La sociologie, prise dans son sens large de projet de comprendre de manière informée et rationnelle la société et son évolution, se donne pour ambition de substituer à l’incohérence du monde social des images intellectuelles, des relations intelligibles ; en d’autres termes, les chercheurs en sciences humaines entendent remplacer la diversité et la confusion du réel par un ensemble intelligible, cohérent et rationnel. Étant donné ce projet, ils doivent éviter à la fois le scientisme, la politisation et l’essayisme à prétention plus ou moins philosophique.
Les sociologues rejettent les essayistes. Ils leur reprochent à juste titre de généraliser à l’ensemble de la société leur expérience sociale, par définition limitée et particulière. Nombre d’essais sur le « vide » et l’absence de « sens » de notre société, fondés sur l’observation de la moyenne bourgeoisie intellectuelle – celle de l’essayiste et de ses relations –, relèvent de la généralisation abusive. En revanche, ils risquent de céder au scientisme, d’un côté, et à la politisation, de l’autre. Le scientisme parce que, dans leur ambition scientifique, ils peuvent aboutir à établir de manière de plus en plus rigoureuse des résultats de moins en moins intéressants et de moins en moins utiles pour comprendre la société dans laquelle nous vivons : hors de l’enquête empirique et des relations statistiques, pas de salut ! La politisation, d’un autre côté, parce que c’est la grande tentation des sociologues français. L’horizon politique qui caractérise inévitablement et nécessairement la connaissance de la société peut toujours se « corrompre » (au sens de la corruption des régimes politiques selon Montesquieu) en militantisme politique…