Le Débat 2001/5 n° 117

Couverture de DEBA_117

Article de revue

De la révolution à l'État par le communisme

Pages 92 à 113

Notes

  • [1]
    Jean-Luc Domenach, « La transition post-totalitaire en Chine », Commentaire, n° 93, printemps 2001, pp. 35-46.
  • [2]
    Yves Chevrier, « Réformes chinoises : la stratégie du contournement », Politique étrangère, printemps 1985.
  • [3]
    Dorothy J. Solinger, « Why We Cannot Count the Unemployed », ms. aimablement communiqué par l’auteur, à paraître dans The China Quarterly à l’automne 2001.
  • [4]
    Au-delà de l’ouvrage classique sur la question, Andrew Walder (Communist Neotraditionalism. Work and Authority in Chinese Factories, Berkeley, University of California Press, 1986), on se reportera à l’étude récente de Corine Eyraud sur la danwei : L’Entreprise d’État chinoise. De l’« institution sociale totale » vers l’entité économique?, Paris, L’Harmattan, 1999.
  • [5]
    Il existe sur le sujet une abondante littérature, que je ne puis mentionner ici. Sur les divisions du pouvoir central et la dynamique des interactions pouvoir-paysannerie, cf. Yves Chevrier, « Une société infirme: la société chinoise dans la transition modernisatrice », in C. Aubert et al., La Société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, Paris, Fayard, 1986.
  • [6]
    On notera toutefois l’approche plus globale et mieux régionalisée de Jean-Louis Rocca, « La montée du chômage dans la Chine urbaine », Perspectives chinoises, n° 59, mai-juin 2000, pp. 38-51, et D. J. Solinger, Contesting Citizenship in
    Urban China, Berkeley, University of California Press, 1999.
  • [7]
    Jean-Pierre Cabestan, L’Administration chinoise après Mao : les réformes de l’ère Deng Xiaoping et leurs limites, Paris, Éd. du C.N.R.S., 1992.
  • [8]
    Lee Ching-kwan, « The Labor Politics of Market Socialism. Collective Inaction and Class Experiences Among State Workers in Guangzhou », Modern China, vol. 24, n° 1, janvier 1998; Gender and the South China Miracle. Two Worlds of Factory Women, Berkeley, University of California Press, 1998.
  • [9]
    Jean-Louis Rocca, « Chine: vers un État banal ? », in Béatrice Hibou (éd.), La Privatisation des États, Paris, Karthala, 1999, pp. 227-245.
  • [10]
    Li Zehou et Liu Zaifu, Gaobie geming. Huiwang ershi shiqi (Adieu à la révolution, regard rétrospectif sur le XXe siècle), Hong Kong, Tiandi tushu, 1995.
  • [11]
    Qianshao, Hong Kong, janvier 1992.
  • [12]
    L’un des temps forts de cette réélaboration fut un livre d’entretiens avec Jiang Zemin intitulé Faire confiance au secrétaire général, Pékin, Presses de l’Académie des sciences sociales, 1996.
  • [13]
    Sange daibiao yu xin shiqi de jianshe (Pékin, Presses centrales, mai 2001).
  • [14]
    D’abord née de pratiques tolérées, voire encouragées par le pouvoir, la secte Falungong est un typique phénomène d’interstice ayant tourné à une confrontation avec le pouvoir officiel, comme ce fut le cas tant de fois sous l’ancien régime impérial. Cette naissance intersticielle et cette métamorphose politique, rançon du régime distendu de Jiang Zemin, eussent été impossibles dans la configuration maoïste du pouvoir (voir B. Vermander, « La Chine au miroir de Falungong », Perspectives chinoises, n° 64, avril 2001, pp. 4-13).
  • [15]
    Yi de zhi guo (Gouverner le pays par la vertu), manuel d’étude, publ. officielle, Pékin, Presses centrales, 2001.
  • [16]
    Yves Chevrier, « L’empire distendu : esquisse du politique en Chine des Qing à Deng Xiaoping », in JeanFrançois Bayart (éd.), La Greffe de l’État, Paris, Karthala, 1994.
  • [17]
    J.-L. Domenach a fait l’étude précise de cette trajectoire en cloche dans Chine : l’archipel oublié, Paris, Fayard, 1992.
English version

1La persistance du communisme à Pékin, en dépit – ou à cause – des réformes, n’est pas un mince sujet d’étonnement. Pendant de longues années, après la disparition de Mao Zedong, la réussite du New Deal orchestré par Deng Xiaoping a posé l’énigme de la durée des réformes face au régime. Désormais, la question doit être inversée : l’énigme est celle de la durée du régime face aux réformes.

L’énigme de la persistance du communisme

2Même si le régime s’est tiré du mauvais pas de 1989 par un acte de force, en écrasant les manifestants de Tian’anmen, on ne peut attribuer sa résilience à sa seule capacité répressive. Cette explication, aussi répandue qu’elle est peu convaincante, voit dans la sphère politique chinoise un noyau résiduel dont les jours sont comptés en raison d’une instabilité grandissante de la société, à laquelle s’ajouteraient de profonds clivages au sein du pouvoir. À la veille des échéances institutionnelles de 2002, l’attention et les incertitudes vont se reporter sur l’équipe dirigeante. On n’entrera pas ici dans les arcanes de la divination pékinologique. Il est dans la nature du régime que la carte exacte des puissances et des influences nous demeure cachée. En revanche, ses structures profondes, en particulier celles qui relient le pouvoir à l’évolution et aux mouvements de la société, sont lisibles à travers ses actions aussi bien que dans les réactions des forces sociales. Car ces liens existent. Le temps n’est plus où l’on pouvait expliquer les transformations de l’après-Mao en opposant la rigidité, voire l’hostilité du Parti, au changement accéléré de l’économie et à la renaissance de la société. Et en condamnant soit le régime immobile, soit le changement social. Plusieurs interprétations de ces liens retiennent l’attention.

3Souvent sollicitée, la thématique de la transition offre un moyen terme commode. Les « transitologues » ont troqué la perspective d’une construction politique de la société – une société devenant « civile » contre le pouvoir –, qui prévalait dans les années 1980, pour celle d’une déconstruction économique et culturelle du communisme laissant perdurer le pouvoir en place. Mais qu’est-ce qu’une transition qui s’attarde de décennie en décennie ? Faut-il en diluer la signification jusqu’à voir dans la Chine des réformes l’un de ces conglomérats localisés de bribes historico-identitaires charriées par le flot de la mondialisation ? Ce point de vue conduit à renouveler l’ancien paradigme des deux faces de la Chine – celui qui opposait à la Chine officielle et rigide du mandarinat et de la haute culture les Chine multiples et flexibles des cultures populaires, des localités et des communautés marchandes. Comment faut-il regarder la Chine d’aujourd’hui ? Par son côté officiel, par son manteau d’idéologie et la répression qu’elle organise, ou par son ouverture, ses réformes et le recentrage de la société sur ses activités propres, à mille lieues, souvent, des préoccupations et des injonctions du pouvoir ?

4Mais la regarder ainsi, n’est-ce pas privilégier les aspects déconstruits de la réalité d’aujourd’hui, en négligeant ce qui, dans la société, dans le régime, ainsi que dans ce qui les relie, continue de faire système selon les lois d’un développement historique particulier ? Le paradigme autoritaire peut se prêter à une lecture de cette histoire, à la suite de l’abandon, sous Deng Xiaoping, des monopoles que le pouvoir exerçait sur l’organisation de la société et sur l’économie. C’est négliger, toutefois, ce qui, dans les emprises du régime sur la société, demeure indubitablement totalitaire et communiste. Aussi bien ces permanences ont-elles suscité, plus récemment, un regain du paradigme totalitaire. La structure communiste, sans changer en ellemême, laisse exister à ses côtés des excroissances socio-économiques qu’elle contrôle et dont elle se nourrit, essentiellement par le biais de pratiques dites « informelles » – taxation illégale des paysans, affairisme, corruption. Fort des techniques de pouvoir élaborées sous Mao, le régime serait en mesure de pervertir le jeu des forces sociales et de se maintenir tel qu’en lui-même. Une dichotomie en lieu et place d’une transition : les mécanismes du capitalisme dans l’économie, le communisme en politique et dans la police ; entre les deux, l’informel et une société sans poids spécifique autre que celui de la résistance, toujours écrasée, voilà ce que propose ce modèle néo-totalitaire.

5Les « dichotomistes » sont convaincants lorsqu’ils soulignent la permanence de structures fondamentales du communisme : les instruments de pouvoir primaires et principaux que sont l’armée, la répression policière et politique, le quadrillage de la société. Même si certaines mailles du filet s’élargissent (par exemple, les certificats de résidence, souvent devenus négociables, n’isolent plus aussi effectivement les campagnes des villes), ce maillage est toujours efficace dans la mobilisation de la population contre les ennemis du régime : hier « contre-révolutionnaires » de Tian’anmen, aujourd’hui adeptes de Falungong, sans oublier les délinquants de tout poil dont la propagande organise les exécutions-spectacles. Le Parti communiste poursuit avec succès la stratégie du « divide and rule » qui consiste à empêcher toute opposition de s’ériger en rivale politique à sa propre échelle. Mais ce registre d’interprétation est plus descriptif qu’explicatif. Et s’il décrit bien les emprises toujours visibles de l’ancien régime maoïste, il est moins à l’aise pour rendre compte de ce qui échappe à celui-ci. Face à ces évolutions, il ne peut raisonner qu’en termes de contrôle, de résistance sociale ou de contestation, et d’affaiblissement ou de violence du pouvoir. Ces aspects ne sont pas négligeables. Convient-il pour autant d’en faire les clés de la Chine d’aujourd’hui, comme si, au fond, rien n’avait changé ? Ce paradigme n’analyse pas les rapports entre les instances dont il constate la coexistence et ne voit pas que, dans ce rapport, le communisme évolue lui aussi et fait évoluer les forces sociales ainsi que les institutions.

6C’est justement à l’étude de ces évolutions qu’est consacré cet essai. À l’évidence, les paradigmes établis peinent à saisir la Chine dans son devenir particulier. Pourquoi ne pas délaisser les catégories pour regarder les processus ? C’est d’ailleurs à ce salutaire travail d’examen du réel que s’emploient nombre de spécialistes. JeanLuc Domenach, dans une synthèse à laquelle je ne puis que renvoyer, faute de pouvoir reprendre ici la richesse des informations et des nuances qu’elle contient, se garde d’assigner un sens à la transition « post-totalitaire » qu’il décrit [1]. Je voudrais, pour ma part, tenter de comprendre l’énigme qui vient d’être posée en suggérant de n’en chercher la clé ni dans les transformations économiques ni dans l’évolution sociale, encore moins dans une « nature » du pouvoir, mais dans une histoire de la construction de l’État.

7L’hypothèse que je vais développer s’efforce d’aller au-delà du constat de la persistance en suggérant que le pouvoir est demeuré le moteur stratégique du changement tout en s’adaptant aux transformations qu’il a voulu mettre en œuvre dans la société. Son mode d’intervention sur celle-ci a changé, mais ses interventions sur le social et sur lui-même sont restées décisives. Dans la période actuelle, le régime compose avec des forces sociales, des idées et des normes étrangères à son projet initial, sans se décomposer pour autant, en y trouvant même les moyens d’une recomposition, dont le chantier décisif est la transformation de l’État et des tâches de l’État.

8N’opposons pas à cet horizon étatique une révolution maoïste qui se serait faite contre l’État. Elle fut, dès les années 1940, avant même la prise du pouvoir au niveau central (en 1949), une révolution par l’État, un processus de transformation et d’organisation de la société (d’abord de la société rurale) au cours duquel le noyau révolutionnaire jeta les bases de l’État totalitaire en même temps que les fondements de la politisation forcée de la société. La trajectoire de pouvoir du communisme en Chine s’inscrit en priorité dans une histoire de l’État, caractérisée au présent par le dépassement de la phase révolutionnaire et par l’institutionnalisation d’une post-révolution, en sorte que l’acteur historique de la révolution chinoise – l’État communiste – reste celui des réformes denguistes et post-denguistes. Histoire non cyclique, car si, par certains aspects, elle retrouve au stade post-maoïste sa pente pré-communiste – celle de l’empire, mais aussi les jalons d’une construction étatique post-impériale et d’une formation sociale moderne posés durant la première moitié du xxe siècle –, la « masse » de l’État, ses structures et ses modes de fonctionnement sont encore directement hérités du maoïsme ou réformés à partir de son socle. L’idée reçue d’un retour du passé, d’un cycle faisant succéder la tradition à la révolution, est par là même renvoyée à son caractère fantasmatique : la Chine d’aujourd’hui se trouve dans une histoire visitée par la révolution et par le communisme, qui y ont laissé plus que des traces.

9Insister sur la forme de l’État ne limite pas l’angle de vue à ses seules transformations. Celles-ci ne se comprennent qu’en relation avec l’ensemble socio-économique et culturel. Mais il est vrai que cette perspective met l’accent sur un déséquilibre durable. Les clés de l’évolution sont détenues par l’État et non par les acteurs sociaux, quoique la structure étatique soit traversée et déformée par des pratiques sociales non voulues par le pouvoir. En cela, la formation étatique diffère de la construction de l’État. Cette différence joue un rôle essentiel dans la Chine d’aujourd’hui, ainsi que dans l’analyse. Elle mérite d’être explicitée. La construction étatique est un processus conscient, volontaire, voire volontariste, qui tend à organiser des moyens d’intervention sur la société et à réorganiser les forces sociales à cette fin, en les contrôlant directement et lourdement (dans la configuration totalitaire de l’État), ou en encadrant leurs interactions au moyen de normes et d’institutions. À l’inverse de ce processus dirigé, le terme « formation étatique » désigne la fabrication de la société par elle-même et les implications politiques de cette fabrication, que celle-ci résulte de processus sociaux entièrement autonomes par rapport à l’État, ou qu’elle soit l’effet d’initiatives étatiques. Le terme « formation étatique » met donc l’accent sur l’hétérogénéité des acteurs sociaux et de leurs actions par rapport à l’État « construit » (en ce sens, les agents de l’État agissent à l’instar d’acteurs sociaux). On voit par là que les incidences politiques d’une formation sociale en mouvement ne doivent pas être ramenées au seul cas d’une capacité politique de la société, terme qu’il convient de réserver à une formation sociale autonomisée par rapport à l’État. À côté d’une telle politisation de la société – une société que l’on peut vraiment dire civile, comportant des actions dirigées non par l’État mais par des acteurs de la société elle-même –, il y a place, dans l’histoire, pour le travail plus diffus des forces sociales. Ce « travail » ne se limite pas à diverses formes de résistance ; il peut s’agir aussi de la pesée spécifique des processus économiques, d’une nouvelle forme de stratification sociale et de leur prise en compte par les acteurs de l’État, indépendamment d’un éventuel projet idéologique a priori.

10Des résistances et de telles pesées existent dans la Chine d’aujourd’hui, mais ni les nouvelles élites économiques et professionnelles, ni les groupes sociaux fragilisés ou frustrés par les réformes (tels les chômeurs urbains, les ruraux installés de façon précaire dans les villes et nombre de paysans excédés par les abus des cadres), ni les intellectuels, ni les opposants sectaires de Falungong ne peuvent prétendre à une vraie capacité politique, qui reste l’apanage du pouvoir. Entre les mains de celui-ci, cette capacité ne se limite pas à du contrôle, à de la répression et à la jouissance des fruits de la modernisation. Au-delà du système de domination, qui est certes toujours en place, y compris sous ses traits répressifs, se profile une stratégie de construction étatique qui redistribue les domaines de l’intervention du pouvoir sur le social ainsi que les modalités de cette intervention, en sorte que la société évolue elle aussi dans ses formes et dans ses institutions.

11C’est dans cette perspective que prennent place deux phénomènes capitaux des années 1990 : d’abord la réaffirmation de l’État central contre la montée des forces centrifuges, « libérées » par les réformes des années 1980 ; ensuite, la décollectivisation des villes et l’amplification de l’exode rural. Si importantes que soient leur portée économique et démographique, ainsi que leurs conséquences sociales immédiates, auxquelles s’arrêtent la plupart des observateurs, la restructuration du secteur d’État et l’ouverture relative des frontières statutaires qui isolaient le monde rural depuis les lendemains du Grand Bond revêtent une signification bien plus considérable. Elles ne sont rien moins que l’un des moyens et le signe avant-coureur le plus symbolique d’un repositionnement fondamental de l’État par rapport au social dans une Chine où des inégalités socio-économiques et régionales plus accentuées se déploieraient sur un paysage statutaire moins différencié. Commençons par prendre la mesure du tournant post-collectiviste.

Une Chine post-collectiviste : la fin du contournement des villes

12Jusqu’à ces dernières années, les interrogations sur la survie du communisme en Chine étaient largement prématurées et outrées, car elles méconnaissaient un fait capital : le maintien du salariat socialiste, niché au cœur des villes dans la structure alvéolaire des danwei, les unités de travail (et de vie) constituées autour des entreprises d’État et chargées de redistribuer aux ouvriers titulaires les privilèges matériels que leur valait leur appartenance à l’État ouvrier. Contournant ces bastions [2], les réformes ont changé l’environnement économique des entreprises ; l’État n’en est pas moins demeuré, de très loin, le principal employeur et le principal pourvoyeur d’emplois urbains. Les mesures destinées à desserrer ce lien ont été différées, émoussées ou détournées. Depuis le milieu des années 1990, et surtout depuis 1997, le cordon ombilical de l’État ouvrier est en train d’être coupé. La restructuration du secteur d’État a moins progressé par la réorganisation de la protection sociale, l’extension du droit du travail et le reclassement des chômeurs (j’y reviens ci-dessous) que par la mise à pied massive des titulaires des danwei. Parallèlement, l’industrialisation et l’urbanisation des campagnes péri-urbaines et l’afflux de migrants ruraux au statut précaire dans les anciennes forteresses urbaines ont développé et légitimé de nouvelles formes d’emploi et conféré un profil nouveau au travail salarié. C’est donc bien d’une décollectivisation qu’il s’agit, et de la fin du contournement des villes, longtemps tenues à l’abri des effets de la réforme. Décollectivisation est préférable à privatisation. Si nombre de petites et moyennes entreprises d’État sont transférées à des gérants ou même à des propriétaires privés, le capital des grandes entreprises reste public. Il s’agit plus d’une marchandisation de la relation entre l’entreprise et l’État que d’une privatisation, à moins de donner à ce terme un sens sociologique et historique qui concerne l’État et le social plus que le statut juridique des actifs. Suivant cette définition large, l’entrée du ci-devant secteur d’État dans le périmètre de la marchandisation revêt la même signification que la décollectivisation au sens socio-politique du terme : la distinction durable entre noyau et périphérie s’efface pour faire place à un système fondamentalement unique.

13À la faveur du contournement des villes, les campagnes ont pu être décollectivisées, les provinces côtières largement ouvertes et la société urbaine elle-même a pu se moderniser sans que le régime perde ses équilibres fondamentaux. Le maoïsme réel était la quille du navire. Il le dotait d’un poids spécifique, d’une armature normative et d’un substrat sociologique qui dépassaient le symbolique et fondaient l’idéologie. La gouvernementalité communiste elle-même s’enracinait et s’exerçait dans la segmentation et dans l’indifférenciation du social qu’organisait le système des danwei. Ces segments n’étaient pas les espaces d’une émancipation communautaire minant de l’intérieur l’édifice communiste ; ils étaient les lieux clos et nullement isolés d’une domination. Celle-ci, du reste, persiste à l’heure même du démantèlement de l’institution. Les ouvriers mis au chômage sont traités en fonction de la position qu’ils occupaient dans la hiérarchie interne des danwei et dans la hiérarchie entre danwei[3] ; leurs protestations sont compartimentées dans leurs univers sociaux (et, de ce fait, d’autant plus aisées à contrer, contrôler, voire réprimer). S’ils s’adressent à un État protecteur et arbitre de leur destinée, en tant que représentants de la classe symboliquement exaltée, la classe ouvrière n’existe effectivement qu’au travers de sa segmentation. Celle-ci ne doit pourtant pas masquer un fait essentiel. Compte tenu de la prééminence des villes dans le système global et compte tenu de la prééminence des ouvriers salariés d’État dans le tissu urbain, l’État ouvrier était l’un des pivots centraux du dispositif d’ensemble ; par lui, le pouvoir produisait la société au sens socioculturel du terme, en même temps qu’il la dominait politiquement [4].

14Deux présupposés glissés dans l’analyse qui précède doivent être explicités. Quoiqu’il uniformise et écrase la société par la réquisition politique (allant jusqu’à la terreur), un régime totalitaire possède des articulations extra-politiques – des macro-articulations distinctes de la segmentation et de la socialité communautaire qui viennent d’être mentionnées. Ces grandes articulations sont sociales et géopolitiques. Ressources et pouvoirs sont inégalement distribués et organisés ; il en est résulté, en Chine, une carte différentielle des implantations du régime, de ses succès et de ses échecs, sur laquelle s’est superposée la carte des réformes : elles ont exploité ses marges organisationnelles et territoriales en contournant ses points les plus forts ou les moins usés. En épousant ces articulations, le régime réformiste demeurait substantiellement socialiste. Au-delà des querelles qui finirent par opposer différents secteurs du pouvoir sur le sens et sur la portée des réformes (le plus connu de ces clivages étant celui qui finit par opposer les « conservateurs », avec Chen Yun, aux partisans de la réforme, avec Deng Xiaoping), ce solide ancrage maintint un lien politique essentiel en même temps qu’un équilibre social. Si l’on veut bien admettre que les régimes totalitaires ne sont pas uniquement des organismes politiques, mais qu’ils possèdent une épaisseur et des respirations sociales, il n’apparaîtra pas outré d’affirmer que le contrôle approfondi d’une mince portion du territoire et de la population – les villes et la partie de la population urbaine qui était directement rattachée aux financements centraux – ancrait socialement la domination politique à l’échelle de l’ensemble et qu’à partir du moment où le régime préservait ses techniques de pouvoir et ce pivot central, tout ou presque tout aux alentours pouvait changer.

15Reprenons par son envers ce point capital. Du point de vue des réformistes de 1978-1979, les campagnes, en tant que territoires et organisations de structure maoïste, étaient une marge, parce que la collectivisation y avait été « aménagée », selon le mot de Claude Aubert – le régime avait dû passer avec la paysannerie des compromis qui laissaient deviner la vigueur d’une économie familiale prête à resurgir –, et parce qu’au sommet du pouvoir les tenants du collectivisme se comptaient dans le camp vaincu des ultras du maoïsme, alors que les diverses chapelles de la nébuleuse réformatrice s’accordaient pour passer les communes populaires par pertes et profits. Même s’ils ont admis par la suite, non sans quelque complaisance « populiste », qu’ils furent (agréablement) dépassés par les paysans, les dirigeants anti-maoïstes donnèrent le coup d’envoi de la décollectivisation. La paysannerie bougea parce que le centre bougeait ; elle balaya les résistances de l’encadrement local, sur lequel le centre n’avait pas prise et qui n’étaient pas ses clients directs, ni, a fortiori, ses soutiens politiques. En somme, le collectivisme rural était devenu marginal ou périphérique aussi bien dans les programmes stratégiques du pouvoir post-maoïste que dans le rapport des forces. Il était logique et relativement aisé de sacrifier cette marge sur les autels de la modernisation, dès lors que le pivot urbain demeurait à l’écart de la décollectivisation. Celle-ci n’eut pas lieu dans les campagnes parce que les paysans l’arrachaient à un pouvoir affaibli. Le mouvement de décollectivisation dément cette interprétation excessive, dans sa forme comme dans son histoire. Il fut disséminé, à l’image d’un monde rural compartimenté dans ses micro-univers sociaux et institutionnels, et par là même inoffensif dans la perspective politique qui lui était ouverte [5].

16La décollectivisation urbaine lui ressemble en cela, mais en cela seulement. Dans les donjons du socialisme industriel, il n’existe pas de classe ouvrière prête à rejeter le salariat socialiste pour occuper la place. L’extinction du collectivisme urbain est un événement à la fois plus complexe et plus décisif que ne le fut l’extinction du collectivisme rural, non parce qu’elle inaugure un mouvement social qui contesterait l’initiative du changement et du mouvement que s’est arrogée le pouvoir, ni parce qu’elle agrandirait soudainement le domaine de la propriété privée, mais parce que, pour la première fois, le noyau social et normatif de l’ancien système communiste est remis en cause non plus à la marge ou dans ses fonctionnements, mais dans son principe même. Il est statutairement banalisé, et la ville avec elle, par des réformes centrales enfin suivies d’effet et par l’exode rural. Du fait de la jonction et de l’amplification de ces deux changements décisifs, ce ne sont plus des marges décollectivisées ou non collectivistes qui sont ajoutées au système de la collectivisation ; c’est la Chine tout entière qui change de système et devient post-collectiviste.

17Il est fréquent de lire que la périphérie chinoise – le Sud, le commerce, voire les campagnes, en tout cas les activités non étatiques – a pris la place du centre : le Nord, la bureaucratie… Dans cette perspective, on peut ajouter que, renonçant à tout projet social, le régime communiste déserte ce qui fut son domaine d’intervention par excellence et exploite sa rente de situation afin de capter les nouvelles richesses. Sans doute cette interprétation est-elle confortée aujourd’hui par la brutalité du changement dans les vieux bastions industriels et par le fait que la généralisation et l’accélération soudaines du désengagement de l’État, après tant d’années de contournement protecteur, ne sont pas compensées par un réengagement aussi déterminé. Les travaux consacrés aux chômeurs du secteur d’État, aux migrants, aux protestations ouvrières, nouveautés de l’heure présente, se multiplient comme foisonnaient, il y a vingt ans, les études sur les nouveautés rurales et les zones économiques spéciales. Ces études soulignent avec un bel ensemble la naissance d’une nouvelle pauvreté, d’un monde d’exclus (là où se déployaient les avantages de sous-privilégiés : les ressortissants des danwei recevaient une portion congrue tandis que les paysans étaient globalement privés de ces maigres privilèges). Beaucoup de ces enquêtes, comme celles d’il y a vingt ans, pèchent par leur perspective unilatérale et par l’absence de prospective. Comment apprécier l’avenir de l’emploi industriel, du travail salarié, sans contextualiser ces transformations, sans évoquer la croissance du secteur non étatique, celle des activités tertiaires, et, bien évidemment, l’inégale répartition géographique des pertes et des gains [6] ? Ne risque-t-on pas, comme ce fut le cas dans les années 1980 à propos de l’État, de prendre une phase de désengagement pour le fin mot de l’histoire ? Ne convient-il pas de suggérer qu’au contraire la généralisation de la décollectivisation va changer les modalités du rapport entre l’État et la société ? Le retrait de l’État prélude, selon toute probabilité, au redéploiement de ses structures et de ses emprises sur la société. S’il est vrai que pendant ces vingt dernières années le réengagement de l’État – qui fut pourtant marqué, au cours des années 1990 – a pu manquer de fermeté et laisser planer des interrogations sur sa forme, précisément parce que la décollectivisation contournait le secteur urbain, essentiel à la forme de l’État, le glas du collectivisme « central » ne pourra manquer d’entraîner, à terme, une mutation de la société et du mode de relation du pouvoir avec la société. À la domination de celle-ci par un pouvoir écrasant et total, accomplissant lui-même l’essentiel des fonctions sociales et économiques, succéderait un mode de contrôle reposant davantage sur des dispositifs institutionnels permettant de régler le jeu de forces sociales qui ne seraient plus l’émanation directe de l’État. Ainsi pourrions-nous assister à la genèse d’une nouvelle formation historique, dans laquelle l’institutionnalisation de la société prendrait le pas sur son absorption dans l’État totalitaire.

18Cette orientation se dessine d’ores et déjà et fait l’objet de vifs débats internes dans la perspective des échéances de 2002. Il ne s’agit pourtant pas d’une question nouvelle, qui se poserait de manière inédite aux successeurs de Jiang Zemin. Deng Xiaoping l’avait rencontrée sur son chemin dès les années 1980, mais tout son art consommé de la politique avait consisté à l’éluder, à la contourner. La vraie question n’est donc pas celle de la forme de l’État, mais de savoir s’il sera possible encore de ne pas tirer les conséquences, pour l’État, des changements intervenus dans la société.

Quelle reconfiguration pour l’État et le social ?

19Deng Xiaoping souhaitait une généralisation de la réforme ou, plus exactement, une diffusion élargie de la croissance et de la « petite prospérité » qu’il avait promise à son peuple. Mais il a ménagé les articulations politiques et sociales du régime au point non seulement d’avoir défendu celui-ci dans le sang, en 1989, mais d’avoir toujours reculé devant une réforme approfondie de l’État. Certes, dès les années 1980, les pratiques de la période maoïste et quelques institutions furent réformées, en des changements qui eurent une grande portée. Ainsi le régime a-t-il retrouvé (ou fait mine de retrouver) les institutions qui étaient les siennes avant la période du Grand Bond en avant et de la Révolution culturelle [7]. Mais si Deng acceptait la réforme du système, sans les contraintes que lui assignait un Chen Yun (pas de corruption, pas d’affairisme, préservation de l’intégrité idéologique du communisme dans la société tout autant que dans le Parti), il ne voulait pas d’une systématisation de la réforme, même lorsque celle-ci, comme avec le programme lancé par Zhao Ziyang en 1987, mettait l’accent sur une stratégie autoritaire de modernisation guidée par la réforme de l’État, en donnant la première place au pouvoir en tant qu’acteur du changement. Ce programme dit « néo-autoritaire » signalait un besoin : celui d’un État moderne capable d’institutionnaliser la modernisation.

20Tout d’abord empêché par la crise de Tian’anmen, le patriarche préféra en contourner l’exigence lorsqu’il parvint à s’extraire de ses alliances conservatrices et à relancer les réformes, en 1992. Sous l’égide de Jiang Zemin et Zhu Rongji, le programme néo-autoritaire refait alors surface, désormais associé à une lutte plus visible contre la corruption et à une réaffirmation du pouvoir central face aux localités et aux provinces, notamment en matière fiscale. Il peut mettre à son actif le recrutement et la promotion au sein du Parti et dans l’administration de professionnels spécialisés dans les nouveaux domaines d’expertise (finance, gestion, relations internationales, gestion locale, etc.). Il peut surtout se targuer du refroidissement de l’économie, surchauffée par la relance politique de 1992 (la relance de la croissance avait précédé celle des réformes et l’avait permise). À vrai dire, pourtant, la stratégie profonde consiste à rétablir l’autorité de l’État bien plus qu’à moderniser les modalités de ses interventions. Exemple significatif, la mise en forme juridique de la société et de l’économie, en progression dans les codes, laisse subsister de vastes lacunes de non-droit ou de droits non appliqués – là où prévalent les normes socialistes. Elle se heurte aussi aux pratiques d’une société historiquement peu mise en ordre par des règles de droit civil.

21Le coup de semonce de 1989, qui rappelle aux provinces et aux potentats locaux la réalité du rapport des forces ; l’ouverture de Shanghai, qui place sous la tutelle de Pékin (où figure désormais un solide contingent de « shanghaiens ») l’entrée dans la réforme d’une pièce maîtresse de l’échiquier chinois (sur le damier de l’ancienne production économique et de l’ancien mode de production du social) ; la tutelle directe exercée sur le dossier de Hong Kong et sur la ci-devant colonie, ainsi qu’une réaffirmation constante du pouvoir central, à la faveur d’une politique pragmatique, dans les marches sensibles du Xinjiang et de Mongolie (le Tibet restant tenu d’une main de fer et Taïwan servant de catalyseur nationaliste), sont les éléments les plus visibles d’un recentrage et d’un rééquilibrage composite, destinés à corriger les excès et les ratés de la déconstruction du maoïsme (les années 1980) – et, du même coup, à prévenir un nouvel accès de fièvre sociale ou de poussées centrifuges, bien plus qu’à parachever l’œuvre modernisatrice. La construction de l’État et de la société modernes reste entravée dans les villes (par le sursis accordé à l’État ouvrier, qui survit aux grandes déclarations de 1992) et dans l’État lui-même par les protections, par la corruption et par la stratégie de restauration impériale que Deng Xiaoping lui préfère dans les faits. Ainsi le second Deng Xiaoping – celui de l’après-1989 – est-il parvenu à dépasser le dilemme de sa première période (les années 1980), qui était de trancher entre la déconstruction du maoïsme et l’institutionnalisation de la modernisation. Il a pu, se frayant une troisième voie, dessiner un mode de gouvernement sui generis faisant de la question de l’État une référence idéale (et la chose de technocrates admis aux plus hauts niveaux de l’appareil) bien plus qu’un enjeu politique immédiat.

22Il n’est pas certain que ses successeurs aient répondu plus fermement aux souhaits des modernisateurs. Quelques critiques sur le laxisme de la gestion des réformes, et surtout quelques attaques contre des clients de Deng qui étaient des rivaux potentiels, ont marqué l’ascension de Jiang Zemin. Mais le dauphin s’est gardé de renier son mentor. Laissant la critique à un courant (la « nouvelle gauche ») néorévolutionnaire et anticapitaliste toléré en marge de l’orthodoxie, il a répondu au souci de restaurer la capacité étatique du pouvoir dont il avait fait le fondement de sa légitimité, en donnant à la réforme une forme à peine moins composite que celle du denguisme. Les velléités de recentrage et d’accélération de la décollectivisation urbaine qui marquent le début de son pouvoir personnel coïncident avec la « fenêtre d’opportunité » qui s’est ouverte entre l’atterrissage en douceur de la croissance, vers le milieu de la décennie, et le ralentissement de l’économie lié à la crise asiatique qui assombrit la fin des années 1990. Privée du grand souffle économique attendu, la liquidation du collectivisme urbain s’est entourée de prudences et de délais supplémentaires qui ne lui ont pas évité de frapper brutalement bien des municipalités, mais qui ont retardé d’autant la restructuration d’ensemble qu’elle appelait. Tout en poursuivant la politique amorcée sous le dernier Deng et en favorisant la professionnalisation du Parti et de l’administration, Jiang et son équipe ont pris soin de se démarquer de la technocratie modernisatrice pour édifier un style politique englobant, alliant les préoccupations intérieures d’ordre et de sécurité (avec l’affichage des mesures anti-corruption et sécuritaires) aux provocations extérieures (dans les rapports avec Taïwan et les États-Unis) ainsi qu’au renforcement et à la professionnalisation de l’armée.

23Deng Xiaoping n’avait pas seulement contourné l’establishment urbain, il avait éludé l’exigence d’une modernisation institutionnelle radicale : les deux réticences étaient liées. Comme je viens de l’expliquer, elles le sont restées sous Jiang Zemin, ce qui explique que l’État soit encore si mal dégagé de sa forme ancienne, et que la forme nouvelle qui s’annonce reste lacunaire et parfois indéchiffrable. Pourtant, la remontée des réformes vers le centre et le sommet de l’État apparaît comme un processus inéluctable en raison de la coalescence des réformes centrales, de l’exode rural et de l’unification du terrain social. Au travers d’innombrables décrochements et variantes à l’échelle locale, une logique de globalisation se met en place à l’échelle chinoise. Pour le moment, elle se concrétise en une sorte de nivellement par le bas : les anciens privilèges statutaires s’effacent ; les villes sont traitées comme l’étaient leurs périphéries non étatiques et les marges rurales. Le régime social des campagnes et des poches d’activité non étatique devient la norme commune. Le désengagement prévaut dans les villes comme il est devenu la règle dans les villages, où l’éducation et la santé sont revenues à l’initiative privée. L’ambition d’une refonte de la protection sociale se limite aux salariés des (grandes) entreprises maintenues dans le secteur public. Hors de ce périmètre réduit, la gestion et le financement de l’aide sociale sont confiés aux administrations locales ainsi qu’à des organisations non gouvernementales dûment encouragées. Il est probable que le régime saura jouer de ces différences pour gérer les tensions qu’avivera l’entrée de la Chine dans l’O.M.C., comme il a su déjà établir des régimes différenciés selon les catégories et les lieux, afin de diluer le mécontentement qu’entraîne la liquidation de l’État ouvrier. L’unification du terrain social par le marché de l’emploi ne vaut et ne vaudra pas égalisation des conditions. Mais ces distinctions ne seront plus fondées sur des statuts ancrés dans l’histoire révolutionnaire, comme l’étaient celles qui structuraient l’État ouvrier. Allons plus loin. Ne peut-on voir se profiler, dans la perspective de ces inégalités, des relais sociaux en puissance, ainsi que l’annonce de modèles de gestion de la société, non moins inégalitaires mais différents dans leurs modalités ? Si l’on prête attention à des processus qui sont encore à l’état naissant, ainsi qu’à un spectre plus large des interventions sociales de l’État, on ne peut exclure la perspective d’un réengagement étatique sur le terrain même qui semble si délaissé aujourd’hui.

24Avec l’extinction du collectivisme urbain, l’État, à défaut de se doter des dispositifs de remplacement qui prendraient en charge les chômeurs et les salariés, se positionne en fonction de tâches et d’acteurs qui n’étaient pas celles et ceux de l’État ouvrier. Le meilleur exemple est sans doute l’extension du champ contractuel et de sa régulation juridique dans l’univers du travail [8]. On lit souvent, notamment sous des plumes chinoises, que les réformes créent une « marchandisation » de la société (littéralement, une « société de la marchandise », shangpin shehui) : les domaines autrefois couverts par les répartitions et attributions opérées entre les danwei et au sein des danwei (logement, santé, loisirs collectifs, voire retraite, assurance maladie, etc.) sont remplacées par des échanges marchands et / ou contractuels. En réalité, sous couvert d’une progression des rapports marchands, c’est une étatisation des rapports sociaux qui se fait jour, dans la perspective de nouvelles structures de l’État. Celui-ci n’impose plus à la société son modèle du « tout politique » (il ne la « produit » plus selon son idéologie) ; il intervient à titre de régulateur et de contributeur. Ses interventions (juridiques, économiques, fiscales, administratives) s’appliquent à des personnes privées dans des domaines qui rapprochent l’État des fonctionnements de la société et des intérêts des acteurs sociaux. En quelque sorte, comme le suggère Jean-Louis Rocca, l’État chinois se banalise [9].

25Il ne produit plus le social dans son optique propre ; il tend à institutionnaliser la société pour elle-même. L’étatisation des rapports sociaux remplace la mobilisation politique. Par là, les enjeux de la reconfiguration de l’État dépassent ceux de la modernisation économique et de la question du travail, si important et central qu’en soit le chantier. De la gestion du territoire à la gestion du patrimoine ou de l’eau, en passant par l’équipement, l’habitat et mille autres chantiers, l’État chinois, à tous les niveaux, s’emploie de manière active à gérer, codifier, édifier, développer et à sélectionner ses domaines d’intervention. On ne saurait comprendre la Chine d’aujourd’hui et la persistance du Parti au pouvoir si l’on méconnaît ce pan moins visible de son action, en pointant seulement la répression et la pénétration des processus marchands ou l’abandon du projet social lié au collectivisme.

La réforme de l’État

26Sous cet angle nouveau, les incertitudes touchent à trois points essentiels : la réforme de l’État stricto sensu, au sens des dispositifs effectivement mis en place et mobilisables (par exemple, le nombre et la productivité de ses agents, sa capacité à construire une logistique efficace de la régulation juridique et de la protection sociale) ; l’évolution des élites ; le modèle social.

27L’actualité laisse deviner, dans les ruines de l’État ouvrier, ce que serait un pacte social minimaliste, reposant sur un mode indirect de gestion du social et une institutionnalisation juridique partielle de la société. Un État social de plein exercice appellerait non seulement de grands et coûteux efforts dans l’installation de dispositifs d’encadrement universels – la logistique de la protection sociale, qu’il faut faire sortir de l’entreprise-danwei, n’en est encore qu’à ses balbutiements. Il supposerait surtout le jeu libre de partenaires sociaux autonomes. En dehors même des évidentes contraintes politiques, l’actuel profil segmenté de la société chinoise ne rend guère probable à court terme une restructuration en profondeur qui distribuerait les activités et les appartenances des individus entre des champs sociaux dont la spécialisation et la différenciation sépareraient le privé du collectif, le politique de l’économique, du religieux et du social, en permettant aux individus de circuler socialement dans des sphères plus larges et plus ouvertes que les cercles communautaires étroits de la tradition impériale et de la néo-tradition maoïste.

Les nouvelles élites

28La transformation et la différenciation des élites s’inscrivent dans cette perspective problématique. Avec la question du travail, c’est un autre aspect décisif de la stratification sociale, que le régime surveille de très près. La glose officielle de la théorie des Trois Représentations, qui résume l’ambition institutionnalisante de Jiang Zemin (j’y reviens ci-dessous), enregistre l’émergence des couches sociales nouvelles liées aux progrès et à la diversification de l’économie – entrepreneurs, managers, techniciens du secteur non étatique, des nouvelles technologies –, tout en constatant le déclin des forces productives archaïques, symbolisées par les industries lourdes et l’ancien monde ouvrier. Et en taisant les liens du pouvoir et de l’économie, qui entravent la constitution d’élites substantielles en dehors de la bureaucratie. L’ambition déjà ancienne de coopter les meilleurs éléments de ces strates nouvelles à l’intérieur du Parti est reprise et amplifiée. Dans les années 1980, il s’agissait de renverser l’ouvriérisme maoïste en cooptant les chercheurs, les techniciens et les dirigeants des entreprises d’État. En 1987, au moment du XIIIe congrès du Parti, qui était placé dans la perspective modernisatrice de Zhao Ziyang, la presse avait fait grand bruit autour de patrons du secteur privé qui se proclamaient bons communistes. Mais la porte du Parti ne s’était guère ouverte qu’à l’intelligentsia technicienne. La politique actuelle est plus ambitieuse et peut sans doute compter sur des spécialistes plus nombreux et sur des élites économiques plus étoffées. Pourtant, l’emprise durable du système étatique sur la société limite ces intentions. À la fin de l’époque impériale, sous la dynastie des Qing, les dispositifs bureaucratiques de la domination politique et de la gestion du social s’appliquaient à une société qui était parvenue à se constituer et à se différencier en dehors du système officiel, quoique celui-ci restât essentiel à sa reproduction par le biais de la maîtrise qu’il exerçait sur le capital culturel. La Chine d’aujourd’hui est encore éloignée d’une telle configuration. Ainsi, la délégation de l’aide sociale met en jeu les articulations du régime lui-même (les administrations locales) à côté de structures issues de la société, alors que l’État Qing put compter sur d’actives élites locales pour prendre en charge une bonne part des coûts et de l’organisation de l’enseignement et de l’équivalent pré-moderne de la protection sociale (le stockage préventif et la distribution de grains en cas de disette ou de famine). Le déclin de l’esprit public n’est pas seul en cause : il était dénoncé aux xviiie et xixe siècles comme il l’est de nos jours. Survivant à la révolution et à la sortie du maoïsme, la trace de Mao ne se voit nulle part plus clairement que dans ce fait sociologique : au niveau crucial des élites, l’État-système l’emporte encore sur la société organique.

29Ce déséquilibre, issu de la révolution, survivra-t-il dans la phase post-collectiviste et postrévolutionnaire ? Le rapport des forces n’est pas seul en cause. Les changements dans l’État conditionnent et sont conditionnés par le devenir des élites. Le propre de la nouvelle phase consiste à étoffer et à étager une société complète, l’enjeu consistant non plus à laisser exister des marges sociales d’un modèle étatique tout en ne leur accordant qu’une reconnaissance minimaliste de la part de l’État, mais à exercer une hégémonie sur l’ensemble social en tant qu’il est constitué hors des emprises totalitaires du pouvoir. C’est bien ce qu’annonce la théorie des Représentations lorsqu’elle ouvre la perspective d’une cooptation de nouvelles élites au sein du Parti. Celui-ci, certes, se réserve le pilotage politique de l’opération, mais l’on doit remarquer qu’elle exige aussi qu’il s’y adapte, sous peine d’étouffer sa stratégie d’institutionnalisation des forces sociales. Le moyen terme consiste à renforcer l’État régulateur et les élites de l’État afin d’équilibrer la pesée des élites économiques et le poids résiduel de l’ancien système de domination : derrière la stratégie de cooptation des nouvelles élites, qui regarde le Parti, se profile une redistribution des tâches entre le Parti et l’État, fer de lance des modernisateurs depuis le programme avorté de Zhao Ziyang en 1987. On conçoit le désarroi de certains intellectuels qui ne voient pas dans cette évolution la promesse d’une société civile enfin diversifiée qui ferait écho à leurs préoccupations, mais bien la fin du duo et du duel qui fit longtemps des intellectuels les seuls témoins et porte-parole d’une autre idée de la société – d’une société virtuelle – face à celle que créait le Parti. Et l’on voit qu’il est insuffisant d’invoquer la montée d’une classe moyenne pour décrypter l’avenir. La stratification sociale en est un paramètre essentiel, mais à travers le prisme de la restructuration de l’État et de ses élites au sein des nouvelles couches dominantes. Pour l’heure, la société reste infirme dans le sous-dimensionnement de ses élites non bureaucratiques comme dans ses formes fondamentales. Est-il besoin d’ajouter que le caractère fragmentaire des protestations, qui a rendu exceptionnel et conditionné par les divisions du pouvoir tout mouvement social de vaste ampleur, est intimement lié à ces infirmités ?

Villes et campagnes

30La reconfiguration de l’État et de la société reste d’autant plus en suspens que l’unification de la ville et de la campagne est loin d’être acquise. Même si l’exode rural a déplacé une frontière historiquement peu mobile, l’immense Chine non urbaine continue de peser d’un poids spécifique et considérable. Ce poids est celui d’une société disséminée, comme nous l’avons vu, mais qui a recouvré son caractère pour ainsi dire autoproduit. Dans les villages sortis des communes populaires depuis le milieu des années 1980, l’agriculture familiale, les structures lignagères et les religions locales sont revenues à l’avant-scène. Pourtant, cette réforme fondamentale a laissé la propriété sous contrôle collectif et placé le commerce des grains sous celui de l’État. Dans le même temps, le pouvoir s’immisçait par le biais du contrôle des naissances dans la sphère d’intimité de la famille restaurée au centre de l’activité. D’une façon générale, les contrôles qu’exercent encore l’État et ses agents sont bien plus que résiduels : ils ont eu pour effet de consolider l’emprise des pouvoirs locaux qui, eux, ont accès à la terre et à l’entreprise. L’encadrement local a maintenu ou reconquis ses positions en s’accrochant à la gestion administrative et, surtout, dans les régions côtières, en se consacrant au développement économique. À travers d’innombrables variantes, le relais a été pris par des structures locales de pouvoir au niveau desquelles s’accumulent puissance institutionnalisée, contrôle des ressources et influence. Aussi le socle politique de la réforme rurale s’est-il déplacé au cours des années 1980, de la convergence initiale des objectifs à court terme des dirigeants réformateurs et des paysans à un compromis passé par les premiers avec la couche dominante des villages. Mais cette configuration, qui a résisté peu ou prou à la grande secousse – exclusivement urbaine – de 1989, dut être revue dans les années 1990, en raison de l’exaspération des villageois frappés par les exactions fiscales des autorités locales. La cause principale de ces excès, qui épargnent les régions les plus développées, est l’insuffisance des ressources budgétaires légales au regard des tâches confiées aux administrations locales. En cela, le phénomène de la taxation illégale, qui est devenu l’un des premiers soucis du gouvernement central, rappelle moins la prédation sans foi ni loi des Seigneurs de la guerre que les dysfonctionnements structurels de l’administration impériale sous les Qing, trop chiche, elle aussi, en dotations budgétaires.

31La dérive des pouvoirs locaux a incité le pouvoir central à réinvestir la Chine rurale en nouant avec la société villageoise des relations politiques, afin de faire pression sur l’encadrement tout en évitant ou en minimisant les explosions de mécontentement. Les élections villageoises, qui sont le principal moyen de cette authentique politique de reconstruction étatique, ne sont nullement un premier pas en direction de la démocratie. Elles ressortissent à une stratégie visant à politiser de manière éclatée et contrôlée la relation entre deux forces antagonistes à l’échelle locale, afin de renforcer l’autorité de l’État central dans sa fonction d’arbitrage. Cette politisation au bénéfice de l’État d’une société segmentée en situation de domination s’inscrit dans le droit fil historique de la construction politique du communisme chinois dans les campagnes, de la politique des élections locales, à l’époque de Yan’an (1937-1945), aux mouvements de rectification des cadres ruraux qui ont régulièrement ponctué la vie du régime avant la décollectivisation. Le régime communiste chinois possède dans ses gènes historiques la notion qu’il est essentiel d’intervenir à l’échelle locale. La différence est dans le contexte. L’État ne fait plus entrer la politique au village afin de prendre possession de la société avant de la plier à son projet idéologique ; il la fait rentrer sur le terrain de la morale publique, afin de mieux asseoir son autorité face à une société qui n’est plus son reflet. Ira-t-il plus loin, comme certains lui en prêtent l’intention dans la perspective du prochain congrès du Parti, en élevant l’horizon électoral au niveau du district (xian), ce qui pourrait annoncer une jonction du processus rural de la reconstruction politique avec des processus urbains, qui restent à inventer, et entraîner un élargissement des sujets du débat politique ? Autrement dit, la construction étatique rurale, qui possède pour l’heure un caractère essentiellement conservatoire, évoluera-t-elle en fonction de l’ensemble ? À tout le moins, une affirmation grandissante de la modernisation étatique et sociale ne pourrait manquer de s’en prendre à la classique frontière villes-campagnes. Quel pourrait être, dans cette perspective, le rôle des hommes de pouvoir local ? Resteraient-ils des hommes du pouvoir ? Grandes questions, graves questions, dont on perçoit à certains indices qu’elles sont rudement débattues en coulisses.

32La dimension nationale est, de toute évidence, l’élément le mieux affirmé de la construction étatique des années 1990. Les analyses qui précèdent montrent qu’elle n’en est pas le seul, même si le nationalisme officiel a pu se déployer sans les contraintes qui pèsent sur la restructuration de la société et de l’État. Encore le champ n’est-il pas entièrement libre. L’ambition de fonder un État-nation politique, englobant les « minorités nationales » et les traditions historico-culturelles multiples de l’ex-Empire en même temps que les différentes strates de la société, se heurte à de réels obstacles. Ses formulations n’en affichent pas moins la marque univoque d’une intégration nationaliste, porteuse d’interventions de la part du pouvoir, mais dans une perspective affranchie de l’hypothèque révolutionnaire. Ce n’est pas tant la substance de ce nationalisme qui importe ici – je ne dirai rien de ce riche sujet – que la place qu’il occupe par rapport au socialisme. Encore ne faut-il pas réduire cette question au constat, qui devient vite un contresens, d’une prise de relais, l’exaltation de la nation venant au secours d’une orthodoxie marxo-maoïste vidée de substance. La composante nationale n’a cessé d’agir en symbiose avec le communisme chinois : nul besoin d’un relais. Mais elle y fut longtemps enchâssée. Le trait distinctif de la perspective actuelle est que le pouvoir renverse ce rapport pour refonder l’État communiste et accompagner sa transformation : la révolution est mise au service de la nation qui, d’enchâssée dans l’idéologie et la saga révolutionnaires, devient enchâssante, sans que les fondements communistes disparaissent pour autant.

33Dans ce communisme-nation, la substance communiste perdue sur le plan social et politique de la révolution est retrouvée non par quelque nouveau nationalisme, mais par un communisme qui suit le fil de l’histoire. Ce renversement est l’indice capital d’un passage qui résume tous les autres : l’installation du régime post-maoïste dans la post-révolution.

« Adieu à la révolution »

34Quelles que soient les limites imposées à l’institutionnalisation de la société et de l’État par la nature du régime, les pesanteurs du social, les difficultés concrètes de l’opération et les lenteurs de l’histoire, le fait qu’elle se déploie dans un contexte de post-révolution avouée, reconnu comme tel, constitue un élément fort de cette institutionnalisation. Le sens de la transformation est limpide. L’État gère la société en tant qu’instrument de la nation et de la modernisation au lieu de s’en saisir dans la révolution et pour elle. À la fabrication de la révolution et de la classe ouvrière succède l’institutionnalisation de la nation et de la société. Le Parti en reste la source : l’initiative et les modalités de la mise en mouvement et de la mise en forme du social ne proviennent pas d’un élan autonome guidé par des acteurs sociaux ; ils n’ont, nous l’avons vu, ni la latitude ni l’envergure nécessaires. Si les intellectuels-conseillers du pouvoir y jouent un rôle certain (au demeurant à titre de professionnels et d’experts bien plus qu’en tant qu’intellectuels de l’ancienne école), ce rôle est annexe ou, au mieux, connexe.

35Aujourd’hui comme hier, l’État prétend incarner et impulser tout mouvement en tant qu’État tuteur. La « représentation » que l’entourage de Jiang Zemin met en avant n’a rien d’une représentativité démocratique, qui ferait de l’État, par le biais des droits des citoyens, la forme organisée dans le politique de la société elle-même. On conviendra cependant de l’importance du changement. Il n’est pas ce qui sépare un communisme social d’un communisme national, ou l’iconoclasme maoïste d’un retour au passé : il est ce qui distingue l’après-révolution de la révolution.

36Ici encore, le moment actuel est décisif à cause de la convergence des facteurs. Les éléments idéologiques du passage à l’après-révolution ont été posés tout au long des années 1990. Adieu à la révolution, livre qui fit grand bruit, fut publié en 1995 [10]. Auparavant, les cercles intellectuels avaient jalonné le parcours en introduisant des conceptions nouvelles. Cette histoire, qui se rattache à celle du courant néo-conservateur, ne peut être détaillée ici. J’en retiens, dès septembre 1991, la diffusion de l’idée selon laquelle le parti révolutionnaire doit se transformer en « parti de gouvernement ». Alors que le parti révolutionnaire construisait l’État par le moyen d’une destruction radicale de la société, l’État post-révolutionnaire doit adopter un profil plus modeste en adaptant le socialisme aux conditions effectivement présentes du pays et de l’histoire. Ce concept de « situation nationale » rencontre celui de « caractère national » : afin d’éviter la dilution de l’héritage révolutionnaire et national dans l’univers capitaliste-occidental (l’« évolution pacifique du communisme »), l’État s’appuiera sur le patriotisme, sur le potentiel dynamique et rationnel de la culture traditionnelle (dûment sélectionnée) et sur l’expérience utile de la modernité : sciences, technologies, progrès matériel [11].

37Dans les années qui ont suivi, le pouvoir s’est emparé de ces idées sous l’impulsion de Jiang Zemin, en incorporant des éléments traditionnels au legs révolutionnaire et à l’héritage filtré de la modernité du xxe siècle pour synthétiser une nouvelle mouture de la « civilisation spirituelle socialiste » [12]. Un nom manquait à cette synthèse. La théorie des Trois Représentations lui confère désormais celui de « culture avancée du peuple chinois ». Le Parti est censé la représenter, au même titre que les nouvelles forces productives et les nouvelles élites (en lieu et place des vieilles industries et de la classe ouvrière), de même qu’il doit représenter les intérêts de l’ensemble du peuple chinois [13]. Dans la perspective post-révolutionnaire, le fait que la société soit institutionnalisée pour elle-même, en elle-même (fût-ce par le biais de l’État), et non plus instituée pour le Parti et selon le projet du Parti, se marque par la réorganisation du temps historique. Le nouvel État-nation chinois n’est plus l’État de la révolution – une révolution qui avait absorbé dans son tout la Nation et son histoire comme elle absorbait la société ; il est devenu l’État de la Nation chinoise, pour laquelle la révolution maoïste reste un élément déterminant, mais un élément parmi d’autres. Le passé pré-communiste, désormais exalté pour lui-même (et non plus seulement en ce qu’il pouvait préfigurer la geste de Mao Zedong), est une ressource symbolique non négligeable (en même temps qu’un considérable gisement de profits touristiques). La civilisation moderne est d’autant mieux convoquée à ce banquet qu’elle n’est assimilée ni à l’occidentalité ni à la nouveauté : les contributions anciennes de la Chine à son élaboration sont mises en valeur, tout comme l’histoire de la modernité en Chine même tout au long du xxe siècle.

38Il faut prendre au sérieux la rhétorique du pouvoir. Elle fait plus que renseigner sur ses intentions et dévoiler ses ruses. Les acteurs sociaux s’y réfèrent plus qu’on ne le croit. Elle apparaît comme un moyen d’action vital, un élément clé de la gouvernementalité. Aussi bien l’avènement de cette nouvelle théorie n’est-il pas un avatar secondaire dans l’ajustement du legs marxo-maoïste ou un bégaiement de la langue de bois. Pour la première fois, la réalité est nommée sans référence directe au socialisme ou à la révolution. Auparavant, les formules qui avaient permis le progrès graduel des réformes et scellé des compromis politiques incorporaient ces références sous la forme d’un balancement binaire : « socialisme aux caractéristiques chinoises », « économie de marché socialiste ». C’était sacrifier à la bipolarité séculaire des équations de la modernisation inventées depuis la fin du xixe siècle, dans lesquelles le neuf ou le nonchinois emprunté à l’extérieur (désigné par yong, le fonctionnel, l’instrumental) était censé se greffer sur des valeurs ou sur des systèmes anciens et chinois considérés comme moins performants (dans le domaine limité des nécessaires nouveautés introduites), mais tenus pour identitairement supérieurs et éthiquement universels (le ti essentiel ou substantiel). Jiang Zemin rompt délibérément avec cet exercice obligé. Encore contraint par la rhétorique totalisante de Mao, Deng Xiaoping avait commencé par placer ses réformes sous l’invocation d’une « seconde révolution » avant de recourir aux formules parallèles. Retrouvant cette posture unitaire abandonnée depuis lors, Jiang peut à son tour sommer les termes de son action, tout en jouissant de la liberté historique supplémentaire d’inverser le signe de l’histoire. En juillet 2001, le 80e anniversaire du P.C.C. a fourni l’occasion de médiatiser la formule. Mais toute son importance lui vient du fait qu’elle coïncide avec la généralisation de la décollectivisation. Il n’était guère possible de se référer fondamentalement à une fin de la révolution aussi longtemps que les villes n’étaient pas décollectivisées. La théorie des Trois Représentations, de même que la décollectivisation urbaine et l’orientation générale des réformes sont sévèrement critiquées par la nouvelle gauche et par la vieille garde « conservatrice » au sein du Parti. Il n’en reste pas moins que le pouvoir a déplacé les enjeux. Le communisme n’est plus doté d’appendices externes, sources de contorsions idéologiques ; il est reproduit en bloc, et changé par là, dans un rapport nouveau avec son autre. L’avenir de la théorie des Trois Représentations reflétera la fortune politique du « clan » de Jiang Zemin, mais sera aussi l’indice de l’avancement des processus instituant la post-révolution. Dans l’histoire des idées politiques chinoises, cette formulation univoque d’une réalité politique autoritaire réconciliée, au-delà de l’exigence révolutionnaire, avec l’histoire en même temps qu’ouverte sur le monde, signale peut-être la naissance d’un vrai conservatisme. Si l’on tient compte du fait que toutes les tentatives antérieures ont échoué depuis un siècle, l’adieu à la révolution ressemble fort à une révolution !

Le communisme distendu

39Pour comprendre le moment présent, il ne faut pas se contenter d’assimiler le communisme à un reste de l’époque révolutionnaire et les nouveautés induites par les réformes à de simples additifs économiques, sociaux, normatifs et institutionnels. Il faut comprendre le moment présent dans son unité et, pour ce faire, situer ce moment dans une histoire des formes de la domination communiste. À cet égard, le trait essentiel du communisme, en Chine et ailleurs, fut moins sa mainmise sur le politique que, par l’intermédiaire de cette mainmise, la création d’un certain type de société (et d’économie) et de rapport entre le pouvoir et la société. En Chine, l’histoire post-révolutionnaire induit des changements non pas à l’extérieur du communisme, mais dans la forme de la domination qu’il exerce, et dans sa forme même.

40Distendu (qui ne veut pas dire flexible, érodé, corrompu, informel) désigne un mode de gouvernement dont l’unité effective, scellée par la perspective post-révolutionnaire, se compose d’éléments hétérogènes, voire opposés et en tension les uns avec les autres, issus des méthodes classiques du communisme « historique » et des processus institutionnalisants de la post-révolution. L’accent reste mis sur le pouvoir, par le pouvoir, mais celui-ci laisse agir des corps sociaux qu’il ne contrôle plus qu’indirectement sans toutefois leur accorder une pleine reconnaissance ni une entière autonomie. Cette « unité des contraires », pour reprendre une formule maoïste, n’en forme pas moins un seul corps de techniques de pouvoir et d’institutions, de règles normatives et de discours, mais un corps articulé selon des divisions qui nous sont peu familières. Le communisme sui generis n’y est plus tout et ne régente plus tout selon sa loi première. Il est devenu l’enveloppe d’un système dual dont une partie, mais une partie seulement, répond à ses dispositifs originaires, tel qu’il se présenta dans l’histoire, monopolisant le champ social et absorbant la société dans son ordre politique. Ces dispositifs (institutions administratives, techniques de contrôle et de répression, rhétorique publique), toujours présents, toujours actifs, sont désormais orientés dans la perspective post-révolutionnaire. L’État et la société ne sont plus produits par eux (comme ils l’étaient dans la perspective révolutionnaire) ; ils sont formés par les activités socio-économiques et construits par les dispositifs régulateurs de l’État légal et de l’institutionnalisation du social, que le Parti fait siens tout en les tenant à distance et dans une position de subordination normative.

41L’héritage communiste serait ruiné si tout était institutionnalisé et gouverné de ce point de vue – qui pourrait être celui d’un système autoritaire banalisé, dans lequel le communisme ne serait plus qu’une raison sociale et pourrait aisément changer de nom pour s’appeler, par exemple, national-confucianisme. Au stade actuel, il serait inexact de départager les rôles en disant que l’institutionnalisation du social est confiée à l’État légal-rationnel émergent, tandis que le bornage politique et policier revient aux dispositifs totalitaires. Le communisme n’est pas seulement une limite extérieure, encore que substantielle, des institutions légales-rationnelles. Il est reconstruit par elles, grâce à sa situation éminente et aux positions de force qu’il continue d’occuper dans l’ordre du pouvoir et dans celui des normes. Par là, il participe lui aussi à la définition et à la constitution du social, dans la mesure où il entre dans cette rationalisation et la consacre en même temps qu’il en fixe les limites et qu’il l’englobe, en son nom propre, confondu, de par la post-révolution, avec celui de l’histoire nationale entièrement assumée. Le Parti apparaît comme le gardien des normes suprêmes et des limites. Il imprime sa marque sur la postrévolution, en même temps qu’elle lui imprime la sienne. Mais comme il intervient à partir de la posture éminemment politique qui consiste à interdire ou à pouvoir interdire, y compris à la loi, c’est à lui que reviennent la force et l’honneur de la signature. Mystère d’une recomposition ! Les institutions post-révolutionnaires les plus marquées, les plus éloignées de ses origines, sont enchâssées dans l’enveloppe communiste, mais ce communisme n’est pas moins post-révolutionnaire qu’elles ne le sont.

42Le terme distendu se réfère à cette configuration. Alors que le communisme-révolution pénétrait tout, le communisme-nation entre dans un processus de recentrage autour d’un État qui se banalise. Il conserve sa spécificité, tout en s’engageant dans les transformations dont il est le paradoxal vecteur historique, chargé de déséquilibres et de tensions qui travaillent la structure politique [14]. La nouvelle gauche récuse la distension en réclamant une réintégration d’ensemble selon les principes du socialisme ; l’aile technocratique (de tendance plus autoritaire que libérale) souhaite l’extension du champ légal-rationnel jusqu’au recouvrement de l’ensemble État-société, recouvrement qui exigerait, en priorité, de séparer l’État du Parti ainsi que l’unification et la clarification des régimes de propriété. Entre les deux, la position défendue par Jiang Zemin est précisément celle de la dualité interactive, reflet d’une stratégie mitigée de construction étatique et sociale dont nous avons vu, cependant, qu’elle ne recule pas devant le saut post-collectiviste et qu’elle sait afficher une synthèse symbolique proclamant l’unicité de l’action du pouvoir du point de vue de la postrévolution. On ne peut donc affirmer que la fin du contournement (des villes, du legs révolutionnaire essentiel, par les réformes), à cause des intérêts, des prudences et des équilibres qu’elle ménage, ait recours aux techniques du contournement (l’évitement de la modernisation institutionnelle). Dans la gestion de la société comme dans la construction de l’État, la volonté d’une intégration d’ordre supérieur prime sur la dualité des moyens. L’idéologie adéquate de cette position est la théorie du « gouvernement par la vertu ». Ce clin d’œil historique appuyé, bel exemple d’un emprunt au passé dépourvu de toute signification passéiste, illustre la fonction et le fonctionnement rhétoriques de la gouvernementalité. Il ne s’agit pas de supplanter les institutions légales par l’éthique en opposant la vertu à la loi, comme le faisaient les classiques. C’est la hiérarchie de l’englobant et du régulateur qui est en jeu, l’objectif étant de marquer l’enchâssement de l’ordre légal dans un ordre normatif supérieur : le communisme, détenteur de l’héritage éthique de la nation (une moralité constituée historiquement) en sa qualité de représentant de la « culture avancée » du peuple, laquelle, précisément, fait place à l’ancienne tradition du rôle politique prioritaire de la vertu charismatique (aux côtés de la modernité et de l’acquis révolutionnaire) [15]. En un sens plus visible, la théorie du gouvernement par la vertu est liée à la croisade contre la corruption entreprise par Jiang Zemin. Elle défend aussi une position politique « centriste » dans un espace politique moins figé qu’il n’y paraît.

43Il serait tentant de conclure sur une comparaison historique : la Chine de Jiang Zemin ne retrouve-t-elle pas les marques distendues de l’empire Qing ? Cette démarche peut être tentée sur le plan heuristique ; elle suppose un long cheminement, si l’on veut lui épargner le déterminisme [16]. Laissant de côté la genèse, je me bornerai à souligner que le véritable horizon historique des réformes et de la post-révolution n’est pas un passé indistinct, dont on ne pourrait expliquer le poids aujourd’hui qu’à la faveur d’une improbable rémanence culturelle, mais bien le système tendu du maoïsme, auquel Deng Xiaoping est parvenu à arracher la Chine. C’est la construction étatique du maoïsme qui fournit les clés de la réforme. Les monographies consacrées à ses commencements ruraux, dans les années 1940, le montrent parvenant à systématiser la société à son image, grâce à des techniques de pouvoir développées, mais aussi parce qu’il sut s’appuyer sur les élites locales avant de les détruire, c’est-à-dire intégrer à son système d’action de l’action sociale qui était étrangère à son projet afin de se constituer et de se renforcer. Durant cette période de formation, quoique la forme de la société fût de nature hétérogène, l’hégémonie du Parti était déjà univoque. Au début des années 1950, la même méthode fut appliquée avec le même succès à l’investissement des villes, ce qui permit au pouvoir de parvenir à la plénitude de ses ambitions totalitaires et d’exercer une sorte de solipsisme historique avec le Grand Bond en avant (1958), événement catastrophique et tournant capital à partir duquel la formation de l’État, c’est-à-dire l’action sociale plus dispersée, reprit le pas sur sa construction, en dépit des assauts volontaristes et vengeurs lancés par Mao [17].

44Le communisme chinois d’aujourd’hui n’est pas né dans une histoire ouverte ; il exerce une domination sur une société déterminée à la fois par cette tension et par son relâchement. Mais il est aussi le produit d’une logique différente de l’action politique. Le bruit de l’action sociale a succédé aux cadences de sa systématisation par le pouvoir. L’écho de la construction étatique et sociale d’aujourd’hui s’y dissipe d’autant plus sûrement qu’elle est hybride, quoiqu’elle ne soit pas dépourvue d’efficacité dans le contrôle comme dans la rationalisation de la société. Un moment historique, celui de la prétention démiurgique et thaumaturge, fait place à un autre : celui où le communisme se fond dans l’histoire qu’il renonce à dominer, mais qui n’en est pas moins son histoire, par le fait qu’il eut la capacité de se l’approprier et d’empêcher depuis lors toute rupture du fil historique. Communisme et totalitarisme ne sont pas figés dans des catégories. L’évolution chinoise, qui ne relève pas du grand écart, oblige à les repenser. En commençant par les situer dans une histoire faisant se succéder des périodes contrastées : historiques autrement que par l’érosion et l’effondrement, ils le sont aussi autrement que par une indistincte longue durée à travers laquelle ils demeureraient identiques à la configuration de leurs origines ou dans une transition qui ne les amènerait qu’à s’effacer. Les voici engagés, en Chine, dans une phase nouvelle de cette histoire, sachant tirer d’elle les forces d’une recomposition qui maintient leur unicité face aux ajustements nécessaires : maîtrisant, ou s’efforçant de maîtriser, la composante étatique de la modernité et parvenant du même coup à se reformer alors même qu’ils dominent moins directement la composante sociale. Sous cette forme distendue, le communisme chinois d’aujourd’hui, paradoxal accoucheur d’un État en voie de banalisation – l’État qui a manqué à la modernisation chinoise tout au long du xxe siècle –, est, toute révérence gardée, et sans oublier ce qu’il fut et continue d’être, comme l’État romain se survivant à travers le christianisme institué dans l’Église, une Église organisée sur le modèle romain qui dut gérer à la fois le pouvoir, la société et l’idée révoltante, contraire au messianisme de ses origines, d’une installation dans le siècle et dans la durée. Autre comparaison scandaleuse : posture nationale, hostilité à la mondialisation, primat de l’État, de l’autorité : verrions-nous naître une Chine de modèle républicain ? En tout cas, une Chine dont l’équilibrage post-révolutionnaire est conservateur, comme le fut, en France, sur les cendres de la Commune, celui de la République « entrée au port » des années 1880, selon l’expression de François Furet.

45Ce qui achève de s’estomper avec l’avènement du post-collectivisme est l’ultime réduction du social au politique. Restent son bâillonnement et sa dépolitisation, qui ne sont pas davantage des catégories, culturelles ou politiques, mais des phénomènes de pouvoir et de société dans une situation historique. Il n’est guère probable que le maoïsme, émasculé sous forme de mythe national dans l’imagerie officielle et dans la mémoire collective, renaisse sous sa forme absolue. La révolution n’est pas chassée pour autant du répertoire politique, qu’elle a dominé tout au long du siècle dernier. La revendication de l’égalité sociale, qui lui est associée bien plus que celle de la liberté individuelle, pourrait cristalliser des protestations : l’inégalité se répand et se présente désormais nue, sans les artifices des statuts inégalitaires que la révolution faisait passer pour sa marche même. Ni de la modernisation ni de la mémoire nationale ne pourra procéder pareille occultation symbolique, en dépit de toute la rhétorique mise en œuvre. Il faudrait beaucoup de temps cependant, beaucoup de mise en forme et d’intégration de la société pour qu’apparaisse une organisation des revendications sociales. Il faudrait aussi que le Parti baissât la garde. Cette organisation pourrait se dessiner moins lentement si, d’aventure, le P.C. perdait le pouvoir, mais qui l’en chasserait, sinon lui-même, en se scindant ? La société n’occupe pas de lieu politique qui lui soit propre. L’action sociale, qui pourtant l’emporte de toutes parts et déborde l’État construit, ne débouche pas sur le politique. La construction du politique en tant qu’État l’emporte sur celle de la société en tant que société civile.

46Ainsi la Chine est-elle en train de redevenir un cas d’école. Non plus celui de réformes réussissant contre le communisme (comme ce fut le cas dans les années 1980, alors que le réformisme de M. Gorbatchev s’enlisait en U.R.S.S.), mais bien d’un communisme survivant à la fin proclamée de la révolution. Alors que les transformations de l’économie et de la société retiennent l’attention de la plupart des observateurs, l’élément décisif aura été que, dans les années 1990, la construction de l’État prenne le pas sur la déconstruction du maoïsme, en un mouvement qui va s’amplifier, même s’il risque de rencontrer des limites prévisibles.

47La question de la coloration sociale et de la forme du régime issu du post-collectivisme ne pourra être tranchée qu’au vu des résultats, dans plusieurs années. Il est d’ores et déjà assuré que la banalisation de l’État rejoint sa dimension post-révolutionnaire. Le régime se reconstruit peu à peu par rapport à une société dégagée non point de ses contrôles et de son emprise, mais libérée du moule dans laquelle il l’avait coulée au temps de la révolution. Cette évolution fondamentale ne suffit pas à lever une incertitude.

48Si le communisme chinois, de par son histoire évolutive, s’avère être l’accoucheur de l’État moderne dont la constitution avait échoué à la fin de l’Empire et dans la période post-impériale (1912-1949), si les vastes zones de non-intervention de l’État reconfiguré et de moindre institutionnalisation de la société sont autant de terrains à conquérir pour la nouvelle logique étatique, il est non moins vrai que celle-ci rencontre sur sa route une autre logique : celle de la gouvernementalité communiste, qui peut sans doute s’accommoder du développement en son sein d’un État légal, en tant qu’instrument d’une gestion « légale-rationnelle » de la société, mais proscrit le passage à un État de droit fondé sur l’émancipation juridique et civique des individus. Privée de cet horizon, l’institutionnalisation de la société peut-elle faire le plein de ses possibilités « rationnelles » ? S’il n’étouffe plus totalement la société, l’État tuteur d’aujourd’hui ne travaille-t-il pas contre son projet modernisateur en refusant la perspective d’une société libre ?

49Le nationalisme, qui apparaît comme un moyen terme satisfaisant aux yeux de ses promoteurs officiels, ne peut, en lui-même, lever ce dilemme : l’histoire du xxe siècle le montre stérile et dangereux lorsqu’il fut séparé de la démocratie. Ou bien il sera l’excuse d’un État mou en regard des objectifs de la modernisation, ou bien, s’il lui revient de vraiment moderniser le pays, il aura tôt fait de trahir ses limites. La Chine, du fait de l’histoire particulière qui fut la sienne, traverse de nos jours sa grande époque nationaliste. Elle ne saurait pour autant échapper à la loi historique générale, même si ses thuriféraires lui en prêtent la vocation et la force.


Date de mise en ligne : 01/01/2011

https://doi.org/10.3917/deba.117.0092

Notes

  • [1]
    Jean-Luc Domenach, « La transition post-totalitaire en Chine », Commentaire, n° 93, printemps 2001, pp. 35-46.
  • [2]
    Yves Chevrier, « Réformes chinoises : la stratégie du contournement », Politique étrangère, printemps 1985.
  • [3]
    Dorothy J. Solinger, « Why We Cannot Count the Unemployed », ms. aimablement communiqué par l’auteur, à paraître dans The China Quarterly à l’automne 2001.
  • [4]
    Au-delà de l’ouvrage classique sur la question, Andrew Walder (Communist Neotraditionalism. Work and Authority in Chinese Factories, Berkeley, University of California Press, 1986), on se reportera à l’étude récente de Corine Eyraud sur la danwei : L’Entreprise d’État chinoise. De l’« institution sociale totale » vers l’entité économique?, Paris, L’Harmattan, 1999.
  • [5]
    Il existe sur le sujet une abondante littérature, que je ne puis mentionner ici. Sur les divisions du pouvoir central et la dynamique des interactions pouvoir-paysannerie, cf. Yves Chevrier, « Une société infirme: la société chinoise dans la transition modernisatrice », in C. Aubert et al., La Société chinoise après Mao : entre autorité et modernité, Paris, Fayard, 1986.
  • [6]
    On notera toutefois l’approche plus globale et mieux régionalisée de Jean-Louis Rocca, « La montée du chômage dans la Chine urbaine », Perspectives chinoises, n° 59, mai-juin 2000, pp. 38-51, et D. J. Solinger, Contesting Citizenship in
    Urban China, Berkeley, University of California Press, 1999.
  • [7]
    Jean-Pierre Cabestan, L’Administration chinoise après Mao : les réformes de l’ère Deng Xiaoping et leurs limites, Paris, Éd. du C.N.R.S., 1992.
  • [8]
    Lee Ching-kwan, « The Labor Politics of Market Socialism. Collective Inaction and Class Experiences Among State Workers in Guangzhou », Modern China, vol. 24, n° 1, janvier 1998; Gender and the South China Miracle. Two Worlds of Factory Women, Berkeley, University of California Press, 1998.
  • [9]
    Jean-Louis Rocca, « Chine: vers un État banal ? », in Béatrice Hibou (éd.), La Privatisation des États, Paris, Karthala, 1999, pp. 227-245.
  • [10]
    Li Zehou et Liu Zaifu, Gaobie geming. Huiwang ershi shiqi (Adieu à la révolution, regard rétrospectif sur le XXe siècle), Hong Kong, Tiandi tushu, 1995.
  • [11]
    Qianshao, Hong Kong, janvier 1992.
  • [12]
    L’un des temps forts de cette réélaboration fut un livre d’entretiens avec Jiang Zemin intitulé Faire confiance au secrétaire général, Pékin, Presses de l’Académie des sciences sociales, 1996.
  • [13]
    Sange daibiao yu xin shiqi de jianshe (Pékin, Presses centrales, mai 2001).
  • [14]
    D’abord née de pratiques tolérées, voire encouragées par le pouvoir, la secte Falungong est un typique phénomène d’interstice ayant tourné à une confrontation avec le pouvoir officiel, comme ce fut le cas tant de fois sous l’ancien régime impérial. Cette naissance intersticielle et cette métamorphose politique, rançon du régime distendu de Jiang Zemin, eussent été impossibles dans la configuration maoïste du pouvoir (voir B. Vermander, « La Chine au miroir de Falungong », Perspectives chinoises, n° 64, avril 2001, pp. 4-13).
  • [15]
    Yi de zhi guo (Gouverner le pays par la vertu), manuel d’étude, publ. officielle, Pékin, Presses centrales, 2001.
  • [16]
    Yves Chevrier, « L’empire distendu : esquisse du politique en Chine des Qing à Deng Xiaoping », in JeanFrançois Bayart (éd.), La Greffe de l’État, Paris, Karthala, 1994.
  • [17]
    J.-L. Domenach a fait l’étude précise de cette trajectoire en cloche dans Chine : l’archipel oublié, Paris, Fayard, 1992.

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