Un jour, dans les années 1970, après que Martin Luther King fut assassiné, je rencontrai Benjamin Mays, le proviseur du Morehouse College où King avait fait ses études. Mays, né en 1895 et l’auteur d’une étude, devenue un classique, consacrée aux Églises noires en Amérique, était déjà un vieillard. Ses parents avaient été des esclaves. Je lui demandai si ce qu’avait obtenu le mouvement pour l’égalité en faveur des Noirs américains le décevait. « Non, me répondit-il de sa voix lente de basse. Les gens croient toujours que nous sommes à la veille de traverser le Jourdain pour entrer en Terre promise. Mais ça ne se passe jamais ainsi. » Pessimisme ? Voire cynisme ? Non, il exprimait au contraire la dure leçon de sagesse apprise par un vieil homme.
La prestation de serment par Barack Obama est un de ces passages du Jourdain. Les centaines de milliers de personnes, blanches comme noires, qui s’étaient massées le long du parcours à Washington me rappelaient cette foule au milieu de laquelle je m’étais trouvé pour écouter King nous dire le rêve qu’il avait fait : qu’un jour son fils serait jugé sur sa personnalité, pas sur la couleur de sa peau. Tout au long de sa campagne Obama a brandi l’étendard de l’espoir. Son premier ouvrage porte le mot « rêve » dans son titre, le deuxième a l’audace de l’espoir. Ce même espoir, au lendemain de l’investiture, brillait dans les yeux des étudiants exténués mais transfigurés qui se pressaient dans les halls bondés des aéroports de Washington afin de rentrer chez eux…