Au cours des quelques mois et années passés, trois mots-dièses ont monopolisé l’attention de la presse américaine et internationale ; #BlackLivesMatter lors des émeutes de Ferguson, #MeToo dans le sillage de l’affaire Weinstein et #NeverAgain après une fusillade dans un lycée de Floride ont été présentés comme de soudaines prises de conscience entraînant un bouleversement définitif des mentalités. Dans chacun de ces trois cas, la surchauffe des réseaux sociaux a été interprétée comme la preuve d’un décentrement durable du point de vue de la société sur elle-même, comme le franchissement d’une ligne de crête sans retour possible – comme, enfin, l’apposition tant attendue d’un sceau d’obsolescence sur des injustices ou des comportements jusque-là tolérés. L’unanimité d’un tel enthousiasme ne peut qu’alerter l’observateur prudent. Mais dans une Amérique ballottée d’outrance en outrage depuis la victoire électorale de Donald Trump, l’heure n’est plus au scepticisme : le péril est réputé là, il faut choisir son camp. L’articulation d’une analyse mesurée relève donc, outre-Atlantique, du funambulisme.
Ces trois hashtags ont en commun de dénoncer une certaine forme de violence. Violence policière, violence sexuelle ou sexiste, violence armée. Les caractéristiques spécifiquement américaines de la première et de la dernière de ces formes sautent aux yeux ; elles sont les conséquences directes de la prolifération des armes, inscrite dans la Constitution, largement commentée ces dernières années, et de l’insurmontable centralité historique des divisions liées à la couleur de peau…