Avant toute chose, je veux remercier tous les contributeurs de cet ensemble de la peine qu’ils ont prise d’examiner mon livre de près et d’en avoir tiré des observations extrêmement suggestives. Naturellement, je ne m’attarderai pas sur les mérites qu’ils veulent bien lui reconnaître, mais je voudrais revenir sur les difficultés d’interprétation et les lacunes qu’ils ont signalées.
Parmi ces dernières, il y a celles où je reconnais bien volontiers mes insuffisances ; celles aussi qui sont délibérées, parce que leur objet ne m’a pas paru significatif du point de vue auquel je me plaçais. C’est le cas, signalé par Sudhir Hazareesingh, de la place des femmes et du féminisme. Il est vrai que je ne leur ai pas attribué de place spécifique, tout simplement parce que je pensais que, malheureusement, cette place n’existait pas. Mon interlocuteur a bien tort de voir dans cette absence une espèce de misogynie d’origine proudhonienne… Les choses sont beaucoup plus simples. Autant je crois, avec Benedetto Croce, que toute histoire est contemporaine, autant je me méfie de la tendance à projeter sur le passé historique des partis pris militants inspirés par l’actualité et l’engagement de l’auteur. Cette histoire redresseuse de torts, fort à la mode dans les universités américaines, me paraît une véritable régression intellectuelle. S’il s’agit de faire l’histoire du côté des vaincus, des humiliés ou des laissés-pour-compte, mille fois d’accord. Eussé-je écrit un livre sur le peuple de gauche, notamment dans sa dimension ouvrière, qu’il eût été légitime, que dis-je, nécessaire de faire une place importante au rôle des femmes, parfois contre leurs pères, leurs frères, leurs maris et leurs amants dans les luttes sociales…