La sociologie cultive le diagnostic de sa crise, de ses dérives et des pathologies de son pluralisme. Quelques jalons récents suffiront. En 2004 puis en 2009, la National Science Foundation américaine a produit deux rapports sur les méthodes qualitatives en sciences sociales, dont les auteurs principaux étaient des sociologues. Il s’agissait de déterminer de quelle manière les recherches qualitatives pouvaient faire valoir leur légitimité scientifique et accéder à des financements qui correspondent à l’idéal de la science finançable par la nsf selon le principe « une formulation théorique solide d’un problème de recherche + des hypothèses testables + des données recueillies et exploitées selon des méthodes éprouvées ». Relatant ces deux épisodes, Howard Becker soutient que cet idéal ne correspond nullement au protocole de certaines des meilleures recherches qualitatives qui jalonnent notamment la production fameuse de l’École de Chicago, ni même à ce que font ordinairement les scientifiques dans les sciences non sociales.
En 2011, Raymond Boudon recueille les réponses d’un ensemble de chercheurs français et étrangers à cinq questions sur l’état et la vocation de la sociologie : sur sa scientificité et les modalités de son pluralisme, mais aussi sur son pouvoir d’expertise et sur la part que peut prendre la production idéologique. La périodisation proposée au vu des réponses est simple : les années 1945-1965 sont celles de l’idéal de la sociologie faite science, les deux décennies suivantes celles de la poussée relativiste, avant que le nombre des sociologues, les spécialisations, les luttes théoriques et l’intensification des interventions hors du monde académique fassent prévaloir l’argument d’une « irréductible diversité »…