Notes
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[1]
Voir l’ouvrage de Dominique Ottavi, De Darwin à Piaget. Pour une histoire de la psychologie de l’enfant, Paris, cnrs Éditions, 2001.
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[2]
Marcel Gauchet peut donc conclure sans risque d’être démenti: «Il suffit […] de se demander ce que la théorie freudienne a à nous dire du fonctionnement de la pensée. Poser la question, c’est y répondre: à peu près rien» (La Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p. 270). Le point est à souligner.
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[3]
Pour une présentation du modèle, cf. le traité de Jean Gagnepain, Du vouloir dire. Traité d’épistémologie des sciences humaines, en trois volumes (Bruxelles, De Boeck Université, 1990, 1992 et 1995). Voir aussi Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1994.
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[4]
Moïse et le monothéisme, Paris, Gallimard, 1948, p. 145. «Il suffit à notre impérieux besoin de causalité de trouver à chaque phénomène une cause unique démontrable, ce qui, dans la réalité extérieure, est rarement le cas» (ibid., souligné par Freud).
-
[5]
Il faut reconnaître à Chomsky d’avoir sur ce point rompu avec une tradition empiriste fortement ancrée dans l’approche de l’enfant, même si on peut lui reprocher de n’avoir pas clairement posé le caractère culturel de sa «faculté de langage» et d’avoir par ailleurs confondu dans sa notion de «compétence», et la langue dont il est ici question, et la grammaticalité.
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[6]
Cours de linguistique générale [1916], Paris, Payot, 1995, p. 231. Saussure ajoutait aussitôt que «le parler des adultes en offre aussi». Voir également Écrits de linguistique générale, Paris, Gallimard, 2002, pp. 160-161.
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[7]
Cf. A. Deneuville, J.-C. Quentel, H. Guyard, «Quand parler ne peut être que montrer» (en collaboration), Glossa, 1993, 36, pp. 4-15, et A. Deneuville, H. Guyard, J.-C. Quentel, «L’enfant I.M.C. et le langage. Quand dire, c’est faire», Tétralogiques (Presses universitaires de Rennes-2), 1993, 8, p. 105-127.
-
[8]
La clinique spécifique de la grammaticalité est, chez l’adulte, l’aphasie; y répondrait, chez l’enfant, la fameuse dysphasie, si l’on ne vient pas la confondre avec d’autres difficultés langagières qui ne mettent pas en cause la capacité de l’enfant à structurer logiquement son dire.
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[9]
Dans le cas des structures cognitives, écrit Piaget, il y a «inconscience presque entière (ou initialement complète) des mécanismes intimes conduisant (aux) résultats» (repris dans Problèmes de psychologie génétique, Paris, Denoël Gonthier, 1972, p. 38).
-
[10]
La Démocratie…, op. cit., p. 263 sq.
-
[11]
La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1983, p. 19.
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[12]
Cf. Jean-Claude Quentel, «Le dessin chez l’enfant», Tétralogiques, 7, 1992, pp. 81-97.
-
[13]
Cf. les travaux effectués par l’équipe de Jean-Louis Derouet et Régine Sirota. On aura un bon aperçu de ces recherches à travers l’ouvrage de Patrick Rayou, La Grande École. Approche sociologique des compétences enfantines, Paris, puf, 1999.
-
[14]
Le Démariage. Justice et vie privée, Paris, Odile Jacob, 1993, rééd. 1996.
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[15]
La Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, Paris, Gallimard, 1972, notamment le chapitre sur «La crise de l’éducation».
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[16]
Cf. Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 145 et p. 101.
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[17]
Par exemple François Perrier, La Chaussée d’Antin, t. II, Paris, uge, 1978, pp. 320-321, et surtout Michel Sylvestre, «La névrose infantile selon Freud», Ornicar, 1983, 26-27, p. 64.
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[18]
On tue un enfant, Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 12.
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[19]
M. Gauchet, «L’École à l’école d’elle-même», in La Démocratie contre elle-même, op. cit., p. 128.
-
[20]
Ibid., p. 130.
1Tout le monde s’accorde aujourd’hui pour faire remonter au xixe siècle l’étude scientifique de l’enfant, même si la discipline qui l’a pris pour objet spécifique, la psychologie de l’enfant, prend un nouvel essor, décisif, à partir de l’instauration de l’école obligatoire et des problèmes qui lui sont liés. Depuis le milieu du xixe siècle jusqu’à récemment, l’étude de l’enfant s’est effectuée quasi exclusivement à partir de la méthode génétique [1]. Cette méthode, héritage de l’approche évolutionniste, vise à expliquer tout phénomène à partir de sa genèse, c’est-à-dire en remontant à ses origines. Cela vaut pour l’enfant comme pour presque n’importe quel autre objet, mais l’enfant représente une réalité d’autant plus intéressante que, à travers lui, c’est l’homme qu’on explique. Il représente une sorte de point de passage obligé pour le chercheur qui s’attache à rendre compte de la réalité humaine, puisque, ayant tout à apprendre, il montre en un saisissant raccourci comment on devient homme et, pour certains, comment, dans l’évolution, l’homme est advenu. Dès lors, on ne saurait s’étonner du fait qu’aussi bien Jean Piaget qu’Henri Wallon, les deux grands noms de la psychologie génétique du xxe siècle, ne se sont jamais, de leur propre aveu, intéressés à l’enfant en tant que tel, mais à l’homme, précisément à travers sa genèse.
2Au xixe siècle, l’histoire est considérée comme la seule discipline en mesure de rendre compte de l’homme et, du même coup, l’homme ne peut être expliqué qu’à travers elle. Il tient son humanité même de l’histoire à travers laquelle il est advenu. Toutefois, du fait de l’ancrage biologique des travaux consacrés à l’enfant, l’histoire se ramène, en ce qui le concerne, à l’évolution. Durant plus d’un siècle, la psychologie de l’enfant se donnera pour objectif d’étudier la croissance mentale de l’enfant, laquelle est saisie comme indissociable de la croissance physique. Jean Piaget se plaît ainsi à affirmer que la psychologie génétique propose ni plus ni moins une « embryogenèse de la raison », là où d’autres évoquent couramment une approche « épigénétique ». En d’autres termes, l’enfant ne pouvait être appréhendé qu’en termes de développement. Au demeurant, si, au xxe siècle, tous les chercheurs reconnaissent une différence entre la psychologie de l’enfant (qui cherche à rendre compte du fonctionnement de l’enfant en lui-même) et la méthode génétique (qui dépasse très largement l’étude de l’enfant), tous doivent concéder dans le même temps qu’ils ne peuvent imaginer une psychologie de l’enfant qui ne soit aussitôt psychologie génétique. De telle sorte que les expressions sont finalement reconnues en pratique comme synonymes.
3Cette optique développementale, cet abord de l’enfant en termes de genèse s’est en outre accompagné d’un adultocentrisme indépassable : l’adulte est en effet le terme du périple de l’enfance, même si l’état d’adulte n’est pas facile à définir et qu’on résiste à l’identifier à une maturité… Qui dit « adultocentrisme » dit très précisément incapacité à rendre compte du fonctionnement de l’enfant, à quelque niveau que ce soit, sans le rapporter en définitive à celui de l’adulte. Il est clair, dès lors, que si l’enfant ne peut être étudié qu’en fonction de la cible qu’il doit atteindre pour être pleinement un homme, la Raison se trouve nécessairement identifiée à la figure de l’adulte. Voilà l’obstacle majeur que recèle l’approche génétique et l’on comprend que, malgré les efforts de certains, une réelle psychologie de l’enfant n’ait pu, dans ces conditions, voir le jour. Tenter de rendre compte du fonctionnement propre de l’enfant revient, par conséquent, à faire sauter le verrou du développementalisme. Une telle entreprise n’est toutefois possible que si l’on dispose d’un recul épistémologique qui permet de penser l’enfant, et avec lui l’homme, autrement qu’en le réduisant à sa genèse et, au-delà de la seule genèse, à son fonctionnement physiologique. En d’autres termes, rendre compte du fonctionnement de l’enfant suppose de définir d’abord clairement l’enjeu de la spécificité humaine, c’est-à-dire de la Raison.
L’enfant et le modèle de la médiation
La psychanalyse et ses limites
4La théorisation psychanalytique offre, contrairement à la psychologie génétique, une approche de l’enfant qui ne se fonde pas sur le développement. C’était la seule, dans le champ disciplinaire de la psychologie, jusqu’à l’avènement du cognitivisme à être en mesure d’expliquer autrement le fonctionnement de l’enfant. Pourtant, les écoles divergent à l’intérieur même du mouvement psychanalytique sur la façon de considérer l’enfant. Le débat entre la fille du fondateur, Anna Freud, et Melanie Klein cristallise à cet égard des positions différentes, voire radicalement opposées. On sait que Freud n’est pas parvenu à se dégager de l’évolutionnisme ambiant, même si, au-delà notamment de son vocabulaire, son élaboration théorique permet de penser l’homme, et en particulier l’enfant, autrement qu’en termes de développement. La psychanalyse a toujours connu des difficultés avec la question de l’enfant, à partir du moment où elle a pris en charge ce petit bonhomme qu’on distingue communément d’un adulte. Non seulement elle a dû, pour lui, déroger aux règles de la technique classique et admettre, de surcroît, que le verbal n’était pas le seul « médium » de la cure, mais elle a toujours risqué de s’infléchir, outre vers une pédagogisation, vers une approche développementale qui vient gommer l’essence même de sa démarche et de sa découverte.
5Car s’il est hors de question pour un psychanalyste conséquent de contester la dimension de la maturation et du développement, il lui faut tout aussitôt insister sur le fait que ce n’est pas celle qui l’intéresse dans son approche. Pour lui, en effet, celui qu’on appelle un enfant ne s’y réduit pas : d’une part, il témoigne d’une inscription dans l’histoire, même si c’est à travers l’autre, en l’occurrence tous ceux qui ont précisément pour charge de l’éduquer ; d’autre part, et surtout, il prouve que, du point de vue du principe, il ne fonctionne pas autrement que l’adulte lorsqu’il s’agit de naviguer dans les aléas du désir. L’histoire fonctionne à cloche-pied par rapport au développement, énonce par exemple Jacques Lacan : elle est donc d’un autre ordre, celui qui permet précisément que le développement « fasse sens » pour l’enfant. Les lois de l’histoire ne sont pas du même registre que celles du développement et l’enfant en participe, ce en quoi, du reste, il est autre chose qu’un « petit » qui se développe. Les lois du désir, de même, n’ont rien à voir avec celles du développement, mais elles n’ont rien à voir non plus avec les lois physiologiques dont relève le besoin. Celui qu’on désigne du terme d’enfant en participe aussi, à travers ce processus que Freud a appelé le refoulement. De telle sorte, par exemple, que ses réalisations, quelles qu’elles soient, se révèlent interprétables.
6L’intérêt de la théorisation psychanalytique, surtout dans son prolongement lacanien, est en somme de faire ressortir, concernant l’enfant, sa participation à un autre ordre de réalité que celui auquel s’arrête la psychologie génétique – mais également la psychologie cognitive lorsqu’elle occulte délibérément la spécificité du fonctionnement humain. Elle nous permet de rompre avec des approches réductrices et réinstalle, chez l’enfant, de la raison, là où elle avait été oblitérée. D’où l’insistance des psychanalystes contemporains à parler en termes de « sujet » jusqu’à soutenir, parfois, qu’il n’est aucune spécificité de l’enfant : non seulement il est sujet comme un autre, mais, pour certains psychanalystes, rien ne le particularise en tant qu’enfant. Tout se passe, en somme, comme s’il fallait choisir, de façon dichotomique, entre l’appel à la notion de développement et l’appel à un registre proprement humain que résumerait le terme de sujet. Ce premier point n’est pas sans poser problème, y compris même aux psychanalystes les plus radicaux, puisque l’enfant résiste à cette approche et n’en finit pas de manifester une spécificité dont il faut malgré tout tenir compte, aussi bien en pratique qu’en théorie (qu’en est-il par exemple du rapport de l’enfant à la « demande » ? À la notion de « transfert » ? À celle encore d’« après-coup » ?).
7Pourtant, la psychanalyse depuis Freud nous permet de comprendre la complexité du rapport de l’enfant à l’adulte et, du coup, la spécificité du premier. Nous y reviendrons plus loin. Mais le modèle psychanalytique a aussi ses limites, ce qu’au demeurant Freud a fréquemment énoncé, à propos de l’art par exemple, bien que parfois du bout des lèvres… Cliniquement, d’une part, lorsque, par exemple, il s’agit d’expliquer et de prendre en charge certaines formes de « déficience mentale » qui, touchant notamment à la question de l’organisation cognitive du monde, obligent à déborder le fameux trépied clinique névrose-psychose-perversion, sans pour autant verser dans une biologisation des problèmes qui nierait la spécificité de l’humain. Théoriquement, d’autre part, quand il faut rendre compte du fonctionnement de la pensée de l’enfant et de l’homme, saisie dans sa dimension spécifique d’intelligence logique. Freud, en son temps, a simplement admis, à l’occasion de ses recherches sur les processus identificatoires, que la psychanalyse ne s’est aucunement attachée à explorer cette dimension cognitive [2]. D’autres, à sa suite, notamment dans la mouvance de Melanie Klein, ont tenté de s’atteler à la tâche, mais en faisant de ce registre un simple épiphénomène des processus dont traite spécifiquement la psychanalyse, donc en occultant les questions spécifiques qu’il soulève.
8C’est précisément de cette dernière dimension dont prétendent rendre compte électivement les psychologues de l’enfant et, notamment, l’œuvre d’un Piaget. Nous en avons suffisamment dit des présupposés épistémologiques de telles entreprises pour ne pas y revenir et pour considérer que la tentative est manquée, précisément parce qu’elle se fonde sur une identification de la raison à la figure de l’adulte : chez Piaget, par exemple, elle confine l’enfant, jusqu’à l’âge de huit ans, à des opérations « concrètes » pour ne lui accorder qu’un début de réel fonctionnement logique avec les « opérations formelles » auxquelles il n’accède, si les conditions environnementales lui sont favorables, qu’à partir de douze ans. Le cognitivisme, depuis quelques années, se donne également pour but d’expliquer le fonctionnement de l’enfant à ce niveau. Se voulant, concernant l’enfant, l’héritier de l’œuvre de Piaget, il se trouve en fait en total porte-à-faux par rapport aux résultats auxquels celui-ci parvient, même s’il partage souvent avec lui des postulats biologisants. La problématique génétique n’est en effet pas celle qui sous-tend d’abord les travaux d’obédience cognitiviste et les recherches les plus marquantes mettent précisément l’accent sur les compétences précoces de l’enfant et sur le caractère inné des processus qu’il met en œuvre. En bref, le monde de la psychologie développementale a connu en quelques années un changement de cap radical…
9Le changement se révèle radical en apparence, mais pas nécessairement dans les fondements épistémologiques. Car, d’une autre façon, certes, que la psychologie génétique, les recherches cognitivistes méconnaissent aussi foncièrement les spécificités du fonctionnement humain, trop attachées qu’elles sont à épouser, à singer pourrait-on dire, la démarche des disciplines des sciences dites de la nature qui ont depuis longtemps fait leurs preuves. Le débat est d’importance et il dépasse très largement l’objectif de ce travail. On se contentera ici de rappeler qu’une démarche scientifique n’appartient en propre à aucune discipline : il ne faut pas confondre la visée scientifique avec la façon dont elle s’est concrétisée historiquement en se définissant spécifiquement un objet. Tout le problème est donc de savoir si l’objet que les sciences humaines se donnent recèle ou non une spécificité et si, en l’occurrence, l’étude de celui qu’on appelle un enfant peut se réduire à ce qu’ont à en dire les sciences de la nature, sous l’angle de la physique ou sous celui de la biologie. La réponse qu’apporte la théorie de la médiation de Jean Gagnepain, dont il va s’agir de développer les thèses concernant l’enfant, est sur ce point extrêmement claire : elle refuse, arguments à l’appui, tout réductionnisme de cette sorte et permet d’une certaine façon d’étendre les bénéfices de l’approche psychanalytique de l’enfant au domaine dit cognitif.
Une redéfinition de la rationalité
10La théorie de la médiation propose une approche totalement renouvelée de la rationalité ; c’est là sa première originalité. Elle vient rompre avec l’identification classique de la rationalité et du registre du langage. Tous ceux qui accordent à l’homme une spécificité par rapport aux autres êtres vivants conviennent jusqu’ici de la rapporter au fait que l’homme parle ; de telle sorte que l’équation « homme = langage » constitue le présupposé fondamental de toute l’anthropologie contemporaine. Or la théorie de la médiation de Jean Gagnepain montre, en se fondant sur l’ensemble des pathologies humaines, que la rationalité n’est aucunement réductible au logos. L’homme ne se ramène pas au langage et celui-ci ne constitue plus le seul critère de l’humain, affirme-t-elle. Voilà une thèse dont on saisit immédiatement les énormes résistances qu’elle va produire dans une civilisation qui affirme l’inverse depuis les Grecs ! Que l’homme se caractérise par le langage, la théorie de la médiation n’en disconvient pas, mais elle demande qu’on ne restreigne pas l’ensemble des processus spécifiquement humains à ce que les propriétés du langage autorisent. Autrement dit, d’autres registres contribuent, en plus de celui du langage, à définir la rationalité. Et dès lors que le langage ne constitue plus qu’une des spécifications de l’homme, l’équation constitutive de l’anthropologie occidentale, par trop restrictive, devient insoutenable.
11Ainsi, la théorie de la médiation paraît procéder à une sorte d’élargissement de la notion de rationalité. Elle l’identifie en fait à cet ordre de processus qui rend compte, dans tous les domaines, du fonctionnement spécifique de l’homme. Aussi cet ordre de processus doit-il être explicité dans toutes ses articulations, ce que le modèle s’emploie à réaliser. Pour ce faire, et pour aboutir à ces conclusions sur la rationalité, il se fonde donc sur la clinique et, plus précisément, sur l’étude des pathologies, aussi bien neurologiques que psychiatriques : la pathologie produit une analyse en séparant des processus qui fonctionnent normalement ensemble et en permettant, du même coup, de saisir leur véritable portée. La pathologie est en outre conçue comme le point de résistance le plus fiable à la théorisation concernant l’homme et Jean Gagnepain va jusqu’à soutenir que toute dissociation théorique doit pouvoir trouver sa validation dans la clinique. Du point de vue du fonctionnement, si l’on s’accorde à faire de l’abstraction la caractéristique fondamentale de l’homme, on aboutit à travers ce modèle à une théorie généralisée de l’abstraction, dans laquelle celle-ci ne saurait se ramener à la seule abstraction logique. En d’autres termes, l’homme fait preuve de capacités qui supposent une abstraction requérant dans certains domaines d’autres processus que ceux qui accompagnent la verbalisation.
12Pour rendre compte de ces capacités et de ces domaines, la théorie de la médiation recourt à la notion de « déconstruction ». Cette « déconstruction » n’est toutefois pas celle dont on parle couramment aujourd’hui, ni celle de Jacques Derrida. Le terme renvoie d’abord à la nécessité de produire une analyse pour expliquer : « déconstruire » suppose donc d’opérer une réduction de la complexité des phénomènes auxquels on se trouve confronté ; il s’agit d’isoler des processus par un jeu d’identification et de séparation. Mais « déconstruire », dans le cadre du modèle théorique de la médiation, c’est avant tout ne pas confondre des registres différents de causalité à l’intérieur des productions humaines. La démarche consiste à distinguer dans ce qui constitue une réalité humaine concrète, quelle qu’elle soit, des « plans » d’analyse renvoyant à des déterminations différentes. En l’occurrence, le modèle diffracte la rationalité humaine sur quatre registres distincts. L’analyse produite relève, dès lors, d’une abstraction nécessitée par la démarche analytique, car, dans la réalité concrète, les quatre registres sont toujours et nécessairement coprésents [3]. Il s’agit par conséquent de comprendre – et surtout d’admettre – qu’il n’est jamais possible de s’en tenir à une seule raison, ou à un seul registre de déterminations, lorsqu’il s’agit de rendre compte d’un comportement humain quel qu’il soit.
13À cet égard, ce n’est pas tant à une généralisation de la notion de rationalité que procède le modèle qu’à son éclatement, dès lors que cette notion subsume jusqu’ici toutes les capacités de l’homme sous le registre du seul langage. Un tel modèle brise de fait le monolithisme de la raison humaine. Il la brise très précisément en quatre : les quatre déterminismes spécifiquement humains que met en évidence la théorie de la médiation sont désignés par les termes de Signe, d’Outil, de Personne et de Norme, répondant aux registres, ou aux « plans de rationalité », respectivement, de la logique, de la technique, de l’ethnique et de l’éthique. Le modèle permet ainsi de raisonner sur l’éthique en laissant de côté toute considération sociale, à partir d’une claire dissociation entre les registres de l’éthique, d’une part, du social, d’autre part. L’abstraction éthique, dont l’homme est capable, ne doit plus rien, en son principe, à la société, et inversement – ce qui n’est pas plus simple à admettre pour toute une tradition visant à élaborer une science des « mœurs » impliquant les deux registres à la fois. À cette théorisation, également, la pensée contemporaine ne peut que se montrer d’emblée réfractaire. Autre point, encore, qui heurte les façons usuelles de penser : le modèle oblige à opérer une rupture avec l’ontocentrisme, l’être ne relevant, à ses yeux, que de l’une des dimensions de la psyché et n’ayant, en outre, nulle prééminence sur les autres…
Une déconstruction de l’enfant
14La théorie de la médiation se présente, en fin de compte, comme un modèle anthropologique, ayant l’ambition de traiter de l’ensemble des productions humaines dans ce qu’elles supposent comme processus. Son rapport particulier à la clinique en fait une « anthropologie clinique ». Ce modèle, qui dépasse donc très largement le problème de l’enfant, est, évidemment, historiquement situable dans la pensée contemporaine. Il s’inscrit dans l’héritage des grands fondateurs des sciences humaines, Marx, Freud et Saussure. Il prend notamment acte des acquis des différentes disciplines des sciences humaines des années 1960-1970 (qui constituent leur « âge d’or »), mais aussi des impasses et des contradictions auxquelles celles-ci aboutissaient ; il en propose le dépassement, à travers un modèle cohérent et puissant. Or, on peut précisément soutenir que ces contradictions ont fortement contribué à l’effacement durable des sciences humaines depuis plus de deux décennies dans le paysage intellectuel français, mais également européen. L’appel à la clinique de la théorie de la médiation s’inscrit, quant à lui, dans l’héritage d’une tradition d’abord française, à travers notamment l’œuvre de Théodule Ribot, lequel parlait de la pathologie comme de l’équivalent d’une expérimentation spontanée (ayant à la fois une fonction de scalpel et de loupe).
15L’approche que la médiation propose de la question de l’enfant suppose qu’on se confronte aux propositions essentielles du modèle. Il faut se référer à ses grands axes d’analyse et aux enjeux qu’il mobilise pour comprendre la réflexion à laquelle elle aboutit concernant l’enfant. Sur ce point, il en va de la théorie de la médiation comme de tout modèle cohérent et consistant : ses concepts ne se saisissent que dans le rapport qu’ils entretiennent les uns avec les autres. Mais ce n’est pas la raison essentielle de la difficulté qu’elle éprouve à se diffuser. Il faut certainement voir dans la notion de « déconstruction » ce qui suscite le plus de résistance, et pas nécessairement au niveau théorique. Procéder à une déconstruction revient en effet à s’inscrire contre une tendance spontanée de l’homme. Freud, à sa façon, en rendait fort bien compte : lorsque l’homme a trouvé un type d’explication à des phénomènes humains, affirmait-il, il n’est pas prêt d’accepter d’en envisager d’autres ; il s’y tient sans vouloir le lâcher. Or, ajoute Freud, la réalité se révèle toujours complexe et les réalités auxquelles on se heurte sont toujours surdéterminées : elles résultent nécessairement « de plusieurs causes convergentes [4] ». Ce que Freud appelle « notre impérieux besoin de causalité » ne saurait s’accommoder de ce polymorphisme causal ; il se trouve en fait contraint par des usages auxquels nous tenons et surtout par la peur de les perdre et le refus d’en changer.
16Freud lui-même, pourtant, n’échappe pas, malgré certaines aperceptions importantes, à cette vision unilatérale, unidimensionnelle pourrait-on dire, de l’homme. En effet, la psychanalyse n’étudie l’homme qu’à travers la problématique de la satisfaction et de ses aléas. Chez Jacques Lacan, l’impérialisme du désir se révèle encore plus prégnant et l’on soulignera chez lui le monolithisme impressionnant du signifiant et du registre du symbolique ! Or, il s’agit de comprendre que si le désir s’empare de tout, si rien n’échappe par conséquent à son emprise, pour autant il n’explique pas tout ; il ne constitue pas le seul déterminisme de l’humain. La nécessité d’une déconstruction des phénomènes humains s’ancre précisément dans cette restriction. Car, de la même façon, on relève un impérialisme aussi prégnant du social chez bon nombre de sociologues, à commencer par Pierre Bourdieu qui, à montrer remarquablement que rien de ce qui est humain ne saurait échapper à la juridiction de la sociologie, « oublie » que la sociologie ne saurait à elle seule épuiser explicativement les productions humaines. La même remarque vaut encore, depuis Roland Barthes, pour l’entreprise des sémioticiens. Désir, social ou signe : on ne peut dès lors que choisir, de manière exclusive, et c’est de cet exclusivisme – qui a conduit certains à une forme de « schizo »-phrénie – que vient nous délivrer la théorie de la médiation.
17Celui qu’on appelle un enfant sera donc, pour la théorie de la médiation, à « déconstruire » au même titre que n’importe quelle autre réalité humaine à laquelle on se confronte de façon explicative. Il n’est par conséquent pas possible, à ses yeux, de s’en tenir à l’enfant concret qui se tient devant nous, pas plus qu’à un seul registre d’analyse dont on laisserait croire qu’il épuiserait explicativement la portée. Et l’enfant concret va s’inscrire pleinement, selon le modèle de la médiation, dans trois des quatre registres de la rationalité qu’elle a mis en évidence : le signe, l’outil et la norme. En d’autres termes, il apparaît, de ces trois points de vue, comme un être de raison à part entière. Les conséquences éducatives d’une telle analyse sont, on peut déjà l’imaginer, énormes. En revanche, l’enfant concret ne dispose pas encore d’un quatrième aspect de la rationalité, à savoir celui qui ouvre véritablement l’homme au social, en le faisant participer de lui-même et contribuer par lui-même à la société dans laquelle il s’inscrit. Le déterminisme en jeu, de ce dernier point de vue, est précisément celui qui a été appelé « personne » par Jean Gagnepain. Ce rapport particulier de l’enfant au social (et au déterminisme qui en fonderait la possibilité pour l’homme) spécifie, pour la théorie de la médiation, son fonctionnement. Au sens strict, il n’est pour elle d’enfant que de ce point de vue : le terme « enfant » fait concept dans son seul rapport à la personne.
L’enfant et la raison logique
L’enfant et le langage
18Pour tenter de comprendre le rapport que l’enfant entretient avec le langage, tout d’abord, il faut commencer par faire valoir la distinction de ce que nous appellerons la « langue », d’un côté, et du « signe », de l’autre. Partons d’une observation banale : tout homme parle, mais tout le monde ne parle pas la même langue. Cette capacité de langage dont l’homme dispose, et qui lui permet, où qu’il se trouve, de structurer son message en mots et en phonèmes, renvoie à la dimension du Signe ; la langue n’est dès lors que l’usage qui est fait du langage dans une société donnée et dans une situation sociale précise. Concernant l’enfant, une distinction approchante a par exemple été faite, il y a déjà longtemps, par un auteur comme Laurence Lentin lorsqu’elle différenciait la « mise en fonctionnement de la fonction langage » de « l’acquisition de la langue ». L’enfant va devoir s’initier à la langue de son entourage, mais il dispose et met en œuvre de très bonne heure la capacité de langage elle-même, capacité que Jean Gagnepain a appelée « grammaticalité ». Autrement dit, la langue s’apprend, non la capacité de parler, laquelle, bien que culturelle, doit être dès lors conçue comme « innée » [5]. Avant l’avènement du cognitivisme, seul le premier aspect était étudié ; il n’était du reste pas possible de concevoir une autre dimension que celle-là. On ne faisait que décrire la façon dont l’enfant, petit à petit, conformait son langage à celui de l’adulte.
19Autrement dit, l’étude de l’acquisition du langage chez l’enfant se bornait à un comparatisme, au détriment de l’enfant, dont on méconnaissait les capacités propres. On ne parvenait aucunement à dépasser cet adultocentrisme, que certains reconnaissaient parfois explicitement. Pourtant, la notion de « faute », à laquelle tous les descripteurs du langage de l’enfant en ont appelé depuis quasiment le milieu du xixe siècle, permettait d’envisager le rapport de l’enfant au langage d’une autre manière. En effet, il a toujours été fait état d’une double dimension de la faute : d’une part, elle marquait une limitation des productions de l’enfant par rapport à l’usage de l’adulte ; d’autre part, elle était révélatrice de la particularité du fonctionnement de l’enfant dans la mesure où s’y repérait une régularité. En d’autres termes, elle comportait un aspect négatif et un aspect positif, et, sous ce second angle, on ne pouvait que concéder à l’enfant une créativité dont on ne savait pas bien quoi penser. La faute se manifestait, certes, comme faute d’usage et montrait que l’enfant avait encore à apprendre à faire fonctionner conventionnellement le langage dans son univers familial et social, mais elle obligeait aussi à accorder à l’enfant qu’il était capable de mettre en œuvre des règles auxquelles il se tenait avec constance.
20La théorie de la médiation va comprendre ces deux aspects de la « faute » comme deux dimensions du langage à ne pas confondre, certes, mais surtout à clairement dissocier. Ainsi la faute qui a été définie depuis des décennies sous le terme de « généralisation » se révèle déjà fort intéressante. Le très jeune enfant qui désigne une vache du nom de « chien » ou qui, plus âgé, évoque les « nageoires » de la barque au lieu des rames produit des « généralisations ». Or cette « faute » témoigne précisément du fait que l’enfant classe, c’est-à-dire qu’il introduit des oppositions, et qu’il ne fait pas qu’imiter le langage de l’adulte : il met en rapport les éléments de langage les uns avec les autres et donc les relativise. Il ne s’agit pas d’un simple stock de vocabulaire mémorisé, mais d’un « lexique » dans lequel les éléments prennent une « valeur », au sens de Ferdinand de Saussure. Autrement dit, encore, l’enfant montre, ce faisant, qu’il met en œuvre la caractéristique spécifique du langage, à savoir « l’impropriété » dont découle la polysémie du mot (celui-ci n’est en effet jamais une étiquette qu’on poserait sur des choses qui lui préexisteraient : il constitue d’abord et avant tout, de manière sous-jacente, un cadre abstrait d’analyse que le locuteur, enfant ou adulte, va s’efforcer de remplir sémantiquement d’une désignation qui ne sera jamais tout à fait la même et qui nécessairement variera).
21On comprend du coup que Jean Gagnepain puisse faire de la « faute » le critère même de la grammaticalité. Et cette fameuse « généralisation » est d’autant plus intéressante à souligner, jusque dans le terme même, qu’elle vient s’opposer à la soi-disant incapacité de l’enfant à saisir le général (la classe des chiens apparaîtrait chez lui avant celle des animaux à quatre pattes et bien avant celle des animaux), incapacité qui le confine inéluctablement, selon tous les psycho-généticiens, au domaine du « concret ». La faute qualifiée d’« analogie morphologique » se révèle toutefois plus remarquable encore. Repérée depuis longtemps par les linguistes, elle témoigne de la mise en œuvre d’une opération de type quatrième proportionnelle. Saussure faisait ainsi remarquer que « le langage des enfants en regorge, parce qu’ils connaissent mal l’usage et n’y sont pas encore asservis [6] ». L’enfant français dira facilement « prendu » au lieu de « pris » sur le modèle vendre/vendu, « tiendre » à la place de « tenir » sur le modèle du verbe craindre. Il parlera encore d’un « glandier » – ou d’un « glantier » – pour désigner ce que nous appelons le chêne. Ces « fautes » prouvent que l’enfant est capable de mettre ses productions en rapport les unes avec les autres, et de les inférer de règles qui sont parfaitement logiques. Il faut avant tout en retenir les barres qui figurent les rapports entre les termes (vendu/prendu, pommier/glandier) et le signe de l’égalité qui produit la mise en proportion : on saisit alors à quel point, chez lui, de l’abstraction est en œuvre.
22Il n’est donc plus question, comme dans le modèle piagétien, de restreindre l’enfant à des opérations concrètes et d’attendre ses douze ans pour le voir manifester une capacité d’abstraction. On doit admettre que Piaget confondait sous le terme de « logique » le principe du fonctionnement logique et, par ailleurs, la conformité de la production à travers laquelle celui-ci se traduit avec la réalisation attendue par un adulte descripteur ou expérimentateur. En d’autres termes, ce dernier est pris en flagrant délit d’universalisation de sa manière, toujours singulière, de faire fonctionner sa capacité logique, même si cette manière singulière se trouve conventionnellement partagée par d’autres.
Le rapport de l’enfant à la logique
23Pour comprendre à quel point la capacité de langage que met en œuvre l’enfant est un principe logique d’analyse, il n’est qu’à considérer le problème suivant, qu’on pourrait rencontrer dans des épreuves logiques élaborées par un psychologue, du type des « Progressive Matrices » de Raven, ou par un pédagogue, où il est demandé à l’enfant de trouver l’élément manquant (éventuellement à partir d’une liste préétablie de figures) qui se déduit des trois autres et notamment, ici, du rapport qu’entretiennent les deux carrés :
24Ce problème suppose la même forme de raisonnement que dans le cas des productions langagières ci-dessus, de type « prendu » ou « glandier » : il s’agit également de faire fonctionner une quatrième proportionnelle. Le faire apparaître, c’est toutefois contester radicalement la fameuse opposition entre les épreuves verbales et non verbales à laquelle s’accrochent encore nombre de psychologues, par exemple à travers un test comme le WISC : elles supposent en effet ici les mêmes processus. Mais c’est surtout comprendre à quel point le fait de grammaticaliser ne se réduit pas à l’oralisation. L’enjeu d’une telle distinction n’est pas mince puisqu’elle conduit à revoir la façon dont on a longtemps perçu le problème de la surdité, ainsi que celui de l’enfant infirme moteur cérébral qui a trop de difficultés motrices pour prononcer ce qu’en tant que locuteur il produit malgré tout [7]. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que le fameux problème philosophique du rapport du langage et de la pensée, et de la prééminence de l’un ou de l’autre, s’en trouve totalement reconsidéré, clinique à l’appui [8].
25L’enfant se révèle donc logique d’emblée, dès qu’il parle et qu’il témoigne à travers ses productions d’une grammaticalité. Il demeure pourtant une différence essentielle entre les « fautes » de langage par analogie morphologique et le problème logique présenté ci-dessus : celui-ci suppose, contrairement à celles-là, une « prise de conscience » par l’enfant du fonctionnement logique dont il est capable. La psychologie de l’enfant a conféré une énorme importance à cette prise de conscience qui constitue une des deux lois fondamentales, avec celle du décalage, à partir desquelles elle s’érige comme discipline ; elle a du coup considérablement réduit le fonctionnement de l’enfant et occulté les processus dont il témoigne. Ce privilège accordé à la conscience par rapport au fonctionnement lui-même participe d’une approche « intellectualiste » qui se trouve aujourd’hui démentie dans tous les registres du psychisme. Fonctionner d’une certaine façon implicitement est une chose, prendre conscience de ce fonctionnement en est une autre. En l’occurrence, l’enfant de trois ans qui produit un énoncé du genre « prendu », « glandier » ou encore « ils sontaient » (pour « ils étaient ») se révèle tout à fait incapable, on en conviendra, d’expliquer comment il l’a produit. Et expliquer à autrui le fonctionnement qui est le sien, dont on a pu penser prendre une certaine conscience, complexifie encore le problème. Il reste que l’enfant a produit le fonctionnement en question…
Conséquences d’une telle approche
26Que l’enfant réalise des énoncés supposant une analyse logique dont il n’a par ailleurs nulle conscience oblige à conférer un réel statut à la notion d’« inconscient cognitif ». Elle a été parfois évoquée, notamment par Piaget, de façon très explicite, par exemple à l’occasion d’une conférence donnée à la société américaine de psychanalyse intitulée « Inconscient affectif et inconscient cognitif ». Il s’agissait alors, pour le créateur de l’épistémologie génétique, d’établir à nouveau un parallèle entre ses recherches et celles issues de la psychanalyse [9]. Il reste que Piaget, comme tous les psycho-généticiens, a foncièrement méconnu la spécificité de cet inconscient cognitif, en raison de son adhésion à des thèses évolutionnistes. Mais une fois restitué à l’enfant ce fonctionnement cognitif implicite, en deçà de toute prise de conscience, il devient possible, effectivement, d’établir un lien avec les travaux psychanalytiques : de la même façon que l’homme n’a pas de prise directe, quoi qu’il puisse croire, sur les raisons qui règlent son comportement et sa problématique désirante, il n’a aucune conscience des raisons qui fondent sa connaissance logique du monde qui l’entoure. C’est la raison pour laquelle Jean Gagnepain évoque dans les deux cas un « implicite » qui ne se réduit pas à l’inconscient freudien, mais qui n’en gomme pas non plus la spécificité ; Marcel Gauchet, de son côté, et sous les mêmes conditions, en appellera à une « redéfinition » de l’inconscient [10].
27L’inconscient freudien est une chose, l’« inconscient cognitif » en est une autre, et ils ne se situent nullement, l’un par rapport à l’autre, dans des rapports de dépendance. Une telle conclusion est nécessairement corrélative d’un éclatement de la raison humaine : celle-ci se fait à la fois logique et éthique (Kant faisait déjà remarquer, à sa façon, qu’elle était « pure » et « pratique »), sans qu’il y ait confusion possible entre ces registres puisqu’ils sont par ailleurs cliniquement autonomisables. L’enfant participe des deux, comme un homme qu’il est ici pleinement (la comparaison avec l’adulte ne vaut pas de ces points de vue. La notion même d’adulte n’a ici aucune pertinence). L’enfant commence, on vient de le voir, par introduire de l’abstraction logique dans sa façon de s’expliquer le monde à travers les mots qu’il emploie, quitte à restreindre par la suite la valeur qu’il leur attribue et à constamment repréciser les frontières de ses éléments de langage au fur et à mesure de son apprentissage de la langue. Mais, la psychanalyse le montre également de façon remarquable, l’enfant installe aussi de l’abstraction éthique, en l’occurrence à travers ce que les psychanalystes contemporains appellent le « manque ». Il est travaillé au même titre que l’adulte par les processus qui règlent son rapport à une satisfaction qui ne peut plus être immédiate. D’où le fait qu’il puisse pleinement participer, sous cet angle, à un travail psychanalytique et que ses modalités d’expression – quelles qu’elles soient, sachant qu’elles ne sont pas que langagières – sont interprétables.
28Les conséquences éducatives d’une telle approche du fonctionnement de l’enfant se révèlent importantes. Il ne peut plus être question, notamment, de jouer sur sa seule mémoire et sur son obéissance, ou, d’une manière générale, sur sa propension à la répétition : il s’agit de solliciter sa capacité d’analyse, aussi bien logique qu’éthique (pour nous en tenir pour le moment à ces deux registres de la rationalité) et aucunement de chercher à le faire engranger le maximum de connaissances ou de bonnes manières de se comporter. Si la notion de « méthode active » a un sens, dans le champ éducatif, c’est de ce point de vue, et non pas en référence à un développement naturel ordonné à une théorie du progrès biologique : la créativité de l’enfant se trouve ainsi non seulement reconnue, mais sommée d’afficher son pouvoir. La formule de Bachelard prend du même coup toute sa portée : « Imposer la raison nous paraît une violence insigne puisque la raison s’impose d’elle-même. » Encore faut-il être en mesure de lui accorder sa place… Aussi le rôle de l’éducateur est-il autrement mis en question : lui qui n’a pas spontanément, ainsi que le rappelle Bachelard, le sens de l’échec [11], doit être en mesure de réhabiliter la fameuse « faute » et tous les phénomènes qui s’y apparentent pour faire sienne une réelle pédagogie de l’erreur ; là où il se croit un maître, il lui faut accepter de se voir faire partie des obstacles pédagogiques eux-mêmes et interroger l’évidence de son propre savoir.
29Autre conséquence théorique d’une telle approche des capacités de l’enfant, on doit non seulement redonner une place à la notion d’innéité, mais en préciser la portée. La capacité logique, par exemple, ne s’apprend pas, nous le savons ; en revanche, elle resterait à l’état de virtualité si elle n’était pas mise en œuvre socio-historiquement par l’enfant lors de la moindre situation éducative. En appeler à l’innéité de la capacité ne doit pas faire oublier l’importance de la dimension de l’historicité ; les approches cognitivistes, qui accordent aujourd’hui tant d’importance à l’inné (en le réduisant à des dispositions strictement naturelles), tendent ainsi souvent à l’occulter. Mais, en revanche, s’il s’agit d’un principe d’analyse, non seulement il ne s’apprend pas, mais il ne saurait varier : la capacité logique demeure toujours identique à elle-même et l’enfant – comme l’adulte au demeurant – la remet constamment en œuvre dans les interactions dans lesquelles il est partie prenante. On peut, certes, se demander quand cette capacité culturelle émerge en l’enfant : est-elle là d’emblée ou est-elle dépendante de conditions maturatives ? Quoi qu’il en soit, on n’en observe pas les effets avant l’âge de deux ans environ et il faut faire état d’un seuil de l’humain, c’est-à-dire de l’introduction d’un processus rationnel, en d’autres termes culturel, auquel seul l’homme participe. Et l’on soulignera que l’enjeu que représente ici l’abstraction demeure méconnu des chercheurs cognitivistes.
30Ajoutons, avant de poursuivre, que le même type de raisonnement que celui mené ici pour la logique, et à peine esquissé pour l’éthique, vaut pour le registre technique, que Jean Gagnepain rapporte à un autre plan encore de rationalité. La façon dont l’enfant s’en sort dans ses réalisations techniques à l’occasion de jeux du type Lego (ou de l’ancien Meccano) ou dans son maniement de l’ordinateur est révélatrice d’une analyse qui n’est plus d’ordre logique, au sens précis que nous avons donné à ce terme, mais qui porte sur la manière d’articuler les uns aux autres des moyens et des fins pour en faire, à travers une fabrication abstraite, des modes d’emploi (on parlera dès lors de « fabriquant ») et des tâches (il s’agit cette fois du « fabriqué ») tout aussi structuralement fondés que le signifiant et le signifié à l’intérieur du signe. Domaine particulier de l’univers technique, le dessin de l’enfant témoigne ainsi, en tant qu’il est produit, d’une telle analyse technique, bien qu’il ne se réduise aucunement à cette dimension ; tout l’intérêt, comme la constante actualité, du travail de Luquet réside dans cette aperception : son « modèle interne » – pour ne s’en tenir qu’à son concept le plus général – n’est pas autre chose qu’une forme abstraite qui fonctionne de manière totalement implicite chez l’enfant qui dessine, et qui lui ouvre une créativité d’ordinaire aussitôt déniée en raison de sa non-conformité aux attentes de l’adulte (et notamment par rapport à l’usage de la perspective) [12].
31On en arrive donc à conclure provisoirement que sous le triple aspect de la rationalité logique, technique et éthique, l’enfant en tant que tel n’existe pas : rien ne vient le spécifier puisqu’il met en œuvre les mêmes processus que l’adulte. Il est donc à cet égard déjà pleinement un homme et non plus un petit d’homme qui aurait à se développer pour atteindre un état d’adulte identifiable de manière univoque à la raison.
L’enfant n’est pas une « personne »
Les dérives contemporaines
32Nous allons faire apparaître à présent que, d’un autre point de vue, c’est-à-dire dans son rapport à un autre plan de la rationalité, l’enfant présente bien une particularité dans son fonctionnement. Ces propos pourront sembler en contradiction avec ce qui vient d’être soutenu, puisque jusque-là nous avons insisté sur le fait que rien ne spécifiait l’enfant dans son fonctionnement. Il n’en est rien : il est possible de soutenir ces deux thèses à la fois, dès lors que l’on pratique une déconstruction de la raison ; elles n’entrent pas en contradiction. L’enfant présente en effet une spécificité et il est donc légitime de continuer à parler d’enfant dès lors que c’est elle qu’on fait valoir. Dans le cadre du modèle de la médiation, cette spécificité s’énonce de la façon suivante : « l’enfant n’a pas émergé à la Personne ». À première vue, une telle thèse ne paraît pas très à la mode ! Aujourd’hui, ce serait plutôt la thèse inverse qui vaudrait dans les mouvements qui se veulent à l’avant-garde de la réflexion sur l’enfant dans des disciplines différentes. Ainsi en sociologie, par exemple, nombre de travaux actuels nient explicitement – parfois implicitement – la spécificité de l’enfant : ils lui accordent le même type de capacité de nouer du lien social que l’adulte et critiquent fermement l’infantilisme dans lequel notre société le maintient [13].
33Trois formulations émanant de domaines disciplinaires ou de champs théoriques différents résument particulièrement bien cette position en apparence contraire à celle de la théorie de la médiation. Or, si elles ont leur raison d’être, elles se révèlent très dangereuses dans leurs conséquences lorsqu’elles sont interprétées de façon extrémiste et en viennent à fonctionner comme des slogans. La première est bien connue : « L’enfant est une personne. » Elle découle précisément du renouvellement des recherches sur la petite enfance et sur la mise en évidence, chez le bébé déjà, de capacités précoces. Il n’est pas question de contester cette orientation générale, puisque la théorie de la médiation montre également que l’enfant fonctionne de très bonne heure de façon rationnelle. Mais certains en viennent à affirmer que l’enfant est pleinement un homme, à tous les points de vue, et que, du coup, il n’y a plus rien qui le spécifie en tant qu’enfant. Les conséquences éducatives ne sont pas sans importance. Les parents et, de façon plus large, la société deviennent dans une telle optique de véritables oppresseurs ! Les parents n’ont, à la limite, plus de raison d’être, puisqu’il n’est de parent que s’il y a de l’enfant…
34La deuxième formule, « l’enfant est un sujet », émane, elle, du champ psychanalytique. Elle a sa pertinence, dès lors qu’elle tire les leçons du fait que, du point de vue des processus, l’enfant ne se particularise pas par rapport à l’adulte dans son rapport au désir et à la problématique de la satisfaction. Mais, de la même façon que la précédente, elle se révèle très risquée si elle conduit à une généralisation du même ordre (en raison d’une absence de déconstruction de l’enfant concret) ; elle aboutit au même type d’aberration. Elle est pourtant mise en œuvre de nos jours dans un certain nombre de consultations pour enfants, qui évacuent littéralement la dimension parentale… La troisième et dernière formule est connue : « L’enfant a des droits. » On sait qu’il existe deux versions de la conception des droits de l’enfant : la première, à l’origine, vise à le préserver ; la seconde, depuis quelques années, se veut émancipatrice. L’enfant sera en fin de compte considéré comme une minorité opprimée, au même titre que n’importe quelle autre. Dès lors, il convient de contribuer à sa libération ! Irène Théry a sévèrement critiqué cette position dans le dernier chapitre de son ouvrage sur Le Démariage [14]. Ces orientations ont toutes en commun d’aboutir à la déresponsabilisation de l’adulte et de la société, et ce sont les propos de Hannah Arendt, réagissant contre les usages de la société américaine des années 1950, qui résonnent alors en nous [15].
Le statut spécifique de l’enfant
35La spécificité de l’enfant tient au fait qu’il demeure dépendant de l’adulte, en ce sens où il n’est pas encore entré dans un rapport de réciprocité avec lui. Il a donc besoin de se reposer sur lui pour se construire identitairement, pour élaborer son être, quelles que soient les capacités dont il fait preuve par ailleurs. L’enfant demeure également sous la responsabilité de l’adulte et n’est pas encore lui-même capable de responsabilité, au sens plein du terme. Être responsable, c’est en effet, conformément à l’étymologie, être capable de « répondre », sans devoir compter sur quelqu’un d’autre ; c’est s’assumer à part entière, avec toute l’arbitrarité qu’une telle prise de position suppose. L’enfant ne le peut pas ; c’est cela qui fait de lui un enfant et non le statut qui lui est politiquement accordé. L’enjeu est anthropologique et non pas conjoncturellement défini par les usages de la société dans laquelle il s’inscrit. Il répond donc à ce que Jean Gagnepain a désigné du terme de personne. Il s’agit là d’une capacité qui fonde la socialité de l’homme, c’est-à-dire son aptitude à nouer du lien social, dans l’ordre de la parité ou dans celui de la paternité. L’enfant n’y a précisément pas accédé, ce qui ne l’empêche pas, tout au contraire, d’être personne pour et par l’autre : il est dimension de la personne de l’adulte, soutient Jean Gagnepain, qui rejoint ici, à sa façon, la thèse de Freud.
36L’enfant fait de l’adulte un garant, qui a, croit-il, les réponses aux questions qu’il se pose. Certes, il va interroger en grandissant cette maîtrise qu’il confère à l’adulte ; il va éventuellement la tester, mais il ne peut véritablement la contester (en en appelant au principe d’un tiers, dans le registre de l’altérité). Il ne peut y parvenir tant qu’il est enfant précisément. Lorsqu’il sera sorti de l’enfance, dès l’entrée dans ce qui chez nous constitue la période d’adolescence, il ne cessera au contraire de le faire : il convoquera d’autres usages (ceux de ses pairs notamment) pour les opposer à ceux de ses parents et des adultes qui, par délégation, ont auprès de lui une mission éducative. À ce moment-là, il fera état, sans même prendre consciemment la mesure des problèmes que cela soulève réellement, non seulement de la relativité de la Loi, mais de son arbitrarité radicale (la Loi ne se fonde que sur elle-même, et justement pas en ceux qui n’en sont finalement que les représentants). L’enfant, lui, n’en est pas là : il ne peut relativiser, au sens strict, ce dont il s’imprègne auprès de l’adulte : dès lors, il fige les usages et les universalise ou, plus précisément, les naturalise (en revanche, éthiquement, il ne légitime pas tous les usages auxquels on le confronte. Ils ne valent pas de la même manière à ses yeux, et c’est précisément ce que mettent en évidence les travaux de l’école sociologique dont l’ouvrage de Patrick Rayou fournit une excellente synthèse). Il ne dispose pas de ce principe abstrait qui permet à l’homme de s’installer dans le social et d’être à la fois partenaire et contributeur à part entière.
37Il faudrait pouvoir argumenter plus longuement sur cette non-participation de l’enfant à la personne, autre dimension de la raison. Prenons un bref exemple pour tenter de faire saisir ce qu’il en est de l’abstraction qu’elle suppose et de la position particulière de l’enfant. Jean Gagnepain fait de la personne un « principe d’origination » : c’est elle, en effet, qui permet à l’homme, produisant une analyse de son être, de se situer dans le temps, dans l’espace et dans la stratification sociale. L’étude du rapport de l’enfant au récit fournit l’occasion de comprendre de quelle manière il se positionne. Composer un récit, au sens précis que nous conférons à ce terme, revient à faire du « un » avec du « multiple », et inversement. Le récit transcende en effet la diversité des moments, des lieux et des situations sociales, tout en la reconnaissant. En d’autres termes, il suppose l’existence d’une sorte de « fil rouge » ; il requiert un principe de cohérence permettant de faire à la fois du même (il s’agit d’un seul et même récit, avec un début – une origine – et une fin) et de l’autre (il comporte des épisodes ; il contient des péripéties). Ce principe n’est aucunement logique, comme beaucoup l’ont cru, il est « historique », renvoyant à cette problématique d’origination qui nous permet de nous positionner socialement et, entre autres, de nous inscrire dans la temporalité. Ce qui revient à dire que le récit n’est pas une affaire conceptuelle, ni même de chronologie, et qu’il nécessite une analyse du vécu, une prise de distance par rapport au devenir dans lequel immédiatement nous nous inscrivons.
38Or l’enfant présente ici de grosses difficultés, qui ont été repérées depuis fort longtemps par les pédagogues et les premiers psychologues, mais qu’on semble redécouvrir depuis quelques années. Ainsi, jusqu’à l’âge de sept-huit ans, il ne parvient pas à raconter une histoire, à partir d’un jeu d’images, de telle sorte que le personnage soit saisi comme le même (alors qu’il le « sait » par ailleurs). Piaget l’avait déjà montré à travers des études très anciennes, mais il en avait fait, bien évidemment, un problème de nature logique. On a relevé aussi, depuis des générations, la propension de l’enfant, jusqu’à un âge relativement avancé, à réclamer une stricte répétition, souvent au mot près, de l’histoire qu’on lui a déjà racontée. Des auteurs aussi divers que Freud ou Durkheim ont été frappés par cette observation et ils ont, chacun à sa façon, tenté de l’intégrer dans un cadre explicatif cohérent qui fait toutefois ressortir à chaque fois la particularité de l’enfant. Des travaux contemporains comme ceux de Michel Fayol, d’obédience cognitiviste, sont plus rigoureux et démonstratifs. On en retiendra surtout l’incapacité prouvée de l’enfant à conférer un titre à une histoire qu’on lui raconte : résumer l’histoire à l’extrême pour la réduire à un titre suppose précisément d’être capable de produire d’une tout autre manière la même histoire. Il s’agit toujours de pouvoir s’abstraire de l’immédiat, de s’en « absenter », pour structurer, donc analyser, le temps, l’espace et le milieu social.
39Cette thèse d’une non-émergence de l’enfant à la personne permet, en fait, de réinterpréter les nombreuses observations proposées par la psychologie de l’enfant, notamment – mais pas seulement – celles de Piaget. Il existe bien un « décalage » (on connaît l’importance du terme pour Piaget) entre ce que produit l’enfant de très bonne heure, du point de vue logique, technique et éthique, et le moment où l’homme sort de l’enfance et devient capable de se situer par lui-même socialement. L’explication ne saurait cependant être d’ordre logique, ni requérir, plus largement, l’appel à un seul point de vue développemental. La notion de « réversibilité » mise en avant par Piaget prend également une autre portée, si on la rapporte à la problématique de la personne : ne suppose-t-elle pas cette capacité de sortir du temps qui passe et, plus largement, de l’immédiat, pour produire une analyse qui ne saurait être d’ordre logique, puisque les productions de l’enfant témoignent du fait qu’il maîtrise cette dimension de la rationalité depuis son tout jeune âge ? Toutes les théories psychogénétiques posent par ailleurs un seuil alentour de douze ans, soit l’âge moyen autour duquel se joue probablement la problématique de l’accès à la personne. Il est par exemple symptomatique que les tests ne soient plus, à partir de cet âge, discriminatifs comme tests de développement, de l’avis même de leurs concepteurs.
40Ce statut particulier de l’enfant que pose la théorie de la médiation ne s’oppose pas non plus, bien au contraire, aux thèses de Freud. Celui-ci a toujours accordé à l’enfant, contrairement à Lacan (qui ne s’est, du reste, jamais intéressé directement à la question), un statut particulier et marqué l’importance de la puberté comme bouleversement physiologique entraînant des remaniements psychologiques décisifs. Il est intéressant, également, de se pencher sur la fameuse période de latence : Freud la considérait comme une période de transition obscure à bien des égards [16] ; nombre de psychanalystes contemporains en contestent l’existence même et la comprennent comme la façon qu’avait Freud, à son époque, de s’expliquer une coupure qui doit, de nos jours, se saisir comme un seuil structural [17]. Freud liait en outre à cette notion de latence celle d’après-coup, laquelle, rendant compte du remaniement d’une expérience vécue, suppose son inscription préalable dans une histoire désormais assumée en personne. En d’autres mots, le statut d’événement, au sens strict, ne peut être accordé à un épisode de l’histoire de quelqu’un qu’à partir de l’instauration d’un principe d’origination qui oriente le vécu et lui confère une cohérence. Or un tel processus ne peut exister pour Freud avant la période de latence, ce qui oblige à penser autrement ce qui se joue chez l’enfant et à lui accorder, de ce point de vue, un statut particulier.
L’importance de l’éducation
41Une telle insistance portée au statut particulier de l’enfant ne conduirait-elle pas la théorie de la médiation à le faire participer du registre de la genèse et à l’y confiner en définitive, quelles que soient les critiques adressées par ailleurs à la psychologie génétique lorsqu’il s’agit de son rapport à la logique, à la technique et à l’éthique ? En effet, si l’enfant se spécifie par le fait qu’il ne dispose pas encore du principe de la personne et que c’est ce dernier qui nous permet de nous abstraire du devenir, ou de nous dégager de la genèse, pour produire de l’histoire, on semble conduit à penser qu’il ne relève que de ce devenir ou de cette genèse. Auquel cas, le modèle de la médiation, à la déconstruction près (ce qui n’est déjà pas rien), rejoindrait finalement à ce plan d’analyse la psychologie génétique tant décriée. Il n’en est rien ! Il faut comprendre que l’enfant est bien dans l’histoire ; mais il est dans l’histoire de l’autre. Il est porté par l’autre, à commencer par ses parents. Et s’il n’a pas « émergé à la Personne », il n’en est pas moins personne par l’autre ; s’il ne produit pas par lui-même de l’histoire, s’il ne l’oriente pas, il en prend part à travers l’autre. Bref, l’enfant participe de la personne par procuration. C’est précisément ce qui fait de lui un enfant et non pas un petit ; le référer à la seule dimension de la genèse constitue une erreur lourde de conséquences.
42Cela revient à dire que l’enfant a impérativement besoin de trouver des repères solides en l’adulte, qu’il s’agisse de ses parents ou des professionnels qui travaillent auprès de lui par délégation de responsabilité, dans le cadre de l’école, notamment. C’est en effet l’adulte qui structure pour lui le temps, l’espace et le milieu social ; c’est lui qui imprime un sens à son existence et qui oriente la totalité de son être (étant entendu, encore une fois, que la réalité concrète de celui qu’on appelle un enfant ne se réduit pas à ce registre d’analyse et que cet enfant, par ailleurs, structure éthiquement, aussi bien que logiquement et techniquement, son rapport au monde). Les repères que l’adulte offre à l’enfant constituent donc des repères identificatoires, au sens plein du terme. Cliniquement, on en tient par exemple la preuve par la négative (au-delà du fameux « hospitalisme ») en constatant les difficultés éprouvées par certains enfants présentant de gros troubles, comme par exemple dans le cadre d’anomalies chromosomiques, et que les parents ne parviennent pas à inscrire véritablement dans leur histoire. Ainsi, la forme de « psychotisation » que peuvent présenter certains enfants trisomiques 21, qui n’ont pas été par ailleurs pris en charge dans des structures d’éducation précoce, trouverait ici son explication. En bref, l’éducation prend là tout son sens, comme conduite accompagnée de l’enfant pour le mener au-delà de ce qu’il est présentement, ainsi qu’au-delà du modèle que l’adulte représente pour lui.
43L’adolescence constituera donc une rupture avec cette période. Celui qui n’était jusque-là qu’un enfant, s’imprégnant des usages de l’autre, assumera dorénavant son histoire, au sens où il s’y inscrira par lui-même et structurera son devenir. Cette assomption de son histoire se fait toutefois chez l’adolescent de manière implicite ; elle n’est pas à comprendre comme une maîtrise consciente des processus qu’il met à présent en œuvre. Cela dit, notre adolescent reviendra notamment sur l’histoire dans laquelle il a été inscrit jusque-là par les adultes qui ont contribué à son éducation. Il se l’appropriera, fût-ce à partir de processus implicites, et en fera par conséquent son affaire, même s’il est loin d’avoir une claire conscience de qui fonde en lui cette sorte de tri. S’il faut donc faire état ici d’un seuil structural entre l’enfant et, chez nous, l’adolescent qui est déjà, du point de vue des processus, l’équivalent d’un adulte, il ne faut pas penser pour autant que la distinction est dorénavant effectuée et que la période de l’enfance est définitivement révolue. L’adolescent s’ouvre à la personne et à la dialectique qu’elle suppose et, notamment, à la constante contradiction entre la dimension de l’enfant qui perdure en lui et son dépassement. En d’autres termes, l’adolescence inaugure en chacun de nous un conflit interne qui durera jusqu’à la fin de nos jours : en tant qu’adulte, nous sommes sortis de l’état d’enfance, mais, paradoxalement, celle-ci ne cesse de nous habiter.
44Cette façon de comprendre le conflit interne à la personne est encore une fois proche de la découverte freudienne et de la théorisation psychanalytique du rapport de l’enfant et de l’adulte. L’ouvrage de Serge Leclaire, On tue un enfant, a le mérite de bien le résumer : il faut sans cesse opérer en soi le meurtre de l’enfant, explique Leclaire, pour « parler vraiment », entendons ici pour émerger à des rapports humains pleins et réciproques. Pourtant, on ne cesse de perpétrer cette mise à mort, car elle ne s’effectue jamais une fois pour toutes. Elle est constamment à reconduire. Cet enfant, Leclaire le qualifie de « merveilleux » ou de « terrifiant », car il est par ailleurs marqué du sceau de l’idéal : « Y renoncer, c’est mourir, ne plus avoir de raison de vivre ; mais feindre de s’y tenir, c’est se condamner à ne point vivre [18]. » Tout est là, dans cet étonnant paradoxe qui, une fois sortis de l’état d’enfance, nous meut toute notre « vie ». En fait, ce n’est pas de vie qu’il s’agit, mais bien de « raison » de vivre, et celle-ci se fonde étrangement sur le meurtre de l’enfant en nous, en même temps qu’elle suppose qu’il y demeure toujours présent. Tel est le moteur même de notre historicité… Mais nous comprenons surtout que là réside cette dimension de l’enfant en nous et que c’est à elle qu’en tant qu’éducateur nous rapportons immédiatement l’enfant dont nous avons la charge pour le faire aussitôt participer de la dialectique de la personne en nous, et donc de notre histoire.
Pédagogie, culture et société
45L’approche déconstruite du rapport de l’enfant à la raison que propose la théorie de la médiation et la mise en évidence de son statut spécifique ne sont pas sans conséquences sur les modalités de sa prise en charge. En d’autres termes, bien que la médiation ne soit qu’une théorie de l’humain, qu’elle vise d’abord à expliquer et non pas à intervenir, rien n’interdit de penser les formes sociales d’action que ses découvertes suggèrent, c’est-à-dire les implications politiques, au sens plein du terme (touchant à l’organisation de la cité), de son anthropologie.
46Le dégagement chez l’enfant concret de processus qui prouvent son inscription précoce dans le registre de la raison, sous trois formes distinctes, semble renforcer, à première vue, la position des pédagogies mettant l’accent sur l’expressivité de l’enfant et sur l’importance de son action propre. Ce serait se méprendre que de tirer une telle conclusion des recherches sur l’enfant menées par la théorie de la médiation. D’abord, parce que ces pédagogies, surtout depuis qu’elles se fondent explicitement ou implicitement sur les travaux de la psychologie de l’enfant, promeuvent la notion de développement. Marquées par l’héritage du sensualisme, c’est-à-dire par un empirisme foncier, puis par celui de l’évolutionnisme, ces approches réduisent d’abord les apprentissages à des processus naturels, adaptatifs, par exemple, chez un auteur comme Jean Piaget, dont on sait à quel point son modèle a marqué les conceptions de l’apprentissage. Ces théories occultent totalement la dimension culturelle des capacités que manifestent l’enfant et l’homme en général, dimension que la théorie de la médiation précisément restitue en montrant le rapport que l’enfant entretient de très bonne heure avec le Signe, l’Outil et la Norme. Il est grand temps de ne plus abandonner l’étude des apprentissages et du fonctionnement logique de l’enfant à une telle approche naturalisante de l’homme, qui s’accompagne d’une vieille idéologie du progrès.
47Le cognitivisme contemporain, qui a pris le relais de cette psychogénétique, en partage les présupposés épistémologiques naturalisants, bien qu’il s’en écarte par exemple en souscrivant, en une sorte de renversement radical, à la notion d’innéité des compétences de l’enfant. Si la théorie de la médiation pose également l’innéité des principes du Signe, de l’Outil et de la Norme, elle les fait clairement relever du registre de la culture et rend compte, par là même, du seuil qu’ils supposent par rapport au registre naturel auquel l’homme ne cesse pour autant de participer « dialectiquement ». En bref, la théorie de la médiation restitue à l’enfant, dans trois dimensions distinctes, cette fameuse raison qui a été longtemps assimilée à la personne de l’adulte, démarche qui a hypothéqué toute chance de comprendre le fonctionnement propre de l’enfant (au point donc d’identifier, dans les faits, psychologie de l’enfant et psychologie génétique). Elle lui restitue une raison que le mouvement cognitiviste gomme d’emblée, incapable qu’il est de rendre compte de la spécificité des productions humaines qu’il résume à la notion, physiologique pour lui, d’innéité, ou qu’il dissout, plus généralement, dans un matérialisme qui ne le cède en rien, du point de vue épistémologique, à L’Homme-machine de La Mettrie.
48La créativité que la théorie de la médiation restitue à l’enfant n’est pas de l’ordre d’un spontanéisme qui trouverait son fondement dans le développement de capacités naturelles de l’enfant, mais elle ne conduit pas non plus à promouvoir le seul règne du désir et à réduire la dimension de l’apprentissage à un pur accomplissement du désir du sujet. Outre le fait qu’elle montre que le désir n’est pas le seul déterminisme de l’humain, elle rappelle l’importance de la dimension sociale, occultée aussi bien par le naturalisme de la psychologie génétique, ou celui du cognitivisme, que par l’impérialisme d’une psychanalyse incapable de concevoir un autre point de vue que le sien sur le fonctionnement de l’humain. En d’autres termes, il importe de restituer au social son importance, s’il n’est aucunement question de le réduire à une simple contrainte collective pesant de l’extérieur sur les individus. Car une telle façon naïve de l’appréhender autorise dès lors, au-delà d’une « valorisation aveugle des résultats de la pure spontanéité enfantine », la croyance en « un univers d’individus dans la puissance radicale de création véhiculée par l’activité libre du sujet » [19]. À cet égard, placer l’enfant, à l’école, « au centre du système », ou promouvoir, dans le cadre du droit, la notion d’« intérêt de l’enfant », participe du même type d’illusion et, somme toute, on en réfère toujours, malgré les variantes, à ses fameux « besoins ».
49La société ne peut être ainsi réduite à une puissance coercitive extérieure, même si Durkheim, dans son effort pour légitimer la sociologie comme discipline, a dû insister, à son époque, sur la dimension de contrainte qu’elle comporte, contre, précisément, l’affirmation du libre-arbitre du sujet de la psychologie. Freud lui-même, prisonnier de la doxa de son temps, a cru possible de réduire le rôle de la société à la répression des pulsions de l’individu, d’où s’ensuivrait un « malaise » d’autant plus grand que les exigences se feraient fortes. On connaît aujourd’hui les conséquences désastreuses d’une telle thèse prise à la lettre, alors que Freud proposait, dans le même temps, un autre type d’analyse, autrement plus pertinent, qui n’attribuait plus au social ce pouvoir exorbitant. Fustiger notamment l’importance de la tradition, c’est-à-dire des usages particuliers dans lesquels on s’inscrit (bien au-delà du recul réflexif qu’on s’imagine ici pouvoir prendre), récuser la dimension d’héritage que comporte toute acquisition, revient tout bonnement à refuser d’exister socialement, puisque nous ne sommes jamais, historiquement, que dans l’emprunt et dans l’appropriation d’usages qui nous précèdent. Mais s’approprier n’est justement pas imiter servilement, c’est faire sien, c’est-à-dire se singulariser dans la façon même de s’emparer de ce que nous tenons de l’autre, qu’il soit coprésent ou qu’il s’inscrive dans le passé.
50Toutefois, on doit comprendre que de ce point de vue l’enfant présente une particularité et que c’est d’ailleurs la seule qu’on peut lui reconnaître. Au point qu’il n’est d’enfant qu’à ce plan, si l’on veut, du moins, être conceptuellement rigoureux et ne pas se faire duper par les mots qu’on emploie. L’enfant se spécifie précisément par le fait de ne pas disposer encore du principe instaurateur de la socialité en nous, principe que Jean Gagnepain a par conséquent proposé d’appeler « Personne ». L’enfant demeure dans l’apprentissage de la Loi ; il ne fait que s’imprégner des usages de son entourage et de sa société et n’est pas encore en mesure d’instaurer en lui cette distance qui lui permettra de se les approprier, donc de les transformer. En conséquence, autant il faut accorder à l’enfant un fonctionnement propre, une réelle créativité – qui n’est ni plus ni moins, soulignons-le au passage, que celle dont témoigne par ailleurs l’adulte –, dans ces trois domaines de la vie psychique que sont la logique, la technique et l’éthique, autant il faut lui reconnaître ici sa particularité et en tenir compte. L’enfant doit être éduqué ; il doit pouvoir se reposer sur quelqu’un qui assume pour lui une responsabilité qu’il n’est anthropologiquement (et pas seulement légalement) pas capable d’exercer. En d’autres termes, il doit pouvoir s’assurer de la garantie de ceux qui ont pour mission de l’éduquer : les parents d’abord, les professionnels ensuite, lesquels œuvrent auprès de lui par délégation.
51Il ne s’agit pas de revenir ici à un autoritarisme pédagogique (autorité n’est par ailleurs pas autoritarisme) qui, ne s’en tenant qu’à la seule transmission du savoir, ne reconnaît notamment pas la participation de l’enfant à la raison sous d’autres dimensions. Il convient de se souvenir que si l’enfant reçoit aussi facilement ce que l’adulte lui inculque, c’est qu’il en a par ailleurs la « réceptivité » : il dispose en quelque sorte des clés qui lui ouvrent les portes de la signification langagière de ce qu’il entend, de la fabrication technique de ce qu’il est amené à manipuler et de la réglementation éthique du comportement qui est requis de lui. Sous ce dernier angle, par exemple, l’enfant se fait nécessairement « complice » de son éducateur : disposant en lui de la capacité d’analyser éthiquement son vouloir, il peut être éduqué, contrairement à l’animal. L’adulte ne fait, somme toute, qu’exploiter une capacité dont il lui faut reconnaître l’existence. Sinon il ne ferait que dresser l’enfant, c’est-à-dire l’inscrire dans le seul registre de l’obéissance aveugle. Surtout cet autoritarisme (auquel on tend à réduire l’éducation dont on veut absolument, par souci de modernité, se déprendre) semble ignorer le fait que si l’enfant n’a pas encore « émergé au principe de la personne », il n’en participe pas moins d’elle à travers nous. Il n’est finalement qu’une dimension de nous-mêmes : c’est à partir de celle-ci que nous l’inscrivons dans notre histoire et que nous lui transmettons un savoir.
52En d’autres termes, on ne peut comprendre le rapport entre l’adulte et l’enfant de manière dichotomique : l’adulte est dans l’enfant (puisqu’il l’imprègne de ce qu’il est) et l’enfant est dans l’adulte (puisque l’enfant concret se trouve immédiatement rapporté à la dimension de l’enfant dans l’adulte qui l’éduque) ; la contradiction est en œuvre à l’intérieur même de la personne de l’adulte. L’insistance apportée à cette spécificité de l’enfant ne peut pas aboutir à renforcer la conception d’une « dissemblance de nature de l’enfant », pas plus, du reste, que son corollaire, « l’affirmation de son identité de droit [20] ». Cette dernière position semble pourtant s’inscrire à l’opposé de la première : c’est elle qui, voulant faire de l’enfant une « personne » à part entière, un « sujet » psychologiquement autonome ou nanti de droits (dont on fera remarquer qu’ils ne s’assortissent jamais, concernant l’enfant, de devoirs), conduirait à l’instauration d’une sorte de « république des enfants », comme l’écrit Marcel Gauchet, égale dans le principe à la société des adultes et en même temps parallèle, puisque organisée à part d’elle. Une telle façon de se représenter l’enfant en dénie de la même façon la spécificité. Elle conduit l’adulte à refuser d’assumer sa responsabilité et de conférer à l’enfant les repères dont il a besoin. Or considérer d’emblée l’enfant comme l’adulte qu’il n’est pas, c’est le meilleur moyen de l’empêcher d’assumer un jour ses propres responsabilités et de se donner à lui-même ses propres repères.
53?
54S’imaginer que l’éducation constitue une affaire « individuelle », ou une affaire strictement « privée », revient à se fourvoyer grandement. C’est en effet au nom de la société que le parent et tous ceux qui, professionnellement, l’assistent dans cette mission éduquent l’enfant. D’une part, contrairement à ce qu’on pourrait spontanément penser, ce n’est pas vis-à-vis de l’enfant que l’adulte remplit en l’occurrence son devoir, mais, comme l’a depuis longtemps souligné Jean Gagnepain, vis-à-vis de la société à laquelle, en tant qu’être social, il contribue anonymement ; d’autre part, par-delà la relation qu’il entretient avec lui, aussi affective ou sentimentale qu’elle puisse être, l’adulte introduit véritablement l’enfant au social.
Notes
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[1]
Voir l’ouvrage de Dominique Ottavi, De Darwin à Piaget. Pour une histoire de la psychologie de l’enfant, Paris, cnrs Éditions, 2001.
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[2]
Marcel Gauchet peut donc conclure sans risque d’être démenti: «Il suffit […] de se demander ce que la théorie freudienne a à nous dire du fonctionnement de la pensée. Poser la question, c’est y répondre: à peu près rien» (La Démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p. 270). Le point est à souligner.
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[3]
Pour une présentation du modèle, cf. le traité de Jean Gagnepain, Du vouloir dire. Traité d’épistémologie des sciences humaines, en trois volumes (Bruxelles, De Boeck Université, 1990, 1992 et 1995). Voir aussi Leçons d’introduction à la théorie de la médiation, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1994.
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[4]
Moïse et le monothéisme, Paris, Gallimard, 1948, p. 145. «Il suffit à notre impérieux besoin de causalité de trouver à chaque phénomène une cause unique démontrable, ce qui, dans la réalité extérieure, est rarement le cas» (ibid., souligné par Freud).
-
[5]
Il faut reconnaître à Chomsky d’avoir sur ce point rompu avec une tradition empiriste fortement ancrée dans l’approche de l’enfant, même si on peut lui reprocher de n’avoir pas clairement posé le caractère culturel de sa «faculté de langage» et d’avoir par ailleurs confondu dans sa notion de «compétence», et la langue dont il est ici question, et la grammaticalité.
-
[6]
Cours de linguistique générale [1916], Paris, Payot, 1995, p. 231. Saussure ajoutait aussitôt que «le parler des adultes en offre aussi». Voir également Écrits de linguistique générale, Paris, Gallimard, 2002, pp. 160-161.
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[7]
Cf. A. Deneuville, J.-C. Quentel, H. Guyard, «Quand parler ne peut être que montrer» (en collaboration), Glossa, 1993, 36, pp. 4-15, et A. Deneuville, H. Guyard, J.-C. Quentel, «L’enfant I.M.C. et le langage. Quand dire, c’est faire», Tétralogiques (Presses universitaires de Rennes-2), 1993, 8, p. 105-127.
-
[8]
La clinique spécifique de la grammaticalité est, chez l’adulte, l’aphasie; y répondrait, chez l’enfant, la fameuse dysphasie, si l’on ne vient pas la confondre avec d’autres difficultés langagières qui ne mettent pas en cause la capacité de l’enfant à structurer logiquement son dire.
-
[9]
Dans le cas des structures cognitives, écrit Piaget, il y a «inconscience presque entière (ou initialement complète) des mécanismes intimes conduisant (aux) résultats» (repris dans Problèmes de psychologie génétique, Paris, Denoël Gonthier, 1972, p. 38).
-
[10]
La Démocratie…, op. cit., p. 263 sq.
-
[11]
La Formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1983, p. 19.
-
[12]
Cf. Jean-Claude Quentel, «Le dessin chez l’enfant», Tétralogiques, 7, 1992, pp. 81-97.
-
[13]
Cf. les travaux effectués par l’équipe de Jean-Louis Derouet et Régine Sirota. On aura un bon aperçu de ces recherches à travers l’ouvrage de Patrick Rayou, La Grande École. Approche sociologique des compétences enfantines, Paris, puf, 1999.
-
[14]
Le Démariage. Justice et vie privée, Paris, Odile Jacob, 1993, rééd. 1996.
-
[15]
La Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, Paris, Gallimard, 1972, notamment le chapitre sur «La crise de l’éducation».
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[16]
Cf. Trois essais sur la théorie sexuelle, Paris, Gallimard, 1987, p. 145 et p. 101.
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[17]
Par exemple François Perrier, La Chaussée d’Antin, t. II, Paris, uge, 1978, pp. 320-321, et surtout Michel Sylvestre, «La névrose infantile selon Freud», Ornicar, 1983, 26-27, p. 64.
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[18]
On tue un enfant, Paris, Éd. du Seuil, 1975, p. 12.
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[19]
M. Gauchet, «L’École à l’école d’elle-même», in La Démocratie contre elle-même, op. cit., p. 128.
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[20]
Ibid., p. 130.