Un jour de décembre 2018, tôt le matin, alors que je m’apprêtais à quitter avec un ami le village au nord du Togo où je mène, depuis des années, des recherches ethnographiques, une douzaine d’adolescents, leurs sacs de voyage par-dessus l’épaule, surgirent d’un ensemble de maisons en banco et nous saluèrent. Vêtus d’un arc-en-ciel d’anoraks délavés et de tee-shirts à manches longues – en cette saison sèche, l’air frais de la nuit résistait encore à l’accablante chaleur qui culminerait à la mi-journée –, ils nous jetèrent des sourires triomphants avant de disparaître dans un chemin rocailleux. Les « aventuriers », releva mon compagnon.
Cette poignée hétéroclite de jeunes hommes rentrait tout juste du Nigeria, après neuf mois passés dans une brousse reculée à cultiver les champs de ceux qu’ils appellent les « Alaji » – des propriétaires terriens yoruba musulmans. La contrepartie de leur travail est un paiement en nature – une moto, de la tôle de toiture, une vidéo (en fait, un appareil combinant vidéo et son pour organiser des soirées dansantes) –, même si certains préfèrent de l’argent liquide pour acheter des cadeaux de mariage.
Les « anciens » dans les villages d’origine sont contre ces séjours nigérians, parce qu’ils perdent la main-d’œuvre de leurs cultivateurs les plus vaillants et s’inquiètent du sort de leurs enfants s’ils devaient tomber malades. Les instituteurs aussi déplorent ces départs, conscients qu’après avoir manqué une année entière d’école, un élève sera pour de bon perdu pour « les bancs »…