Les problèmes liés à la mémoire du stalinisme dans la Russie d’aujourd’hui sont aigus et douloureux. Sur les comptoirs des librairies, on trouve des piles de livres pro-staliniens : littérature, essais, quasi-histoire. Dans tous les sondages, immanquablement Staline est placé parmi les trois premiers « plus grands hommes de l’histoire de l’humanité ». Il est présenté de manière à le justifier dans les manuels scolaires les plus récents. À côté, de remarquables travaux d’historiens et d’archivistes, des centaines de volumes de documents d’archives, d’articles et de monographies sont désormais accessibles. Mais même si ces centaines de publications exercent une influence sur l’opinion, elle est incontestablement trop faible.
La « mémoire historique » est une forme rétrospective de l’opinion (c’est-à-dire « de la conscience de masse »), constitutive d’une identité collective dans son rapport à un passé signifiant pour cette identité. Elle travaille avec ce passé, réel ou imaginaire, comme avec un matériau : elle sélectionne les faits, les systématise à sa convenance et les utilise pour édifier ce qu’elle désire présenter en guise de généalogie de cette identité.
Le stalinisme est un système de gouvernement, un ensemble de pratiques politiques spécifique du groupe dirigeant stalinien. Au cours de toute son existence, ce système, qui a grandement évolué, a cependant conservé un certain nombre de traits caractéristiques. Mais la pratique plus fondamentale (apparue dès les débuts du pouvoir bolchevique et qui a survécu à la mort de Staline), c’est la terreur comme instrument universel pour résoudre tout problèm…