L’Europe, il y a vingt ans, était à la pointe en matière d’énergie et d’électricité. Aujourd’hui, elle est en recul. Dans les années 1990, l’électricité y était abordable, avec de grands groupes industriels et des opérateurs électriques de référence dans le monde. Aujourd’hui, l’Europe a une électricité plus chère que ses grands compétiteurs, son tissu industriel perd du terrain et ses électriciens sont mis en difficulté. Ce recul se produit au moment où l’Europe devrait être en ordre de bataille et préparer les investissements massifs pour renouveler son parc électrique à l’horizon 2030. Surtout, il intervient au moment où un consensus émerge sur l’électricité comme avenir même de l’énergie tant elle semble adaptée à l’ère numérique comme à l’urbanisation croissante ; tant elle offre de potentialités pour lutter contre le réchauffement climatique et les pollutions locales.
Comment l’Europe en est-elle arrivée là ? Pour rendre compte de ce retournement, on propose un bref parcours historique à la croisée de différents domaines des sciences humaines. Si une telle démarche semble adaptée ici, c’est que l’électricité, à côté de ses aspects techniques et industriels, est intimement liée aux cultures et aux enjeux nationaux ainsi qu’aux visions politiques, sociales et intellectuelles des pays. Des considérations déjà exprimées, en son temps, par Marc Bloch, qui indiquait, en citant Paul Valéry, tout l’intérêt d’une histoire de l’électricité : « Reprochant à “l’histoire traditionnelle” de laisser dans l’ombre des “phénomènes considérables”, pourtant “plus gros de conséquences, plus capables de modifier la vie prochaine que tous les événements politiques”, Paul Valéry proposait pour exemple “la conquête de la terre” par l’électricité…