Plutôt que de s’éparpiller dans des remarques diverses, Marcel Gauchet et Philippe Corcuff ont chacun rédigé leur texte autour d’une critique centrale. Schéma idéal pour l’organisation du débat, et confort intellectuel pour celui qui a l’honneur et l’avantage de pouvoir répondre à ses critiques. Donc merci. Merci également au hasard (vu comme simple probabilité et non comme on ne sait trop quel destin camouflé, sortie de la religion oblige) qui fait que ces deux critiques sont (presque) opposées : « entrée à contrecœur » dans la question de l’individualisme (Marcel Gauchet), contre « vision idyllique » (Philippe Corcuff). J’ajoute cependant « presque », car elles ne sont pas exactement opposées : elles relèvent de registres différents.
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Avant d’en venir au fond, je répondrai d’abord à Marcel Gauchet à propos d’un détail. Je ne pense pas entrer à contrecœur dans la question de l’individualisme. Certes, il y a de la réserve dans ma position, il l’a bien compris. Mais elle n’est pas causée par un manque d’enthousiasme. Il s’agit plutôt de méfiance ; je deviens méfiant dès que j’entends le mot individu (et autres « je », « sujet », « subjectivité », « personne », « individualisme »). Car tous ces termes renvoient à un étrange modèle théorique implicite quasi unanimement partagé, qui a la particularité d’être à la fois non seulement opérant, mais au cœur de la construction de la réalité, se transformant ainsi en grille d’intelligibilité des mouvements les plus récents de la modernité ; et, en même temps, d’être faux d’un point de vue anthropologique, de ne pas correspondre à ce qu’est aujourd’hui très concrètement un individu…