Bien qu’une perspective non européenne sur l’identité de l’Europe ne semble pas impossible, d’emblée et théoriquement, lorsqu’on procède à un examen approfondi, au moins pour ce qui concerne le monde de l’islam, une telle tentative s’avère pourtant vouée à l’échec. La raison la plus élémentaire tient au fait que pour avoir une perspective sur « l’autre », la première condition est d’avoir une perspective sur soi-même, c’est-à-dire d’être conscient de sa propre existence, ce qui semble n’être pas le cas dans le monde de l’islam. Pour pouvoir aller vite en besogne, on pourrait risquer la thèse suivante : le monde de l’islam, du fait de la sclérose de sa tradition, est confiné dans une situation où non seulement il ne peut pas avoir une perspective sur lui-même, mais, qui plus est, dans le meilleur des cas, sa perspective sur lui-même et la conscience qu’elle peut en avoir ne sont plus possibles qu’à partir de la conscience que l’autre a de son identité. Ce qui veut dire que l’identité du monde de l’islam ne peut être définie qu’à partir de son altérité, à partir d’un autre qui se comprend et le comprend dans son altérité, et le monde de l’islam ne peut se comprendre qu’à partir de cette même altérité.
Ce fait n’est ni le fruit d’un hasard ni, comme d’aucuns sembleraient pouvoir le soutenir, le produit d’une « méprise orientaliste », pour ne pas dire d’un « complot orientaliste » comme arme théorique des visées impérialistes de l’Occident, encore moins celui d’une certaine idéologie qui aurait pour objectif non déclaré la justification du primat de l’Europe sur le monde de l’islam…