Il est courant de parler aujourd’hui de crise dès lors que l’on évoque la question des archives en France. L’ampleur de la polémique, cristallisée actuellement autour de l’institution des Archives nationales, mériterait cependant d’être analysée à la lumière du décalage entre la perception qu’ont les Français des archives et la réalité du terrain. Au pays des archives, fantasmes et poncifs sont rois, et dans l’histoire des représentations, archives et archivistes peuvent certainement occuper une place de choix.
Depuis quelques années, les archives ont pris une place tout à fait originale dans le paysage linguistique français, à tel point qu’à l’instar de Pierre Nora on peut parler d’« obsession de l’archive ». Au singulier, l’archive est sacralisée ; elle est un objet en soi, dématérialisé, porteur de mémoire, suscitant le respect. Au pluriel, les archives sont synonymes, dans l’imaginaire de nos contemporains, de poussière, de saleté, de lieu de relégation et de sanction. Associées à un autre terme, elles reprennent leurs lettres de noblesse et s’appliquent à des champs différents : les archives du sol, les archives du savoir... Mais c’est avec la notion de secret que l’ambiguïté de la relation aux archives atteint son paroxysme. Les archives, symbole de « vieillerie et de poussière », deviennent alors instrument de pouvoir : réceptacle de tous les secrets de l’État, source unique de l’établissement de la Vérité. Dans notre société atteinte du syndrome de l’invocation perpétuelle au devoir de mémoire et en réelle crise identitaire, la question des archives est constamment évoquée sous l’angle de l’accès et, ce, dans une vision manichéenne…