Le Débat. – Un an après le démarrage du mouvement qui a secoué le monde arabe, et compte tenu des évolutions que l’on observe, les perplexités sont grandes autour de la nature de ce mouvement. Le mot de « révolution » s’est naturellement imposé pour le désigner. Mais est-il vraiment adéquat ? Il est légitime de se le demander. Comment caractériser ce phénomène ?Henry Laurens. – On se trouve à l’arrivée devant quelque chose d’assez paradoxal, qui est une révolution conservatrice, dans un sens qui n’a rien à voir avec ce qu’a été la révolution conservatrice de l’entre-deux-guerres. Les forces définies comme conservatrices, à l’issue de la révolution, sont en passe de prendre le pouvoir par le biais des élections. Cela remet en question notre interprétation spontanée de la révolution comme phénomène progressiste.
Le terme de « révolution » doit sa légitimité au fait qu’il est celui qui a été employé par les acteurs. À ce titre, il est irrécusable. Même dans un pays comme la Libye où le mot « révolution » a été complètement galvaudé par le régime de Kadhafi, les gens qui l’ont renversé se sont définis eux-mêmes comme des révolutionnaires. « Révolution » se dit en arabe : thawra. Ce mot a été introduit dès le début du xxe siècle pour traduire le terme occidental. Il a été utilisé pour désigner ce que nous appelons la « révolte arabe » de 1916, puis ce que nous nommons « la guerre des Druzes » contre le colonialisme français en 1925-1927. En arabe, on parle de « révolution syrienne » à son propos…