Un débat récurrent se développe en France depuis un demi-siècle sur les bornes de la vie : son commencement ou pas, sa fin ou non. Des clivages profonds se déclarent à propos de l’une et l’autre extrémité de ce qui prend ainsi peu à peu l’aspect d’un segment, défini par ses deux bouts.
Pourtant, ce que ces affrontements engagent est moins le point en question que la nature de la vie ainsi prise entre ces deux (et non pas ses deux, on va le voir) délimitations. Quand on parle des termes de la vie, l’enjeu est bien les termes de la vie, mais au sens de « en quels termes, la vie ? ». Quand on parle de régler la fin de vie, on parle en réalité des fins de la vie, de son pourquoi et non de son comment.
Longtemps, le christianisme a présenté cette durée qu’est la vie comme une dérivée d’éternité, un peu à la manière dont on figure par un petit trait tangent la pente d’une courbe en un point donné. Ce petit trait n’a pas de bornes, puisqu’il ne fait que visualiser la notion très abstraite de pente en un point, et il renvoie à des repères, non visibles sur la courbe, par rapport auxquels seules peuvent se penser cette pente et, a fortiori, la dérivée seconde, c’est-à-dire l’évolution de cette même pente. En la suivant, on pourrait se représenter la part de liberté qui revient à chaque être d’apporter une nuance personnelle dans cette sienne appartenance à l’ordre de l’éternité. Cette élégante élision du problème éternel posé à la conscience humaine par la finitude et la fugacité de la vie, qui se trouvait ainsi présentée comme issue d’une insondable éternité et promise à y retourner, supposait qu’on croie dur comme fer aux coordonnées, c’est-à-dire à un récit mythologique donnant un caractère d’évidence à cette éternité bénigne préjudicielle…