Le Débat. – Que représente une campagne présidentielle dans la culture politique française d’aujourd’hui ?Stéphane Rozès. – On peut partir, pour répondre à cette question, de l’état de l’opinion. Les Français sont plus défiants à l’égard de la façon dont fonctionnent la démocratie et les partis politiques et, en même temps, leur intérêt pour la politique a augmenté au cours de la dernière période. Nous voyons là un paradoxe parce que nous autres, observateurs, avons tendance à réduire le moment présidentiel au choix d’un président de la République. C’est mésestimer le fait qu’une campagne présidentielle dans son rite, son déroulement, dans l’investissement des citoyens, est d’abord une réactivation de ce que l’on peut appeler l’imaginaire français.
Pour les individus, l’imaginaire est la façon de s’approprier le réel au travers de représentations qui le mettent en perspective. L’imaginaire d’un pays tient ainsi ensemble ceux qui le composent pour faire société. On pourrait définir de ce point de vue l’imaginaire français comme une « dispute commune ». Une dispute issue de la diversité – qu’elle soit territoriale, ethnique, sociale ou idéologique – qui est la marque de notre peuple depuis toujours, diversité qui doit s’inscrire néanmoins dans un cadre commun. C’est traditionnellement la vocation du politique dans notre histoire, tel qu’il convient de le distinguer de la politique, que d’opérer cette inscription dans le commun, alors que la politique est du côté de l’expression de la diversité…