Le Débat 2008/3 n° 150

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Article de revue

Louis XIV : la religion de la gloire

Pages 175 à 192

Notes

  • [*]
    Ran Halévi est historien de l’Ancien Régime et de la Révolution française. Il a publié récemment L’Expérience du passé. François Furet dans l’atelier de l’histoire (Paris, Gallimard, 2007). Dans Le Débat : « La modération à l’épreuve de l’absolutisme. De l’Ancien Régime à la Révolution française » (n° 109, mars-avril 2000), « France-Amérique. La scène primitive d’une mésintelligence paci?que » (n° 129, mars-avril 2004) et « Israël entre nation et religion » (n° 144, mars-avril 2007).
  • [1]
    « Il n’est pas sûr que ce Corse de sang génois, encore plus politique que soldat, ait donné à ce mot de gloire le même sens que ses grenadiers. Comme tous ceux de sa race, il méprisait les hommes » (Georges Bernanos, Nous autres Français [1939], in Essais et écrits de combat, t. I, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1971, p. 624).
  • [2]
    Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du dauphin, éd. P. Goubert, Paris, Imprimerie nationale, 1992, p. 52 (souligné par moi).
  • [3]
    Parallèle des trois premiers rois Bourbons, in Traités politiques et autres écrits, éd. Y. Coirault, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1996, pp. 1075-1076, 1093.
  • [4]
    Saint-Simon, Mémoires, t. V, éd. Y. Coirault, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1985, p. 479.
  • [5]
    Louis XVI, Mes entretiens avec le duc de La Vauguyon, Paris, Communication & Tradition, 2000, p. 51.
  • [6]
    Pierre-Édouard Lemontey, Essai sur l’établissement monarchique de Louis XIV et sur les altérations qu’il éprouva pendant la vie de ce prince, Paris, chez Déterville, 1818, pp. 397, 408, 487.
  • [7]
    Michelet, Louis XIV et la révocation de l’édit de Nantes, rééd. Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1985, p. 92.
  • [8]
    Ernest Lavisse, Louis XIV, rééd. Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1989, p. 462.
  • [9]
    Jean-François Solnon, La Cour de France, Paris, Fayard, 1987, chap. XVII.
  • [10]
    Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, éd. J.-Cl. Berchet, Paris, Garnier, 1989-1998, 4 vol., t. I, p. 264.
  • [11]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1961, 2 vol., t. II, Ire partie, chap. VIII, p. 40.
  • [12]
    Louis XIV a été jusqu’à composer, en le remettant constamment à jour, une sorte de manuel prescrivant le parcours à suivre dans les jardins, tel un guide initiatique aux secrets de sa puissance (Manière de montrer les jardins de Versailles, éd. S. Hoog, Réunion des musées nationaux, 1982).
  • [13]
    Dans l’océan bibliographique sur Versailles et les ?gurations symboliques du roi, voir notamment, parmi les titres les plus récents, Édouard Pommier, « Versailles, l’image du souverain », in Pierre Nora (sous la dir. de), Les Lieux de mémoire, t. II, La Nation, vol. 2, Paris, Gallimard, 1986, pp. 193-234 ; Joël Cornette, Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Payot, 1993, rééd. 2000 ; Peter Burke, Louis XIV. Les stratégies de la gloire [1992], trad. fr., Paris, Éd. du Seuil, 1995 ; Gérard Sabatier, Versailles ou la ?gure du roi, Paris, Albin Michel, 1999.
  • [14]
    Louis Marin, Le Portrait du roi, Paris, Éd. de Minuit, 1981, pp. 239-250.
  • [15]
    J. Cornette, Le Roi de guerre, op. cit., chap. X.
  • [16]
    Mot rapporté par Charles Perrault, Mémoires de ma vie, Paris, Macula, 1993, p. 133.
  • [17]
    Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000, pp. 157, 158.
  • [18]
    Ibid., pp. 151-153. Voir à ce propos également Orest Ranum, Artisans of Glory. Writers and Historical Thought in Seventeen Century France, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1980, pp. 260-264.
  • [19]
    Sur Louis XIV et la question des « mystères de l’État », voir Ran Halévi, « Savoir politique et “mystères de l’État” : le sens caché des Mémoires de Louis XIV », Histoire, économie et société, n° 4, 2000, pp. 451-468.
  • [20]
    Mémoires pour l’instruction du dauphin, op. cit., p. 240.
  • [21]
    Ibid., p. 74.
  • [22]
    J. Cornette, Le Roi de guerre, op. cit., pp. 259-260.
  • [23]
    Id., Chronologie du règne de Louis XIV, Paris, Sedes, 1997, p. 260.
  • [24]
    Saint-Simon, Mémoires, op. cit., p. 483.
  • [25]
    Jean-Pierre Néraudau, L’Olympe du Roi-Soleil. Mythologie et idéologie royales au Grand Siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p. 49.
  • [26]
    Sur « La démolition du héros », voir Paul Bénichou, Morales du Grand Siècle [1948], Paris, Gallimard, « Folio essais », pp. 128 et suiv.
  • [27]
    Sur les fêtes du début du règne, voir notamment J.-P. Néraudau, L’Olympe du Roi-Soleil, op. cit., chap. I, et Jean-Christian Petit?ls, Louis XIV, Paris, Perrin, 1997, chap. XI.
  • [28]
    Montesquieu sera autrement explicite, et virulent, sur Louis XIV dans ses carnets (voir Mes pensées, in Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1949, pp. 1120-1124).
  • [29]
    Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, t. I, Paris, Gallimard, 1952, livre II, chap. VIII, IX, XI.
  • [30]
    Voir à ce propos William F. Church, « The Decline of French Jurists as Political Theorists », French Historical Studies, vol. V, n° 1, 1967, pp. 1-40.
  • [31]
    Voir à ce propos Ernst H. Kantorowicz, « Mystères de l’État. Un concept absolutiste et ses origines médiévales » [1955], in Mourir pour la patrie, Paris, PUF, 1984, pp. 75-103.
  • [32]
    Mémoires du cardinal de Richelieu, Paris, 1921, t. V, p. 293, cité par Marcel Gauchet, « L’État au miroir de la raison d’État », in Yves Charles Zarka (éd.), Raison et déraison d’État, Paris, PUF, 1994, p. 239.
  • [33]
    Richelieu, Testament politique, éd. L. André, Paris, Robert Laffont, 1947, IXre partie, chap. VIII.
  • [34]
    Mémoires pour l’instruction du dauphin, op. cit., p. 217 (souligné par moi).
  • [35]
    Le Dialogue de la gloire [1662], cité par O. Ranum, Artisans of Glory, op. cit., p. 174.
  • [36]
    Mémoires pour l’instruction du dauphin, op. cit., p. 136.
  • [37]
    Ibid., pp. 59, 128.
  • [38]
    Je suis ici l’analyse de Maria Rosa Lida de Malkiel, L’Idée de gloire dans la tradition occidentale [1952], trad. fr. Paris, Klincksieck, 1968.
  • [39]
    Bossuet, « Sermon sur les devoirs des rois » (3 avril 1662), in Œuvres complètes, Bar-le-Duc, Éd. Louis Guérin, 12 vol., 1870, t. VII, pp. 576-577.
  • [40]
    Ibid., p. 577.
  • [41]
    « Sermon sur la profession de Madeleine-Angélique de Beauvais » (1667), ibid., t. VIII, pp. 39-40.
  • [42]
    « Sermon pour la profession de Mme de La Vallière » (4 juin 1675), ibid., p. 56.
  • [43]
    « Oraison funèbre de Marie-Thérèse d’Autriche, infante d’Espagne, reine de France et de Navarre » (1er septembre 1683), ibid., pp. 337-340.
  • [44]
    Le mot est de Brunetière, cité par P. Bénichou, Morales du Grand Siècle, op. cit., p. 18.
  • [45]
    Ce trait capital du second absolutisme est analysé par Marcel Gauchet notamment dans La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989, pp. 16-19.
  • [46]
    Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., IIIe partie, chap. I.
  • [47]
    Cet éloge fut prononcé le 2 janvier 1685 à l’Académie française, au cours de la réception de Thomas Corneille et de Bergeret. Voir Raymond Picard, La Carrière de Jean Racine, Paris, Gallimard, 1961, pp. 63-66, 376 et suiv.
  • [48]
    Louis Sébastien Mercier, L’An 2440 [1771], rééd. Paris, La Découverte, 1999, pp. 293-294.
  • [49]
    Louis Silvestre de Sacy, Traité de la gloire, Paris, 1715, p. 230, cité par Robert Mauzi, L’Idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au XVIIIe siècle [1961], rééd. Genève, Slatkine Reprints, p. 485.
  • [50]
    Mme de Staël, De l’in?uence des passions sur le bonheur des individus et des nations, Lausanne, 1796, pp. 78-79, cité ibid., p. 495.
  • [51]
    Lettres à Falconet, in Œuvres complètes, éd. J. Assézat et M. Tourneux, Paris, Garnier frères, 1875-1877, 20 vol., t. XVIII, pp. 94-115, passim (et R. Mauzi, L’Idée du bonheur…, op. cit., pp. 492-494).
  • [52]
    Voltaire, Le Siècle de Louis XIV [1752], rééd. Paris, Fayard, 1994, p. 405.
English version

1Dans notre légendaire national, la gloire est spontanément associée au règne de Louis XIV et à l’odyssée napoléonienne. Le Grand Roi et le « petit caporal » ont été l’un et l’autre, chacun selon son génie, les formidables metteurs en scène de leur propre grandeur. Mais entre la renommée du premier et celle du second, la dénivellation aujourd’hui paraît incommensurable. La gloire de Louis XIV a depuis longtemps déserté nos souvenirs. La gloire de Napoléon n’a cessé de hanter nos pensées : l’aventure extraordinaire, et si brève, du soldat corse devenu le maître d’un vaste empire continue de retentir dans notre imaginaire républicain ; et si elle parle encore à nos passions communes, c’est qu’elle appartient à notre modernité démocratique. Sûr, comme il le disait, « d’être compris même par le dernier des tambours », cet artisan d’une grandeur tout humaine a été capable d’en communiquer l’orgueil à tout un peuple – par pragmatisme, lâchera Bernanos qui n’en pensait pas moins [1]. Pour avoir su, en tout cas, incarner cette ambition nationale Bonaparte reste toujours notre contemporain.

2Il en va tout autrement de Louis XIV. Lui a vécu dans la paisible certitude de son investiture sacrale et des pouvoirs exceptionnels que lui conférait la souveraineté. Il est né roi et savait qu’en roi il allait mourir. Son corps mortel personni?ait une royauté immortelle. Sa ?gure héroïque, sa majesté si éminemment héréditaire, ses attributs surhumains renvoyaient tous à cette idée d’élection divine. Aujourd’hui, toutefois, la royauté d’incarnation dont il fut le vivant symbole appartient à un monde lointain, devenu si étranger à nos habitudes de pensée qu’il nous paraît inintelligible et presque suspect. La gloire de Louis XIV est sortie depuis longtemps de notre mémoire : c’est devenu un sujet d’histoire ; ce n’est plus un objet de culte.

3Qu’elle fût l’une des passions maîtresses du Grand Roi, qu’elle ait constitué le trait éminent de son autoportrait et de son image publique, voilà qui est communément admis par ses contemporains comme par la postérité. Le traité politique connu sous le titre de Mémoires de Louis XIV en porte d’ailleurs témoignage, où la quête de la gloire se donne à lire sans fard et sans complexe. « Nulle satisfaction, con?e le roi dans un passage caractéristique, n’égale celle de remarquer chaque jour quelque progrès à des entreprises glorieuses et hautes, et à la félicité des peuples dont on a soi-même formé le plan et le dessein [2]. » Entre la gloire du prince et la félicité du peuple, la consonance paraît ici tout naturelle : le peuple demeure le destinataire privilégié et l’ultime arbitre de la gloire.

4Voilà pourquoi en 1710, alors que la guerre de Succession d’Espagne se poursuit après l’échec des pourparlers avec la Hollande, et devant la détresse et la lassitude du peuple, le roi rédige un projet de harangue où il avoue ce qu’il lui en a coûté de sacri?er la gloire à une trêve qu’il juge, au fond, peu glorieuse : « Je puis dire que je suis sorti de mon caractère et que je me suis fait une violence extrême pour procurer promptement le repos à mes sujets aux dépens de ma réputation […] et peut-être de ma gloire que j’ai bien voulu hasarder pour l’avantage de ceux qui me l’ont fait acquérir : j’ai cru leur devoir cette reconnaissance. »

5Mais faut-il pour autant inscrire cette passion avouée, assumée, de la gloire sous la noble enseigne d’un dessein proprement politique ? À cet égard, la vision que l’histoire nous a léguée du plus long règne de l’Ancien Régime (1643-1715) est loin d’être unanime. En France, tout un courant de pensée, des auteurs « aristocrates » à la tradition républicaine – et, avant eux, les critiques étrangers des guerres royales et les pamphlétaires huguenots –, n’a voulu lire dans cette vaste manufacture de la grandeur royale qu’une pathologie de la démesure, sans reconnaître, sans même soupçonner, le dessein politique qui pouvait l’habiter.

6C’est Saint-Simon qui, dès le xviiie siècle, a donné le la, d’abord dans ses Mémoires et surtout dans son Parallèle des trois premiers rois Bourbons, où il censure aigrement les ambitions pharaoniques du roi, les milliards dépensés en bâtiments « mal situés et de mauvais goût » (un « goût de bas détails »), les « fastueuses merveilles sous lesquelles tant de marbre et de bronze ont gémi sous toute la durée du règne », la profusion aussi d’inscriptions, de tableaux, de médailles, de tapisseries, de harangues, de prologues d’opéra, de louanges outrées, « cette inondation de vers et de prose […] et les fadeurs les plus vomitives qui étaient sans cesse dites à lui-même, et qu’il avalait avec délectation » [3]. C’est plus un faible pour la gloire qu’un véritable goût des choses glorieuses qui animait ce monarque, observe-t-il encore ; une gloire ?lle de la vanité que bombaient les ?atteries de son entourage et dont « les plus basses étaient les mieux savourées [4] ». Sous la plume indignée du mémorialiste, la fabrique de la gloire est ainsi ramenée à la seule vanité royale, laquelle ne charrie de politique que les inclinations despotiques du prince.

7La voix de Saint-Simon est loin d’être isolée. Elle sera relayée continûment par d’autres, jusqu’à celle, inattendue, de l’enfant Louis XVI qui, dirigé par ses éducateurs, passera sur son aïeul le même jugement – certes moins véhément mais tout aussi implacable. Une des causes qui concourent à la ruine des États, écrit celui qui deviendra le contre-modèle incarné du Roi-Soleil, est « la prodigalité pour des goûts de la vaine gloire ou de dépenses inutiles qui n’ont d’autres objets que la satisfaction personnelle du souverain [5] ». Vaine gloire, dépenses inutiles, satisfactions personnelles : Louis XVI écrit bien dans l’esprit de son époque. Et, là encore, la passion de la gloire paraît orpheline de toute inspiration proprement politique.
Un historien oublié de l’époque de la Restauration, Pierre-Édouard Lemontey, recourt, lui, à des images plus frappantes pour dire à peu près la même chose. Il dépeint Versailles comme un « monstrueux labyrinthe de pierres », lieu d’un « faste oriental », « le moins sensé des besoins imaginaires » du prince dont il évoque par ailleurs l’« insatiable cupidité de louanges » qu’un concert de soixante-dix années n’a pu lasser [6]. Et on peut faire con?ance à Michelet d’avoir su, à son tour, honorer de sa fureur toutes ces entreprises de divination dont Louis XIV avait été le héros et la muse, secondé par Colbert, « le secrétaire de son génie » et « son bœuf de labour » [7].
Mais c’est avec Lavisse qu’aura été dé?nitivement arrêté le verdict de la postérité sur ce que l’instituteur de la République nomme sans charité « la concupiscence de la gloire ». Dans l’étincelant chef-d’œuvre qu’il consacre au siècle de Louis XIV, Lavisse congédie dans la même sentence les grandioses réalisations du Grand Règne et… l’œuvre imposante de Bossuet. Celle-ci comme celles-là, décrète l’historien, ne sont plus « dans la circulation des esprits » : Bossuet, comme Versailles, est « un monument colossal, symbole d’une époque, et tout plein d’objets grands et rares, mais inhabitable, et qu’il faut qu’on se déplace pour l’aller visiter [8] ». Lavisse ne fait ici que traduire de sa belle plume un trait d’époque. Pourtant, un siècle plus tôt, à la veille de la Révolution, l’aura des magni?cences royales résonnait encore dans l’esprit de certains visiteurs de la Cour. Tel Chateaubriand, présenté au roi en février 1787. À cette époque, le cérémonial a été depuis longtemps simpli?é, les soupers au grand couvert raré?és, certains usages abandonnés et les grandes fêtes évanouies [9]. Mais aux yeux du jeune cadet de famille provincial qui arrive alors seul au château, l’ombre de Louis le Grand plane encore sur les lieux : « On n’a rien vu quand on n’a pas vu la pompe de Versailles […]. Louis XIV était toujours là [10]. »

Une pédagogie raisonnée de la gloire

8Je voudrais plaider dans ces pages – à la différence de Saint-Simon, des éducateurs de Louis XVI, de Lemontey, de Michelet – que le système de gloire échafaudé par Louis XIV ne saurait être réduit à une simple pathologie de la grandeur ; qu’il traduit, avant tout, un dessein éminemment politique ; qu’il recouvre, dans ses excès mêmes, une tentative originale, extravagante, longuement méditée, de produire de la légitimité politique autrement que par des traités savants et des proclamations solennelles. Et si cette entreprise peut nous paraître choquante, déroutante, voire inintelligible, c’est qu’elle heurte l’idée que se fait l’homme moderne de son autonomie. Là, justement, est la différence de nature entre la gloire de Louis XIV et celle de Napoléon. L’individu démocratique, écrit Tocqueville, travaillé par le sentiment de sa perfectibilité indé?nie, « tend incessamment vers cette grandeur immense qu’il entrevoit confusément » et dont il se veut le souverain architecte [11]. Le projet de Louis XIV, au contraire, constitue la négation vivante de cette aspiration tout humaine à la grandeur ; il entend monopoliser les ressorts de la gloire et en ?xer les traits à la manière dont le prince monopolise les attributs de la souveraineté et la violence légitime de l’État : il blesse notre conscience de modernes vivant sous l’empire de la volonté.

9Pour comprendre ce qu’il peut y avoir de politique dans cette religion de la gloire, il me faut décrire, brièvement, le dessein et l’ampleur de cette œuvre singulière qui s’offre aujourd’hui à notre regard, tel, effectivement, un monument inhabitable.

10Nous en connaissons les édi?ces les plus spectaculaires. Versailles, d’abord, modeste pavillon de chasse dans un lieu déshérité par la nature, que Louis XIV allait transformer – contre l’avis de Colbert – en véritable temple de la gloire, un Versailles érigé en évangile de pierres et d’images, avec ses appartements, ses escaliers, ses galeries, ses peintures, ses représentations allégoriques, ses jardins conçus comme une métaphore de la création du monde par un roi démiurge maître de l’univers [12] ; avec ses fêtes aussi et ses spectacles, produits parfois comme des « mystères » dont seul le roi possédait le sens caché [13]. On a beaucoup écrit sur les visées pédagogiques qui sous-tendaient cette vaste liturgie de la gloire, supervisée de près par le monarque en personne. On connaît également les in?exions que Louis XIV ?t subir aux programmes iconographiques, notamment à celui de la galerie des Glaces, modi?é hâtivement sur instruction du roi au lendemain de la paix de Nimègue (1678). La voûte centrale, achevée en 1684, représentait un parcours initiatique à la grandeur du prince ; elle déployait en images l’histoire of?cielle du royaume, condensée dans la seule action du souverain. Surtout, la représentation du roi y était désormais débarrassée de la médiation de l’histoire ancienne, de la mythologie et de l’allégorie ; elle montrait un Louis XIV héroïsé sous ses traits propres : le portrait vivant du souverain prenait la place d’Apollon et d’Hercule et jusqu’à la symbolique du soleil, désormais réduite à la portion congrue. « Le roi gouverne par lui-même » : voici le titre donné – en français pour la première fois ! – au tableau central où le monarque apparaît posant sa main droite sur le timon d’un navire, tel un superbe capitaine, seul maître à bord du grand vaisseau de l’État.

11Moins connus peut-être, mais tout aussi édi?ants, étaient les « divertissements de Versailles » de 1674, qui célébraient la conquête de la Franche-Comté : six jours de fêtes étalés sur deux mois, qui évoquaient au ?l des séquences rien de moins que les six jours de la création du monde. Louis Marin, qui a longuement commenté cette équipée allégorique, suivant la relation circonstanciée établie par Félibien, met en lumière la ?n et les moyens de cette mise en spectacle de la toute-puissance : d’une séquence à l’autre, on en dissimulait les préparatifs aux regards profanes – on dérobait à l’entendement du commun, pourrait-on dire, la part humaine dans le « secret de fabrication » de la gloire – aux ?ns de produire, le jour de la fête, l’effet d’un miracle, d’un mystère de la Création, d’un magique accomplissement de la volonté irrésistible d’un prince dieu [14].

12Hors de Versailles, et au-delà du cercle étroit des courtisans, les manifestations de la gloire prenaient la forme moins spectaculaire, mais plus immédiatement accessible, de statues équestres érigées au centre des places royales dans les principales villes du royaume. Louis XIV y ?gurait en souverain chef de guerre réunissant en sa personne la qualité héroïque du chevalier, l’autorité éminente du législateur et le pouvoir uni?é de l’État [15].

13Roi de guerre en images, mais aussi en chair et en os, sur les champs de bataille, que l’on voit présider aux sièges, se tenant au milieu des troupes avant de donner en personne l’ordre de l’assaut. Et comme pour imprimer le cachet de la gloire à ce geste tout d’apparat, Louis XIV s’entourait d’une escorte digne de la surpuissance magni?que qu’il arborait : non seulement de la reine, du dauphin, de la favorite du jour, des courtisans avec leurs atours et leurs équipages, mais encore de dessinateurs, de peintres, de ses historiographes of?ciels – Racine et Boileau notamment –, tous chargés d’immortaliser ses invincibles attributs, sa vaillance et ses conquêtes.
Cette pédagogie de la grandeur ne se limitait pas, on le sait, aux seuls monuments et gestes héroïques. Elle a été également l’objet d’une élaboration littéraire codi?ée, et étroitement supervisée, dès le début du règne par la « Petite Académie ». On connaît le mot célèbre du roi adressé à ses membres : « Vous pouvez, Messieurs, juger de l’estime que je fais de vous, puisque je vous con?e la chose du monde qui m’est la plus précieuse, qui est ma gloire [16]. » La Petite Académie, régentée par Colbert, a été au sens propre, ou plutôt au sens bureaucratique, le « département de la gloire » du prince. Poètes, historiographes, artistes et une pléthore d’artisans devaient alimenter par leur talent la fabrique de la légitimité royale. Ainsi la Petite Académie ?t-elle élaborer toute une histoire du règne par des médailles qui commémoraient les hauts faits du roi, avant d’être largement distribuées. Elle a supervisé et, à l’occasion, censuré des œuvres d’art. Elle a recueilli des inscriptions, commandé des panégyriques, des pièces de poésie, de théâtre et d’opéra composées pour célébrer la personne et les exploits du souverain.
Mais la grande affaire qui occupa les académiciens mobilisés par Colbert, ce fut le projet de produire une histoire « autorisée » du règne, une relation narrative de la gloire pour ainsi dire, un panégyrique – un catéchisme – royal revêtu de la noble tunique d’un savoir supposément irrécusable ; une histoire « apte à persuader » et, par là même, appliquée à « dissimuler toute intention de persuasion » ; autrement dit, une argumentation débarrassée de « toute trace d’argumentation [17] ». Projet audacieux, et redoutable entre tous, car il visait plus et autre chose qu’à impressionner, à émouvoir, à éblouir, comme le font les images : il s’efforçait par une procédure rationnelle – c’est-à-dire par l’usage rhétorique des mots – à persuader, à façonner les esprits, à modeler les opinions. Ce fut, comme on sait, un éloquent échec : pour François Charpentier, principal artisan de l’entreprise, il parut impossible de procéder à cette construction de la gloire déguisée en histoire sans posséder une connaissance positive de la « raison du prince », sans pénétrer, en d’autres termes, les ressorts du pouvoir ; pour Colbert, en revanche, il parut impensable d’ouvrir les coffres du savoir de la royauté et d’exposer les « matières » de la gloire à un simple particulier [18]. Ce qui les opposait, en somme, et qui explique l’abandon du projet, c’est la question épineuse de l’accès aux « mystères de l’État », que le premier réclamait et que le second refusait platement de lui ouvrir [19]. Ce fut donc un échec : échec de Charpentier, échec également, plus tard, de Racine et de Boileau, auteurs d’une histoire du roi jamais publiée et que Louis XIV, semble-t-il, n’a guère appréciée.

Les ressorts politiques de la gloire

14Le tableau passablement sommaire donné ici des réalisations royales suf?t, me semble-t-il, à suggérer que cette fabrique de la gloire, à laquelle Louis XIV prêtait une attention aussi soutenue, aussi méticuleuse qu’à l’édi?cation de l’État administratif, participait de tout un système de pouvoir, d’un projet politique longuement élaboré, d’une vision ré?échie de la puissance, dont il me faut maintenant essayer d’éclairer les ?nalités.

15Pour y introduire, il n’est de meilleur guide que la parole royale, consignée dans les Mémoires de Louis XIV. Aucun témoignage n’exprime plus clairement la pensée intime de ce monarque par ailleurs si impénétrable que ce texte souvent cité mais rarement étudié, à la composition duquel Louis XIV, secondé par ses scribes, avait travaillé par intermittence – et secrètement – plusieurs années durant en le retouchant constamment (et dont l’unique destinataire, le grand dauphin, ne l’a probablement jamais lu). Dans les Mémoires, les références à la gloire sont fréquentes et jamais indifférentes. Elles renvoient à une vision très cohérente qui conjugue tout à la fois constance, légitimité, indivisibilité.

16La gloire, Louis XIV ne cesse de le répéter, est une œuvre de tous les jours, qu’on ne peut – tel l’exercice de la souveraineté – ni interrompre ni abandonner à d’autres. « Notre premier objet, écrit-il, doit toujours être la conservation de notre gloire et de notre autorité, lesquelles ne se peuvent absolument maintenir que par un travail assidu [20]. » L’association ici entre « gloire » et « autorité » n’est assurément pas fortuite. L’une et l’autre tiennent leur légitimité, et reçoivent leur éclat, de la sanction divine dont elles ré?échissent, chacune à sa manière, la toute-puissance. Voyez Charlemagne, explique le roi : « Il était monté à ce point de gloire, non pas par l’élection de quelques princes, mais par le courage et par les victoires qui sont l’élection et les suffrages du Ciel même […] [21]. » La gloire, en ce sens, est dans l’esprit de Louis XIV le mode d’expression privilégié de ce qu’on appelle à l’époque « la religion du roi », cet ensemble de principes, de ?gures, de représentations qui énoncent le bien-fondé de l’autorité. Elle est conçue comme un discours de légitimité, comme un spectacle de légitimité : discours dont le roi ?xe les termes et le langage ; spectacle dont il se veut le souverain ordonnateur et l’unique héros, le seul à endosser les auréoles. Elle marque, en plein épanouissement de la monarchie administrative, le refus du roi d’absorber sa ?gure héroïsée dans l’impersonnalité de l’État.

17C’est dire que le Grand Roi conçoit la gloire suivant la même logique dont il pense la souveraineté : l’une, comme l’autre, est par dé?nition indivisible. « Il me semble, observe-t-il encore, qu’on m’ôte de ma gloire quand on en peut avoir sans moi. » Ce réquisit est observé jusque sur les murs du château de Versailles : ainsi les peintures de la galerie des Glaces, qui représentent la prise de Maastricht (1673) ; elles célèbrent la force miraculeuse du roi, et de lui seul, sans faire la moindre allusion au génie de Vauban, le véritable architecte de la victoire [22]. De même, après la brillante victoire de Monsieur au Mont-Cassel (1677), fêtée par le peuple sur le chemin de retour par un « Vive le Roi et Monsieur », Louis XIV, échaudé par cette héroïsation inopinée de son frère, décide de ne plus jamais lui con?er le commandement d’une armée. Peu après, la peinture réalisée par Charles Le Brun pour la Grande Galerie se charge de rétablir, si je puis dire, la vraie hiérarchie de la gloire : on y voit Monsieur, debout au milieu d’autres généraux, écouter en silence les instructions du roi sur l’ordre de bataille [23]. Ce monarque, commente Saint-Simon, « ne voulait de grandeur que par émanation de la sienne. Toute autre lui était devenue odieuse [24] ».

18Mais Vauban et Monsieur ne sont pas les seuls à être évincés délibérément des représentations de la gloire. La noblesse en corps l’est également, tout comme la ?gure héroïque du chevalier. Les contemporains l’ont découvert dès les tout débuts du règne personnel, au cours des premières fêtes royales, genre alors fort prisé à la Cour comme à la Ville. Tel le fameux carrousel du Louvre (Carrus sol signi?e « char du soleil »), donné les 5 et 6 juin 1662 pour célébrer la naissance du dauphin quelques mois auparavant. Devant plusieurs milliers de spectateurs, dans une mise en scène allégorique de l’ordre du monde, cinq quadrilles, conduits par le roi et les plus hauts personnages de la Cour, se livraient à un tournoi ballet mi-galant mi-guerrier, avec un attirail exotique, des costumes magni?ques et une débauche de couleurs où chaque insigne était chargé de signi?cation parlante. L’emblème porté par le roi représentait le soleil dissipant les ténèbres, avec pour devise « Ut vidi vici » (« sitôt que j’ai vu, j’ai vaincu », paraphrase transparente du mot célèbre de César). L’image spectaculaire du Roi-Soleil – déjà ancienne mais qui prend à cette occasion, précisément, sa forme achevée – ?xait le sens qu’il fallait prêter aux devises attribuées aux autres grands ?gurants de cette parade symbolique. Sur le bouclier de Monsieur, portant une lune, on pouvait lire : « Seul le soleil est plus grand que moi. » Sur celui du prince de Condé, surmonté d’un croissant : « Il augmente à mesure qu’il est regardé. » Sur la planète arborée par le duc d’Enghien : « Lumière qui vient d’une plus grande. » Sur le miroir ardent tenu par le comte de Vivonne : « Je répands tes présents. » Sur le cadran exposé au soleil par le comte de Lude : « Sans toi je ne suis rien. »

19Cet éclatant dispositif allégorique, préparé pendant des mois, déclinait en public – sans qu’on puisse dire toutefois ce que le public en a effectivement retenu – l’idée que se faisait le jeune monarque de la nature de son magistère et qu’il allait bientôt consigner dans ses Mémoires : le souverain est au principe non seulement de toute autorité, mais de tout savoir politique et de toute espèce de grandeur. Paré des prestiges de la majesté, il absorbe, pour ainsi dire, et résume en sa personne l’ensemble de l’ordre social : la nation ne prend corps que par la médiation du prince qui l’incarne. C’était démentir toute aspiration individuelle à la gloire et nier, partant, un trait essentiel de l’idéologie nobiliaire ; c’était déclarer par le langage des signes, en présence des Grands et avec leur concours involontaire, l’extinction of?cielle de la ?gure du héros aristocratique. Comme le note sobrement un historien contemporain, Louis XIV ?t jouer aux grands feudataires « la parade de leur propre déclin [25] ». Un déclin qui coïncide alors avec toute une littérature morale – Pascal, La Rochefoucauld, l’abbé Esprit – qui oppose à l’illusoire grandeur du « moi aristocratique », incarnée par les héros cornéliens, la vérité plus prosaïque de la faiblesse de l’homme, qui « débaptise » la gloire de ses nobles atours pour n’y lire désormais que la vanité de l’« amour propre » [26].
Deux ans après le carrousel est donné à Versailles le divertissement des Plaisirs de l’île enchantée, une suite de ballets, de banquets et de mascarades déployés dans un décor tout aussi spectaculaire. Le public est différent, plus restreint et cette fois trié sur le volet, mais l’énoncé qui sous-tend la splendeur des spectacles n’a pas varié : autour de l’astre royal, les Grands, les courtisans et toute la noblesse ne ?gurent que les satellites ré?échissant son éclat [27].
Sur les murs de Versailles comme dans les places publiques, dans les fêtes des débuts du règne personnel comme sur les champs de bataille, dans les livrets des spectacles comme dans les panégyriques en vers et en prose, par-delà tous les avatars que connaît l’édi?cation ininterrompue de la religion du prince, c’est donc le même dessein politique qui préside de bout en bout : toute idée de grandeur humaine, de valeur héroïque est dé?nitivement annexée au domaine réservé de la Couronne. Pour employer le langage de Montesquieu, on dirait que Louis XIV s’emploie à dépouiller le principe de l’honneur des attributs traditionnels de la gloire. En d’autres termes, la politique de la gloire transpose au langage des représentations artistiques et théâtrales l’une des œuvres majeures du Grand Règne : la mise au pas de la noblesse, compensée par des rétributions honori?ques et matérielles. Plus tard, l’étiquette de cour, avec la hiérarchie des préséances qu’elle achève de perfectionner et, plus particulièrement, la cérémonie du « lever du roi », véritable liturgie quotidienne de la puissance, devait couronner ce patient travail de domestication. Les pages célèbres de l’Esprit des lois sur les fonctions constitutionnelles de l’honneur dressent en effet, à un siècle de distance, le bilan mélancolique de cette dépossession : ce qu’elles donnent à lire, contrairement à l’impression qu’en tirent tant de contemporains, ce n’est pas le tableau vivant d’une constitution politique où l’honneur ?gure cet instrument naturel, impétueux, qui sert à apprivoiser l’autorité absolue, mais plutôt la condamnation sans appel, sinon explicite, de la résorption de l’honneur au service de la gloire [28]. Encore un siècle plus tard, Tocqueville, lecteur assidu de Montesquieu et censeur tout aussi sévère de Louis le Grand, décrira dans plusieurs chapitres mémorables les ressorts de ce processus historique et ses funestes conséquences pour les anciennes libertés politiques [29].

Le découronnement de la théorie politique

20L’élection de la gloire comme mode d’expression privilégié de la légitimité politique et les moyens choisis pour le faire valoir comportent à l’évidence une part d’étrangeté. Louis XIV préfère ostensiblement l’art, l’architecture, la littérature et l’histoire aux ressources, pourtant considérables, de la théorie politique proprement dite. Pour af?rmer la souveraineté et en déployer les prestiges, il s’en remet aux artistes plutôt qu’aux juristes. C’est là une singularité que les historiens du règne méconnaissent souvent. Pas plus qu’ils ne relèvent cet autre trait remarquable, sinon immédiatement perceptible : le plus long règne de l’Ancien Régime – soixante-douze ans dont cinquante-cinq de règne personnel ! – sous un monarque si éminemment politique, le plus absolu des souverains absolus, aura été un des règnes les moins féconds dans le domaine de la pensée politique. Je pense que les deux phénomènes sont solidaires : la préférence donnée délibérément aux représentations sur la théorie et la relative éclipse des œuvres politiques dans le second xviie siècle attestent, par des biais différents, les in?exions que subit l’idéologie absolue à l’heure de son plus éclatant triomphe ; mais elles laissent également entrevoir la vulnérabilité intrinsèque qui sous-tend le ?amboyant édi?ce de la gloire. Pour en rendre compte, on peut proposer plusieurs explications.

21La première a trait au « déclin des juristes », dans la France du Grand Siècle [30]. Depuis ses lointaines origines, en effet, la ré?exion sur le pouvoir avait été réservée presque exclusivement aux légistes, qu’ils fussent les théoriciens of?ciels de l’idéologie royale ou ses adversaires déclarés. Évrart de Trémaugon et Nicole Oresme sous Charles V et, plus tard, Claude de Seyssel, Charles Dumoulin, Étienne Pasquier, Michel de L’Hospital, Bodin, Loyseau et tant d’autres auteurs de moindre renommée, tout comme les penseurs du tyrannicide – du côté des monarchomaques comme du côté de la Ligue – et, plus tard encore, les auteurs qui entendaient « modérer » l’absolutisme au temps de la Fronde : tous étaient des juristes avertis qui étayaient leurs théories constitutionnelles sur des considérations juridiques enracinées dans les principes du droit et les traditions coutumières. Mais le règne personnel de Louis XIV, concomitant de l’expansion de l’État administratif – un État devenu « ?sco-?nancier » où le contrôleur général prend la place du chancelier comme ministre principal –, allait justement éroder cette vénérable autorité : au moment de la mort du roi, en 1715, elle n’était déjà plus qu’un souvenir.

22C’est un des caractères originaux du « second absolutisme » que cette destitution des juristes – à commencer par les magistrats des parlements – de la fabrique de l’idéologie royale. Et, là encore, les circonstances, ou la nature des choses, pèsent beaucoup moins que la volonté délibérée du souverain. Suivant les pas de Louis XIII et de Richelieu, le Grand Roi entendait réserver au seul domaine de la Couronne toute discussion des « matières d’État ». Les juristes se virent inviter à borner leur compétence à l’étude du droit privé et à ne plus s’aventurer sur le terrain – devenu pour ainsi dire une cité interdite – du droit public et des questions qui touchaient de près ou de loin aux fondements de la légitimité politique. C’était à croire que l’édi?ce désormais achevé de la religion royale dispensait d’y ré?échir davantage et interdisait même qu’on songe à y ajouter d’autres pierres. Il y eut, certes, quelques exceptions, et de notables, à cette éviction des juristes de la sphère publique – celles, par exemple, de Jean Domat (1625-1696) et de l’abbé Claude Fleury (1640-1723), les deux plus illustres jurisconsultes du Grand Siècle. Mais c’étaient justement des exceptions. Aussi n’est-ce pas un hasard si les deux traités politiques les plus emblématiques de l’époque qui marque l’apogée de la monarchie absolue – la Politique de Bossuet et les Mémoires de Louis XIV – étaient, pour l’un, l’œuvre d’un prélat et, pour l’autre, celle du monarque en personne.

23Comment interpréter cette volonté royale de renoncer, ou peu s’en faut, au secours des légistes et, plus généralement, de la théorie politique dans la construction de la gloire ? La réponse renvoie à la manière dont Louis XIV concevait l’exercice du pouvoir et, plus particulièrement, au sens qu’il prêtait à la notion évanescente, mais capitale dans la tradition monarchique, des « mystères de l’État ». La généalogie de cette formule célèbre et ses usages successifs ont une longue histoire, plutôt mal connue surtout dans ses avatars modernes, que je ne vais pas explorer ici. Je me bornerai à mettre en relief la « sécularisation » qu’elle subit au cours du xviie siècle et les éclairages qu’elle apporte à la politique louis-quatorzienne de la gloire [31].

24Dans la France de Richelieu, en effet, elle est devenue un des instruments privilégiés de la raison d’État. Dépouillée progressivement de ses attributs théologiques, elle en vient à désigner un type de compétence proprement politique qui échappe à l’entendement du commun et doit être dévolue au petit nombre. Cette inégalité d’aptitude est fort naturelle, explique le cardinal, en raison de l’extrême complexité des matières d’État dont l’intelligence « dépend de la connaissance des choses in?nies que le vulgaire ne peut discerner, en quoi il doit apaiser et soumettre son jugement [32] ». Autant dire que la science du gouvernement ne suppose pas seulement des prédispositions supérieures, elle requiert également la dissimulation et le secret dont le principal ministre et ses propagandistes se chargent de faire l’apologie. Les mystères de l’État représentent ainsi tout à la fois un savoir impénétrable et un principe de prudence qui interdit de les exposer aux regards profanes.

25Et pour les faire revêtir d’une légitimité irrécusable, les écrivains à la dévotion de Richelieu n’hésitent pas à invoquer l’investiture du Ciel. Tel Dieu qui gouverne le monde et dont les actes sont soustraits à la raison humaine, le prince, « Dieu mortel », use dans la conduite de l’État d’une sagesse qui échappe au commun des sujets mais qui les oblige tous : les mystères de l’État sont l’instrument transcendantal d’un impératif d’obéissance à la loi du prince.

26Il reste, cependant, à savoir qui, dans les hautes sphères de l’État, est éligible pour accéder à cette science supérieure de la politique appelée « mystères de l’État ». La réponse de Richelieu est sans surprise : ce sont le roi et son Conseil ; d’où le plaidoyer du cardinal sur la nécessité du « ministériat [33] ».

27Avec Louis XIV, cette idée devenue presque sacrée des mystères de l’État va connaître une in?exion supplémentaire. Désormais, le jeune monarque ne reconnaît à personne d’autre qu’à lui-même et à son successeur légitime le privilège d’accès au savoir de la royauté. Cette sagesse supérieure ne saurait être partagée avec aucun autre mortel, car elle procède de la proximité élective du monarque avec Dieu. « Tenant, pour ainsi dire, la place de Dieu, consigne-t-il dans ses Mémoires, nous semblons être participants de sa connaissance, aussi bien que de son autorité » ; voilà pourquoi, sur toute matière de quelque importance, « nous décidons avec plus de succès par notre propre suffrage que par celui de nos conseillers, parce qu’étant postés dans une sphère supérieure, nous sommes plus éloignés qu’eux des petits intérêts qui nous pourraient porter à l’injustice [34] ». Louis XIV est littéralement habité par la certitude de cette sollicitude divine qui le met pour ainsi dire à part des hommes et lui infuse un pouvoir de discernement qui n’est propre qu’au prince : un pouvoir indicible et, partant, incommunicable.

28Mais si les mystères de l’État n’appartiennent qu’à ce lieu unique qu’est le siège du trône, si seul le prince peut en connaître les ressorts, s’ils relèvent plus d’une inspiration divine que d’une démarche rationnelle et, par là, ne sont point susceptibles d’être couchés sur le papier, se pose alors, forcément, la question capitale de la place assignée à la théorie politique dans l’économie générale de l’idéologie monarchique telle que le roi l’imagine et la veut faire enseigner à son héritier légitime. La question n’a rien de platonique. Louis XIV était loin d’ignorer les grands auteurs politiques. Qu’il ait lu Machiavel, fût-ce de seconde main, est probable, puisqu’il en fait quelque usage dans ses Mémoires – fort librement, il est vrai, et dans un esprit clairement hostile aux maximes du secrétaire ?orentin ; tout comme il fait écho, sans davantage le nommer et avec autant de liberté, à la pensée de Hobbes. Mais, justement, s’il omet de les citer, et à plus forte raison d’évoquer leur nom, c’est qu’un souverain paré de l’investiture divine ne saurait par dé?nition concevoir sa légitimité et la faire valoir sur la foi de textes écrits par des hommes pour d’autres hommes. La théorie politique comme l’esprit de conseil – cet autre principe inhérent au pouvoir absolu – ne sont que des pourvoyeurs de maximes, d’opinions, de propositions dont la raison du prince demeure le seul arbitre ; et, du moment que le roi se les approprie, elles changent forcément de sens : elles entrent dans le domaine réservé des mystères de l’État. La proximité élective du monarque avec Dieu fait de lui le dépositaire souverain de ce savoir supérieur. Il doit tout à la fois le soustraire à l’intelligence des sujets et en accréditer publiquement les prestiges, célébrer la religion royale et signi?er l’interdit d’en pénétrer les arcanes. Pour ce faire, Louis XIV avait très tôt arrêté la méthode et dé?ni les moyens : ce sera la politique de la gloire, un spectacle de légitimité dont le sens caché est recouvert par l’éclat des représentations.
Le choix de la gloire répond donc, j’aborde ici une deuxième explication, à une commodité pragmatique : il permet au roi d’en maîtriser la signi?cation sans pour autant en révéler la teneur ; le contraire même de la théorie politique qui a pour tâche de fonder en raison la légitimité par l’élaboration d’arguments positifs, accessibles à qui veut en prendre connaissance. La religion du roi se donne ainsi tout à la fois comme une liturgie spectaculaire et un théâtre de simulation ; elle participe de cette opération qui consiste à faire voir, ou apercevoir, les mystères de l’État pour mieux accréditer l’interdit de les connaître. En un mot, les fastueuses mises en scène de la grandeur royale doivent rendre tangible son caractère insondable.
Il est une autre raison encore, inséparable des précédentes, qui aurait pu inspirer au roi ce parti singulier. Quelle que fût son hostilité aux dangereuses maximes de Machiavel, Louis XIV a retenu au moins celle-ci : « gouverner c’est faire croire », autrement dit, le prince doit asseoir sa légitimité et soutenir sa réputation par le travail continu de l’opinion. De cette œuvre d’édi?cation l’appareil de la gloire allait devenir l’instrument privilégié. Jean Chapelain, un de ses principaux artisans, l’explique à l’époque sans détour : la gloire est indispensable au roi pour susciter et entretenir la vénération publique [35] ; c’est une machine à stimuler la « contagion de l’obéissance » sans violence ni contrainte.
Apparemment, en effet, Louis XIV prête à ses sujets plus d’autonomie de jugement – « ne vous y trompez pas, prévient-il sobrement le dauphin, vous ne tromperiez point le public [36] » – que ne lui supposait Richelieu, lequel croyait pouvoir modeler l’opinion par son fameux « cabinet de presse », par la fabrication et la surveillance des nouvelles. Le Grand Roi, qui n’ignore aucun des expédients affectés à la « manutention des esprits », ne croit pas, semble-t-il, à leur ef?cacité indé?nie. Aussi, à partir du règne personnel, la « gestion de l’opinion » devient-elle moins étroitement politique, plus optimiste et beaucoup plus ambitieuse ; elle hiérarchise autrement ses priorités et enrichit sensiblement son éventail. Désormais, le ministère de la gloire devient la clef de voûte du système, et la ?gure du roi, auréolée de ses attributs invincibles, le foyer principal du « gouvernement des esprits » : faire croire, c’est avant tout faire voir, déconcerter, envoûter, éblouir. C’est là, à proprement parler, une entreprise idéologique inédite. Mais à la différence des idéologies constituées en corps de doctrine supposé établi une fois pour toutes, la pédagogie de la gloire doit constamment réinventer ses matériaux et se parer de nouveaux atours. Un travail sans ?n dont Louis XIV a tôt mesuré les servitudes : « Il faut de la variété dans la gloire comme partout ailleurs, explique-t-il au dauphin, et en celle des princes plus qu’en celle des particuliers […]. » Car les bienfaits de la gloire sont par dé?nition tarissables : ce « n’est pas une maîtresse qu’on puisse jamais négliger, ni être digne de ses premières faveurs, si l’on n’en souhaite incessamment de nouvelles [37] ».

La désacralisation de l’idéologie royale

29Il me faut, pour achever ce tableau, évoquer une dernière raison, et non des moindres, qui pourrait expliquer la prééminence donnée par Louis XIV à la religion de la gloire sur les énoncés théoriques. Elle a trait justement au contenu même de l’idéologie royale à l’époque, c’est-à-dire à l’ensemble des principes qui fondent la légitimité politique et régissent les rapports entre le souverain et ses sujets, entre la « tête » et les « membres » du corps politique et mystique que constitue la royauté d’Ancien Régime. Louis XIV n’a pas abandonné la théorie du « corps mystique » ni la doctrine du droit divin, solennisée à chaque nouveau règne par la cérémonie du sacre. Comme ses prédécesseurs, peut-être plus encore que ses prédécesseurs, il se croit, on l’a vu, lieutenant de Dieu, il est souverain « de par Dieu ». Mais cette conscience de son investiture divine, pas plus que sa dévotion personnelle ne trouvent guère d’échos dans la sphère propre de l’idéologie royale : le système de la gloire, qui « déi?e » en images la ?gure du prince, ne ménage guère de place pour la religion proprement dite ; il emprunte beaucoup plus à la mythologie païenne, à l’art et à la littérature profanes qu’à la tradition chrétienne. En d’autres termes, Louis XIV se veut tout à la fois Apollon et… roi très-chrétien.

30De fait, l’usage même de la gloire, de la gloire mondaine, constitue un outrage aux principes de la tradition chrétienne [38]. Inspirée de saint Paul, réaf?rmée par saint Augustin pour devenir, avec saint Thomas, la doctrine of?cielle de l’Église, cette tradition assimile l’amour de la gloire à une quête orgueilleuse de satisfactions terrestres, à un vice inhérent à la faiblesse de l’homme, quand bien même elle peut parfois le détourner d’autres vices, plus blâmables. La vraie gloire, pour saint Augustin, n’est point celle des héros de l’histoire romaine, qui pratiquaient la vertu en vue de récompenses spirituelles ; elle s’identi?e à une tout autre idée de vertu, in?niment plus haute, qui ouvre l’accès à la Cité éternelle, celle des martyrs et des apôtres, indifférents aux attraits de la renommée, qui s’en remettaient à Dieu pour décider de leurs mérites. Car seul Dieu peut juger de la vraie gloire et en récompenser les bienfaits. Et comment peut-il en être autrement, comment imaginer que la conscience humaine puisse témoigner de la gloire, elle qui est si éminemment faillible ? Plus équanime envers les in?rmités de l’homme ici-bas, saint Thomas n’en varie pas sur le fond cependant : il se peut qu’on agisse vertueusement en poursuivant la gloire, mais de telles actions ne rendent pas pour autant vertueux. Et quant à la vaine gloire, elle demeure un péché, et un péché capital, source de maints autres vices : tel sera le verdict de l’Église.

31Louis XIV a-t-il mesuré l’offense faite par la religion de la gloire à la morale chrétienne ? Dans son entourage, un homme se chargeait, tout au long de son règne, de le lui rappeler avec la plus altière éloquence qu’il était à l’époque donné d’entendre. Depuis le Carême du Louvre, en 1662, et jusqu’à sa mort, Bossuet n’a cessé d’exprimer du haut de sa chaire, avec les circonlocutions d’usage, les alarmes que lui inspiraient aussi bien la conduite personnelle de ce monarque adonné à ses amours illégitimes que sa propension répétée à mêler la divinité au culte de sa grandeur royale. L’œuvre du prélat, qui fut par ailleurs le précepteur du dauphin, ne contient pas un mot en faveur de la gloire telle que l’entend le Grand Roi. Elle peut en effet se lire comme une mise en garde, toujours recommencée, contre les dérives de la gloire. Et, pour ce faire, Bossuet invoque autant l’Histoire sainte que l’histoire profane.

32Voici Salomon, installé sur son trône de justice. Ce roi, avertit Bossuet, « ne vient pas pour s’élever au-dessus des hommes par l’éclat d’une vaine pompe, mais plutôt pour fouler aux pieds les grandeurs humaines ; et les sceptres rejetés, l’honneur méprisé, toute la gloire du monde anéantie font le plus grand ornement de son triomphe ». Ce règne exemplaire est une école de sagesse qui enseigne « à mépriser les grandeurs de ce monde [39] ». Et voici Jésus-Christ, « Fils de Dieu dans l’éternité, ?ls de David dans le temps », qui a établi les rois chrétiens pour être les instruments de la puissance divine ; c’est donc « à eux qu’appartient la gloire de faire régner Jésus-Christ », et l’on ne saurait imaginer que le Monarque du monde « endure dans son empire qu’aucun y ait le commandement sans sa commission particulière » [40].

33À une autre occasion, Bossuet en appelle, dans l’esprit de saint Augustin, à restaurer l’idée de gloire dans le sens primitif que lui avait donné saint Paul. « Il faut », dit le saint apôtre (II Cor., x, 17, 18), « que celui qui se glori?e, se glori?e uniquement en Notre Seigneur, parce que celui-là n’est pas approuvé qui se fait valoir lui-même, mais celui que Dieu estime. » Si la plupart des vices combattent la charité, celui de la vaine gloire « combat la foi : les autres détruisent l’édi?ce ; celui-ci renverse le fondement même [41] ».

34Ailleurs encore, pour la profession de Louise de La Vallière, maîtresse repentie du monarque, Bossuet franchit un pas de plus en convoquant, dans une analogie transparente avec le « roi de guerre », l’exemple d’Alexandre, cet autre conquérant avide de louanges que tant de chrétiens, se désole le prélat, tiennent hélas en trop haute estime. Qu’a-t-il voulu, ce grand Alexandre, par tant de travaux et de peines, demande l’orateur ? « Il a souhaité de faire du bruit dans le monde durant sa vie et après sa mort. Il a tout ce qu’il a demandé. » Les éloges ne lui ont certes pas manqué, « mais c’est lui qui manque aux éloges ». Il acquit la gloire qu’il avait désirée et n’a reçu en abondance que les récompenses vaines de ses vains désirs [42].

35Même l’oraison funèbre de la reine Marie-Thérèse, morte en 1683, fournit à Bossuet l’occasion d’une admonestation adressée au Grand Roi en guise de louanges, où se lit, une fois encore, la condamnation sans appel de toute espèce de gloire oublieuse de la grandeur divine. Là, comme en maintes autres occasions, l’orateur, devant le nouveau David, se fait le nouveau Nathan. « Que servirait à Louis, s’écrie-t-il, d’avoir étendu sa gloire partout où s’étend le genre humain ? Ce ne lui est rien d’être l’homme que les autres hommes admirent ; il veut être, avec David, “l’homme selon le cœur de Dieu”. C’est pourquoi Dieu le bénit. » Et Bossuet de citer alors David en personne : « “Je me suis arraché moi-même aux douceurs de la gloire.” » Puis de commenter : « David ne donna jamais de plus beau combat [43]. » Sous la kyrielle des dithyrambes et par le détour de la ?gure exemplaire, et toute humaine, du roi d’Israël sourdent ici le blâme et l’inquiétude devant un souverain qui personni?e jusqu’à la caricature cet étrange attelage de l’aspiration à la grandeur de ce monde et la foi inentamée en la bienveillance divine.

36Le Grand Siècle peut ainsi se présenter comme un théâtre où se disputent deux visions antinomiques de la gloire, celle qui ressortit à la morale chrétienne et celle qui se nourrit de la vanité des choses de ce monde. L’une comme l’autre sont profondément enracinées, et depuis longtemps, dans la société d’Ancien Régime. Et il arrive même, fréquemment, qu’elles cohabitent, si l’on peut dire, dans le même individu, à commencer par le monarque en personne.
Après tout, l’aspiration à la grandeur mondaine était depuis longtemps constitutive de la culture aristocratique, qui attachait à la gloire les valeurs les plus hautes – il n’en est pas meilleure illustration que la ?gure orgueilleuse du héros cornélien, qui marque l’« apothéose de la volonté [44] ». À cet égard, le Grand Roi ne fait donc que porter à ses extrêmes conséquences la conception aristocratique de la gloire en ramenant ses attributs à sa seule personne, en la divinisant sous ses traits propres et en l’inscrivant dans un dessein politique : créer de l’obéissance et soutenir la légitimité par d’autres moyens que ceux offerts par la religion. La monopolisation royale de la gloire illustre ainsi, et radicalise, la mutation profonde qui caractérise la sortie des guerres de Religion : elle consomme la séparation entre foi religieuse et obéissance politique et, concomitamment, la personni?cation de l’État par un roi toujours sacré et plus que jamais de droit divin, mais qui tient désormais sa couronne directement de Dieu, par-dessus la médiation de l’Église, hors les formes traditionnelles attachées auparavant à l’incarnation royale. En effet, dans la France du second absolutisme, l’économie des rapports entre roi et sujets, entre la « tête » et le « corps » s’est insensiblement – et profondément – modi?ée sous l’effet de « l’éloignement du divin [45] » : le roi a cessé d’être l’intercesseur entre l’au-delà et le monde terrestre, entre Dieu et les hommes autrefois constitués en communauté de salut ; il est lieutenant de Dieu dans un espace désormais clos sur lui-même, détenteur d’un pouvoir qui dé?nit son propre principe de constitution et dont il lui faut, par conséquent, soutenir la légitimité par ses propres moyens. La gloire, en d’autres termes, a désormais pour fonction de faire voir ce que la religion, depuis les guerres civiles, ne suf?t plus à faire accréditer par les seules ressources de son autorité : le devoir d’obéissance au monarque de droit divin.
La religion de la gloire n’en représente qu’une des modalités. Elle doit s’entendre comme le prolongement lointain de la rupture entre Ciel et Terre, de cette désacralisation d’un pouvoir revêtu néanmoins des insignes de la plus haute sacralité. Elle constitue une tentative prométhéenne d’en conjurer les conséquences politiques : la surélévation de la ?gure du prince, matérialisée par les fêtes, les cérémonies, le rituel de cour, les panégyriques et toute cette industrie de la grandeur jusqu’à son identi?cation extravagante au Maître de la Création apparaissent comme autant de procédés, et d’expédients, plus ou moins heureux, plus ou moins réussis, pour attacher les sujets à l’État qu’il incarne ; comme autant de réponses originales au retrait du religieux de la sphère politique, dans ce monde ici-bas, cette cité d’un Dieu absent, où il faut néanmoins, encore et toujours, obéir au roi.

Le crépuscule de la gloire

37La politique de la gloire a produit assurément de grands effets, surtout dans les premières décennies du règne personnel. Mais, au ?l des années, cette vaste fabrique de la grandeur ?nit par tourner à vide. Son ef?cacité était contrariée non seulement par les dures réalités du temps (guerres à répétition, pression ?scale, ?éaux du ciel et leurs fatals contrecoups : disette, famine, mortalité), par l’inévitable lassitude, aussi, qui imprégnait l’épilogue interminable de cet interminable règne, mais encore, sans doute, par le choix même de la gloire comme « mode de production » de la légitimité politique.

38Pouvait-il, à la vérité, en être autrement ? On peut se demander, en effet, si le projet d’ériger la légitimité en spectacles, en images artistiques et monumentales, en panégyriques convenus et répétitifs, en rituels étroitement codés ne relevait pas, dès l’origine, d’un pari, certes audacieux, mais perdu d’avance. Au fond, ce long règne, qui achève l’enracinement et l’expansion de l’État administratif, aura marqué tout à la fois le triomphe de l’idéologie royale et le début de son long déclin. Cet État Léviathan allait émerger du Grand Siècle orphelin d’un discours de légitimité accordé à son éclatant triomphe : à la fois très puissant et éminemment vulnérable.

39Car qu’est-ce qu’un système idéologique qui tend à remiser les usages ordinaires de l’idéologie ? En réduisant la légitimité à la célébration de sa personne, en s’appropriant la notion des « mystères de l’État », en évinçant, surtout, les juristes de la discussion publique, le Grand Roi aura créé involontairement une espèce de vide idéologique qui annonce, et prépare, le couronnement des philosophes un siècle plus tard. Dans un espace public tombé pour ainsi dire en déshérence, les hommes de lettres allaient effectivement devenir, selon le mot déconcerté de Tocqueville, « les principaux hommes politiques du royaume » ; ces faiseurs impétueux de systèmes, que leur inexpérience des choses de l’État portait aux abstractions les plus téméraires, ?nirent par occuper sans partage le gouvernement des esprits en transportant dans la politique les habitudes de la littérature [46]. Tocqueville, sans le savoir, dresse ici, à un siècle de distance, le bilan posthume, et implacable, de la politique louis-quatorzienne de la gloire.

40Mais l’échec de celle-ci renvoie à une autre explication encore, indépendante des intentions, ou des errements, de son inspirateur. Elle avait contre elle la pente générale de l’époque : le triomphe de l’amour-propre sur les valeurs héroïques, dont j’ai parlé plus haut, et, plus généralement, l’insensible « déplacement des valeurs » – de la gloire militaire à la gloire littéraire justement – qui coïncidait paradoxalement avec la haute époque du culte monarchique. Personne, d’ailleurs, n’y a été aussi sensible, et si tôt, qu’un artisan patenté de la gloire, nommé… Jean Racine. Dans un brillant éloge de Corneille, qui se veut également une ré?exion sur la condition de la littérature, l’historiographe royal attribue à l’œuvre de son aîné le mérite d’avoir autant contribué à la gloire du Grand Règne que les victoires du roi sur les champs de bataille. En d’autres termes, il revendique une égalité de droit entre gloire militaire et gloire littéraire. En osant assimiler le grand poète au Grand Roi, en conférant au génie de la langue le pouvoir suprême d’immortaliser toute entreprise mémorable, Racine récuse, avec une hardiesse enveloppée de prudence, le monopole royal de la gloire ; par où il augure, sous les monceaux des louanges adressées au roi, le sacre de l’écrivain [47].

41*

42Dans l’ultime chapitre de son roman utopique L’An 2440, Louis Sébastien Mercier met en scène un homme, endormi pendant sept siècles, et qui achève ses tribulations, après son réveil, en se rendant à Versailles. Il n’y trouve que débris, murs entrouverts, statues mutilées et quelques portiques à moitié détruits, qui laissent entrevoir une idée confuse de l’ancienne magni?cence des lieux. Croisant un vieillard assis sur un chapiteau renversé, le visiteur s’enquiert de ce qui est arrivé à « ce palais superbe d’où partaient les destinées de plusieurs nations ». « Il s’est écroulé sur lui-même, répond le vieillard. Un homme, dans son orgueil impatient, a voulu forcer ici la nature […], avide de jouir de sa volonté capricieuse. Il a fatigué ses sujets […]. Ce palais péchait par ses fondements ; il était l’image de la grandeur de celui qui l’a bâti. » De fait, ce vieillard n’est autre que Louis XIV ressuscité par la justice divine pour contempler de près son « déplorable ouvrage » et en tirer la leçon qu’il livre au visiteur : « Que les monuments de l’orgueil sont fragiles [48] ! » Tel est le ?n mot de l’histoire : cette manufacture de la gloire avait, dans son esprit même, quelque chose de trop extravagant, et de trop arti?ciel, pour survivre durablement à son orgueilleux fondateur.

43Sous le règne de la raison, semblable entreprise paraîtra en effet comme une étrange relique d’un temps révolu : la France des Lumières a dé?nitivement troqué la poursuite de la gloire pour la quête du bonheur. Dans un Traité de la gloire, publié en 1715, l’année de la mort du Grand Roi, Silvestre de Sacy n’envisage aucun compromis possible entre l’un et l’autre : élire la gloire c’est renoncer au bonheur [49]. Et Mme de Staël lui fait écho à l’autre bout du siècle : « Donner à quelque chose la préférence au bonheur serait un contresens moral absolu [50]. » D’autres acceptent de concéder à la gloire quelque mérite, mais c’est pour autant qu’elle s’accorde, précisément, avec le bonheur. Et, du reste, explique Diderot, s’il est vrai que la gloire consiste à se voir reconnaître par les autres, ce n’est point toutefois de l’opinion qu’elle recueille ses titres les plus nobles mais d’un juge plus autorisé et moins versatile : la postérité [51].

44Ce n’est pas le moindre des paradoxes que le plus durable monument édi?é à la gloire du Grand Siècle n’ait été l’œuvre ni des artistes, ni des rimeurs, ni des hagiographes appointés, mais d’un autre prince incarnant une tout autre royauté. Dans Le Siècle de Louis XIV, chef-d’œuvre monumental et aujourd’hui quelque peu oublié, Voltaire rend justice au Roi-Soleil et en célèbre la grandeur, sans rien dissimuler, cependant, de ses erreurs et de ses faiblesses. Le génie du philosophe parvient ainsi à réaliser ce que toute une armée d’historiographes échoua à produire : une histoire édi?ante, et véridique de surcroît, du plus remarquable règne de l’Ancien Régime. Le plus grand titre de gloire de Louis XIV, écrit Voltaire, fut la promotion spectaculaire des arts et des lettres. Aussi le monarque a-t-il pleinement mérité qu’on attache le siècle à son nom, car « c’est en effet dans cet espace de temps que l’esprit humain a fait les plus grands progrès [52] ».
Et pourtant cet éloge posthume ne manque pas d’une cruelle ironie. La grandeur que le « roi Voltaire » attribue au siècle de Louis le Grand a peu à voir avec le ministère autrefois assigné aux artisans de la gloire : célébrer la religion du roi. Considérée sous les auspices de la raison, la vraie grandeur de ce règne, déclare Voltaire, est d’avoir été le terreau fécond du siècle des philosophes et l’antichambre des Lumières. Je doute que Louis XIV eût goûté une aussi ?atteuse paternité.


Date de mise en ligne : 01/11/2010

https://doi.org/10.3917/deba.150.0175

Notes

  • [*]
    Ran Halévi est historien de l’Ancien Régime et de la Révolution française. Il a publié récemment L’Expérience du passé. François Furet dans l’atelier de l’histoire (Paris, Gallimard, 2007). Dans Le Débat : « La modération à l’épreuve de l’absolutisme. De l’Ancien Régime à la Révolution française » (n° 109, mars-avril 2000), « France-Amérique. La scène primitive d’une mésintelligence paci?que » (n° 129, mars-avril 2004) et « Israël entre nation et religion » (n° 144, mars-avril 2007).
  • [1]
    « Il n’est pas sûr que ce Corse de sang génois, encore plus politique que soldat, ait donné à ce mot de gloire le même sens que ses grenadiers. Comme tous ceux de sa race, il méprisait les hommes » (Georges Bernanos, Nous autres Français [1939], in Essais et écrits de combat, t. I, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1971, p. 624).
  • [2]
    Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du dauphin, éd. P. Goubert, Paris, Imprimerie nationale, 1992, p. 52 (souligné par moi).
  • [3]
    Parallèle des trois premiers rois Bourbons, in Traités politiques et autres écrits, éd. Y. Coirault, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1996, pp. 1075-1076, 1093.
  • [4]
    Saint-Simon, Mémoires, t. V, éd. Y. Coirault, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1985, p. 479.
  • [5]
    Louis XVI, Mes entretiens avec le duc de La Vauguyon, Paris, Communication & Tradition, 2000, p. 51.
  • [6]
    Pierre-Édouard Lemontey, Essai sur l’établissement monarchique de Louis XIV et sur les altérations qu’il éprouva pendant la vie de ce prince, Paris, chez Déterville, 1818, pp. 397, 408, 487.
  • [7]
    Michelet, Louis XIV et la révocation de l’édit de Nantes, rééd. Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1985, p. 92.
  • [8]
    Ernest Lavisse, Louis XIV, rééd. Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1989, p. 462.
  • [9]
    Jean-François Solnon, La Cour de France, Paris, Fayard, 1987, chap. XVII.
  • [10]
    Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, éd. J.-Cl. Berchet, Paris, Garnier, 1989-1998, 4 vol., t. I, p. 264.
  • [11]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1961, 2 vol., t. II, Ire partie, chap. VIII, p. 40.
  • [12]
    Louis XIV a été jusqu’à composer, en le remettant constamment à jour, une sorte de manuel prescrivant le parcours à suivre dans les jardins, tel un guide initiatique aux secrets de sa puissance (Manière de montrer les jardins de Versailles, éd. S. Hoog, Réunion des musées nationaux, 1982).
  • [13]
    Dans l’océan bibliographique sur Versailles et les ?gurations symboliques du roi, voir notamment, parmi les titres les plus récents, Édouard Pommier, « Versailles, l’image du souverain », in Pierre Nora (sous la dir. de), Les Lieux de mémoire, t. II, La Nation, vol. 2, Paris, Gallimard, 1986, pp. 193-234 ; Joël Cornette, Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Payot, 1993, rééd. 2000 ; Peter Burke, Louis XIV. Les stratégies de la gloire [1992], trad. fr., Paris, Éd. du Seuil, 1995 ; Gérard Sabatier, Versailles ou la ?gure du roi, Paris, Albin Michel, 1999.
  • [14]
    Louis Marin, Le Portrait du roi, Paris, Éd. de Minuit, 1981, pp. 239-250.
  • [15]
    J. Cornette, Le Roi de guerre, op. cit., chap. X.
  • [16]
    Mot rapporté par Charles Perrault, Mémoires de ma vie, Paris, Macula, 1993, p. 133.
  • [17]
    Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000, pp. 157, 158.
  • [18]
    Ibid., pp. 151-153. Voir à ce propos également Orest Ranum, Artisans of Glory. Writers and Historical Thought in Seventeen Century France, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1980, pp. 260-264.
  • [19]
    Sur Louis XIV et la question des « mystères de l’État », voir Ran Halévi, « Savoir politique et “mystères de l’État” : le sens caché des Mémoires de Louis XIV », Histoire, économie et société, n° 4, 2000, pp. 451-468.
  • [20]
    Mémoires pour l’instruction du dauphin, op. cit., p. 240.
  • [21]
    Ibid., p. 74.
  • [22]
    J. Cornette, Le Roi de guerre, op. cit., pp. 259-260.
  • [23]
    Id., Chronologie du règne de Louis XIV, Paris, Sedes, 1997, p. 260.
  • [24]
    Saint-Simon, Mémoires, op. cit., p. 483.
  • [25]
    Jean-Pierre Néraudau, L’Olympe du Roi-Soleil. Mythologie et idéologie royales au Grand Siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p. 49.
  • [26]
    Sur « La démolition du héros », voir Paul Bénichou, Morales du Grand Siècle [1948], Paris, Gallimard, « Folio essais », pp. 128 et suiv.
  • [27]
    Sur les fêtes du début du règne, voir notamment J.-P. Néraudau, L’Olympe du Roi-Soleil, op. cit., chap. I, et Jean-Christian Petit?ls, Louis XIV, Paris, Perrin, 1997, chap. XI.
  • [28]
    Montesquieu sera autrement explicite, et virulent, sur Louis XIV dans ses carnets (voir Mes pensées, in Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, « Bibl. de la Pléiade », 1949, pp. 1120-1124).
  • [29]
    Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, t. I, Paris, Gallimard, 1952, livre II, chap. VIII, IX, XI.
  • [30]
    Voir à ce propos William F. Church, « The Decline of French Jurists as Political Theorists », French Historical Studies, vol. V, n° 1, 1967, pp. 1-40.
  • [31]
    Voir à ce propos Ernst H. Kantorowicz, « Mystères de l’État. Un concept absolutiste et ses origines médiévales » [1955], in Mourir pour la patrie, Paris, PUF, 1984, pp. 75-103.
  • [32]
    Mémoires du cardinal de Richelieu, Paris, 1921, t. V, p. 293, cité par Marcel Gauchet, « L’État au miroir de la raison d’État », in Yves Charles Zarka (éd.), Raison et déraison d’État, Paris, PUF, 1994, p. 239.
  • [33]
    Richelieu, Testament politique, éd. L. André, Paris, Robert Laffont, 1947, IXre partie, chap. VIII.
  • [34]
    Mémoires pour l’instruction du dauphin, op. cit., p. 217 (souligné par moi).
  • [35]
    Le Dialogue de la gloire [1662], cité par O. Ranum, Artisans of Glory, op. cit., p. 174.
  • [36]
    Mémoires pour l’instruction du dauphin, op. cit., p. 136.
  • [37]
    Ibid., pp. 59, 128.
  • [38]
    Je suis ici l’analyse de Maria Rosa Lida de Malkiel, L’Idée de gloire dans la tradition occidentale [1952], trad. fr. Paris, Klincksieck, 1968.
  • [39]
    Bossuet, « Sermon sur les devoirs des rois » (3 avril 1662), in Œuvres complètes, Bar-le-Duc, Éd. Louis Guérin, 12 vol., 1870, t. VII, pp. 576-577.
  • [40]
    Ibid., p. 577.
  • [41]
    « Sermon sur la profession de Madeleine-Angélique de Beauvais » (1667), ibid., t. VIII, pp. 39-40.
  • [42]
    « Sermon pour la profession de Mme de La Vallière » (4 juin 1675), ibid., p. 56.
  • [43]
    « Oraison funèbre de Marie-Thérèse d’Autriche, infante d’Espagne, reine de France et de Navarre » (1er septembre 1683), ibid., pp. 337-340.
  • [44]
    Le mot est de Brunetière, cité par P. Bénichou, Morales du Grand Siècle, op. cit., p. 18.
  • [45]
    Ce trait capital du second absolutisme est analysé par Marcel Gauchet notamment dans La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989, pp. 16-19.
  • [46]
    Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, op. cit., IIIe partie, chap. I.
  • [47]
    Cet éloge fut prononcé le 2 janvier 1685 à l’Académie française, au cours de la réception de Thomas Corneille et de Bergeret. Voir Raymond Picard, La Carrière de Jean Racine, Paris, Gallimard, 1961, pp. 63-66, 376 et suiv.
  • [48]
    Louis Sébastien Mercier, L’An 2440 [1771], rééd. Paris, La Découverte, 1999, pp. 293-294.
  • [49]
    Louis Silvestre de Sacy, Traité de la gloire, Paris, 1715, p. 230, cité par Robert Mauzi, L’Idée du bonheur dans la littérature et la pensée française au XVIIIe siècle [1961], rééd. Genève, Slatkine Reprints, p. 485.
  • [50]
    Mme de Staël, De l’in?uence des passions sur le bonheur des individus et des nations, Lausanne, 1796, pp. 78-79, cité ibid., p. 495.
  • [51]
    Lettres à Falconet, in Œuvres complètes, éd. J. Assézat et M. Tourneux, Paris, Garnier frères, 1875-1877, 20 vol., t. XVIII, pp. 94-115, passim (et R. Mauzi, L’Idée du bonheur…, op. cit., pp. 492-494).
  • [52]
    Voltaire, Le Siècle de Louis XIV [1752], rééd. Paris, Fayard, 1994, p. 405.

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