Le handicap est un sujet essentiel pour la médecine moderne. Sans craindre l’excès, on pourrait dire que la médecine s’attelle au handicap à tous ses stades. Elle se bat pour prévenir l’installation des handicaps, pour guérir les handicaps installés, et pour prendre en charge les handicaps qu’elle ne peut éviter. Bien sûr, le rapport de la médecine au handicap est le plus souvent favorable. Cette action positive de la médecine dans le domaine du handicap est si évidente que je n’en parlerai pas. Je consacrerai cet article à l’envers de la médaille : le fait que la médecine est aussi à l’origine d’un nombre important de handicaps. « La médecine moderne engendre des handicapés » : voilà la thèse provocante que je voudrais soutenir.
Pourquoi est-ce un sujet qui me tient à cœur, et pourquoi ai-je une quelconque légitimité à le traiter ? D’une part parce que, en tant que neurochirurgien, je suis bien placée pour observer le phénomène du handicap médicalement construit. D’autre part parce que, sur le plan théorique, j’ai étudié la question des états végétatifs et, plus largement, les apories de la médecine technoscientifique. Ce texte sera donc le reflet de mon expérience et de mes réflexions. Il entend proposer un point de vue de l’intérieur sur ce sujet difficile, sans refuser l’autocritique et, surtout, sans verser dans la « moraline » qui imprègne souvent les discours sur le handicap. Ne nous effrayons pas, alors, si nous rencontrons au détour de ces pages une réalité laide, effrayante, voire monstrueuse…