L’événement n’est pas petit, il est tellement énorme, même, qu’il suscite l’incrédulité, sur le thème « pareille chose ne peut pas arriver ». Et pourtant si : nous sommes en train d’assister à la fin de la domination masculine. Entendons-nous : elle est morte dans son principe, tout en laissant dans son sillage un cortège de séquelles qui peuvent cacher la profondeur de la rupture, voire permettre d’en nier l’existence. Elle est là, cependant, et il faut tâcher d’en prendre la mesure.
Chose remarquable, le peu de regrets qu’elle provoque contribue à en voiler le relief. De violentes oppositions auraient pour effet d’en signaler l’enjeu. Au lieu de quoi l’indifférence apparente avec laquelle elle est accueillie, hors d’un carré restreint, aide à faire croire qu’il ne s’est rien passé. Ce semblant d’indifférence recouvre, en réalité, un soulagement quasi général, propice à l’oubli. Car ladite domination représentait une formidable contrainte pour tout le monde, à commencer par ses supposés bénéficiaires. Une dimension du phénomène primordiale à considérer.
Il ne s’agissait pas, en effet, d’un obscur complot des mâles contre les femelles pour les tenir en sujétion, comme un certain féminisme est parvenu à en accréditer la légende, dans un langage plus policé. Et il ne s’agissait pas davantage d’un fait de nature, ancré dans on ne sait quelle physiologie des sexes. Son ébranlement, puis sa mise en liquidation permettent de l’entrevoir, il s’agissait d’un fait social d’un genre rare, de ceux qui engagent l’être-en-société dans ce qu’il a de plus profond, à savoir la manière dont il se constitue et se perpétue…