Dans l’imaginaire républicain, la manifestation est l’expression d’une démonstration de force du peuple envers le pouvoir. Mais elle incarne aussi un symbole plus fort encore, celle d’une forme de communion fraternelle organisée pour en découdre avec l’injustice ou la violence. En ce sens, la ferveur populaire autour d’une revendication, d’un mot d’ordre et ou d’un slogan signe avant tout l’existence d’une capacité de résistance ou d’indignation face à l’ordre établi. Et c’est tout naturellement à la fin du xixe siècle que la population ouvrière, prolétaire et nombreuse, en fut la figure de proue. Il faut toutefois attendre le 1er mai 1906 pour mesurer la nature exacte de l’épreuve de force qui s’instaure entre les syndicats et le pouvoir. Décidé à exiger du gouvernement de Georges Clemenceau « une journée de huit heures » pour tous les travailleurs, la puissante Confédération générale du travail prépare une gigantesque mobilisation des travailleurs à Paris. Le préfet de police Lépine déploie les grands moyens : 20 000 soldats, dont 5 000 cavaliers en sus de la garnison ordinaire, ce qui signifie une présence armée de 36 000 hommes dans les principales artères de la capitale. Mais, à quelques heures du rassemblement, le leader de la cgt, Victor Griffuelhes, est arrêté, ainsi que le trésorier de l’organisation pour « collusion avec de dangereux anarchistes », 860 arrestations sont décidées et un nombre important de blessés signalés. La répression policière marque les esprits d’alors d’autant que Clemenceau n’eut, au nom de la sécurité des populations, aucun scrupule à la mettre en œuvre…