Devenir 2002/4 Vol. 14

Couverture de DEV_024

Article de revue

Entretien avec Robert N. Emde

Pages 321 à 329

Notes

  • [*]
    Rédacteur en chef de Devenir
  • [1]
    The need-satisfying object (N.d.T.).
  • [2]
    We go (N.d.T.).
English version

1Antoine Guedeney : Qu’est-ce qui vous a mené à la psychiatrie, à la psychanalyse, et de là à la recherche clinique dans le domaine de la petite enfance ?

2Robert N. Emde : Je suis arrivé en médecine avec un intérêt particulier pour la psychologie, après avoir lu Freud, aussi pour la sociologie, et enfin pour la médecine interne. Je pense que c’est l’ensemble de ces intérêts, et la façon dont les différentes expériences sociales peuvent influencer la formation du soi, qui m’ont conduit d’abord vers la médecine interne, puis vers la psychiatrie. Mais je voulais faire de la recherche, et je suis allé à Denver, dans le Colorado, pour rencontrer René Spitz et travailler avec lui, ce que j’ai pu faire pendant deux ans. Puis, il est parti pour Genève et j’ai commencé mon propre programme de recherche, basé sur des idées sur le développement précoce du Moi.

3A.G. : René Spitz fut pour vous un grand inspirateur ?

4R.E. : Oui. Je dirais qu’il fut tout spécialement un inspirateur et un mentor. Quand, avec un collègue, nous décidâmes de faire de la recherche avec lui, on nous dit qu’il était trop occupé. Plus tard, nous découvrîmes qu’il était toujours en deuil de sa femme, et qu’il était en train de quitter Denver. Mais nous voulions vraiment travailler avec lui. Nous avons trouvé un orphelinat, à Denver, et rencontré certains problèmes que nous ne pouvions comprendre. Alors, nous avons appelé Spitz, pour lui dire que nous avions des observations qui semblaient questionner sa théorie ; dès lors, il ne pouvait plus résister !

5A.G. : Vous l’avez appâté et accroché à l’hameçon !

6R.E. : Oui, exactement. Il est donc venu à l’orphelinat et s’est intéressé à ce que nous lui avons montré.

7A.G. : Qu’est-ce qui interrogeait ses théories, dans vos observations ?

8R.E. : Il y avait deux choses. La première était à propos du début du sourire. Nous avions mesuré la réponse de sourire, et observé que l’apparition du sourire était bien différente de ce qu’il avait décrit. En fait, c’était bien un problème pour lui, car d’un côté il pensait que c’était un mécanisme inné, déclenché par la « Gestalt » de la figure humaine, par la ligne des cheveux, les yeux, le nez et le mouvement, et d’un autre côté, il pensait aussi que le sourire reflétait la reconnaissance par l’enfant de ce qu’il appelait l’objet qui satisfait les besoins [1]. En bref, cela nous a conduit à un programme de recherches, où nous avons montré que le sourire est indicateur de la perception précoce de la profondeur. Nous avons aussi montré que la réaction innée ne dure que quelques jours, et que très vite le bébé différencie la figure de sa mère de celle des autres.

9Puis nous avons fait de nombreuses études, plus tard, sur le sourire précoce et ses relations au sommeil paradoxal.

10L’autre challenge à la théorie de Spitz concernait la dépression. En effet, nous avions trouvé un bébé très déprimé, dans cet orphelinat. Ce bébé évoquait ce que Spitz avait décrit sous le terme de dépression anaclitique. Cet enfant n’avait jamais reçu de soins de sa mère biologique. En fait, il n’avait pas de substitut maternel unique, mais plusieurs. Alors, nous demandâmes à Spitz : « Comment ce bébé peut-il montrer une dépression anaclitique ? Vous avez écrit que la dépression anaclitique ne survient que s’il y a eu auparavant une bonne relation avec la mère ! » Cette observation a conduit à un article, et à une extension du concept de dépression anaclitique. Nous avons pu montrer que ce bébé avait subi une interruption dans la qualité de ses relations, dans un contexte de maternage multiple. Un autre trait intéressant était que ce bébé avait été déprimé pendant 7 mois. Spitz pensait que la dépression anaclitique était irréversible après une durée de 3 mois. Cet enfant est sorti de cette dépression, et nous avons pu le suivre jusqu’à l’adolescence.

11A.G. : Il semble que depuis le début de votre carrière vous ayez eu la volonté de vérifier les faits, les théories. Ainsi, par exemple, l’étude des effets à long terme des traumatismes précoces vous a mené à l’idée des processus de réparation.

12R.E. : C’est une perception claire de ce que sont mes buts à long terme dans la théorie du développement. D’abord, je pense que nous avons beaucoup à comprendre encore à propos des effets à long terme des traumas précoces sur le développement ultérieur et sur la psychopathologie. Nous savons déjà que ces relations ne sont pas simples. Nous savons aussi qu’il existe bien plus de brutalité ordinaire sur les jeunes enfants que ce que la psychanalyse nous a appris à voir : des enfants sont battus, négligés, sans parler des sévices psychologiques. Je pense donc qu’une bonne part de la psychopathologie provient de ces mauvais traitements, dans le sens fort du terme, et ce, bien plus que l’analyse nous a habitués à penser.

13A.G. : C’est là une sorte de théorie de l’anti-séduction, insistant sur la fréquence et la réalité des mauvais traitements à l’origine de la psychopathologie.

14R.E. : C’est vrai. La théorie initiale de Freud était malheureusement juste, du moins dans une large mesure. Et la seconde théorie, celle du fantasme, a besoin à mon avis d’être discutée et remise en perspective. Trop d’enfants subissent une triste réalité et non un fantasme. L’étude du développement précoce nous a appris que les enfants sont de bons observateurs de leur environnement. Mais il y a aussi beaucoup à apprendre sur l’individualité : pourquoi quelque chose a-t-il tel effet sur quelqu’un et pas sur un autre ? Mais je pense également qu’il existe des modes fondamentaux des processus mentaux précoces qui sont de très puissants facteurs correcteurs, dans un contexte de soins adaptés. Ces éléments correcteurs agissent la vie durant. Et je pense que nos recherches dans la petite enfance peuvent nous aider à comprendre ces processus de réparation, et ces processus développementaux actifs tout au long de la vie.

15Mais tout cela fonctionne dans des circonstances normales, et nous savons que dans le monde et aux Etats-Unis, les circonstances sont loin d’être toujours normales ! La violence entre les communautés prend des proportions terrifiantes. Il y a aussi la toxicomanie, les « bébés-cocaïne », pour citer un problème spécial, mais aussi la faim ! Hors des USA, il y a aussi la guerre, et le génocide. Il y a donc beaucoup de dangers, qui sont là, menaçant les enfants. Mais si nous pouvons comprendre mieux les puissants processus de développement, alors nous pouvons mieux comprendre les déficits et les interférences, quand ils surviennent, de façon à entreprendre une action et une prévention, comme nous pouvons trouver les moyens de remettre le développement « sur ses rails ». Ainsi, la question est : « Comment déployer les ressources ? ». Il existe une crise dans le programme de soins, et c’est particulièrement sensible aux USA. C’est comme si nous n’avions plus la volonté de nous engager dans un programme de prévention qui engage l’action du corps social.

16A.G. : Vous avez évoqué les dangers qui menacent l’enfant. Est-ce que l’enfant souffre de dangers internes, externes ou des deux ?

17R.E. : Je ne pense pas que le péril soit dans l’enfant. Dans un sens, c’est là un retour à une position rousseauiste. En fait, je crois qu’il existe chez l’enfant un très grand potentiel pour une moralité positive, dans le développement normal. Bien sûr, un processus moral précoce peut être aisément enrayé. Les règles morales sont largement intégrées sur un mode procédural, inconscient, au cours des deux premières années.

18A.G. : Ainsi, vous partagez avec Stern et d’autres l’idée selon laquelle le bébé a raison dès le début, et que sa vision du monde se fait sans distorsion, du fait, par exemple de l’envie ou de l’angoisse ?

19R.E. : Tout à fait. Tout ce que la recherche nous apprend conduit à penser que les émotions dont vous parlez sont complexes. Selon moi, il n’y a pas de preuve de l’utilité de ces constructions dans les premiers mois de la vie.

20A.G. : Est-ce que l’inconscient dont s’occupent les psychanalystes et le non-conscient des cognitivistes est bien le même ?

21R.E. : La théorie psychanalytique classique retient le conscient, l’inconscient « dynamique », et le préconscient. Mais il existe une 4e catégorie, qui s’occupe de la connaissance procédurale. Le point essentiel est que cette connaissance n’appartient pas à l’inconscient dynamique, mais n’est pas en majorité consciente.

22A.G. : Parce que son codage n’est pas le même ?

23R.E. : Oui, exactement. C’est codé sur un mode analogique, comme la grammaire, et comme l’est aussi l’expérience émotionnelle précoce, ou les règles de la prise de tour dans l’échange. Ce n’est que dans le milieu de la seconde année que l’enfant développe une conscience de soi réflexive, du moins selon nos recherches.

24A.G. : Ainsi, il existerait pour vous des zones libres de tout conflit, comme dans les conceptions de Hartman, et il n’existerait pas d’inconscient présent depuis le début de la vie.

25R.E. : Seulement dans le cas d’un développement pathologique. Dans la pathologie, on observe un développement prématuré de nombreuses structures, et certains enfants ont ainsi des défenses précoces qui apparaissent bien plus tôt. Mais je pense que ce qui existe dès le début, c’est une réciprocité dans les procédures. Puis les choses se compliquent très vite. Cette perspective jette à mon avis une lumière nouvelle sur la psychopathie, que l’on peut voir sous l’angle d’un déficit précoce dans le codage procédure et dans la réciprocité.

26A.G. : Dans vos travaux sur le rôle des émotions comme noyau du sens de soi, et comme base de la continuité du self, vous insistez beaucoup sur la prédisposition biologique de l’enfant pour l’échange social et émotionnel. Mais pensez-vous que l’appel à la biologie garantisse la véracité de votre vision ?

27R.E. : Mais enfin, la biologie, c’est la biologie !

28A.G. : Mais nous savons qu’il n’existe pas de vérité en soi. Un résultat dépend de la manière dont il a été établi.

29R.E. : Oui, c’est juste.

30A.G. : Il semble que votre vision de la petite enfance s’appuie beaucoup sur les résultats expérimentaux qui plaident pour une prédisposition biologique à l’adaptation sociale.

31R.E. : Permettez-moi d’abord de répondre sur la prédisposition, ce qu’elle fait et ce qu’elle ne fait pas. Ce que ma théorie articule, c’est qu’il existe certaines fonctions comportementales, au cours du développement précoce, qui sont fortement préparées biologiquement. Par cela, je veux dire que ces fonctions sont protégées contre les aléas. Elles sont canalisées, avec une forte tendance à retourner dans les rails du développement. Ces fonctions sont universelles, et agissent la vie durant. Mais ce qui est important à réaliser, c’est que ces fonctions ne nous renseignent en rien sur l’individu lui-même.

32Ainsi, si nous cherchons à savoir qu’est-ce qui conduit à quoi dans quelles circonstances – ce qui est ma phrase-clé pour la recherche développementale – alors nous devons nous pencher sur les différences entre individus. Ces grandes fonctions biologiques agissent comme une toile de fond de l’histoire individuelle. je ne peux pas dire que je m’appuie dessus, car nous ne testons pas directement ces fonctions, qui sont en fait des présupposés. Ce que l’on teste, ce sont des différences entre les individus. Si vous prenez une théorie du développement qui fait appel à des stades, par exemple, vous pouvez la tester en faisant l’hypothèse que ceci doit arriver avant cela, et tester votre hypothèse, ou encore en essayant de montrer que deux choses ne peuvent survenir en même temps.

33Mais je voudrais dire que j’ai eu l’occasion de m’adresser à de nombreux groupes analytiques, dans le monde, qui s’intéressaient à l’observation de l’enfant, au sens expérimental, et à ce que cela peut apporter à notre façon de nous occuper des patients. Très souvent, on m’interrogeait sur le futur de la psychanalyse : c’est un traitement très coûteux ; la théorie s’est éloignée, pour l’essentiel, de la recherche, et l’analyse fait moins qu’avant partie de la scène universitaire, apparaissant plus comme une forme d’art, de savoir-faire. Je pense, en tant que psychanalyste, que nous sommes des experts en individualité, en individualité au cours du temps, en sens individuel ; nous sommes aussi des experts sur l’effet des circonstances particulières sur l’individu, particulièrement dans le domaine des relations, et le transfert est bien une aire de relation ou l’analyste a besoin d’être un expert. Je pense donc que le futur de l’analyse se situe dans la compréhension de ce qu’est l’individualité. Je pense qu’il y aura un retour du balancier, avec un intérêt renouvelé pour cette dimension de l’individualité. Actuellement, l’intérêt en médecine se situe vers la compréhension des lois générales du développement, comme le montre l’exemple de l’étude du génome. Mais quand nous aurons établi la carte du génome, quand nous aurons trouvé les marqueurs d’un certain nombre de troubles physiques et comportementaux, alors que ferons-nous ? Nous serons en face de nouveau-nés étiquetés « à risque » parce qu’ils sont porteurs de ce marqueur dans leur génome. Mais nous n’avons pas de connaissance suffisante pour savoir quoi faire de cette information, éthiquement. Nous ne savons rien du contexte, nous ne savons pas qui développera une maladie et pourquoi, à partir de cette prédisposition génétique. Nous savons seulement que le facteur majeur qui détermine l’apparition de la maladie se situe dans une interaction entre le génome et l’environnement, comme les maladies dépressives, l’alcoolisme ou la schizophrénie nous en donnent des exemples.

34A.G. : Vous avez insisté, dans différentes études, sur les émotions positives, dont vous pensez que le rôle a été jusqu’ici sous-estimé. Ce faisant, vous vous rapprochez de la théorie de Bowlby de l’attachement. Mais on a reproché à Bowlby de ne pas tenir compte des affects « négatifs ». Aussi, vous semblez tenir pour acquis que l’évolution assure l’adaptation harmonieuse entre l’organisme et l’environnement, ce que Darwin lui-même ne pensait pas. N’avez-vous pas tendance à sélectionner ce qui plaide pour la « positivité », et à sous-estimer le rôle de la « négativité » ?

35R.E. : Je suis assez d’accord avec vous. Nos recherches ont démarré avec les émotions positives, qui étaient sous-estimées. J’ai débuté avec la réponse du sourire et continué avec les émotions positives. Mais il ne faudrait pas confondre positif et hédonique ou plaisant, avec positif au sens d’une perspective adaptatrice. Sur le plan ontogénique, je pense que l’enfant reçoit un ensemble de fonctions pour survivre, s’il reçoit des soins adéquats, et je crois que c’est ce que Bowlby a pris à la perspective évolutionniste.

36A.G. : Mais êtes-vous d’accord avec l’idée que l’évolution n’assure pas que toutes les fonctions mentales, même chez le bébé, soient adaptatives ?

37R.E. : Oui, c’est vrai, mais il faut alors montrer qu’elles ne sont pas adaptatives. Si nous les examinons généralement, sur l’ensemble des espèces, elles sont adaptatives, jusqu’à preuve du contraire. Mais vous savez que je ne suis pas du tout un darwiniste social, qui penserait que l’évolution favorise l’ordre social. Ça, c’est une position morale, avec l’idée que l’évolution, c’est bon. Je ne crains pas de prendre une position morale ; elle serait de penser qu’être en empathie est mieux que ne pas l’être, et qu’il est bon d’avoir un sens fondamental de la réciprocité.

38A.G. : Est-ce qu’être une bonne mère est naturel, même si cela peut être biologiquement préparé ? Etre violent avec ses enfants, par exemple, dépend de l’impulsivité de chacun, de l’histoire de chacun, mais aussi de la culture et de bien d’autres choses : rien de bien naturel, même si cela peut arriver à des gens « comme les autres ».

39R.E. : Mais c’est bien ce sur quoi j’insiste ! Il existe des preuves de l’existence d’une propension universelle, biologiquement préparée, à s’occuper des enfants. Mais ça ne veut pas dire que la culture n’a pas de place. Culture et nature sont interactives et complémentaires la vie durant.

40A.G. : Mais ne peut-on discuter de ces preuves ? Ne fait-on pas dire au bébé ce que nous voulons lui faire dire ?

41R.E. : C’est vrai, mais je pense que ces preuves existent, pour des raisons logiques. C’est pour cela que je crois que s’occuper des bébés est préparé biologiquement, spécialement chez les femmes. Cela ne signifie pas que ça doive marcher. Et ça nous impose, à nous professionnels, de nous occuper des situations qui mettent en cause cette préparation. Mais ce qu’il faut éviter alors est l’indignation bien-pensante, celle qui vous conduit à détester toute différence, et peut conduire à tous les excès. J’ai pu le voir en moi-même. Cela s’actualise dans la fièvre de guerre que nous observons actuellement, et c’est l’autre face, l’inverse du « nous-ensemble » [2].

42A.G. : Mais aussi, cette idée d’une préparation biologique à la maternité peut être utilisée pour mettre encore le poids des choses sur les femmes.

43R.E. : Il est vrai que cela peut être dangereux dans ce sens, mais la recherche de la vérité ne devrait pas être chose dangereuse.

44A.G. : Ainsi, être une mère, ce n’est pas garanti ?

45R.E. : Non, cela ne l’est pas. Rien n’est garanti, et je ne mets pas un système de valeur sur ces choses-là. Mais je pense qu’avoir une préparation biologique pour s’occuper des autres est une bonne chose.

46A.G. : La psychanalyse s’occupe du conflit. Quand le conflit commence-t-il, dans l’enfant ?

47R.E. : En fait, j’ai passé le plus clair de mon temps à m’occuper de conflit. Mais la plus grande part de nos études à propos du conflit est guidée par le point de vue du développement. Nous avons sélectionné des enfants entre 3 et 7 ans, et nous sommes en train de les étudier d’un point de vue psychodynamique, psycholinguistique et socio-cognitiviste, simultanément. Nous nous intéressons à la représentation qu’a l’enfant des thèmes conflictuels de cette période. Nos études n’en sont qu’à leur phase préliminaire, mais nous savons déjà que l’essentiel de ce que nous appelons le surmoi se forme avant l’Œdipe et non après, et que le noyau de l’identité de genre est déjà présent à l’âge de 3 ans.

48A.G. : En travaillant comme analyste, vous vous trouvez au milieu d’un conflit, transfert de la sexualité infantile réactivée par la situation analytique. Freud parle de l’analyse comme d’un moyen « de faire apparaître des choses qui ne peuvent être observées nulle part ailleurs ». C’est une définition discutable, en particulier du point de vue scientifique, mais cela implique qu’un matériel issu de l’analyse peut difficilement être opposé directement aux résultats de l’expérimentation.

49R.E. : Oui, c’est vrai, pour ne rien dire en plus du rôle de la construction en analyse. Mais ce que l’on peut discuter dans ce grand débat dans la psychanalyse, c’est à quel degré tout cela se relie à ce que l’on observe expérimentalement. C’est certainement un débat. Je suis aussi d’accord pour penser qu’il existe des domaines différents. Nous essayons, dans la psychiatrie du bébé, de clarifier ce point et de trouver quels peuvent être les points significatifs entre ces points de vue, entre l’observation du développement et notre expérience psychanalytique. Mais pour ce qui est de l’enfant, à la fois l’expérimentation et les données issues de la psychanalyse de l’enfant nous indiquent qu’il faut modifier nos vues sur le complexe d’Œdipe, sur la période de survenue du développement moral et de l’identité de genre.

50A.G. : Qu’en est-il pour vous de Mélanie Klein ?

51R.E. : Je ne vois pas son travail comme une théorie de l’enfant observé, mais comme une théorie créative et reconstructive.

52A.G. : Quelles vous semblent être les directions de recherche fécondes aujourd’hui ?

53R.E. : Cela dépend de la situation locale, et des orientations professionnelles de chacun. La réponse ne peut être la même pour les travailleurs sociaux ou pour les psychanalystes. L’analyse est par exemple bien plus active en France ou en Argentine qu’aux USA, où nous avons à nous battre pour continuer d’exister. Mais je dirais cependant que prêter attention à l’individualité me semble une direction importante. J’insisterais aussi sur l’importance du contexte, à la fois familial et culturel. Les études avec de larges populations sont aussi nécessaires dans notre domaine, pour savoir qui sont les enfants à risque, ou pour savoir quelles sont les circonstances qui risquent de mener à des troubles. Nous avons aussi à conduire des essais préventifs de traitements, d’interventions, pour générer des connaissances sur ces sujets. Nous avons absolument besoin de recherche sur les divers modes de garde et de soins dans la petite enfance. La question n’est plus de savoir si la garde à la maison est mieux ou moins bien que la crèche, parce que c’est un fait de société, et que les gens travaillent. Nous savons ce qui est très bon, ce qui n’est pas bon du tout, mais il existe énormément de choses entre ces deux pôles sur lesquelles nous ne savons pas grand chose.

54Chicago, septembre 1990

Notes

  • [*]
    Rédacteur en chef de Devenir
  • [1]
    The need-satisfying object (N.d.T.).
  • [2]
    We go (N.d.T.).
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