L’un des talents d’Emmanuel Todd, et non le moindre, est de susciter des controverses utiles. Après avoir, dans L’Illusion économique, attaqué de front les postulats du libre-échange mondial, le voici qui revient à la charge, s’en prenant cette fois à « l’empire américain », axe du monde « globalisé », dont il instruit le procès doublement : sous l’angle diplomatique et militaire, il accuse les États-Unis de se livrer à une traque paranoïaque des petits États qui échappent à son influence ; sous l’angle économique et financier, il s’indigne de leur mutation en puissance prédatrice, incapable de pourvoir aux besoins de sa consommation et tributaire de la production de ses partenaires du reste du monde.
Ce double procès soulève d’emblée une difficulté d’interprétation qui n’a peut-être pas échappé à son auteur. Il semble bien, en effet, que, dans son esprit, la domination politique et l’action économique prédatrice des États-Unis soient deux manifestations parallèles de leur impérialisme. Cependant, la domination politique n’explique pas l’action prédatrice. En d’autres termes, sa thèse ne correspond nullement aux thèses classiques, connues sous le nom de thèses de l’échange inégal, qui ont illustré la critique marxiste de l’échange international en régime capitaliste. Ces thèses, qui vont de Rosa Luxemburg à Samir Amin, en passant par Fernand Braudel, postulent que l’échange formellement symétrique entre le centre développé du monde et sa périphérie plus pauvre dissimule un rapport d’exploitation qui permet au premier de prélever un tribut régulier sur la seconde…