Avec Ego, le propos de Jean-Claude Kaufmann est ambitieux : apporter une pierre théorique décisive à une sociologie de l’individu. Le sociologue a de quoi nourrir cette ambition, car depuis 1992 il a aligné quatre livres-enquêtes importants (La Trame conjugale. Analyse du couple par son linge en 1992, Corps de femmes, regards d’hommes. Sociologie des seins nus en 1995, Le Cœur à l’ouvrage. Théorie de l’action ménagère en 1997, et La Femme seule et le Prince charmant en 1999) qui ont labouré empiriquement et théoriquement le champ d’une nouvelle sociologie du quotidien. Esquisser une synthèse théorique de ces différents travaux constituait donc un projet tout à fait opportun. Cela permettait de souligner des arêtes conceptuelles que la richesse des matériaux empiriques interrogés comme l’exotique ordinarité des terrains choisis pouvaient quelque peu masquer, de systématiser les pistes dégagées et d’ouvrir un espace plus serré de débat scientifique. Le pari est réussi, si l’on n’en attendait pas une théorie achevée, car c’est moins la solidité des généralisations théoriques formulées qui apparaît stimulante, à mon sens, que les difficultés rencontrées, les questions sans réponses ou les embarras implicitement pointés, bref ce qui fait le mouvement de la recherche, dans ses aléas les plus heuristiques.
Jean-Claude Kaufmann participe pleinement des nouveaux courants des sciences sociales qui, malgré les tendances à l’émiettement disciplinaire et à l’éclatement théorique, s’efforcent de reconfigurer un espace d’investigations et de débat tentant de s’émanciper des oppositions traditionnelles, du type idéel / matériel, subjectif / objectif ou, tout particulièrement pour la sociologie, individu / société…