La question se pose à chaque commémoration : mai 1968 est-il en passe de devenir un objet d’histoire ? Il ne s’agit pas de mettre en question l’honnêteté ni la qualité des travaux existants, mais il faut admettre en premier lieu qu’ils n’abondent pas. Ils sont par ailleurs confrontés dans leur rareté à deux écueils massifs : d’une part, les médias et leur machine de guerre commémorative ; de l’autre, le mur d’interprétations et de commentaires qui a été bâti devant les événements au cours des quarante dernières années et qui leur sont devenus quasiment indissociables. On en veut pour preuve l’obligation où se trouvent les auteurs de consacrer un chapitre à leurs prédécesseurs afin de se positionner, comme si le face-à-face avec l’archive était impossible. En somme, l’histoire doit faire avec la mémoire.
C’est autour de 1988 que remontent les premiers signes d’une réelle prise en charge du sujet par les chercheurs français. Organisé par le Centre de recherches d’histoire des mouvements sociaux, l’université de Paris-I et la fnsp, le premier colloque publié, « 1968, l’exploration du Mai français », s’est penché plus particulièrement sur le rôle des organisations politiques et syndicales et a permis de saisir la dimension nationale du mouvement. Ont paru la même année Mai 68 : l’entre-deux de la modernité de Jacques Capdevielle et René Mouriaux, et Mai 68 : les mouvements étudiants en France et dans le monde, publié par la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine …