Le Débat 2012/1 n° 168

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Article de revue

Explication de vote

Pour Nicolas Sarkozy

Pages 10 à 12

English version

1J’ai, en 2007, voté pour Nicolas Sarkozy, indépendamment de l’amitié qui nous lie depuis un quart de siècle, pour une unique raison. La France est une monarchie élective : elle remet donc son destin, pour cinq ans, dans les mains d’une seule personne. On peut détester ce système, le trouver aléatoire, peu démocratique, étouffant, mais il faut le prendre tel qu’il est. Aussi Sarkozy était-il le seul, à l’époque, à répondre à la « fiche de poste ». L’idée de Ségolène Royal à la tête de l’État me semblait terrifiante et encore n’anticipait-on à ce moment-là ni les subprimes, ni la récession, ni la crise de l’euro...

2Je voterai à nouveau pour lui en 2012. La raison n’est évidemment pas la même.

3François Hollande n’est pas Ségolène Royal, même si sa personnalité demeure une énigme. Est-il encore le premier secrétaire aboulique du parti socialiste tant décrié en son temps par les Aubry, Strauss-Kahn, Fabius ? Ou ressemble-t-il à un homme d’État encore dans les limbes ? Nul ne le sait, mais personne ne peut le soupçonner de ne pas comprendre le monde qui est le nôtre.

4Je ne suis pas autiste ; je connais les critiques que le mandat de Nicolas Sarkozy a soulevées, les réactions que sa manière d’être a appelées, les hostilités que sa personnalité abrasive a coagulées. Mais je pense en conscience que son bilan est très honorable. Une réforme institutionnelle majeure : la question préjudicielle de constitutionnalité. Un geste social fort : la loi sur la représentativité syndicale de manière à favoriser la concentration autour de deux grandes organisations. Une gageure : la mutation de l’Université grâce à l’autonomie, à la sélectivité du grand emprunt et à l’ouverture au monde extérieur. Le service minimum dans les transports, le détricotage des trente-cinq heures, l’abolition, si longtemps attendue, de la taxe professionnelle, la réforme de l’isf, l’alignement de la fiscalité des revenus du capital sur les revenus du travail : ce ne sont pas des bagatelles. Le retour dans l’otan, condition d’un dialogue franc avec les Américains et d’une alliance stratégique avec les Britanniques, l’interventionnisme à bon escient en Libye et en Côte d’Ivoire et, surtout, l’engagement croissant en faveur de l’Union européenne et de l’euro, accompagné d’un talent désormais incontesté dans la gestion à chaud des crises : la France a tenu son rang pendant ces années-là.

5Il existe bien sûr, même à mes yeux, une colonne débit : le discours de Grenoble si malvenu de la part de celui qui se présente comme « un petit Français de sang mêlé », des dérapages dans la politique d’immigration qui relèvent tous du pari faustien sur l’évitement du Front national, les excès de la rhétorique sécuritaire.

6Je récuse, en revanche, la litanie des remarques sur le style présidentiel. Nicolas Sarkozy a cru que les Français élisaient non plus un roi mais un président et qu’ils avaient donc une vision moins hiératique du pouvoir. Il s’est trompé : le pays est, de ce point de vue, plus conservateur qu’il ne l’a pensé et la « re-présidentialisation » – suivant le mot des observateurs – est la reconnaissance de cette erreur de diagnostic.

7Mais un bilan honorable ne suffit pas à lui seul à justifier un second mandat. Souhaiter la réélection de Sarkozy, c’est s’opposer à la lame de fond qui, née de la crise, pousse soit à l’alternance lorsque les partis de gouvernement demeurent décemment respectés, comme en Espagne, soit à des gouvernements technocratiques de salut national, comme en Italie ou en Grèce, quand la classe politique est trop sclérosée. La série de défaites électorales de la cdu en Allemagne témoigne de l’instabilité de l’opinion puisque les résultats économiques auraient dû au contraire valoir des couronnes de lauriers à Mme Merkel.

8Le parti socialiste étant éminemment respectable, pourquoi vouloir, dès lors, s’opposer à un changement qui relève, par définition, de la respiration de la démocratie ? Pour une seule et unique raison : les socialistes français évoluent certes, mais ils le font moins rapidement que le monde ne bouge. Voté à l’unanimité, le projet socialiste de 2011 aurait été moderne en 1981. Le programme de François Hollande, tel qu’on peut le deviner, aurait été novateur en 1988 et acceptable en 1997.

9Mais nous vivons désormais dans un autre monde. Écrasé, qu’on le regrette ou non, par l’omniprésence des marchés financiers. Acculé par l’obsession de la dette. Bouleversé par l’ascension de l’Asie. Traumatisé par la loi d’airain de la concurrence. À cette aune-là, la vision socialiste, si atténuée soit-elle, est sacrilège. Sacrilège, la simple perspective de réduire la part du nucléaire dans la production électrique française alors qu’il s’agit d’un de nos rares avantages compétitifs. Sacrilège, un discours en demi-teinte sur les déficits et l’exigence de croissance quand on sait à quel point de telles ambiguïtés vont nous mettre à la merci des marchés. Sacrilège, l’idée même d’augmentations budgétaires sectorielles – éducation ou autre – alors qu’aucune dépense publique ne doit échapper à un coup de rabot. Le seul discours macro-économique que les circonstances autorisent aux socialistes aurait été d’accepter les contraintes telles qu’elles sont, mais d’en répartir différemment le coût entre les catégories sociales, la classe moyenne supérieure et la classe inférieure, les détenteurs de capital et les salariés.

10D’aucuns argueront : pourquoi ne pas donner aux socialistes le droit au « mollétisme » – dire une chose pour être élu et faire son contraire, une fois au pouvoir ? Ces contorsions seraient une facilité de pays riche. Nous n’en avons plus les moyens. Les efforts à accomplir sont tels qu’ils doivent s’appuyer sur un discours de vérité. Nicolas Sarkozy le tiendra-t-il ? Par nécessité et désormais par conviction. C’est la seule posture politique qui lui donne une chance de surmonter ses handicaps. Mais c’est aussi, pour lui, le résultat, depuis 2007, d’une maturation : parfois trop peu « pensée unique » à mon goût à ses débuts, il s’est désormais convaincu qu’il n’y a aucune autre voie économique ou stratégique. Oui, le modèle est allemand. Reconnaissons-le. Il l’était déjà en 1983 quand la France s’est lancée dans la politique de « désinflation compétitive ». Résultat douze ans plus tard : notre compétitivité dépassait celle de l’Allemagne de 10 % à 12 %. Mais en 2007, les trente-cinq heures, d’une part, le laxisme chiraquien, de l’autre, nous ont mis à nouveau 10 % à 12 % derrière les Allemands. Pourquoi serions-nous incapables de réitérer le même effort que celui fourni de 1983 à 1995 ? Dégagé de toute contrainte électorale s’il est élu en 2012, non rééligible, l’actuel Président aura les mains libres et le blanc-seing pour mener les réformes qu’exige cette ambition. Sarkozy fait désormais corps avec ce dessein, le seul que nous pouvons avoir. Hollande en est peut-être convaincu in pectore, mais les innombrables fils à la patte que lui imposent la complexité de la gauche et l’hétérogénéité du ps lui interdisent de bouger en ce sens. De là ses ambiguïtés sophistiquées. Mais le temps n’autorise plus de telles afféteries. Sarkozy, de son côté, les évitera : l’exercice du pouvoir lui a enlevé cette illusion. Une gauche à la Mario Monti aurait mérité l’alternance. La gauche hollandaise n’y est pas prête. Peut-être cinq ans d’opposition supplémentaire dessilleront-ils enfin les yeux des socialistes.


Date de mise en ligne : 23/02/2012

https://doi.org/10.3917/deba.168.0010

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