À la très grande surprise de mes amis et collègues, j’aime me rendre à ce musée. Dès que j’en ai l’occasion, je passe le plus de temps possible à visiter le Quai Branly. C’est une réussite, subtile, brillante, un modèle pour les autres musées, un repère pour l’avenir. Mais il est tout autant une source monumentale de déception, puisqu’il nous ramène dans les ornières boueuses d’idées qui sont parmi les plus totalement discréditées du passé. Il excite mon esprit et attire ma curiosité par sa présentation tournée vers l’avenir, mais il me chagrine, voire m’exaspère, par la nature désastreuse et incurable de son message. Ce n’est pas un de ces musées où le bon côtoie le mauvais. Le musée du quai Branly est une merveille, un réel triomphe, en même temps qu’une catastrophe avérée, un échec patent aux conséquences à long terme.
L’éclairage des musées met en lumière plus que les seuls objets. Il fut de mauvais présage que, le jour de l’inauguration, le président Jacques Chirac n’avait pas plutôt quitté les lieux que mes collègues et moi-même commençâmes par nous plaindre de cet éclairage. Il était trop sombre : impossible de voir quoi que ce soit, et encore moins de lire les cartels explicatifs. Le sentiment de beaucoup d’entre nous fut exprimé, cette semaine-là, dans les colonnes du New York Times par le responsable de la critique d’art Michael Kimmelman : il excoriait les galeries de l’exposition permanente avec des qualificatifs tels que « spectral », « noir », « ténébreux », « caverne crépusculaire d’où soudain des totems ou des masques effrayants émergent des ténèbres »…