Notes
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Cet article a paru dans Psychothérapies, 2005, 25, 3, 135-144 ; il est reproduit ici avec l’aimable autorisation de la rédaction.
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Professeur ordinaire à la Faculté de Médecine de Genève, Médecin chef du Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Département de psychiatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève.
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Privat-docent à la Faculté de Médecine de Genève, Médecin adjoint agrégé du Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Département de psychiatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève.
Introduction
1La psychothérapie brève parents-enfants est une modalité d’intervention thérapeutique brève (Cramer, 1974) qui s’adresse aux parents avec leur enfant et qui a été appliquée à Genève selon les principes techniques décrits par Fraiberg (1980). Ce type d’intervention psychothérapeutique brève a été conçu principalement pour des bébés qui présentent des symptômes fonctionnels (troubles du sommeil ou troubles alimentaires) ou des troubles du comportement (opposition, agressivité, hyperactivité, etc.). La recherche sur les processus psychothérapeutiques effectuée à la Clinique de psychiatrie infantile de Genève a tout d’abord étudié des dyades mère-bébé, suivies par un psychothérapeute d’orientation psychanalytique, dans un setting allant de trois à dix séances, à raison d’une séance par semaine. Le thérapeute tente de se focaliser sur les éléments troublés des interactions mère-bébé qui sont responsables de l’apparition des symptômes chez le bébé, et de comprendre ces constellations interactives en relation avec les expériences infantiles que la mère a entretenues avec ses propres parents et avec sa famille. Cette approche thérapeutique a donné des résultats très favorables non seulement au niveau des symptômes du bébé, mais également au niveau des interactions mère-enfant (Cramer et al. 1990 ; Robert-Tissot et al. 1996).
2En 1993, nous avons publié les détails techniques de ces interventions psychothérapeutiques brèves, la nature du processus psychothérapeutique et l’importance de notre focalisation autour des fantasmes que les parents entretiennent au sujet de leur enfant (Cramer et Palacio Espasa, 1993). Nous avons alors compris comment les parents s’emparaient de la représentation de l’inconnu offerte par leur nouveau-né grâce à des identifications projectives dévolues à leur bébé et constituées par des images issues de leurs propres parents (et d’autres personnes significatives) ou des images d’eux-mêmes et de leur passé en tant qu’enfants.
3Dans ce contexte, le terme d’identification projective ne signifie pas un mécanisme de défense pathologique, mais au contraire un mécanisme tout à fait opérant pour le développement et l’organisation de la relation parents-enfant, permettant l’éclosion de l’empathie parentale avec les besoins du bébé, ainsi que son adaptation à ses particularités (Grotstein, 1981). Nous utilisons sans distinction les termes d’« identification projective » et de « projection » comme des synonymes pour une délégation psychique que les parents tendent à offrir à leur enfant. Néanmoins, nous sommes conscients qu’il existe des distinctions théoriques subtiles entre ces deux termes psychanalytiques, distinctions qui ne nous paraissent pas pertinentes pour notre propos.
4Schématiquement, nous avons divisé les fantasmes parentaux comprenant des images de leur propre passé et dévolues à leurs enfants en deux catégories : les fantasmes anaclitiques et les fantasmes œdipiens. Nous avons utilisé le terme « anaclitique » dans le sens de la relation d’objet freudienne (1914), relation d’objet objectale en contraste avec la relation d’objet narcissique. Freud utilisa le terme de choix « anaclitique » lorsque les caractéristiques de l’objet étaient celles du nourrissage, du soin et de la protection.
5Ce même terme avait été choisi par Spitz (1965) pour décrire la dépression anaclitique présentée par le bébé lors d’une séparation d’avec sa mère ou d’avec une personne maternelle qui représente la sécurité, les soins et la protection. Dans ce sens, nous avons mis en contraste les fantasmes anaclitiques des parents autour du nourrissage, des soins et de la protection envers leur enfant, avec les fantasmes concernant leur propre sexualité infantile de nature œdipienne, comme les fantasmes autour de l’inceste, la rivalité et leurs instances surmoïques. Cette distinction des fantasmes parentaux, qui pourraient paraître artificielle, est en réalité très utile pour nos interventions psychothérapeutiques brèves, puisque les interprétations thérapeutiques au sujet des fantasmes anaclitiques sont beaucoup mieux acceptées et comprises par les parents que les interprétations autour de la conflictualité œdipienne, qui risquent d’éveiller de plus grandes résistances.
6Dans la réalisation de ce programme de recherches sur les psychothérapies brèves mère-enfant, le père a parfois désiré participer aux séances avec la mère et le bébé. Le thérapeute, bien sûr, l’a accepté et a travaillé dès lors avec la triade. Ainsi, nous nous sommes intéressés à étudier les particularités de ces psychothérapies psychodynamiques brèves effectuées sur la triade mère-père-bébé. Nombreux sont les auteurs qui ont développé des psychothérapies parents-bébé ou parents-enfant (Lebovici, 1995) et certaines études se sont particulièrement focalisées sur le traitement de la triade (Daws, 1994). Tous ces travaux relèvent l’importance du père en tant que tiers, qui pourrait interférer avec l’émergence de fantaisies fusionnelles de la dyade mère-bébé. Dans cette perspective, ces études se situent dans la continuité des idées avancées par la littérature psychanalytique classique. A la notion de tiers, s’ajoute le concept de fonction paternelle, également classique, de « cadre » ou d’« entourage protecteur » de la dyade mère-bébé (Debray, 1994). Cette position de tiers du père par rapport à la dyade mère-bébé a été même considérée comme une garantie pour « l’espace pour les pensées et les représentations de l’enfant » (Daws, 1994).
7Par rapport au « rôle du tiers », nous avons souligné qu’il n’est pas le seul apanage du père, mais que ce rôle peut être joué aussi bien par l’un ou par l’autre parent à l’égard des fantasmes d’exclusivité de type fusionnel de son conjoint avec le bébé (Cramer et Palacio Espasa, 1993). Dans cet ouvrage, nous avons aussi souligné l’impression clinique que la vie fantasmatique du père et de la mère, à l’égard de leur bébé, présentait une grande similitude. Tous deux présentent aussi bien des fantasmes de type œdipien à l’égard de leur enfant, de même que des fantasmes de type anaclitique, qui sont reliés aux problématiques de séparation et de perte de l’objet. Le scénario narcissique parental dans lequel le bébé est inclus correspond à un mécanisme de défense érigé contre les sentiments douloureux des parents placés face à leurs expériences de perte dans leur passé (Manzano, Palacio Espasa et Zilkha, 1999).
8Toutefois, le lien biologique plus étroit entretenu entre la mère et son bébé, qui concerne la grossesse, l’accouchement, l’allaitement, renforce en elle l’ampleur des fantasmes anaclitiques. Un tel lien mère-bébé pousserait alors le père à vivre des sentiments d’exclusion face à ce « nouveau » couple. Dès lors, le père est plus facilement en proie à des fantasmes œdipiens stimulés par cette situation où il se vit parfois mis à l’écart du lien mère-bébé.
9Le contraste existant entre la conviction soutenue par différents auteurs au sujet de l’importance du père dans les psychothérapies mère-bébé, et la difficulté à mettre en évidence des éléments spécifiques suite à la présence du père dans ces traitements, nous ont poussés à réviser de manière plus systématique notre pratique clinique.
10C’est pourquoi nous nous sommes penchés sur les aspects cliniques et techniques de ces cas étudiés très en détail dans nos recherches sur les psychothérapies brèves mère-bébé, lorsque le père avait participé au traitement. Nous allons illustrer nos réflexions théoriques et techniques, par quelques vignettes cliniques démonstratives des types de difficultés rencontrées dans ces situations cliniques.
Aspects cliniques et techniques
11Dans notre expérience de psychothérapie conjointe parents-enfant, le père participe de la même manière que la mère aux échanges avec le thérapeute. Le père parle aussi souvent que le font la mère et le thérapeute, dans une répartition de la parole, où les interventions effectuées par le thérapeute contribuent au fait que le temps de parole est partagé équitablement entre la mère, le père et le thérapeute (un tiers à chacun). Les parents sont alternativement les principaux acteurs de l’échange qui s’adresse au thérapeute. Ces phases alternent avec des échanges triadiques entre les trois partenaires. Cette participation symétrique des deux parents dans la psychothérapie conjointe est aussi évidente au niveau de l’expression affective de nature positive ou négative, et dans l’évocation d’expériences passées de leur enfance concernant le plus souvent leurs propres parents et les membres de leur famille proche. Le père s’implique autant que la mère et amène à la thérapie des aspects intimes et nouveaux concernant sa propre vie psychique. Cet engagement émerge comme le résultat de l’alliance thérapeutique et facilite le travail interprétatif du thérapeute. L’apport quantitatif du nombre d’énoncés dans ce processus est beaucoup plus important dans un traitement conjoint que dans une psychothérapie individuelle. Nous allons illustrer dans une vignette clinique l’indication positive d’une psychothérapie brève mère-père-bébé dans le cas où le thérapeute peut formuler et interpréter un focus commun pour les deux parents. Le focus psychothérapeutique consiste à signaler la relation conflictuelle actuelle entre le parent et son enfant à la lumière du passé dans l’enfance du parent lui-même et des relations entretenues avec des membres significatifs de sa famille. Très souvent, en utilisant un focus commun, le thérapeute interprète d’autres focus subsidiaires appartenant tout particulièrement à l’un ou l’autre parent.
12Le travail interprétatif dans la psychothérapie brève parents-enfants est grandement facilité par « le prétransfert positif » que les parents entretiennent avec le thérapeute, comme nous l’avons déjà décrit précédemment (Palacio Espasa et Manzano, 1982 ; Palacio Espasa, 1984). Ce « prétransfert positif » consiste en une attitude réceptive immédiate que certains parents développent à l’égard du psychothérapeute dans lequel ils projettent des images positives de leurs propres parents reliées à des investissements libidinaux.
13Généralement, cette disposition favorable vis-à-vis du thérapeute apparaît chez des parents qui ont entretenu des relations positives et aimantes avec leurs enfants, même si des aspects conflictuels vécus dans leur passé peuvent générer quelques problèmes avec leur enfant, qui dès lors produit des symptômes. Ce « prétransfert positif » conduit à une alliance thérapeutique rapide et à une réceptivité parentale par rapport à l’activité interprétative immédiate et intense qui est exercée par le thérapeute dans les psychothérapies conjointes. Le « prétransfert positif » correspond à l’un des critères les plus importants d’indication d’une thérapie parents-enfants. Toutefois, la nature de ce « prétransfert » ne devient réellement évidente que dans le déroulement de la relation psychothérapeutique et son évaluation est difficile à établir avant le début de la thérapie.
14Nous appelons « prétransfert négatif » l’attitude défendue qu’entretiennent certains parents vis-à-vis du thérapeute, concernant particulièrement la résistance à la compréhension et à l’interprétation de leurs problèmes avec leurs enfants à la lumière de leur propre passé. Ces parents considèrent l’activité interprétative comme une accusation et dans certains cas comme de réelles attaques dans une vision ouvertement paranoïde. Cette attitude parentale peut être reliée à leur projection d’images parentales négatives teintées de caractéristiques accusatrices ou agressives, qu’ils effectuent sur le thérapeute. Habituellement, ces parents entretiennent des projections négatives similaires au sujet de leur propre enfant, élément qui contribue aux aspects conflictuels dans leur relation avec lui.
15La difficulté particulière de la pratique des psychothérapies avec les deux parents et leur bébé consiste dans le fait que les parents peuvent présenter des valences prétransférentielles différentes. Par exemple, un parent pourrait montrer un « prétransfert positif » et participer très activement au travail psychothérapeutique, alors que l’autre parent présenterait un « prétransfert négatif », développant rapidement une résistance très importante à l’exploration du thérapeute sur son passé. Dans ce cas de figure, le « prétransfert négatif » de l’un des deux parents peut être la cause d’une rupture abrupte de la thérapie, si le thérapeute ne s’en aperçoit pas et ceci depuis le début du traitement. Le thérapeute doit donc conduire son exploration thérapeutique en continuant à éviter des situations problématiques avec le parent hypersensible jusqu’à ce que celui-ci puisse se sentir plus confiant.
16Parfois, le thérapeute se voit très rapidement impliqué à l’intérieur d’un conflit de couple. Ainsi, le clinicien peut être perçu comme un allié de l’un des deux partenaires, devenant alors l’accusateur de l’autre. Cette situation conduit au développement d’un « prétransfert négatif » tout à fait insupportable pour le parent qui se sent accusé. Dans ces circonstances, l’exploration de la problématique parentale devient extrêmement difficile et le travail psychothérapeutique faillit. Dans d’autres cas, les images parentales conflictuelles accusatrices ou agressives qui sont à l’origine d’un « prétransfert négatif » contre le thérapeute sont projetées en premier par un partenaire sur l’autre. Ces projections négatives génèrent, dès lors, une cascade d’incompréhensions mutuelles entre les deux parents et le thérapeute est directement impliqué dans un conflit de couple, si bien qu’il en est perçu comme le responsable.
17La concordance fréquente de la relation établie dans le conflit parental concernant l’enfant ainsi que concernant les problèmes conjugaux nous conduit à étudier les similarités existantes entre les liens qui unissent le couple et ceux qui sont établis entre les parents et leur enfant. Nous établissons l’hypothèse que lors du choix d’un partenaire conjugal, chacun des parents tend à transférer sur l’autre certaines identifications projectives de nature narcissique érigées de manière défensive contre les identifications projectives de nature anaclitique similaires à celles qu’ils transfèrent au sujet de leur enfant (souvent ce sont des imagos d’un parent idéal que le père ou la mère aurait aimé avoir eu dans son enfance et des imagos de l’enfant idéal que le père ou la mère aurait aimé être). Celles-ci sont souvent accompagnées par des identifications complémentaires correspondantes. Simultanément le parent projette aussi des images plus sexualisées issues de son passé infantile œdipien et dévolues à son partenaire et à leur enfant (Kernberg, 1991).
18Au cours du processus thérapeutique avec la mère, le père et l’enfant, le thérapeute se voit confronté à une série de projections parentales multiples de nature narcissique, anaclitique et œdipienne qui sont attribuées à leur enfant et sur chacun des partenaires réciproquement. Ces projections fantasmatiques diverses sont souvent difficiles à pointer ou à élaborer, travail nécessaire à la bonne pratique d’une intervention thérapeutique brève. Nous allons présenter quelques vignettes cliniques illustrant les situations dans lesquelles une psychothérapie brève et conjointe parents-bébé est indiquée et où le thérapeute est capable de formuler et d’interpréter un « focus interprétatif commun » aux deux parents (vignettes 1 et 2). Nous désirons également illustrer comment et avec quelle facilité un conflit entre partenaires qui n’a pas été immédiatement pris en compte peut provoquer une résistance intense et être à l’origine de l’interruption du traitement (vignettes 3 et 4). La dernière vignette illustre de manière évidente une conflictualité qui pourrait apparaître plus discrète et masquée que dans les cas précédents, mais qui a nécessité un suivi sur un plus long terme.
19Ainsi, l’imago parentale narcissique, érigée en défense contre des imagos anaclitiques, notamment celle d’un parent idéal et d’un enfant idéal, se mêle à des imagos œdipiennes dans des projections parentales complexes. De plus, il n’est pas rare que les désirs œdipiens et anaclitiques de l’un des partenaires se trouvent en contradiction avec les tendances œdipiennes de l’autre, ce qui tend à créer des problèmes dans la relation entre les parents et les enfants, ou au sein du couple parental.
20Afin d’illustrer les notions techniques et théoriques principales auxquelles nous nous référons, nous allons présenter la première vignette clinique de manière détaillée, avec des extraits de dialogues entre les parents et le thérapeute.
Antoine a 21 mois lorsque ses parents consultent pour son comportement très difficile et ses problèmes de sommeil. Antoine attaque et mord les autres enfants, ainsi que les adultes, il refuse d’aller au lit et se montre très tyrannique, particulièrement avec sa mère. Dès sa naissance, sa mère a retrouvé en lui l’image de son propre père dont l’affection lui a toujours manqué.
1er extrait de la première séance
Mère : Quand je l’ai vu après l’accouchement, j’ai vu le visage de mon oncle (frère du père)… il m’a fait peur… il avait les mêmes yeux que ceux de la famille de mon père… mon oncle T. était un homme très agressif, mais un très bel homme, très attractif (imago parentale incestueuse).
Thérapeute : Quelle a été votre relation avec votre père ?
Mère : Il était très souvent loin… il m’a beaucoup manqué. Quand il était à la maison, il ne s’occupait que de ma mère, pas de moi, seulement pour me gronder…
Thérapeute : C’est la raison pour laquelle vous n’êtes pas vraiment surprise que votre fils soit agressif ? A travers lui, vous pouvez trouver la relation proche que vous avez toujours désiré avoir avec votre père agressif (interprétation qui souligne le fantasme anaclitique de la perte du père, plus que le fantasme incestueux à son sujet).
Mère : Oui, je le crois (pleurs, avec émotions clairement exprimées).
De plus, la mère d’Antoine s’est sentie négligée par sa propre mère, si bien qu’elle cherchait à se comporter avec Antoine comme une mère idéalement disponible telle qu’elle aurait aimé avoir.
2e extrait de la première séance
Thérapeute : Comment était votre mère avec vous quand vous étiez une enfant ?
Mère : Elle n’était pas violente, mais pas vraiment affectueuse avec les enfants, et en particulier avec moi, la troisième de ses enfants. Elle était toujours préoccupée par mon père. Lorsque j’étais adolescente, j’ai été très impressionnée par la proximité de leur couple.
Thérapeute : Mais, en tant qu’enfant, vous avez souffert que votre mère ne soit pas plus proche de vous ? (interprétation du fantasme anaclitique de perte et de nostalgie de la mère).
Mère : Oh, oui (de nouveau pleurs et émotions).
Thérapeute : C’est la raison pour laquelle vous êtes aussi disponible avec votre enfant et aussi tolérante avec lui ?
Mère : Très probablement.
Extrait de la 2e séance (le père est également présent)
De son côté, le père se montre également très tolérant avec Antoine car il s’est vécu comme un enfant non désiré par sa propre mère et très brimé par l’autorité de celle-ci. Son frère, plus agressif et rebelle, mais pas désiré non plus, se serait mieux tiré que lui, pense-t-il, de l’influence négative de ses parents.
Thérapeute : Comment étiez-vous en tant qu’enfant ?
Père : En fait, ma mère semblait se préparer à vivre une carrière ecclésiastique, comme nonne, très sévère. Elle rencontra mon père et ensuite les enfants arrivèrent. Mais nous avons été négligés et rejetés (fantasme anaclitique). Mon frère a souffert plus que moi, mais il était très agressif et finalement il a mieux réussi que moi. Je me suis senti écrasé par la sévérité de mes parents.
Thérapeute : Et vous ne voulez pas mettre de limites à l’agressivité de votre fils, car vous craignez de l’écraser comme vous vous êtes senti vous-même écrasé dans votre famille ?
Père : Oui, je le crois, il ressemble à mon frère.
Thérapeute : Vous pensez que votre frère a mieux réussi que vous parce qu’il était plus agressif que vous ?
Père : Oui.
21Un conflit conjugal latent a également été abordé. Le couple s’était effectivement éloigné sexuellement suite à la naissance d’Antoine. Prise par son idéal parental trop exclusif, la mère s’était complètement dévouée à son fils. Le père se situait dans une complicité inconsciente avec sa femme, afin d’offrir à son fils la mère affectueuse idéale qui lui avait manqué à lui-même en tant qu’enfant. Suite à ce traitement bref, le comportement d’Antoine s’améliora notablement, ainsi que l’entente entre les parents, comme résultat de l’interprétation de la problématique parentale et la résolution de leur conflit conjugal latent.
22Parfois, les identifications projectives parentales ne sont pas concordantes, comme dans le cas illustré plus haut, mais se révèlent complémentaires au sujet de leur bébé. Dans ces cas, le thérapeute adresse ses interprétations à chacun des deux parents séparément et l’élucidation de leurs différents fantasmes à l’égard du bébé n’engendre pas de « prétransfert négatif » sur le thérapeute. En d’autres mots, les parents sont capables d’entendre leurs identifications projectives complémentaires dans un espace de compréhension mutuelle et la psychothérapie brève devient réalisable. Ici, la présence du père est un facteur de facilitation du travail psychothérapeutique, car les deux parents s’entraident réciproquement dans l’expression de leur conflit.
Robert a 10 mois lorsque ses parents consultent pour des troubles du sommeil avec réveils nocturnes fréquents et problèmes d’endormissement importants.
La mère présente de grandes difficultés à se montrer ferme avec Robert, car elle appréhende de devenir colérique et arbitraire, comme sa propre mère l’avait été avec elle. Elle a réussi à modifier son attitude avec son enfant, et se montrer plus ferme avec lui, après l’élucidation de cette problématique, dès la première séance.
Le père, qui est venu à partir de la 2e séance, présente une conflictualité très semblable à celle de sa femme : son sentiment d’avoir eu une mère trop exigeante l’amène à adopter une attitude très tolérante avec son fils, accourant au moindre gémissement de Robert durant la nuit. A cette 2e séance, l’interprétation du « focus commun » n’a pas suffi à faire évoluer la situation clinique. C’est à la séance suivante que nous apprenons que le père vit de manière négative l’attitude plus ferme que sa femme montre vis-à-vis de l’enfant. En effet, il a le sentiment de se trouver face à l’image de sa propre mère exigeante, qui, de plus, l’a séparé de son père. Cela a donné lieu à un conflit conjugal ouvert, puisque sa femme, à son tour, a eu l’impression que son mari devenait vis-à-vis d’elle, la mère colérique de son enfance.
L’interprétation « commune », aux deux parents, des identifications projectives réciproques d’un objet maternel surmoïque et persécuteur, à l’origine de leur conflit de couple, a permis la résolution de ce conflit et la sédation de la symptomatologie de l’enfant, que les deux parents enjoignent désormais à mieux dormir.
23Mais la constatation d’un problème de couple a parfois pour conséquence l’éveil d’un « prétransfert négatif » comportant le risque d’une interruption prématurée du traitement.
Allan a 15 mois lorsque ses parents viennent consulter pour des troubles du sommeil et des difficultés de séparation d’avec sa mère. Cette situation dérange surtout le père qui est à l’origine de la demande de consultation dans notre service. D’emblée, le couple se place très loin l’un de l’autre et montre, de manière manifeste, un conflit conjugal ouvert : la mère qui avoue son besoin d’être très proche de son enfant ne considère pas son bébé comme symptomatique et se méfie de la thérapie ; le père se plaint d’emblée de se sentir exclu de la relation mère-bébé et pense avoir perdu le contact avec sa femme depuis la naissance de celui-ci (fantasme de rivalité œdipienne vis-à-vis de son fils). De plus, il craint que son fils ne soit pas normal, car il le perçoit comme trop dépendant de sa mère.
A l’étude de l’histoire des parents, la mère s’est sentie très proche de ses parents, ainsi son identification projective sur Allan est celle de l’image d’elle-même (fantasme anaclitique). Comme enfant, elle s’est sentie très proche de sa mère et de sa grand-mère et son père a aussi été pour elle un « refuge affectif » (fantasme œdipien incestueux). La mère d’Allan a aussi verbalisé ses sentiments que Allan ressemblait à son père (projection d’une image œdipienne).
Pour le père d’Allan, le tableau est fort différent : ses identifications parentales sont celles d’un père présent et concerné par le développement de son enfant (avec lequel il recherche une relation proche) et celle de l’image d’un père qui contrôle, de manière intrusive, la relation mère-enfant pour éviter des sentiments d’exclusion. Les identifications projectives de ce père sur Allan sont celles de l’image de l’enfant trop dépendant de sa mère qu’il a eu le sentiment d’être. Il a effectivement quitté sa mère à 18 ans, pour étudier très loin de chez lui, fuyant une mère froide et distante, mais aussi vécue comme intrusive. A la naissance d’Allan, il a ressenti sa propre femme comme rejetante et abandonnante à son égard, ne lui permettant pas non plus une relation proche avec son enfant (alors qu’il se montrait nostalgique d’une relation plus proche avec son propre père).
Face à cette difficulté de triangulation, les parents n’ont pas été capables d’entendre les interprétations du thérapeute concernant le bébé, tellement ils se sont montrés plus inquiets par leurs difficultés de couple que par le symptôme de l’enfant. La rupture survenue après la troisième séance nous a semblé consécutive à un « prétransfert négatif » dû à l’intrication conflictuelle entre la problématique conjugale et la problématique parentale. En fait, dès la première séance, le thérapeute s’est senti l’objet d’un « prétransfert négatif » de la part de chacun des deux parents. Celui de la mère était plus mitigé et facile à corriger. Elle voyait le thérapeute comme l’image du parent surmoïque et dévalorisant, rôle joué aussi par le mari demandeur de consultation pour le bébé. Le « prétransfert négatif » du mari semble nettement plus virulent. Il est déterminé par une projection négative dévolue au thérapeute. La focalisation de la thérapie sur les symptômes de l’enfant a été vécue par le père comme une dévalorisation de ses compétences paternelles et comme un rejet à son égard, déclenchant la rupture.
Les parents viennent consulter pour leurs deux enfants, Gaston, 4 ans et demi, présente un comportement si difficile qu’il a « déjà mis le feu à la maison à deux reprises », dit le père. Mélanie, âgée de 2 ans, présente dès la naissance des difficultés d’alimentation. Dans l’histoire des parents, il ressort que le père a perdu sa propre mère lorsqu’il avait 2 ans, de manière inattendue et tragique (la mère s’est électrocutée au moment où son mari l’abandonnait pour se remarier avec une autre femme). La mère, quant à elle, se décrit comme une fille ayant été très attachée à ses parents, surtout à son père « avec lequel on se comprenait sans se parler », dit-elle. Elle présente une attitude infantile vis-à-vis de son mari, qu’elle semble investir comme l’image d’un père idéalisé. Le mari paraît projeter sur sa femme l’image de l’enfant choyé qu’il aurait toujours voulu être, après la perte précoce de sa mère et l’expérience de relations de froideur qu’il a subies de la part de son père et de sa belle-mère.
Cet équilibre conjugal instable par la rigidité et la partialité des rôles adoptés par chacun des parents a commencé à présenter des problèmes dès la venue au monde de Gaston. La mère a déplacé sur lui l’image du père œdipien, très proche, contribuant à surinvestir l’image du parent idéal qu’elle avait jusqu’ici projetée sur son mari. Face à la redistribution des investissements de son épouse, le mari a dû reprendre à son compte l’image de l’enfant exclu qu’il s’était senti vivre durant son enfance. En conséquence, le père se sent le tiers exclu, il projette sur son fils l’image du père abandonnant de son enfance, ainsi que les sentiments agressifs qu’il a vécus à son égard. Ceci nous explique pourquoi ce père voyait Gaston comme un enfant très dangereux.
Ce déséquilibre conjugal s’est encore accentué à l’arrivée de Mélanie, que la mère a vécue d’emblée comme une image maternelle rivale (fantasme œdipien de rivalité). L’ambivalence inconsciente à l’égard de cette image a contribué aux difficultés alimentaires du bébé.
Chez la mère, les intenses sentiments de culpabilité à l’égard de son imago maternelle, projetés sur sa fille, ont provoqué des mouvements régressifs importants. Ainsi, à la 5e séance de thérapie, la mère décide-t-elle de quitter son mari et son fils pour retourner avec sa fille auprès de sa propre mère dans son pays d’origine. Le départ de l’épouse a éveillé chez le père le transfert de rivalité ouvertement persécuteur à l’égard du thérapeute, considéré dès lors comme responsable de la rupture du couple. Cela a mis fin au traitement parents-enfants.
Aurore a 2 ans et demi lorsque sa mère vient nous consulter pour des difficultés importantes de séparation. La sœur aînée d’Aurore, âgée de 7 ans, avait également présenté les mêmes problèmes de séparation et est encore suivie en traitement psychothérapeutique pour une timidité excessive. La mère a vécu sa propre mère comme une femme mondaine et indifférente à son égard. Vis-à-vis de sa fille, cette mère désire se comporter comme une mère idéalement présente et disponible telle qu’elle aurait aimé avoir. En revanche, son père était un homme brillant et affectueux qu’elle admirait.
Le mari partage inconsciemment avec sa femme le désir que ses filles aient une mère très disponible, car il a souffert comme enfant d’une mère qui le négligeait, ne se consacrant qu’à son mari, qu’elle idolâtrait. Cette problématique œdipienne du père, dont les racines anaclitiques deviennent évidentes à la lumière de sa relation avec ses filles, a joué un rôle déterminant dans le choix du couple. Dans cette élection, la mère semble avoir déplacé sur son mari l’image de son père œdipien brillant et séducteur, alors que le mari a réussi à retrouver chez sa femme l’image de la mère admiratrice qu’il aurait aimé avoir.
L’arrivée des enfants, et surtout la naissance de la deuxième fille, ont contribué à l’effondrement de l’équilibre conjugal basé sur un choix de nature œdipienne entre les deux parents. Les deux parents éprouvent le besoin impérieux que leurs filles trouvent la mère idéalement disponible qu’ils avaient souhaitée tous deux avoir durant leur enfance. Ces éléments ont également provoqué les difficultés de séparation présentées par les deux filles. Toutefois, dans ce contexte, le père s’est senti de plus en plus frustré, ayant perdu ainsi l’image de la mère qui l’admirait de manière exclusive. Ainsi cet homme s’est plongé dans une attitude donjuanesque de conquêtes féminines répétées, menant à des conflits aigus dans le couple. La naissance d’Aurore a été rapidement suivie par la séparation effective entre les deux parents.
Ainsi, la psychothérapie conjointe pour Aurore nous a permis non seulement d’élucider les racines du malaise conjugal des parents mais encore l’origine des symptômes présentés par leurs filles. Après un suivi de quelques mois, les symptômes anxieux d’Aurore se sont estompés et le couple, apaisé, a décidé de reprendre la vie sous le même toit.
Discussion clinique et considérations théoriques
24Les vignettes cliniques précédentes semblent révéler que l’un des facteurs les plus spécifiques de la présence du père dans la thérapie conjointe serait la fréquence apparente de problèmes conjugaux. Au cours du processus psychothérapeutique, ces problèmes peuvent être traités simultanément au conflit des parents avec leur enfant ou représenter une source de résistance et mener alors à la rupture de la relation thérapeutique. Ces situations nous ont conduits à réfléchir aux similarités existantes entre les liens qui unissent les parents à l’enfant et ceux qui unissent le couple. Les identifications projectives parentales génèrent un processus de « distribution de rôles » (Sandler, 1960) à l’enfant accompagné par une « prise de rôles » introjective dont « les identifications parentales complémentaires ». Ces différentes constellations d’identifications projectives et complémentaires parentales peuvent être normales et profondément constructives pour le développement de l’enfant ou, au contraire, démontrer des degrés variés de conflictualité (Manzano, Palacio Espasa et Zilkha, 1999). Dans le large spectre de ces scénarios, nous avons trouvé que certains pouvaient jouer un rôle important et constitutif dans les liens qui unissent le couple parental. Cela peut signifier que lors du choix du partenaire conjugal, chaque parent tend à établir sur l’autre certaines identifications projectives d’images parentales narcissiques, érigées de manière défensive contre des images frustrantes, abandonnantes et, par conséquent, déprimantes, de modalité anaclitique similaires à celles qui sont établies avec leur enfant et accompagnées des identifications complémentaires correspondantes. Il s’agit notamment :
- de l’image du parent (plus ou moins idéale que le parent aurait aimé avoir) ;
- de l’image de l’enfant (plus ou moins idéale que le parent aurait aimé être pour ses propres parents).
25Selon Kernberg, chaque parent fait son choix de partenaire à partir de ses images œdipiennes : l’objet idéal de l’amour incestueux et/ou l’objet rival. Pour cet auteur, dans la scène (les rapports) du couple, il y a toujours six personnages comprenant les deux partenaires, l’objet idéal et l’objet rival de chacun d’entre eux.
26A l’instar de ce qui se joue dans les interactions fantasmatiques parents-bébé, lorsque nous observons le couple de parents sous l’angle de la parentalité, nous constatons dans leurs interactions conjugales la projection d’un parent sur l’autre du parent idéal qu’il aurait aimé avoir et qui devient facilement l’image du parent œdipien incestueux. L’attribution au conjoint du rôle de parent idéal s’accompagne souvent de la tendance à s’identifier avec l’enfant idéal qu’on aurait aimé être. Réciproquement, ce même conjoint peut aussi s’identifier au rôle du parent idéal, alors qu’il attribue à son partenaire celui de l’enfant idéal.
27La stabilité du couple va donc dépendre de l’équilibre avec lequel chacun des partenaires sera capable d’accepter, réciproquement et selon les circonstances, le rôle soit du parent idéal, soit de l’enfant idéal pour l’autre. La clinique psychothérapeutique avec les deux parents et leur bébé montre que l’arrivée du nouveau-né pousse les deux parents à conférer le rôle de l’enfant plus ou moins idéal au nourrisson. De leur côté, les parents se croient alors contraints d’assumer le rôle du parent plus ou moins idéal vis-à-vis de leur bébé, mouvement qui va modifier l’équilibre préalable du couple. Ces remaniements vont tendre à relâcher et à affaiblir les liens pulsionnels du couple pour renforcer ceux de chacun des parents, surtout de la mère, avec le nouveau-né.
28En règle générale, il est considéré que c’est surtout la mère qui monopolise le rôle du parent idéal pour le nourrisson, alors que le père risque de souffrir de sentiment d’exclusion de ce lien si fort établi entre la mère et son bébé. Cette réalité clinique, si couramment répandue, en cache en fait une autre souvent négligée : celle qui est constituée par la collusion inconsciente du père avec cette situation « fusionnelle » mère-bébé. Cette complicité inconsciente du père est souvent sous-tendue par le besoin qu’il abrite au fond de lui-même depuis son enfance, que son propre enfant retrouve la mère idéale que lui-même aurait aimé avoir. Et cette collusion l’emporte en dépit des sentiments de perte et de frustration consécutifs à l’affaiblissement des liens de couple.
29Comme nous l’avons constaté dans nos vignettes cliniques, la mère peut également vivre des sentiments d’exclusion, de perte et de privation du lien avec un objet parental idéalisé à l’arrivée de son nouveau-né. Dans la clinique psychothérapeutique courante, les deux parents se montrent souvent absorbés par leur idéal parental à l’égard de leur bébé (porteur de l’image de l’enfant idéal qu’ils auraient aimé être) qui monopolise la majeure partie de l’énergie libidinale des parents. Ainsi leurs liens de couple se relâchent parfois dangereusement. Un conflit conjugal latent s’ensuit, avec une insatisfaction affective chez l’un et l’autre des parents, car le détournement des images idéales sur l’enfant comporte l’affaiblissement des images parentales œdipiennes que les parents déposaient auparavant réciproquement sur leur conjoint.
30Lorsque la distribution des rôles entre les partenaires du couple est très rigide et que l’un des parents tend à adopter celui du parent idéal, alors que l’autre prend le rôle de l’enfant choyé, les risques que surgissent des conflits de couple ouverts sont beaucoup plus importants. Une situation assez typique est celle de certaines mères entretenant une « conflictualité parentale de type dépressivo-masochique » (Palacio Espasa et Knauer, 1998), qui à l’entrée dans la maternité passe par une dépression plus ou moins évidente du post-partum, passage pénible du rôle d’une enfant insouciante à celui d’une mère soumise et esclave de son bébé. Le mari qui la choyait jusqu’alors exige qu’elle assume désormais le rôle de mère idéale pour son enfant. Cette situation constitue parfois le point de départ d’importants conflits conjugaux. Certains sont plus problématiques encore, pouvant devenir négatifs pour les interactions mère-bébé. C’est par exemple le cas de la mère vivant son mari comme un parent idéal et qui sent son nouveau-né comme un petit rival à éjecter (identification à la sœur aînée jalouse de son enfant).
31Dans ces formes plus inquiétantes de conflits de la parentalité et de la conjugalité, qui sont d’ailleurs souvent associées, nous constatons d’importantes contradictions entre le choix de partenaires de nature œdipienne et le besoin d’images parentales de nature anaclitique, éveillées par la venue au monde des enfants. Ces contradictions peuvent aboutir à des conflits conjugaux si importants qu’ils se soldent très souvent par la rupture du couple des parents. Cela est dû à l’apparition, chez les parents, d’identifications projectives réciproques d’objets parentaux décevants, frustrants, persécuteurs ou surmoïques au moment où le bébé semble exiger, à l’un comme à l’autre, un rôle parental fortement idéalisé.
Conclusions
32Lorsque nous avons cherché la spécificité de la psychothérapie conduite avec mère, père et bébé, nous avons pu constater que la contribution du père à la thérapie est très semblable à celle de la mère aussi bien en volume total de paroles que dans sa participation émotionnelle et personnelle au problème d’interaction avec le bébé.
33Les psychothérapies brèves mère-père-bébé ont pu se réaliser lorsque le thérapeute a réussi à formuler un « focus interprétatif commun » aux deux parents avec des « points » subsidiaires particuliers à l’un ou l’autre des conjoints. Dans ces circonstances, la présence des deux parents constitue un élément d’activation et de potentialisation favorable du travail psychothérapeutique.
34Dans l’élaboration de ces « focus interprétatifs », nous avons assisté à la mise en évidence de conflits conjugaux qui souvent se transforment en obstacles au processus thérapeutique. Le travail psychothérapeutique avec les identifications projectives de l’un et de l’autre parent qui se trouvent à la base des conflits de ce couple, nous a permis de dépasser, dans certains cas, ce type de résistance.
35Dans le choix du partenaire aboutissant à la formation des couples, nous retrouvons certaines identifications projectives de type anaclitique assez semblables à celles que les parents font sur leurs enfants comme celles de l’image du parent idéal que le parent aurait aimé avoir et de l’image de l’enfant idéal qu’il aurait aimé être. Ces images parentales de nature narcissique ont une fonction antidépressive, étant érigées de manière défensive contre des images anaclitiques, et, lorsqu’elles s’allient à des images de nature œdipienne, elles contribuent à l’équilibre des investissements dans le couple. Un tel équilibre est souvent remis en question à l’arrivée des enfants qui attirent sur eux, et de la part des deux parents, l’image de l’enfant idéal qu’ils auraient aimé être. Les parents dès lors sont forcés de s’identifier avec l’image du parent idéal qu’ils auraient aimé avoir. Lorsque l’enfant monopolise ces images idéales, les liens affectifs et sexuels des conjoints s’affaiblissent du fait qu’elles véhiculent un important potentiel libidinal de l’un ou de l’autre des parents. Ces déséquilibres peuvent donner lieu à des conflits conjugaux latents ou manifestes, dont l’élaboration thérapeutique constitue, à nos yeux, l’un des aspects les plus spécifiques des psychothérapies conjointes avec la mère, le père et le bébé.
Références
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- 17ROBERT-TISSOT C., CRAMER B., STERN D. N., SERPA RUSCONI S., BACHMANN J.-P., PALACIO ESPASA F., KNAUER D., DE MURALT M., BERNEY C., MENDIGUREN G. : « Outcome evaluation in brief mother-infant psychotherapies : Report on 75 cases », Inf. Ment. Health J., 1996 ; 17 (2) : 97-114.
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Mots-clés éditeurs : interventions psychothérapeutiques précoces, interactions précoces parents-enfants, psychothérapie brève parents-bébé
Notes
-
[1]
Cet article a paru dans Psychothérapies, 2005, 25, 3, 135-144 ; il est reproduit ici avec l’aimable autorisation de la rédaction.
-
[2]
Professeur ordinaire à la Faculté de Médecine de Genève, Médecin chef du Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Département de psychiatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève.
-
[3]
Privat-docent à la Faculté de Médecine de Genève, Médecin adjoint agrégé du Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Département de psychiatrie, Hôpitaux Universitaires de Genève.