Le Débat a prêté une attention constante et sans exclusive aux discussions de fond qui traversent les sciences sociales. Nous sommes heureux de publier, dans cet esprit, le plaidoyer de Pierre Beckouche en faveur d’un bon usage de Lacan. Plus de vingt ans après la mort de celui-ci, au-delà des disputes de chapelle, y a-t-il une inspiration féconde à tirer de son enseignement et laquelle ? Le débat est ouvert.
Les sciences sociales abordent souvent mal la question identitaire. Elles deviennent facilement normatives, critiquant les revendications à une identité – ethnique, religieuse, nationale – qu’elles jugent archaïque et survalorisée ou construite de toutes pièces. Ou alors elles se contentent de relever la puissance de l’appartenance des personnes à quelque chose qui les dépasse, mais sans l’expliquer vraiment. Pensons aux débats sur la construction européenne : les analyses tournent, au choix, à la promotion de l’Europe contre un attachement national présenté comme archaïque ; ou, au contraire, à la défense du sentiment national qui fonderait la république ; ou encore elles se bornent à constater un attachement à ce qu’on appelle indifféremment l’« imaginaire des peuples » ou les « symboles » (monnaie, drapeau, langue, droit de légiférer « chez nous » sur la chasse ou la pêche), sans que l’on sache très bien si ces symboles sont dérisoires ou fondamentaux. Nous parvenons mal à éclaircir ce champ du rapport social qu’on peut décrire ainsi : ce à quoi l’on tient et qui nous tient ; le champ, tout à la fois, des querelles sur la feta d’origine contrôlée et des valeurs pour lesquelles on pourrait aller jusqu’au sacrifice ultime…