Devenir 2009/4 Vol. 21

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Article de revue

La diplégie spastique : dépistage précoce et prévention

Un modèle pour l'étude du développement précoce et ses troubles

Pages 245 à 264

Introduction

1L’infirmité motrice cérébrale (IMC) a connu plusieurs définitions à travers le temps. Selon Tardieu, l’IMC est caractérisée par des troubles moteurs prédominants et non évolutifs dus à une lésion cérébrale d’origine pré-, péri- ou post-natale précoce pouvant s’accompagner d’atteintes sensorielles et d’atteintes partielles des fonctions supérieures à l’exception d’un déficit intellectuel [1].

2Le réseau européen SCPE (Surveillance of Cerebral Pasly in Europe) définit la Cerebral Palsy (CP) comme un ensemble de troubles du mouvement et/ou de la posture permanents, mais pouvant avoir une expression clinique changeant avec le temps et dus à un désordre, une lésion ou une anomalie non évolutive d’un cerveau en développement ou immature.[2]

3Retenons cette dernière définition qui met l’accent sur l’expression clinique qui peut changer avec le temps. La diplégie spastique est une forme particulière de CP caractérisée par une atteinte spastique prédominant nettement aux membres inférieurs, survenant dans la majorité des cas chez un enfant né prématurément, accompagnée en général de troubles sensoriels en particulier visuels.

4Si l’atteinte prédomine aux membres inférieurs, le tronc n’est jamais épargné, les membres supérieurs non plus même si l’atteinte est discrète.

5La prévalence de la CP est estimée à 2 enfants pour 1000 naissances, soit chaque année 1400 enfants parmi les 700 000 qui naissent en France [2]. Les formes diplégiques représentent 35% des CP dans une série suédoise portant sur des enfants nés entre 1995 et 1998 [3].

6La diplégie spastique est considérée généralement comme la conséquence de lésions ischémiques de la substance blanche périventriculaire au niveau des zones frontières des territoires vasculaires [4]. L’échographie transfontanellaire (ETF) permet de repérer la plupart de ces lésions dès les premières semaines, sous forme d’hyperéchogénicités prolongées dont certaines seront suivies de cavités de leucomalacie kystique de grades différents. Cependant la lésion n’est pas toujours visible ou peut être minime à l’échographie. L’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) réalisée ultérieurement permettra de préciser ces lésions.

7Classiquement, c’est souvent vers l’âge de 6 mois que l’attention est attirée par une mauvaise tenue de tête, un tronc très mou, une certaine raideur des membres inférieurs et des schémas moteurs anormaux avec des mouvements des jambes très globaux en extension adduction équin, des accès d’hypertonie postérieure. Rapidement la symptomatologie s’accentue et la marche, quand elle est acquise, se fait tardivement en flexion de hanches et de genoux, hyperlordose, adduction des membres inférieurs et équin. Le tronc et le bassin apparaissent très figés dans les postures et les déplacements.

8La marche normale nécessite un axe corporel stable et mobile que permet la disposition particulière des muscles du tronc organisés schématiquement en chaînes musculaires droites et croisées [5]. Les chaînes musculaires droites assurent un équilibre entre le regroupement et l’extension contre pesanteur, les chaînes musculaires croisées qui unissent l’épaule à la hanche opposée engendrent des mouvements de torsion du tronc avec dissociation des ceintures, la ceinture scapulaire tournant dans un sens, la ceinture pelvienne tournant dans l’autre sens. Cette disposition croisée permet à une chaîne de se replier et à l’autre de s’étendre dans un équilibre commun. Lors de la marche, les mouvements du tronc se prolongent par ceux des membres induisant le mouvement réciproque et c’est ainsi qu’une jambe s’étend pour prendre appui pendant que l’autre se fléchit avec balancement alterné des membres supérieurs [6].

9Les bases de cette architecture sont essentiellement élaborées durant les 6-7 premiers mois de vie, c’est-à-dire au moment où l’enfant construit son axe corporel qui repose sur un équilibre entre le regroupement et l’extension. On peut facilement imaginer que les perturbations de cette élaboration d’origine neurologique centrale vont se répercuter sur l’organisation générale de la motricité et risquer d’aboutir à une infirmité motrice d’origine cérébrale.

10Naturellement, tous les enfants présentant des troubles de la posture et des schémas moteurs au cours de la première année ne vont pas forcément évoluer vers la diplégie spastique, mais l’intégration de l’axe corporel risque d’être perturbée.
Mais l’intérêt de cette étude ne se limite pas à la diplégie spastique. Le développement tonicopostural et des schémas moteurs ne peut s’envisager isolément sans référence au milieu humain dans lequel s’enracine l’enfant. A ce titre, il est un outil précieux et incontournable pour l’étude de l’enfant à risque, en particulier pendant toute la période sensorimotrice, et surtout les premiers mois.

Le but

11Le but de cette étude est de tenter de répondre à trois questions :

  • Quels sont les facteurs de risque de la diplégie spastique ?
  • Les enfants diplégiques suivis avant 6 mois sont-ils comparables à ceux suivis après 6 mois ?
  • En quoi le développement de la diplégie spastique est-il un modèle pour l’étude du développement précoce et ses troubles ? Nous aborderons cette question dans la discussion.

La population

12L’idée était de mener une analyse rétrospective sur les enfants nés entre le 1er janvier 1991 et le 31 décembre 1999, suivis dans le service de médecine néonatale du centre hospitalier d’Arras (Dr B. Théret) et repérés à risque d’évolution vers la diplégie spastique à divers moments durant leur première année, en considérant l’âge corrigé.

13Parmi tous les enfants repérés à risque neurologique durant cette période et pour lesquels a été engagée une prise en charge rééducative et suivis au moins jusque 3 ans, nous avons exclu ceux ayant évolué vers d’autres formes d’IMC (hémiplégie cérébrale infantile, quadriplégie spastique ou dystonique…), les polyhandicaps, les hypotonies, les ataxies isolées, les étiologies prénatales connues (génétiques, malformatives, infectieuses) de même que les affections progressives ou spinales.

14Soixante-quatre enfants sont retenus. Trente et un ont acquis une marche normale sans pour autant considérer qu’ils sont indemnes de pathologie. Par ailleurs, 33 ont évolué vers la diplégie spastique. C’est cette population de 64 enfants que nous allons étudier et qui se répartit comme suit :

  • 27 enfants sont repérés et suivis avant 3 mois en âge corrigé, dont 25 enfants prématurés ;
  • 14 enfants sont repérés et suivis entre 4 et 6 mois en âge corrigé, tous prématurés ;
  • 23 enfants sont repérés et suivis après 6 mois en âge corrigé dont 22 enfants prématurés.
Les perturbations de l’axe corporel vont naturellement s’exprimer de façon différente en fonction de l’âge de l’enfant.

Aspect clinique des enfants repérés et pris en soins entre 0 et 3 mois en âge corrigé [7–12]

15Vingt-sept enfants dont 25 enfants prématurés.

16Age gestationnel moyen : 30 semaines.

17Ces enfants ont d’emblée des manifestations cliniques préoccupantes :

  • motricité spontanée très perturbée dans sa qualité : un répertoire pauvre ou des mouvements très stéréotypés sans variabilité ni complexité, au maximum des mouvements en bloc du tronc et des jambes ;
  • des troubles du tonus axial avec le plus souvent un relâchement très important de la nuque dans le tiré assis ;
  • des troubles de la posture : posture tonique asymétrique très marquée, une posture en batracien ;
  • des troubles oculomoteurs : une poursuite oculaire perturbée, parfois des mouvements oculaires anormaux ;
  • apnées et bradycardies sévères retardant parfois la sortie.

Aspect clinique des enfants repérés et pris en soins entre 4 et 6 mois en âge corrigé

18Quatorze enfants, tous prématurés.

19Age gestationnel moyen : 31,5 semaines.

20L’examen neurologique de ces enfants était jugé normal ou rassurant à la sortie du service et durant les 3 premiers mois. Par contre, entre 4 et 6 mois, des anomalies sont notées :

  • les mouvements généraux sont anormaux avec une variabilité et une complexité très réduites, le tronc est peu mobile et le bassin reste figé sur la couche, empêchant le regroupement actif [13] ;
  • le déséquilibre du tonus axial s’installe et se renforce progressivement ; des schémas en extension avec accès d’hypertonie postérieure sont fréquents ;
  • une posture en batracien est le plus souvent rencontrée entraînant une rétraction précoce des ischio-jambiers.

Aspect clinique des enfants repérés et pris en soins après 6 mois en âge corrigé

21Vingt-trois enfants dont 22 prématurés.

22Age gestationnel moyen : 32 semaines et 3 jours.

23A partir de 6 mois, les signes classiques de la diplégie spastique apparaissent et se renforcent :

  • Sur le dos, on remarque que les jambes bougent peu et/ou selon des schémas très globaux de la flexion à l’extension totale, en adduction et équin. Le bassin est totalement figé sur la couche sans aucune rétroversion active, le tronc a très peu de mouvements.
  • Sur le ventre, l’enfant a du mal à se redresser sur les mains et les hanches restent en flexion. La tête est souvent en arrière.
  • Dans le tiré assis, la tête reste très en arrière par déséquilibre du tonus axial actif et hypertonie postérieure.
  • Tenu assis, l’enfant contrôle souvent mal la tête, le dos est en cyphose. L’équilibre est très précaire obligeant pendant longtemps à garder l’appui d’une main. Les jambes s’enraidissent progressivement, d’abord aux ischio-jambiers, puis aux adducteurs et fléchisseurs de hanches et aux triceps.
  • Un syndrome pyramidal est souvent rencontré, mais de façon inconstante.
  • On vérifie l’évolution du périmètre crânien.

Aspect clinique à 3 ans

24Les enfants diplégiques se reconnaissent facilement : démarche en flexion de hanches, adduction des cuisses plus ou moins prononcée, flexion des genoux, équin des pieds, hyperlordose du tronc. On complète le bilan par l’étude de la statique et de l’équilibre en position debout, l’analyse de la marche provoquée en arrière et latéralement, le déroulement du pas, le balancement alterné des membres supérieurs à la marche, la capacité de maintenir l’équilibre dans les changements de direction ou à l’arrêt de la marche [14, 15].

25Les activités de jeux, les captures de petits objets, de baguettes dans tout l’espace proche, leur accumulation dans une main permettent d’apprécier la qualité de la préhension, la dissociation des segments corporels, la collaboration entre les deux mains.

26On recherchera des troubles associés éventuels : strabisme, amblyopie, trouble auditif, retard de parole et de langage, comitialité, trouble attentionnel, instabilité psychomotrice…
Une marche normale est définie par une marche avec déroulement du pas depuis le talon jusqu’aux orteils, une extension normale de hanche et de genoux, un balancement alterné des membres supérieurs. La marche provoquée en arrière n’objective aucune flexion de la hanche. La marche provoquée latéralement montre une abduction normale de la hanche.

Méthode

Le suivi clinique

27Le suivi est assuré par les médecins néonatologistes du service, en collaboration avec des praticiens spécialisés en rééducation et réadaptation fonctionnelle, habitués à la prise en charge des bébés. Ainsi, tous les enfants prématurés de cette population bénéficient, avant leur sortie du service, d’un bilan neurologique clinique et paraclinique (ETF, EEG, potentiels évoqués auditifs et somesthésiques). Il est clair que le degré de familiarisation des praticiens avec le dépistage des anomalies sensorimotrices n’est pas le même pour tous, et varie avec l’expérience de chacun.

28Les enfants bénéficient tous d’une installation en position regroupée, et d’une stimulation adaptée par les kinésithérapeutes du service et du Centre d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP).

La prise en charge

29Dès que l’enfant est repéré suspect, sa prise en charge est réalisée le plus souvent dans le cadre du CAMSP par des rééducateurs formés à la prise en charge sensori-motrice précoce et à l’accompagnement des parents, ou par des rééducateurs libéraux correspondants du CAMSP et du service de médecine néonatale afin d’avoir un suivi coordonné. Cet accompagnement est réalisé 2 à 3 fois par semaine au domicile de l’enfant le plus souvent ou au CAMSP ou au cabinet.

30La prise en charge rééducative est centrée sur le contrôle et l’intégration de l’axe corporel en lien avec la famille [16]. Le partage permet l’engramme de cette intégration [17]. A partir d’une posture corrigée et de points d’appui stables, on cherche à inhiber l’hypertonie postérieure et à faciliter la motricité spontanée dans sa richesse et sa complexité au niveau du tronc, des membres, du bassin notamment pour faciliter le regroupement actif et introduire de nouvelles coordinations entre le haut et le bas du corps avec le bassin comme charnière, entre le côté droit et le côté gauche avec dissociation des ceintures [13, 18-21].

31On sera très attentif à la position assise : appui stable sur les ischions, bassin bien redressé évitant la cyphose lombo-pelvienne, respectant la mobilité spontanée du tronc, des ceintures, des jambes. Un siège adapté est souvent nécessaire.

32Une vigilance constante est apportée à la posture qui assure une fonction d’interface entre le corps et l’environnement [22-24].

33Les exercices de poursuite oculaire sur posture corrigée revêtent chez le tout-petit un intérêt particulier car ils participent à la mise en forme du corps, à sa régulation tonique et posturale [19, 24].

34En cas de troubles de l’alimentation, des conseils sont donnés aux parents pour la posture, l’approche et l’introduction de la cuillère dans la bouche. Une stimulation de la zone orale pourra être réalisée par l’orthophoniste.

35Les exercices sont ludiques, réalisés dans un partage émotionnel avec l’enfant. Ils sont expliqués aux parents qui les reprennent dans la mesure du possible. On respectera le rythme de l’enfant qui, souvent, est lent pour lui permettre de s’adapter, de reproduire le mouvement et d’intégrer les coordinations nouvelles.

36Enfin, l’écoute et l’attention portées aux parents sont très importantes pour les aider à surmonter le stress lié à l’annonce, à exprimer leurs angoisses face à l’avenir et à favoriser l’adéquation des représentations familiales à la déficience de l’enfant et à ses potentialités [25, 26].
Dans cette étude seront pris en compte également :

Les facteurs anté et périnatals

Les facteurs concernant la grossesse

37

  • âge de la mère ;
  • parité ;
  • fécondation in vitro ;
  • grossesse multiple, ordre de naissance ;
  • métrorragies ;
  • toxémie gravidique ;
  • hématome rétroplacentaire ;
  • placenta inséré bas ;
  • infection materno-fœtale ;
  • durée d’ouverture de l’œuf : < 24 h, > 24 h, > 1 semaine ;
  • corticoïdes

Les facteurs concernant l’accouchement

38

  • voie basse ou césarienne ;
  • le terme ;
  • poids de naissance, retard de croissance ;
  • Apgar à 1 et 5 minutes ;
  • surfactant exogène.

Les facteurs concernant l’hospitalisation

39

  • durée d’hospitalisation en semaines ;
  • dysplasie broncho-pulmonaire ;
  • infection nosocomiale ;
  • entérocolite ;
  • apnées tardives.

L’examen neurologique à la sortie du service

Lorsque l’examen est anormal, on observe les éléments suivants

40

  • hypotonie axiale importante ;
  • anomalies sévères de la motricité spontanée ;
  • anomalies oculaires graves.

Echographie trans-fontanellaire (ETF)

41Les anomalies ETF sont rangées en 3 catégories selon la classification de Rademaker et De Vries qui tient compte des hémorragies intraventriculaires (HIV) et des leucomalacies périventriculaires (LPV) [27] :

  • Groupe 1 : ETF normale ou anomalies mineures : kystes de la couche germinale ou du plexus choroïde ou pseudo-kystes sous-épendymaires.
  • Groupe 2 : anomalies moyennes :
    • HIV grade 1, grade 2 ;
    • Nécrose de la couche germinale ;
    • LPV grade 1.
  • Groupe 3 : anomalies sévères :
    • HIV grade 3, grade 4
    • LPV grade 2, grade 3
    • Lésion thalamique,
    • Infarctus focal,
    • Hémorragie de la convexité.

Electro-encéphalogramme (EEG)

42Normal, anomalies modérées, anomalies sévères.

Méthodes statistiques

43Nous avons d’abord comparé les enfants du groupe diplégique à ceux du groupe sans diplégie pour les variables choisies. Nous avons ensuite comparé parmi les enfants diplégiques ceux pris en charge précocement et ceux pris en charge tardivement. Les comparaisons de variables quantitatives ont été faites avec le test T de Student et les comparaisons de variables qualitatives par les Chi2. Les analyses ont été faites à l’aide du logiciel Stata 7.0. Une valeur de p < 0,05 est considérée comme significative.

Résultats

44Les résultats sont appréciés à 3 ans sur :

  • Les facteurs anté et périnatals ;
  • Le moment du repérage et de la prise en charge ;
  • L’existence ou non d’une diplégie ;
  • Les troubles associés éventuels.
Deux questions se posent :
  • Quels sont les facteurs de risque de diplégie spastique ?
  • Les enfants diplégiques repérés avant 6 mois sont-ils comparables à ceux traités après 6 mois ?

Première question : Quels sont les facteurs de risque de diplégie spastique ?

45L’analyse des facteurs de risque de diplégie permet de retenir les éléments significatifs suivants :

Analyse du lien entre la date de prise en charge et le développement de la diplégie : 3 mois vs 10 mois

46

  • Sur les 27 enfants repérés et pris en charge entre 0 et 3 mois, 9 vont présenter une diplégie spastique.
  • Sur les 14 enfants repérés et pris en charge entre 4 et 6 mois, 1 présentera une diplégie spastique.
  • Sur 23 enfants repérés et pris en charge après 6 mois, 21 présenteront une diplégie spastique.
En regroupant les enfants repérés et suivis avant 6 mois, on obtient les résultats suivants (Tableau I) :

Tableau I

Analyse du lien entre la date de prise en charge et le développement de la diplégie

Tableau I
Prise en charge Diplégie 0 1 Total 0-6 mois 31 10 41 > 6 mois 2 21 23 Total 33 31 64 p < 0.01 Diplégie 0 = absence de diplégie, marche normale. Diplégie 1 = diplégie présente quelle que soit sa gravité. Commentaires Ces résultats mettent en évidence un fort lien entre la date de la prise en charge et le développement de la diplégie à 3 ans : – 10 enfants sur 41 pris en charge avant 6 mois vont développer une diplégie spastique (24%). – 21 enfants sur 23 pris en charge après 6 mois vont développer une diplégie spastique (91%).

Analyse du lien entre la date de prise en charge et le développement de la diplégie

Analyse du lien entre les anomalies échographiques et le développement de la diplégie spastique (Tableau II)

Tableau II

Analyse du lien entre les anomalies ETF et le développement de la diplégie

Tableau II
ETF Diplégie 0 1 Total 1 9 3 12 2 16 12 28 3 8 16 24 Total 33 31 64 p < 0.04 Groupe 1 : ETF normale ou anomalies mineures. Groupe 2 : Anomalies moyennes. Groupe 3 : Anomalies sévères. Commentaires Ces résultats mettent en évidence un fort lien entre l’importance des anomalies échographiques et le développement de la diplégie : – L’absence d’anomalie échographique ou la présence d’anomalies mineures sont constatées chez 27% des enfants sans perturbation motrice, chez 9% des enfants diplégiques. – Les anomalies échographiques sévères sont présentes chez 25% des enfants sans perturbation motrice invalidante, chez 50% des enfants diplégiques.

Analyse du lien entre les anomalies ETF et le développement de la diplégie

Enfin, il existe un lien très fort avec :

47

  • L’âge d’acquisition de la position assise : 8,5 mois vs 14 mois (p < 0,01).
  • L’âge d’acquisition de la marche : 17 mois vs 25 mois (p < 0,001).
  • La présence de troubles associés (isolés ou associés) : 11/33 vs 19/31 (p < 0,01).
    (Les premiers chiffres concernent les enfants sans diplégie).
Ces 3 facteurs apparaissent trop tardivement pour être utilisés comme facteurs de présomption.

48Tous les autres facteurs de risque étudiés n’apparaissent pas significatifs : âge gestationnel, poids de naissance, âge de la mère, parité, fécondation in vitro, grossesse multiple, rupture prématurée des membranes, corticothé-rapie, mode d’accouchement, apgar, surfactant, dysplasie broncho-pulmonaire, infection nosocomiale, entérocolite ulcéro-nécrosante, apnées tardives, examen clinique à la sortie, altération EEG, fond d’œil.

Deuxième question : Les enfants diplégiques suivis avant 6 mois (N = 10) sont-ils comparables à ceux suivis après 6 mois (N = 21) ?

49L’anamnèse et le tableau clinique apparaissent très différents.

  • Les enfants diplégiques suivis avant 6 mois :
    • apparaissent issus d’une fratrie plus petite : 1,5 enfants vs 2,6 (p = 0,03) ;
    • ont une déficience motrice plus importante qui s’exprime surtout au niveau de l’acquisition de la marche à 3 ans. A cette date, la moitié d’entre eux ne marche pas. La différence est significative (p = 0,04). Ils tiennent également assis un peu plus tard (15 mois), mais ici la différence n’est pas significative ;
    • ont quasiment tous (9/10) des troubles associés à 3 ans : visuels, auditifs, langage, comportement, hyperactivité, troubles attentionnels… isolés ou combinés. La différence est significative. Le trop faible nombre d’enfants ne permet pas de repérer la prévalence d’un trouble associé particulier ;
    • ont des anomalies ETF nettement plus graves (Cf. Tableau III, p. 256).
  • Les enfants diplégiques suivis après 6 mois :
    • sont deux fois plus nombreux ;
    • ont une déficience motrice moins sévère. 2 enfants sur 21 ne marchent pas à 3 ans. Ils tiennent également assis plus tôt (13,5 mois versus 15 mois) ;
    • la moitié d’entre eux ont des troubles associés à 3 ans ;
    • les altérations ETF sont moins graves.

Tableau III

Anomalies échographiques comparées entre les enfants diplégiques suivis avant 6 mois et les enfants diplégiques suivis après 6 mois

Tableau III
Intervention ETF ? 6 mois > 6 mois Total 1 0 3 3 2 1 11 12 3 9 7 16 Total 10 21 31 p < 0.01 Groupe 1 : ETF normale ou anomalies mineures. Groupe 2 : Anomalies moyennes. Groupe 3 : Anomalies sévères. Commentaires - La quasi-totalité des enfants diplégiques suivis avant 6 mois ont des anomalies échographiques sévères vs 1/3 des enfants diplégiques suivis après 6 mois. - La majorité des enfants diplégiques suivis après 6 mois (66%) n’ont pas d’anomalies échographiques ou des anomalies mineures ou moyennes.

Anomalies échographiques comparées entre les enfants diplégiques suivis avant 6 mois et les enfants diplégiques suivis après 6 mois

50Les autres éléments de comparaison n’apparaissent pas significatifs : âge gestationnel, poids de naissance, âge de la mère, fécondation in vitro, grossesse multiple, rupture prématurée des membranes, corticothérapie, mode d’accouchement, score d’Apgar, surfactant, dysplasie broncho-pulmonaire, infection nosocomiale, entérocolite ulcéro-nécrosante, apnées tardives, examen clinique à la sortie, altérations EEG, âge d’acquisition de la marche de la position assise.

Discussion

Au sujet de la première question sur les facteurs de risque de la diplégie spastique

51Que l’importance des anomalies ETF soit en lien direct avec la fréquence de la diplégie spastique n’est pas surprenant. Les anomalies de la substance blanche périventriculaire intéressent les grandes voies ascendantes et descendantes de la sensibilité et de la motricité du tronc et des membres.

52Comment comprendre le lien entre le développement de la diplégie spastique et le moment de la prise en charge ?

53Il faut se souvenir que le 1er semestre est la période de construction de l’axe corporel qui repose sur un équilibre entre le regroupement et l’extension dans un climat de partage émotionnel avec le milieu humain (Wallon), de dialogue tonique (Ajuriaguerra) essentiel pour l’intégration et l’unification des sensations corporelles [28, 29].

54Le 1er semestre apparaît comme une véritable période sensible du développement, c’est-à-dire une période durant laquelle l’enfant à risque devient hypersensible aux déséquilibres des schémas de coordination motrice [30].

55Il y a ici compétition entre des schémas moteurs relativement normaux et des schémas moteurs anormaux. Si les anomalies au départ peu visibles pour un œil non entraîné ne sont pas reconnues, elles vont s’amplifier et les schémas anormaux vont prendre le dessus avec leurs conséquences habituelles : déséquilibre du tonus axial avec hypotonie axiale, hypertonie postérieure, raideur du bassin et des membres inférieurs, activité de pédalage en extension-adduction équin, respiration superficielle.

56A l’inverse, si l’anomalie est reconnue, la détente du plan dorsal, la rétroversion du bassin combinée à la stimulation tactile douce du plan ventral amorcent l’activité des chaînes musculaires antérieures et permettent à l’enfant de se regrouper sur lui-même, de développer sa proprioception, de sentir l’enroulement du bassin et de le reproduire activement, ce qui va modifier le pédalage et restaurer des coordinations axiales suffisamment harmonieuses pour permettre une marche normale.

57La stimulation apportée joue un rôle d’amorce.

58Le résultat est d’autant plus rapide et facilement obtenu que la stimulation intervient tôt.

59Passée cette période de 6 mois, le résultat devient de plus en plus aléatoire, la stimulation reste indispensable bien sûr, mais on ne peut prétendre au même résultat car les schémas moteurs pathologiques sont engrammés.
Les enfants qui marchent normalement ne doivent cependant pas être considérés comme guéris. Ils gardent une fragilité qui pourra s’exprimer sous forme d’une course gauche, de troubles de la coordination oculo-manuelle, de troubles du langage, de l’attention, de la coordination, d’une instabilité psycho-motrice…

Deuxième question : « Comment comprendre les différences entre les enfants diplégiques pris en charge avant 6 mois et après 6 mois » ?

60Il est clair que le profil développemental et les troubles associés sont en lien avec la vulnérabilité lésionnelle, mais celle-ci n’explique pas tout.

61Tout se passe comme si la diplégie spastique représentait la combinaison d’une vulnérabilité lésionnelle et de facteurs environnementaux défavorables dans des proportions variables.

62Pour les 10 enfants repérés avant 6 mois, la vulnérabilité lésionnelle est très importante comme en témoigne la sévérité des altérations échographiques. Elle est nécessaire et suffisante à elle seule pour conduire à la diplégie spastique.

63Par contre, pour les 21 enfants diplégiques repérés après 6 mois, la vulnérabilité lésionnelle existe au départ (la moitié de ces enfants ont des altérations de gravité moyenne), mais elle n’est pas forcément suffisante à elle seule pour entraîner un trouble définitif.
Cependant, si elle n’est pas reconnue au début, elle risque de s’aggraver rapidement surtout si elle se combine à des facteurs environnementaux défavorables touchant à :

64

  • L’environnement familial :
    • interactions non adéquates ;
    • facteurs de stress (précarité, chômage, pression au travail) ;
    • solitude ;
    • dépression maternelle ;
    • absence de soutien familial.
Ces facteurs sont largement fonction de l’histoire propre des parents et de leur cohésion.

65

  • Une prise en charge tardive ou morcelée, sans cohérence, sans prise en compte des parents.
Ici, la causalité n’est pas linéaire mais multicentrique. La précocité de la prise en charge vise à apporter un étayage à l’enfant et à sa famille. La rééducation, les installations adéquates, l’écoute et l’attention portées à l’enfant et aux parents peuvent modifier les représentations familiales, l’ajustement des interactions mère-enfant et l’expression des schémas moteurs.

Remarques à propos des enfants pris en charge aux 1er et 2e trimestres (Age corrigé)

66Ces enfants sont regroupés pour les nécessités statistiques. Une distinction s’avère cependant nécessaire à ce stade de la discussion pour comprendre les différences de résultat observées pour ces 2 populations (cf. p. 253 § Analyse du lien entre la date de prise en charge et le développement de la diplégie). Deux éléments les différencient : l’examen clinique au moment du repérage et l’âge gestationnel.

67Les enfants vus entre 0 et 3 mois ont un examen clinique suffisamment critique pour justifier une prise en charge d’emblée. Leur âge gestationnel est plus bas : 30 semaines vs 31,5 semaines pour les enfants repérés entre 3 et 6 mois. Les autres facteurs ne sont pas différents statistiquement.
On peut légitimement penser que les enfants repérés entre 3 et 6 mois ont une vulnérabilité neurologique moindre ce qui leur permet de bénéficier plus largement des soins apportés. Un seul de ces enfants gardera des séquelles motrices invalidantes.

Troisième question : En quoi le développement de la diplégie spastique est-il un modèle pour l’étude du développement précoce et ses troubles ?

68Les troubles sensori-moteurs sont présents très tôt chez l’enfant à risque développemental :

  • En cas de déficience sensorielle sévère, cécité ou surdité congénitales, on observe vers 3 mois un effondrement tonique. Celui-ci apparaît au moment où des coordinations nouvelles liées aux entrées sensorielles se mettent normalement en place prenant le relais des synergies biologiquement déterminées au cours des 2-3 premiers mois (A. Bullinger) [31].
  • L’effondrement tonique et la pauvreté des schémas moteurs s’observent très tôt chez l’enfant de mère déprimée. La transformation de ce bébé au contact d’une personne de son entourage qui lui apporte des interactions structurantes stables témoigne du rôle vital du milieu humain dans la régulation tonique.
  • D. Houzel [32], dans un article regroupant les signes précoces de l’autisme, décrit les perturbations du développement psychomoteur que l’on peut déjà noter dans les six premiers mois :
    • des difficultés à téter, des vomissements ;
    • une hypotonie, une dystonie (hypotonie axiale associée à des manifestations d’hypertonie postérieure), un mauvais contrôle postural, un retard des acquisitions ;
    • des troubles sensoriels : défaut de contact œil à œil, évitement actif du regard, impression de surdité ;
    • un défaut d’ajustement postural à la personne qui le porte ;
    • un défaut d’attitude anticipatrice, lorsque la maman s’approche du berceau pour le prendre par exemple ;
    • des conduites d’agrippement.
G. Haag [33], pour sa part, décrit des postures asymétriques particulièrement marquées et parle d’hémiplégie autistique.

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A. Bullinger [34] insiste sur les troubles de la régulation tonique qui induisent des schémas en hyperextension entraînant une perte de la coordination œil – main, des postures asymétriques, une hypotonie axiale que le bébé cherche à compenser par le « tonus pneumatique ».

70En réalité, les troubles de la posture, de la motricité spontanée et de la régulation tonique sont les premiers signes observés chez l’enfant à risque et constituent un langage commun par lequel s’exprime précocement toute pathologie développementale qui impacte la construction de l’axe corporel, qu’il s’agisse d’un déficit neurologique, moteur ou sensoriel, d’une perturbation des interactions ou d’une symptomatologie évoquant une psychopathologie précoce plus ou moins sévère.

71Lorsque les signes de souffrance neurologique ou psychique commencent à apparaître, ils sont au départ peu spécifiques, inconstants, variables, souvent banalisés. Pourtant, ils sont souvent et rapidement à l’origine d’une « spirale interactive aggravante » pour reprendre l’expression de M.F. Livoir-Petersen [35]. Un retard des acquisitions apparaît et s’aggrave avec le temps, un cercle vicieux s’installe entre l’entourage familial et l’enfant dont les signes de souffrance ne sont pas reconnus et interprétés.

72C’est pourtant sur cette base de présomption que nos moyens d’action sont les plus efficaces. Dans un grand nombre de cas, la symptomatologie précoce n’est pas figée, elle reste plastique, susceptible de se modifier, voire même d’être réversible, au moins en partie, si la souffrance est reconnue et des soins instaurés.

73A ce stade, la prise en charge a un double objectif : d’une part, elle vise à une appropriation harmonieuse des moyens sensori-moteurs dont dispose l’enfant. C’est par le passage actif d’une posture à une autre avec des changements de points d’appui et en situation d’interaction que l’enfant construit sa proprioception et que s’élabore une première unification des sensations corporelles qui lui permettront de développer ses capacités d’exploration et de communication. D’autre part, la prise en charge va permettre aux parents de sortir du sentiment de disqualification qui les amène à se sentir incompétents et incapables de comprendre les besoins de leur enfant. Le gain narcissique est appréciable et peut parfois tout changer. La reprise développementale de l’enfant exerce une influence positive sur la dynamique relationnelle et sur la qualité de l’attachement.

74Dans certains cas, si elle n’est pas reconnue et prise en compte au départ, la souffrance psychique peut devenir chronique et bifurquer rapidement vers l’enkystement autistique (B. Golse) [36]. J. Hochmann [37] propose le concept de « processus autistisant ». L’autisme n’est plus considéré comme une pathologie fixée, irréversible, mais comme un processus développemental avec une plasticité initiale des troubles. A ce stade, l’accueil et le soin de cette souffrance ont pour but de tenter une réorganisation développementale et surtout de limiter les déficiences, mais ne peuvent prétendre aux mêmes résultats qu’à la phase initiale.
On retrouve ici le même modèle que pour l’étude de la diplégie spastique concernant le développement et la prévention de la pathologie.

Conclusion

75La prise en charge axée sur l’intégration de l’axe corporel dans le 1er semestre, période de construction de celui-ci, se révèle particulièrement efficace pour les enfants à risque de diplégie spastique. Les séquelles motrices invalidantes sont alors moins fréquentes que celles observées lorsque la prise en charge est plus tardive. Après 6 mois, la quasi-totalité des enfants suspects garde des séquelles motrices malgré des antécédents nettement moins sévères.

76En outre, la prise en charge précoce permet une meilleure intégration de l’image corporelle qui facilitera les apprentissages ultérieurs.

77Le 1er semestre apparaît comme une période très sensible du développement. C’est la période où se construit l’architecture des ajustements posturaux du tronc et où s’élabore une première unité de l’image corporelle comme le montre la figure 1.

Figure 1

Résultats à 3 ans en fonction de l’âge de la prise en charge (Tableau 1 dont les chiffres sont exprimés ici en%)

Figure 1

Résultats à 3 ans en fonction de l’âge de la prise en charge (Tableau 1 dont les chiffres sont exprimés ici en%)

78La diplégie spastique semble reconnaître deux modes d’expression :

  • Une forme de révélation précoce caractérisée par une déficience sévère et des troubles associés importants. Elle apparaît en lien avec des altérations neurologiques sévères, suffisantes à elles seules pour conduire à la diplégie spastique. Sa prévention est celle des complications de la grossesse et de la prématurité.
  • Une forme de révélation plus tardive. La symptomatologie initiale est plus atténuée, caractérisée au départ par des troubles du tonus axial et des mouvements généraux trop souvent banalisés. La vulnérabilité lésionnelle existe mais elle n’apparaît pas suffisante à elle seule pour déterminer la diplégie spastique. Ici, les causalités ne sont pas linéaires mais multicentriques.
    Si les troubles ne sont pas reconnus, ils risquent de s’aggraver rapidement surtout s’ils se combinent à des facteurs environnementaux défavorables ou simplement des interactions non ajustées. Ici, la diplégie est un processus qui se construit progressivement et qui pourrait être enrayé par un diagnostic et une prise en charge précoces de l’enfant et de sa famille.
Le modèle de la diplégie spastique nous paraît un exemple paradigmatique pour l’étude des troubles du développement précoce tant dans leur déroulement que dans leur prévention.

Remerciements

Nos remerciements au Docteur Antoine Fily, Praticien Hospitalier au SMUR Pédiatrique du CHRU de Lille, pour la rigueur de ses analyses statistiques et son sens clinique.

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Mots-clés éditeurs : Diplégie, Dépistage précoce, Leucomalacie périventriculaire, Prématurité, Période critique

Mise en ligne 01/02/2010

https://doi.org/10.3917/dev.094.0245

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