Notes
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[1]
Psychologue, Présidente d’honneur de l’association Pikler-Lóczy de France, 76, rue Notre Dame des Champs, F-75006 Paris.
-
[2]
Psychiatre-psychanalyste, ex-médecin directeur de l’USSD, Présidente de l’association Pikler Lóczy de France, 20, rue de Dantzig, F-75015 Paris.
-
[3]
Germaine Le Guillant. Directrice de « Vers l’Education Nouvelle », VEN, Revue des Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active, CEMEA.
-
[4]
Annexe du « Dépôt » de l’Assistance Publique de Paris.
-
[5]
Voir l’article de Marceline Gabel dans cette revue.
-
[6]
L’aide psychosociale : contribution de l’assistante sociale à l’amélioration de la santé mentale in Psychiatrie de l’Enfant, vol. II, 2, PUF, 1963.
-
[7]
Voir Article de Martine Lamour dans cette revue.
-
[8]
Voir article de R. Dugravier dans cette revue.
-
[9]
Jenny Aubry, La Carence de soins maternels, 1953, CIE.
-
[10]
David M., Adam C., Ancelin J., Appell G., « Les séparations précoces mère-enfant » Etude épidémiologique réalisée à la demande du bureau régional de l’OMS, in Informations Sociales, n° 6-7, Paris, 1951, pp. 35-57.
-
[11]
Voir l’article de F. Jardin et de B. Rebillaud dans cette revue.
-
[12]
M. David, G. Appell : Lóczy, ou le maternage insolite, 1973. Ed. du Scarabée : Paris.
1Myriam David disparue n’a jamais été aussi présente. Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, souhaitent retracer son parcours personnel et professionnel. Celui-ci se présente comme un ensemble cohérent articulant travail clinique, recherche, enseignement, le tout enrichi de multiples rencontres internationales.
2Lors de sa formation pédo-psychiatrique, de 1946 à 1950, au James Jackson Putnam Children Center à Boston aux Etats-Unis, Myriam fait l’expérience des soins directs au jeune enfant (psychothérapies, jardin d’enfants thérapeutique et séances enfants-parents), ainsi que du travail avec les parents (entretiens individuels, discussions de groupes). Soins multiples, novateurs à l’époque, toujours fondés sur une compréhension psychanalytique des problèmes. Elle y fait aussi l’expérience personnelle de la supervision et de diverses formes de séminaires dans un travail pluridisciplinaire. Cette première formation marquera toute sa carrière et la psychanalyse restera le noyau central de ses références théoriques.
3Toutefois Myriam gardera toujours une totale indépendance d’esprit qui la laisse libre d’accueillir des idées nouvelles et de puiser son inspiration là où elle perçoit un apport pertinent. Dans son hommage à Germaine Le Guillant [3], elle évoque « leur désir et plaisir partagés d’inclure et non d’exclure des idées émanant de doctrines qui se rejettent plus ou moins agressivement sans vouloir véritablement se connaître. » Elle ne se laissera jamais enfermer dans une orthodoxie.
4Il est impossible de dresser la liste des noms de ceux auprès de qui elle se nourrit. Mentionnons seulement dès le début de sa carrière, Serge Lebovici, Sally Provence, Beata Rank, James et Joyce Robertson et Michel Soulé. Les travaux conduits avec John Bowlby et Mary Ainsworth influencent sa méthodologie de recherche et la théorie de l’Attachement inspire sa pensée. Plus tard, les apports d’Emmi Pikler et des membres de son équipe prennent une place notoire dans sa réflexion.
5Sa rigueur éthique et une grande continuité caractérisent sa carrière.
Son objectif est toujours le même
Atteindre les enfants des populations que la souffrance et/ou la pauvreté, dans tous les sens du terme, empêchent de s’exprimer
6Dès 1950, à Parent de Rosan [4], en lui confiant la direction de la recherche financée par l’Unicef via le Centre International de l’Enfance, Jenny Aubry-Roudinesco lui fait rencontrer les troubles des enfants séparés et souffrant de graves carences institutionnelles précédées parfois de carences familiales. Cela oriente sa carrière en direction des enfants confrontés aux graves défaillances parentales dont elle cherche à comprendre les effets, décrypter les processus, les soigner et les prévenir. Ce faisant, elle apporte sa pierre à l’examen des interactions précoces mère-enfant et aux toutes premières étapes du développement psychique.
7Une partie de la population, dont sont issus ces enfants de l’Assistance publique, l’interroge particulièrement. Qu’aurait-on pu faire pour éviter ce « dépôt » qui déclenche de véritables cataclysmes pour l’enfant et ses parents ? Elle dit la même chose des prisonniers de droit commun côtoyés plusieurs mois à la prison de Blois, lors de son arrestation : « J’ai alors compris que tous ces gens n’auraient jamais dû être là (en prison, à l’AP)… Ils avaient besoin d’autre chose… avant ! ».
8A plusieurs reprises dans la suite de sa carrière Myriam rencontre ces populations qui sont à certains moments en deçà de la parole et ne peuvent aller vers l’autre, a fortiori pour demander de l’aide : en PMI, en Placement familial, à l’Unité de soins spécialisés au jeune enfant à domicile…
9Elle veut atteindre ces populations pour soulager leur souffrance parentale et éviter à leurs enfants d’être à leur tour enfermés dans une absence de communication avec eux-mêmes et avec autrui ou victimes d’interventions qui ne font qu’aggraver leur état, telle une séparation précoce non préparée et non accompagnée.
10C’est la souffrance de l’enfant qu’elle veut faire reconnaître ainsi que son besoin d’être soigné. Elle dira « un adulte bien portant finalement se remet de tout » et Myriam sait de quoi elle parle quand, dans les années 1970, à un petit groupe d’amis et devant cette Méditerranée qui toujours l’enchante, elle peut exprimer avoir retrouvé le plaisir de vivre malgré le cataclysme d’Auschwitz toujours présent. Mais, lui, le bébé, l’enfant qui souffre est en danger de devenir un de ces adultes blessés à vie, en grandes difficultés pour faire face à leur existence et pourvoir aux besoins de leurs enfants.
11C’est pourquoi il faut soigner l’enfant. Quel que soit son âge, il doit être aidé, lui, personnellement, à lever les modalités défensives qu’il a mises en place et qui risquent de paralyser son évolution physique et psychique. Conjointement, il doit se voir offrir des conditions lui permettant de retrouver et d’utiliser ses ressources de développement en même temps qu’un environnement suffisamment riche et adapté pour les nourrir. Pour elle, bien avant « le bébé est une personne » et l’apparition du concept de « résilience », l’enfant est toujours « sujet du traitement » et « partenaire à part entière ».
12Myriam œuvre inlassablement pour que l’enfant, ne soit pas perdu de vue face à l’acuité de la souffrance de ses parents et au désarroi qui saisit fréquemment ceux chargés de le soigner. Pour autant elle ne néglige pas ces adultes.
13Chacun des « partenaires » de l’enfant est à prendre en compte :
- Ses parents, parfois ses frères et sœurs, grands-parents. Ils sont rencontrés en fonction de l’enfant mais aussi pour eux-mêmes. Déjà à Parent de Rosan, sous son impulsion, les parents absents sont recherchés. Avec les années, Myriam met de plus en plus l’accent sur le traitement du lien parents-enfant, du point de vue de l’enfant et de celui de ses parents, que ces derniers soient présents ou non. Sans refuser les distanciations physiques lorsqu’elles sont nécessaires à la sécurité de l’enfant, la souffrance autour du lien est toujours traitée, la souffrance de l’enfant comme la souffrance parentale.
- Les professionnels psycho-médico-sociaux ainsi que les juges, les enseignants et les administratifs. Collaborer avec eux est, pour Myriam, essentiel à la bonne marche d’une action et elle s’y emploie avec ténacité. Ce point sera développé plus loin.
Sa méthode de travail aussi est constante
14Quel que soit le projet, Myriam s’appuie toujours sur les mêmes principes :
S’associer à la circulation des idées et à la transmission des connaissances et des compétences
15On trouve chez Myriam David une activité continue d’information et de formation pour elle-même et pour les différents professionnels médico-psycho-sociaux ainsi que les personnels juridiques et administratifs.
16De sa formation initiale aux Etats-Unis, elle garde le goût des échanges internationaux. Tout au long de sa carrière, elle maintient des contacts avec l’étranger. Les années passant, c’est en tant qu’expert qu’elle est sollicitée.
17Il faut se souvenir du fait nouveau que fut pendant les années d’après-guerre la réalisation de séminaires internationaux, par les Nations Unies, l’OMS et d’autres organismes. Pluridisciplinaires, ils ont lieu dans différents pays européens et traitent notamment des pratiques sociales concernant la petite enfance. Ils sont une ouverture extraordinaire, après des « années de plomb », et d’une grande richesse informative et formative, tant par leur contenu que par leur méthodologie.
Pendant une pleine semaine, une cinquantaine de personnes y participent. Le matin, des conférences souvent d’avant-garde sur le développement de l’enfant et les récentes recherches, puis sur le thème du séminaire. L’après-midi, travail en sous-groupes sur des cas cliniques rédigés. Il n’y a pas encore de vidéo, pas même de super-huit ! Animé par un enseignant, chacun des sous-groupes désigne un participant pour le représenter chaque soir à un « steering comittee » où sera rendu compte de son travail. Ce comité joue un rôle important dans la dynamique du séminaire. Là, sont rapportées les attentes des participants, se discutent les difficultés rencontrées et se précise le programme du lendemain. En être membre est si enrichissant que Myriam cherche à y être missionnée et le plus souvent y parvient. Pas de visite de la ville mais formation à la compréhension naissante de la dynamique de groupe.
18D’un caractère plus scientifique, les trois rencontres d’un groupe stable de vingt personnes, organisées en 1959, 1961 et 1963 par John Bowlby dans le cadre de l’Unité de recherche sur le développement de l’enfant de la Tavistock Clinic à Londres, sont une expérience d’une richesse inestimable.
19En France, Myriam prend part à de nombreux séminaires, colloques etc.. Se nourrir auprès de ses collègues reste toujours essentiel pour elle et dans le même temps, elle a le souci de transmettre les connaissances acquises et de former l’ensemble des personnels médico-psycho-sociaux qui œuvrent dans ses sphères d’intérêt. Se nourrir et transmettre sont pour elle étroitement liés. Par exemple face aux questions complexes des séparations et carences, elle se donne les moyens d’en saisir tous les aspects depuis la loi qui donne le cadre jusqu’au simple soin quotidien prodigué à l’enfant ou à l’accueil réservé à ses parents, en passant par les structures administratives qui règlent le travail des professionnels et la formation que ces derniers ont ou n’ont pas reçue. Elle tente de comprendre les dynamiques induites par les positions des uns et des autres et comment, en fin de course, elles atteignent l’enfant. Elle ne s’en tient pas à un niveau d’intervention, ne s’isole pas dans une action individuelle mais se donne pour mission de « faire bouger les choses » en mobilisant l’ensemble des acteurs concernés.
20C’est ainsi que, dès son retour en France (1950), Myriam repère les services sociaux comme importants vecteurs de séparations mais aussi porteurs de riches potentialités en matière d’une autre prévention. Elle commence alors un important travail de formation avec eux. Elle contribue ainsi à l’introduction du « Case-Work » en France, qu’elle avait découvert aux Etats-Unis et qu’elle traduit par « Aide psychosociale individualisée » [5]. Elle développe à travers cette approche, de nouvelles propositions d’aide aux familles et soutient cette activité pendant plus de 25 ans.
21Tous les ensembles de formation qu’elle met en place comportent, outre les conférences magistrales, des modalités qui prennent en compte les mécanismes de l’acquisition du savoir et les mouvements affectifs qui les accompagnent : observations écrites, supervisions individuelles, discussion sur cas, travaux de groupes, évaluations, synthèses, etc. Quand vient le temps des images, elle s’en sert en regrettant parfois qu’elles prennent trop le pas sur les observations rédigées par les participants eux-mêmes.
22Quels que soient le niveau de formation et l’expérience du professionnel concerné, Myriam part de là où il en est dans son travail. Prudente à ne pas rigidifier les mécanismes de défenses, elle s’appuie sur la richesse de la personne, ses points forts et fait appel à sa capacité réflexive. Elle est attentive au rythme d’évolution de chacun et laisse le temps, tout en maintenant une exigence face à la qualité du travail et en fournissant un apport précis de connaissances. Se former avec Myriam, c’est s’engager personnellement.
23A travers ces formations, elle bouscule les habitudes professionnelles.
Une approche globale des situations cliniques : concertations
24Lorsque dans une situation clinique les intervenants sont multiples, Myriam met en place un dispositif pour qu’ils se rencontrent, parviennent à échanger vraiment et, autant que possible, surmonter leurs fréquentes divergences. Elle souhaite que les regards des différentes professions puissent se confronter, s’enrichir et que toutes les facettes soient prises en compte. Il s’agit d’offrir à tous les acteurs une écoute qui permette de comprendre comment la situation se présente à eux là où ils se trouvent sur l’échiquier, comment ils la comprennent, s’en saisissent, leurs craintes et certitudes. L’attente est qu’au cours de ces échanges se feront des apports de connaissances, s’échangeront des informations qui permettront à chacun d’avoir une vision globale de la situation. Le but est de favoriser, au cours de ce travail collectif, l’émergence d’un projet cohérent, accepté par tous et de faire en sorte que le rôle et la responsabilité de chacun soit clairement définis, évitant les omissions et/ou débordements. Eviter ainsi que les actions des uns soient inhibées voire annulées par celles des autres, et le bébé, l’enfant, perdu de vue comme c’est souvent le cas. La forme que prend ce travail « en partenariat » ou « en réseau » dépend de la responsabilité du professionnel ainsi que de la place occupée par lui et par Myriam au sein du dispositif d’intervention. Et en effet, elle perçoit et tolère les ambivalences, introduit de la nuance ; il y a un cadre mais aussi de la souplesse. Rien ne saurait être figé. Toutefois, des évaluations régulières de la situation, au cours desquelles le projet peut évoluer, sont prévues pour éviter dérives et évolutions chaotiques. Myriam excelle dans cet art et, en plaisantant, on dit d’elle qu’elle parvient à « concilier l’inconciliable ». [7]
Recherche et clinique – Clinique et recherche
25Lors de son retour en France, quatre recherches sur les problèmes de séparations et carences lui sont successivement confiées :
1956/1962 – L’OMS, à sa demande, accepte de financer et lui confie la direction d’une recherche sur les facteurs de carences en pouponnière et les moyens de les atténuer en même temps qu’une recherche sur les répercussions d’une séparation mère-bébé au cours des trois premiers mois de la vie : effet sur l’établissement et la poursuite de la relation entre mère et bébé après le retour de l’enfant au foyer. Recherche conduite à la Pouponnière Amyot où les enfants de parents tuberculeux sont isolés pour recevoir le BCG.
– Parallèlement l’OMS lui commande, une étude épidémiologique sur les causes, modes, durée de séparation d’enfants âgés de moins de six ans dans un secteur rural et urbain de la région de Soissons.
– Eté 1956, à la demande de Roland Lebel, Directeur de l’Union Nationale des Caisses d’Allocations Familiales : Etude d’un groupe d’enfants séjournant un mois en colonie de vacances maternelle.
Parallèlement, réunions et entretiens individuels avec les soignants sont mis en place afin de les ouvrir à la recherche, de les rendre plus attentifs aux enfants et de comprendre ce qui y fait obstacle. Un travail en direction des parents, jusque-là totalement inexistant, est amorcé. [9]
26Dans les années soixante, Myriam, riche de ces premiers travaux et rencontres, a acquis une compréhension des souffrances infantiles, familiales et institutionnelles qui lui fait souhaiter mettre en place des dispositifs de prévention et/ou de traitement. Elle a alors suffisamment de confiance en elle et de sécurité pour affronter les critiques et oser créer des structures originales. Les mécanismes inconscients y sont pris en compte non seulement lors de psychothérapies identifiées comme telles, mais aussi lors d’actions jugées nécessaires, inscrites dans la réalité quotidienne. Ces dernières prenant de ce fait une dimension thérapeutique.
27D’autres dans cette revue parleront de la création, dans le cadre de l’ASM 13 et à la demande de Serge Lebovici, d’une antenne de Santé mentale auprès des services de la petite enfance de l’arrondissement avec une consultation pédopsychiatrie à la PMI du Boulevard Masséna, puis de celle du Centre familial d’action thérapeutique de Soisy sur Seine. Enfin, dix ans plus tard, en 1975, sous l’impulsion propre de Myriam, qui veut parvenir à un travail en amont afin d’éviter aux enfants et à leurs parents les douloureuses expériences de séparation et de placement, l’ouverture, par la Fondation Rothschild, de « l’Unité de soins spécialisés de l’enfant à domicile ». [11]
28Ce qui nous intéresse ici c’est qu’elle va appliquer les mêmes principes de travail dans ses nouvelles entreprises. Pas plus qu’elle ne peut « chercher sans soigner », elle ne peut « soigner sans chercher ». Pour elle, toute entité clinique doit se donner de solides moyens pour pouvoir évaluer régulièrement son travail et à partir de là réajuster son action en trouvant si nécessaire des formules innovantes.
Travail d’équipe, rigueur scientifique, soutien au personnel
29Sa visite à l’Institut Pikler à Budapest avec Geneviève Appell est un exemple de la rigueur méthodologique que Myriam David introduit dans ses actions :
Emmi Pikler a accepté ces exigences et ouvert grand les portes. Les discussions ont été passionnantes et de cette visite Emmi Pikler écrira dans la préface du livre : « Dès ce moment, j’ai eu l’impression et je l’ai signalé que le travail complexe de notre Institut était observé et résumé par les auteurs, d’un point de vue d’où nous-mêmes ne l’avions pas encore fait. En lisant maintenant leur rapport cette impression devient certitude. »
30Myriam est avant tout exigeante vis-à-vis d’elle-même et s’attelle à toutes les tâches qu’elle partage avec ses coéquipiers : observations, thérapies, visites au domicile, accompagnements de visites, démarches administratives, bilans, etc.
31Ses propres expériences et le travail avec les membres de l’équipe proche dynamisent toute l’action. Chacun assure le suivi précis de ses actions par le recueil d’un matériel détaillé. Avec Myriam, on écrit beaucoup : récit détaillé d’une séance d’observation, de psychothérapie, compte-rendu d’entretien ou de réunion. Ces écrits sont essentiels à la solidité du travail. Ils développent l’intérêt, soutiennent la réflexion, favorisent la distanciation lorsqu’elle est nécessaire. Leur richesse et précision soutiennent la mémoire et permettent le repérage exact dans le temps. Qui a fait quoi, quand, pourquoi, sont aussi des données importantes à consigner. C’est sur cet ensemble de données que s’appuiera la pensée lors du travail d’évaluation et/ou d’élaboration. La constitution de dossiers complets, bien tenus, faciles à consulter, est un acte professionnel important.
32Ponctuer son travail par des évaluations est une nécessité pour le faire progresser. Leur rythme sera différent selon leur objet et les besoins, mais leur régularité est à sauvegarder et leurs résultats à rédiger. Ces évaluations servent de base pour penser l’avenir qu’il s’agisse de l’évolution d’un cas clinique, de la bonne marche du service ou du bon déroulement de la recherche. Elles sont des outils précieux lors des efforts de théorisation.
33Tout cela ne va pas sans un actif soutien au personnel et une formation interne continue, tout particulièrement pour les plus jeunes professionnels. Il s’organise autour d’entretiens réguliers, de supervisions individuelles et tout un jeu de réunions au contenu précisé, préparé et où sont seules présentes les personnes vraiment concernées. Si l’objectif premier est toujours le soin à l’enfant et celui de son lien à ses parents et à ses soignants, il est suivi immédiatement par celui du développement personnel de chaque intervenant.
Effort de conceptualisation et de théorisation
34Parlant de Myriam ces termes pourraient ne pas paraître appropriés tant il est vrai qu’elle ne se présente pas comme une théoricienne. Et cependant, c’est bien de cela qu’il s’agît lorsqu’elle travaille sur un ensemble de matériel minutieusement recueilli et fait avancer la connaissance et la compréhension sur une diversité de questions. A titre d’exemples : la séparation, le placement familial, l’interaction mère-enfant, les effets de la psychose maternelle sur le développement de l’enfant ou l’importance de la liberté de se mouvoir laissée au nourrisson…
35En langage simple et clair, accessible à tous, Myriam présente les faits et les émotions qu’ils soulèvent, les actes des uns et des autres et leurs effets. Elle fait partager les mécanismes psychiques et les processus interactifs qu’elle a décelés. C’est ainsi qu’elle emmène dans une compréhension dynamique du cas, de la situation, du problème. Elle va de la pratique à la théorie et rend témoins d’une intégration du « vécu et du connu ». A cette organisation de sa pensée, elle trouve grand intérêt et intense plaisir, même si cela exige d’elle d’énormes efforts et lui prend un temps considérable. Elle considère fondamentale cette phase de toute action et on peut remarquer qu’elle l’accomplit dans chaque domaine de son travail. Ainsi sa pensée avance.
36Elle est souvent pionnière, elle avance et fait avancer les autres.
Quelles sources ont inspiré ces travaux ?
37Mais sur quoi s’appuie Myriam pour donner vie, originalité et dynamisme à tous ces travaux ? C’est un grand point d’interrogation ! C’est son génie personnel, mais de quoi est-il fait ? Avec prudence nous avons tenté de répondre à cette question, d’autres y apporteraient sans doute d’autres réponses.
38Son charisme est reconnu par tous. Myriam semble s’être donnée une mission.
39Son passé d’enfant : élevée dans une famille chaleureuse et unie, Myriam semble être restée en communication avec l’enfant qu’elle a été. Elle a de lointains et précis souvenirs, souvenirs des faits mais aussi, avec acuité, de son ressenti d’enfant et des émotions des adultes. Est-ce de là qu’elle tient ce don particulier de communication avec les tout-petits ? Dans une assemblée d’adultes, c’est toujours vers Myriam qu’un jeune enfant se tourne et sans agir elle apprivoise les plus sauvageons ! Comme si entre elle et eux un « dialogue d’attention » particulier se mettait tout naturellement en place, démontrant, s’il en était besoin, l’importance du langage non verbal.
40Son intelligence, sa sensibilité et son intuition enrichies par ce qu’elle a su développer d’empathie pour l’autre à partir des souffrances personnelles vécues : perdre sa mère à sept ans, vivre l’insécurité de la clandestinité et des risques dans la Résistance, être, comme elle en témoigne, une boule d’angoisse devant la torture, mais aussi vivre l’importance du soin physique quand le corps n’en peut plus. Avoir expérimenté la déshumanisation de la déportation à Auschwitz et s’être découverte coupable parce que juive. « Etre rentrée pour dire » et s’être trouvée devant le refus d’entendre qui prévalait à l’époque puis faire l’étonnante expérience, auprès de Béata Rank, d’être enfin écoutée et de se sentir comprise… et ce justement dans le cadre d’une supervision sur des thérapies d’enfants.
41Les très rares témoignages livrés sur ces périodes tragiques laissent penser que c’est en s’intéressant à l’autre que Myriam a pu surmonter ses propres souffrances.
42Peut-on penser que sa timidité et sa difficulté à parler d’elle-même l’aident à comprendre ceux qui ne peuvent mettre des mots sur leur souffrance tandis que sa conviction que toute personne a des ressources et que c’est avec cette richesse qu’il faut faire alliance la pousse simultanément à rechercher d’autres modes de rencontre et de communication que l’entretien dans un bureau et la seule parole.
43Avec les professionnels, Myriam a le même souci de trouver le chemin d’un dialogue ouvert, véritable échange et la recherche. Avec ses collaborateurs, surtout les plus jeunes, elle montre un réel souci de les aider à développer leurs compétences. Pour elle, cela fait partie de ses responsabilités à leur égard. Elle ouvre des portes grâce auxquelles chacun peut avancer et trouver sa créativité professionnelle.
44Elle nous semble infatigable. Sa volonté, sa ténacité, son humour aussi lui confèrent une force étonnante. Il peut arriver que le désir d’atteindre son but la rende très exigeante, pour elle-même et pour les autres. Au point que cela puisse paraître trop ou laisser croire qu’elle pense avoir toujours raison. Son souci que tout soit noté peut être ressenti comme une forme d’emprise ou un perfectionnisme excessif, mais il procède de sa recherche de qualité du travail et se montre pertinent. Sa sensibilité pourrait devenir susceptibilité, mais Myriam sait garder les limites et ceux qui la côtoient apprennent à composer avec ses rares excès.
45Myriam a engagé dans son sillage nombre de professionnels tant au niveau de la réflexion que de l’action. Elle leur a transmis la conviction que la clinique au quotidien est source de créativité et évite la stérilisation de toute pensée théorique Nous formulons l’espoir que chacun reste animé de son élan et puisse poursuivre les avancées qu’elle a impulsées.
Mots-clés éditeurs : souffrance de l'enfant, traitement global, méthodes de travail
Notes
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[1]
Psychologue, Présidente d’honneur de l’association Pikler-Lóczy de France, 76, rue Notre Dame des Champs, F-75006 Paris.
-
[2]
Psychiatre-psychanalyste, ex-médecin directeur de l’USSD, Présidente de l’association Pikler Lóczy de France, 20, rue de Dantzig, F-75015 Paris.
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[3]
Germaine Le Guillant. Directrice de « Vers l’Education Nouvelle », VEN, Revue des Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active, CEMEA.
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[4]
Annexe du « Dépôt » de l’Assistance Publique de Paris.
-
[5]
Voir l’article de Marceline Gabel dans cette revue.
-
[6]
L’aide psychosociale : contribution de l’assistante sociale à l’amélioration de la santé mentale in Psychiatrie de l’Enfant, vol. II, 2, PUF, 1963.
-
[7]
Voir Article de Martine Lamour dans cette revue.
-
[8]
Voir article de R. Dugravier dans cette revue.
-
[9]
Jenny Aubry, La Carence de soins maternels, 1953, CIE.
-
[10]
David M., Adam C., Ancelin J., Appell G., « Les séparations précoces mère-enfant » Etude épidémiologique réalisée à la demande du bureau régional de l’OMS, in Informations Sociales, n° 6-7, Paris, 1951, pp. 35-57.
-
[11]
Voir l’article de F. Jardin et de B. Rebillaud dans cette revue.
-
[12]
M. David, G. Appell : Lóczy, ou le maternage insolite, 1973. Ed. du Scarabée : Paris.