Le Débat. – L’histoire récente de Renault est un cas d’école de la métamorphose industrielle de la fin du XXe siècle. En moins d’une vingtaine d’années, Renault est passé du statut de fleuron des nationalisations à la française à celui d’entreprise privée, emportée maintenant dans le processus de la globalisation. Vous avez participé depuis quinze ans à cette transformation, puis vous l’avez dirigée comme président depuis 1992. Comment s’est fait ce changement de l’intérieur ? Comment l’entreprise nationale par excellence et « forteresse ouvrière » de surcroît est-elle devenue une grande entreprise comme les autres ? Comment échappe-t-on à un passé de symbole aussi lourd ?Louis Schweitzer. – J’ai découvert une chose intéressante peu après mon arrivée, c’est que le slogan que Louis Renault avait choisi pour sa firme avant guerre était « Automobiles de France ». L’idée d’entreprise symbole était déjà là. Je pense d’ailleurs que cette idée est l’un des éléments qui ont conduit à la nationalisation de 1945. C’est une nationalisation-sanction, mais son objet a été choisi parce qu’il était un objet symbolique. L’entreprise était nationale avant d’être nationalisée.
J’ai découvert cette dimension d’abord par le livre que Pierre Dreyfus a écrit au terme de son mandat chez Renault, qui s’appelait La Liberté de réussir. Il explique que c’est une nationalisation totalement atypique. C’est une nationalisation qui porte, en effet, sur une entreprise concurrentielle, sur une entreprise « comme les autres »…