dans le nord de la France, et demande une hospitalisation pour son fils dans son service. Tony a alors treize mois. Tony et sa maman restent hospitalisés trois semaines. Là-bas, une séparation mère-enfant a lieu du fait de l’hospitalisation de Mme K. pour abcès mammaire dès les premiers jours d’hospitalisation de Tony. A son retour dans le service de Tony, Mme K. a le sentiment d’être écoutée, de ne pas être culpabilisée, l’équipe soignante et la médecin responsable évoquant à la fois des causes somatiques et psychiques pour parler de l’anorexie de Tony.
64Quand elle revient dans la région, Mme K. ne souhaite plus revoir les néonatologues et s’adresse au CAMSP comme alternative, consciente que Tony a besoin de soins. Durant tout son discours, Mme K. déverse beaucoup d’agressivité et de colère, « met au défi » les consultants de faire mieux que les pédiatres de l’hôpital, voire mieux qu’elle. Elle n’évoque aucune tristesse ou d’impuissance concernant le bébé ou elle-même. Tout en parlant, elle montre les compléments alimentaires qu’elle donne à Tony, qui (la pédiatre le dira plus tard) sont administrés de manière aberrante et ne peuvent que lui couper l’appétit. Prise dans ce discours, par moment incohérent et dans lequel la colère l’emporte sur la souffrance, la pédiatre va rapidement « délaisser » la maman et se concentrer sur Tony pour l’examiner. Cette attitude permet à la psychiatre de percevoir le malaise de sa collègue mais également la possibilité pour elle de parler à la mère. Mme K. valorise le fait qu’elle se débrouille le plus souvent toute seule. Elle a « choisi » son entourage. Si elle ne voit plus le père de l’enfant, elle a entamé avec son ancien compagnon, le père d’Anthony, des démarches pour qu’il reconnaisse Tony comme son fils. Par ailleurs, elle est entourée de deux hommes, des amis, parrains de Tony.
65Ces derniers sont décrits par Mme K. comme ayant du mal à s’assumer. Elle parle également de sa fille, avec qui elle « refait » connaissance. Concernant les aides institutionnelles : elle ne peut avoir confiance qu’en des aides « impossibles à mettre en place ». Ainsi, elle fait une totale confiance à la spécialiste de l’anorexie qui ne peut pas la revoir, garde de bons rapports avec l’assistante sociale de l’équipe de psychiatrie périnatale qui ne peut plus intervenir. Les aides possibles sont décrites comme essentiellement matérielles. Elle est ainsi très en confiance avec l’équipe de Protection Maternelle et Infantile de son secteur qui la soutient beaucoup avec le passage deux fois par semaine de la puéricultrice, qui l’aide dans ses démarches pour mettre Tony en crèche collective.
66Si, dans son discours, Mme K. exprime fortement l’idée de protéger son fils, les interactions avec lui se caractérisent en revanche par une alternance de rejet et d’absence d’attention pour Tony lors de la consultation. C’est uniquement son « parrain » qui va interagir avec lui et la psychiatre.
67Mme K. évoque à plusieurs reprises son sentiment d’impuissance quand elle ne peut pas arriver à nourrir Tony malgré ses nombreuses tentatives.
68Le comportement de Tony semble également interprété préférentiellement comme hostile, Mme K. lui prêtant une certaine « jouissance » à la mettre en échec. Elle décrit dans ces moments de confrontation pendant les repas des comportements explosifs où elle s’énerve après lui.
69Enfin, la demande explicite de Mme K. est la pose d’une gastrostomie pour Tony afin de ne plus avoir « le souci de le nourrir », l’été arrivant et Mme K. craignant les grosses chaleurs.
70Tout l’enjeu de cette consultation pour elle est de savoir, si comme avec les autres (médecins), elle va ne pas être écoutée, et ainsi laisser Tony en danger de se déshydrater… et de mourir… ou si ce qu’elle dit peut attirer l’attention des médecins.
71A ce moment de la consultation, la psychiatre est complètement tétanisée, incapable de réfléchir face à ce flot d’agressivité qu’elle ressent envers elle, envers Tony mais surtout face à la menace de mort que la maman fait planer sur lui.
72La pédiatre, concentrée, elle, sur Tony, reprend la parole et peut répondre sans crainte que la gastrostomie n’est pas encore d’actualité. Tony, comme pour valider la réponse tranquille de la pédiatre, prend son biberon d’eau et en boit 60 ml, hors du champ visuel de sa maman.
73Soulagée par l’attitude de Tony et de la pédiatre, la psychiatre peut alors se ressaisir et commenter ce qui vient de se passer. Mme K., surprise et soulagée également, parle de « miracle » et accepte ce « report de gastrostomie ». Au terme de cette consultation, un sentiment de mal-être est très présent chez les deux consultants. En effet, l’impression d’avoir eu « de la chance » ainsi que l’incompréhension du déroulement de la consultation prédominent. Par ailleurs, si le tableau de demande d’aide est très bruyant, il semble également que toutes les tentatives précédentes aient échoué. C’est grâce à plusieurs rencontres pédiatres/pédopsychiatre « à froid » et utilisant la théorie de l’attachement qu’une proposition de relecture est faite.
Relecture de la consultation médicale conjointe avec les apports de la théorie de l’attachement
74La théorie de l’attachement permet de réfléchir en termes de pattern d’attachement pour Tony, pour sa maman, et de conflit des systèmes motivationnels de caregiving et d’attachement.
Observation de Mme K.
75L’histoire maternelle est très significative d’une problématique de perte et de séparation. Mme K. a en effet été abandonnée à la naissance, puis placée en foyer. La manière dont elle raconte son histoire sans lien, son débit rapide, orientent vers une problématique d’attachement. Les moments où son discours devient incohérent au niveau linguistique sont liés à l’évocation des thèmes liés à l’attachement (séparation, sentiment de danger pour elle ou Tony).
76Le fait que Mme K. ne reconnaisse aucune émotion, comme de la tristesse, ou de l’impuissance concernant le bébé ou elle-même, mais seulement de la colère, évoque ce que Bowlby en 1980 nomme l’exclusion défensive et qu’il définit comme un processus d’exclusion des émotions négatives de la conscience.
Le style de caregiving de Mme K.
77Ce que Mme K. montre lors de la consultation et ce qu’elle décrit de son comportement maternel évoquent un comportement de « caregiving hostile/impuissant » (Lyons-Ruth et Spielman, 2004).
78En effet, Mme K. peut en consultation avoir des attitudes négatives, voire intrusives envers Tony, qui permettent de mieux comprendre le comportement désorganisé de Tony sur un mode évitement/résistance. Par ailleurs, il semble y avoir une nette compétition entre le système de caregiving de la maman et son système d’attachement.
Caractéristiques de l’attachement de Mme K.
79Au terme de cette consultation et au cours du suivi, il semblerait que Mme K. présente un attachement préoccupé. En effet, Mme K. a une perception de sa propre vulnérabilité qui entraîne un seuil d’activation plus bas de son système d’attachement. Elle a à la fois une vision idéalisée et positive des autres, tout en ayant toujours le sentiment d’être déçue par eux. (Guédeney et Tereno, 2009) ; ainsi, les seules aides en qui Mme K. accorde du crédit ne sont pas réellement disponibles.
80Par ailleurs, les individus préoccupés auraient tendance, après une idéalisation première du corps médical, à être rapidement déçus et insatisfaits du traitement proposé si le problème de santé se prolonge et à agir de telle sorte que le traitement soit inefficace, ce qui équivaut en quelque sorte à un sabotage (Attale et Consoli, 2005). C’est ce que semble montrer cette maman en donnant à Tony des compléments alimentaires de manière aberrante, de telle sorte qu’ils lui coupent l’appétit sans pour autant le nourrir suffisamment. Enfin, l’agressivité de Mme K. tout au long de cette consultation peut être corrélée au stress de la consultation. En effet, les sujets préoccupés ont des sentiments de colère avec des réactions négatives intenses en cas de stress, en particulier à l’évocation de conflits, de pertes, d’abandons.
Le pattern d’attachement de Tony
81Tony n’a pas le même rapport avec les deux adultes présents dans la pièce pendant la consultation. Si sa maman semble être la figure d’attachement principale, l’attachement de Tony à son égard semble être désorganisé. En effet, à différents moments de la consultation, Tony présente des signaux de désorganisation de l’attachement, décrits par Main et Salomon en 1990 chez les bébés de douze à dix-huit mois, observés en présence de la figure d’attachement. Ces signaux sont les suivants :
- manifestation séquentielle et/ou contradictoire de comportements ;
- mouvements et expressions non dirigés, incomplets ou interrompus ;
- stéréotypies, mouvements asymétriques et postures anormales ;
- mouvements et expressions de stupéfaction, immobilisation et lenteur ;
- expressions d’appréhension et de peur relatives à la figure d’attachement.
Les ressentis négatifs des consultants lors de cette consultation
82Comme l’ont décrit Hervé, et al., (2008), les ressentis négatifs des consultants ont une valeur sémiologique. En s’appuyant sur la théorie de l’attachement, ils peuvent être interprétés comme des indices sur ce que le parent éprouve et sur une probable problématique d’attachement venant le mettre en situation de danger dans la relation thérapeutique.
83Les attitudes respectives de la psychiatre et de la pédiatre lors de cette consultation reflètent que leurs systèmes d’attachement étaient activés, entravant la libre expression de leur caregiving.
84En effet, la psychiatre était très inquiète de la santé somatique de Tony, la pédiatre de la santé psychique de sa mère. C’est grâce à leur expérience de travail en commun, permettant une désactivation partielle de leur système d’attachement, à une alliance professionnelle de caregiving que la pédiatre a pu se concentrer uniquement sur l’enfant et les symptômes somatiques qu’il présentait, de même que la psychiatre a pu être attentive au discours de sa maman sans se préoccuper de la « santé somatique » de Tony, pour pouvoir continuer à travailler malgré la compétition entre ses systèmes de caregiving et d’attachement.
85Ainsi, le fait que la pédiatre, par son examen attentif de Tony, constitue la base de sécurité de la psychiatre, a permis à celle-ci de retrouver ses capacités de réflexion et de travailler avec Tony et sa maman (se mettre à la place de Tony, jouer avec lui…) ; de même, le fait que la pédiatre sache que la psychiatre était là pour contenir la mère, lui a permis de se concentrer sur l’enfant et de retrouver ses capacités pédiatriques.
86C’est bien dans le cadre de problématiques intriquées somatopsychiques, comme l’anorexie de Tony, que réside l’intérêt d’une théorisation de la consultation conjointe en termes d’attachement.
Conclusion
87Les consultations médicales conjointes spécialisées dans le handicap, si elles sont d’une pertinence clinique indéniable, sont également des moments durant lesquels les systèmes d’attachement des familles sont très activés. Il est important d’en tenir compte afin de les accueillir au mieux. Des aménagements du cadre et du dispositif de soins sont possibles et faciles à mettre en place ; ils permettent de favoriser ainsi l’alliance thérapeutique. Par ailleurs, la théorie de l’attachement permet une relecture des pratiques et en particulier des contre-attitudes négatives vis-à-vis des familles, comme une compétition entre système de caregiving et système d’attachement des parents, mais également des consultants. Cet outil est particulièrement intéressant dans les situations difficiles, afin de permettre aux consultants de poursuivre les soins de manière empathique, dans les meilleures conditions possibles.
88Enfin, la théorie de l’attachement est un modèle extrêmement pertinent à partager en équipe afin de prolonger le lien avec l’enfant et sa famille dans une alliance groupale de caregiving.
Points importants
- Les consultations médicales conjointes spécialisées dans le handicap suscitent une activation aiguë des systèmes d’attachement des familles.
- Des aménagements du cadre et du dispositif de soins sont possibles et faciles à mettre en place pour permettre de favoriser ainsi l’alliance thérapeutique.
- La théorie de l’attachement permet une compréhension des contre-attitudes vis-à-vis des familles.
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Mots-clés éditeurs : alliance de travail, handicap, attachement
Date de mise en ligne : 21/07/2014.
https://doi.org/10.3917/dev.142.0105