DARD/DARD 2020/1 N° 3

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Article de revue

Naissance d’une « alliance », espoir d’un changement systémique

Pages 32 à 35

Notes

1Communauté apprenante réunissant 250 organisations (collectivités locales, réseaux, associations, laboratoires universitaires, entreprises, médias…) et 300 individus, la Fabrique des transitions, initiée par le maire de Loos-en-Gohelle Jean-François Caron, apparaît comme le chaînon manquant d’un changement systémique à grande échelle à partir des territoires. Elle soulève de ce fait un réel espoir, même si elle devra surmonter les difficultés inhérentes au fonctionnement de ce type de réseau.

2 À force d’être sollicités et d’accueillir des délégations françaises et étrangères venues voir ce drôle de village gaulois en résistance et en application concrète de la transition écologique et sociétale [1], Jean-François Caron et Julian Perdrigeat, respectivement maire et directeur de cabinet de Loos-en-Gohelle, ont jugé en 2018 qu’il était temps de prendre un peu de distance par rapport à l’action menée sur ce territoire depuis trente ans pour en dégager les invariants. Ils se sont pour cela appuyés sur le travail que l’Ademe menait depuis dix ans en faisant de Loos-en-Gohelle un démonstrateur de conduite du changement et en produisant dans ce cadre un « code source » mettant en lumière un certain nombre de principes directeurs. C’est à partir de cette ressource qu’est né l’atelier « Villes pairs – territoires pilotes de la transition ». Financé par l’Agence de la transition écologique et l’Ademe, porté par l’Institut européen de l’économie de la fonctionnalité et de la coopération (IE-EFC), puis co-animé par le laboratoire d’intervention et de recherche Atemis et la Ville de Loos-en-Gohelle, ce mini-réseau incluait, en plus de Loos, trois autres communes engagées dans cette démarche politique singulière, Malaunay (Seine-Maritime), Le Mené (Côtes-d’Armor) et Grande-Synthe (Nord), dans la perspective de confronter des expériences aux objectifs identiques mais aux histoires et contextes différents.

3 Le croisement des approches et des référentiels de chacune des villes a permis d’identifier quatre principes directeurs : l’engagement indispensable de tous les acteurs pour la conduite de la transition ; la nécessité de passer d’approches sectorielles à une approche systémique ; le besoin d’un long apprentissage de la coopération entre acteurs ; la prise de conscience du fait que la transition est, pour un territoire, créatrice de valeur économique et sociale. Rien de très surprenant à ce que l’on retrouve dans ces premières conclusions la nécessité de dépasser les approches sectorielles, tant la structuration « en silos » des collectivités locales constitue un obstacle à la dynamique de coopération et à la visée systémique. « Il nous fallait identifier nos réalisations locales pour savoir comment elles pourraient faire système au niveau global. Nous sommes vite arrivés à la conclusion qu’il n’y aura pas de changement de modèle sans un profond changement des modèles économiques, ce qui nous renvoie à nos modes de production et de consommation », résume Jean-François Caron.

4 Un premier cadre commun de référence a alors permis de dégager de cette première phase de travail un certain nombre de « balises » (s’inscrire dans une proximité au territoire vécu, au quotidien ; construire le récit ; créer les conditions de la confiance ; changer le travail des services et des élus…) et de méthodologies d’action.

5 En 2019, d’autres collectivités territoriales et une vingtaine d’organisations de la société civile se sont associées à la démarche, se reconnaissant pleinement dans les valeurs et les principes d’action de la Fabrique des transitions, ainsi que les différents acteurs ont dès lors appelé ce réseau naissant, conçu comme un laboratoire et comme une communauté apprenante. Encore fallait-il définir plus précisément un socle commun ! L’année 2019 a donc en partie été consacrée à l’écriture collective d’une charte fondatrice [2] précisant le diagnostic, les objectifs, les valeurs, les méthodes et disciplines de travail, charte introduite en ces termes : « Les systèmes de pensée, les modèles de développement, les formes de gouvernance, les conventions juridiques, économiques et financières conditionnées par une mondialisation dominée par le marché, les modes de vie qui structurent nos sociétés sont hérités des siècles derniers. Ils ont conduit à une triple crise des relations : entre l’humanité et la biosphère – le changement climatique en est l’expression la plus spectaculaire –, entre les individus – avec le délitement de la cohésion sociale – et entre les sociétés – avec les risques de repli et l’incapacité à gérer en commun les interdépendances. Cela menace la survie même de l’humanité. » Cette charte insiste sur la nécessité de confronter les démarches de transition déjà engagées et de s’en inspirer. En précisant : « Le temps est venu d’unir nos forces, nos expériences, notre énergie pour contribuer à un changement d’échelle, en accompagnant les très nombreux territoires désireux d’avancer dans la transition et en constituant une force, en alliance avec des mouvements semblables, capable de provoquer et de consolider les changements nécessaires. » Les quatre objectifs retenus consistent à : « constituer ensemble une communauté apprenante de manière à enrichir en permanence le patrimoine commun par la mutualisation des apports des uns et des autres » ; « mettre ce patrimoine au service des territoires en transition » ; « proposer ensemble des changements de modèle économique, de gouvernance » ; « favoriser le déploiement d’une ingénierie de la conduite du changement systémique à l’échelle des territoires ». Riche et vaste programme, à tout le moins stimulant et encourageant !

6 Les organisations qui rejoignent la Fabrique des transitions sont désormais appelées à signer cette charte et deviennent des « alliées » qui « se reconnaissent dans des principes éthiques communs : éthique de rigueur, éthique d’écoute et de dialogue, éthique de coopération, éthique de responsabilité ». Quelque 250 organisations et 300 individus sont recensés à ce jour [3].

7 Ce vaste chantier à l’échelle du territoire a pris une autre réalité les 10 et 11 septembre 2020 à l’occasion de l’« assemblée des alliés », organisée en visio-conférence en raison des mesures sanitaires, de main de maître par Julian Perdrigeat, désormais délégué général de l’association de promotion de la Fabrique des transitions [4]. Ce moment charnière qui a consisté à travailler sur les quatre objectifs de la charte a permis aux 120 participants (un nombre qui constitue en soi une véritable réussite pour une visio-conférence !) de mesurer leur pouvoir d’agir et d’avancer sur des chantiers utiles – telle la constitution d’une banque de ressources communes pour partager les expériences et les données, monter en compétences sur les enjeux de transition ou encore nourrir leurs stratégies et leurs méthodes en vue d’un processus de changement systémique.

8 Les participants ont aussi pu mesurer à la fois les bienfaits et les contraintes de la démarche. « La communauté apprenante facilite selon nous la possibilité de se nourrir des uns et des autres et d’avancer sur le principe d’une ingénierie tierce, ni publique, ni privée », observe Jean-François Caron, qui introduisait les débats en tant que président de l’Association de promotion de la Fabrique des transitions.

9 Les travaux en plénière et en atelier ont montré l’attention portée tout autant à la parole de chacun, indépendamment de son statut social ou professionnel, qu’à la recherche d’une méthode de travail la plus horizontale possible, sans hiérarchie pyramidale. Il s’agit à la fois d’adopter une ingénierie adaptée aux réalités et aux attentes qui désormais prévalent dans la société, et de pouvoir associer toutes les bonnes volontés et les multiples ressources en prenant soin de n’écarter personne. Mais il faudra prouver à l’usage que ce louable procédé ne se heurte pas à une forme d’inertie de l’action et qu’il permet d’avancer vers des objectifs communs de la part d’organisations pour le moins hétéroclites et aux intérêts parfois divergents, quand bien même elles se retrouvent sur un socle commun de valeurs et d’objectifs. En outre, la question de l’échelle se posera tôt ou tard, comme l’exprime l’essayiste Pierre Calame, l’un des fondateurs de la Fabrique : « Sans changement conceptuel aux niveaux national et international, la transition territoriale rencontrera vite ses limites. » Comment par exemple associer dans ce cheminement l’Europe et l’État pour en faire des alliés ?

10 « Nous sommes partis sur une course d’endurance », concluait Jean-François Caron le 11 septembre. Quelles que soient les difficultés, qui ne manqueront pas d’advenir, il est incontestable qu’un mouvement est en marche, qu’une force se dessine, déjà agissante et ancrée localement, et que cette Fabrique des transitions constitue une belle promesse.


Date de mise en ligne : 16/11/2020

https://doi.org/10.3917/dard.003.0032

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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