De toutes les « matières » enseignées dans le secondaire, la littérature est sans doute celle qui depuis une vingtaine d’années est la plus fréquemment remise en question, par les élèves eux-mêmes d’abord, par les enseignants ensuite.
« À quoi ça sert, la littérature ? » « À quoi ça sert, de lire ? » « À quoi ça sert, de réfléchir sur des textes si anciens, si loin de nous, si difficiles ? » Tout professeur de lettres se retrouve, au moins une fois par an et par classe, confronté à ces questions lancinantes lui prouvant qu’aux yeux de son public la littérature n’a plus de valeur en soi, ne se justifie plus par elle-même. Ce pragmatisme peut laisser démunis des enseignants passionnés pour qui justement la beauté de la littérature, et de tout art en général, résiderait dans sa gratuité même.
Parmi les causes de cette crise de l’enseignement littéraire, au souci d’utilité pratique, d’efficacité concrète, viendrait s’ajouter, bien sûr, l’importance grandissante que prend l’image dans nos sociétés contemporaines. On ne cesse de le répéter, de le déplorer : nos élèves, placés dès l’enfance devant l’écran de la télévision, devant l’écran de l’ordinateur, devant l’écran du cinéma, ne lisent plus et ne se familiarisent donc plus avec les textes des siècles classiques et les textes littéraires en général. Voir le monde déjà représenté demande évidemment moins d’efforts (il suffit d’appuyer sur un bouton) que de se le représenter à partir de mots. En ce sens, la découverte à la fin du collège et surtout en classe de seconde de cette langue presque étrangère qu’est pour eux la langue classique ou même le langage poétique constitue un choc, un heurt violent, et suscite très vite des réactions de rejet : les auteurs, qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne comprennent plus, deviennent alors des « fous » ou des « drogués » – qualificatifs peu amènes qui reviennent régulièrement sous leur plume……