Parmi les modèles ou les inspirations de fond qui conspirent aujourd’hui au renouvellement des sciences sociales, la théorie des jeux occupe une place de premier plan. Hors de l’économie, ses développements restent mal connus en France. Christian Schmidt propose ici une vue d’ensemble de l’événement intellectuel qu’elle a représenté et de ses développements actuels.
Il s’agit à l’origine d’une simple curiosité de mathématiciens. Plusieurs d’entre eux, parmi les plus grands, cherchaient à répondre à la question suivante : peut-on résoudre mathématiquement un jeu de société ?
L’Allemand Ernest Zermelo fut le premier à attaquer ce problème, dès 1913, en partant du jeu d’échecs. Une dizaine d’années plus tard, ce fut le tour du Français Émile Borel. Son ambition dépassait celle de Zermelo, puisqu’il proposa une formulation générale du problème applicable, en son principe, à la plupart des jeux de société. Traduits en termes contemporains, ces jeux sont à somme nulle. Cela n’empêcha pas Borel d’esquisser un modèle mathématique du jeu de poker et de réfléchir sur la solution du jeu de bridge. Le Hongrois von Neumann, enfin, démontra, en 1928, au moyen du théorème du Minimax que tous les jeux à deux joueurs à somme nulle ont une solution mathématique.
Les jeux de société offraient ainsi à chacun une occasion de mettre à l’épreuve un domaine particulier des mathématiques. Zermelo testait, sur un exemple concret, sa nouvelle théorie des ensembles. Borel y trouvait une application de la théorie des probabilités…