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Article de revue

Temps humain, temps animal : raccourci ou incomparable

Pages 221 à 232

1La psychiatrie vétérinaire est une discipline récente qui s’est développée de manière autonome sur la base de l’éthologie et de la neurophysiologie de chaque espèce. Depuis sa naissance dans les années 90 (Pageat 1995), la psychiatrie vétérinaire s’est aussi inspirée de la psychiatrie humaine.

2Les échanges sont nombreux entre les deux disciplines : la nosographie comparée est passionnante ! Des troubles du développement, comme le trouble du déficit de l’attention et hyperactivité (TDAH) humain et le syndrome d’Hypersensibilité-hyperactivité (HsHa) animal (Marlois & Beata, 2016), permettent de comparer symptômes, pathogénie, réponse au traitement médical et mise en place des thérapies. L’existence même de troubles psychiatriques « vrais » accompagnés d’état de déréalisation, comme le syndrome dissociatif du chien, modèle naturel de schizophrénie, posent la question essentielle d’une folie animale.

Systèmes interspécifiques, familiaux et thérapeutiques en psychiatrie vétérinaire

3Dès le début de la psychiatrie vétérinaire, la notion de système s’est imposée comme une évidence. Parfois nous disons avec amusement qu’il peut nous arriver de le regretter, mais jamais un patient animal ne s’est présenté seul à une consultation vétérinaire !

4D’emblée la relation thérapeutique est donc triangulaire entre des espèces différentes, des groupes différents, des individus différents. Le système le plus « simple » avec un animal, un propriétaire, un vétérinaire implique au minimum 2 espèces, 3 individus, 3 relations dyadiques et une dynamique du groupe. Il est facile de concevoir à quel point la complexité est très vite présente quand plusieurs familles (au sens large) sont concernées, avec plusieurs espèces et de nombreux membres. Un élément est d’ailleurs devenu symptomatique de cette difficulté : nous n’avons pas de mot correct en français pour désigner la relation entre l’animal de compagnie et l’humain. Les Anglo-Saxons abusent du terme « parent » qui ne nous convient pas, même si cela pourrait sembler approprié dans le cadre de l’adoption réalisée, mais cela sous-entend déjà une absence de frontières claires, non seulement transgenérationnelle, mais ici transspécifiques, qui pourrait être chère à certains maîtres des thérapies systémiques (Boszormenyi-Nagy, 1973-2014). « Maître » indique une relation hiérarchique finalement peu fréquente et « propriétaire » renvoie l’animal à son statut de bien meuble que le législateur lui-même a remis en cause en France depuis février 2015. « Compagnon » est aussi source de confusion, bref la difficulté à nommer souligne sans doute l’ambiguïté même de la relation qui met en jeu dans le même groupe des individus aux « Umwelt » différents, aux mondes mentaux et aux représentations fondamentalement différentes mais qui arrivent à communiquer. Nous emploierons ces différents termes en fonction du contexte de la phrase, en ressentant toujours cette imperfection.

5Notre mission de thérapeute nous place donc au cœur du système dans un rôle d’interprète souvent, d’arbitre parfois, et de conciliateur toujours.

6Si le repérage des états pathologiques du diagnostic final suit un cheminement rationnel et sans difficulté majeure, nous avons réalisé assez vite que ce qui pouvait faire la différence en termes de résultat était la prise en compte du système et des ressources pouvant être mobilisées dans la résolution du cas. Il devenait alors impératif – et sans jamais se poser en thérapeute de la composante humaine – d’apprendre auprès de nos confrères systémiciens « humains » comment comprendre, interagir avec – et faire fonctionner le groupe humain et parfois animal qui entoure le patient. Logiquement, notre enseignement, par exemple au Diplôme Universitaire de Psychiatrie Vétérinaire, fait appel à des psychiatres ou des psychologues pour humains, qui nous accompagnent, pour certains, depuis deux décennies dans cette curieuse aventure.

7Les ressemblances et les parallèles peuvent être nombreux, mais les différences sont aussi fondamentales et parmi elles, la question du temps se pose avec une acuité particulière.

Temps animal, temps vétérinaire

8« Chaque fois que « on » dit « L’Animal », chaque fois que le philosophe, ou n’importe qui, dit au singulier et sans plus « L’Animal », en prétendant désigner ainsi tout vivant qui ne serait pas l’homme (…), eh bien, chaque fois, le sujet de cette phrase, ce « on », ce « je » dit une bêtise. » (Derrida, 2006).

9En accord avec Derrida, quand nous parlerons de l’animal, cela ne concernera que les espèces avec lesquelles nous vivons et que nous soignons, nos animaux domestiques.

Les animaux que donc nous soignons

10Le vétérinaire soigne des espèces différentes aux longévités très diverses. De la souris et son espérance de vie de quelques années, au perroquet qui survivra sans doute à son propriétaire, le praticien est obligé d’adapter son exercice aux perspectives variables de durée.

11Restons dans le cadre des espèces que nous prenons le plus souvent en charge dans le cadre de notre pratique, à savoir les chiens et les chats : leur durée de vie moyenne est d’environ une quinzaine d’années.

12En fonction du moment de survenue des symptômes, la décision d’intervenir – et nous ne parlons pas là uniquement de troubles du comportement – engage toujours une réflexion sur le bien-fondé de cette décision. Il ne faut pas oublier que la possibilité même d’euthanasie, dernier recours thérapeutique ou solution de facilité selon les cas, plane souvent au-dessus des cas chroniques aux résultats sans certitude.

13En l’absence de prise en charge par un système de soins publics, des soins longs sont aussi synonymes de coûts élevés dont la décision doit être prise de concert avec le responsable de l’animal.

14En médecine, et plus encore en psychiatrie, le travail s’inscrit souvent dans une durée qui se compte en mois ou en années, et si cela ne nous est pas toujours interdit, cela impose de mettre en perspective les bénéfices attendus et les efforts consentis.

Une vie humaine en raccourci ?

15Une vie d’animal domestique, en tout cas de chien et chat, donne souvent l’impression d’une vie humaine en accéléré, en raccourci.

16Malgré cette accélération, ce condensé, les moments de fragilité restent repérables et ressemblent à ceux qui peuvent être décrits en médecine humaine.

Le temps du développement et ses troubles

17Comme chez l’enfant, la période de développement est une période de construction et donc de fragilité pour l’animal. Le syndrome HsHa déjà évoqué, modèle naturel du TDAH, est un grand pourvoyeur de consultations. Nous voyons de plus en plus de ces chiots ou de ces chatons souffrant de ces affections qui les empêchent de mener une vie normale et qui déclenchent une importante souffrance comportementale. Avant de parvenir jusqu’à nous, ils ont souvent été catalogués agités ou mal éduqués, et beaucoup trop payent encore de leur vie l’absence de prise en charge adéquate.

18Le Syndrome de Privation sensorielle, lui, concerne des animaux qui se sont développés dans un milieu trop pauvre et qui présentaient une vulnérabilité individuelle à l’anxiété. Cela empoisonne la vie de leurs propriétaires et les rend inaptes à une vie quotidienne de chien citadin, provoquant chez eux une grande souffrance.

19Ces syndromes qui dominent la pathologie des jeunes animaux connaissent tous deux un pronostic favorable s’ils sont diagnostiqués et traités, idéalement avant la puberté, au maximum dans la première année. La puberté d’un chien intervient entre 8 et 12 mois, c’est dire à quel point dans ces cas-là, le temps presse.

Le temps adulte

20Les animaux adultes connaissent, comme les humains parfois, des accidents de vie qui déstabilisent le cours de leur existence. Deuils, abandons, ruptures d’attachement, déménagements, tous les changements peuvent révéler des structures anxieuses ou entraîner des dépressions.

21Le chien est un animal social. Tout ce qui touche son groupe peut affecter son équilibre psychique. Le recueil des éléments commémoratifs est alors complexe, mais vient souligner l’importance de la position systémique du praticien. Une fois de plus, sans jamais vouloir prendre une position de thérapeute humain, le praticien vétérinaire va parfois découvrir que le déséquilibre de l’animal accompagne une rupture, un divorce, l’arrivée d’un bébé ou le départ en retraite du maître qui passe alors tout son temps à la maison. Cela semble une évidence de tenir compte du groupe, mais il n’est pas toujours facile ni de savoir ni de démêler ce qui est réellement significatif pour l’animal.

22Les visites vétérinaires annuelles sont primordiales dans la détection et dans la prévention des effets délétères de ces changements. Elles peuvent paraître nombreuses par rapport à ce qui se fait en médecine humaine, mais rapporté à un temps humain, cela signifie voir un médecin tous les 5 à 7 ans…

Vieillissement et pathologie associée

23Le temps de la vieillesse vient tellement vite chez les animaux !

24Ce chiot si joueur, il y a encore quelques années est déjà maintenant un sénior à peine 8 ans après, quand pour un humain né au même moment, c’est encore à peine le temps de l’enfance. Bien sûr, cela a changé aussi pour les animaux domestiques dont la longévité a connu un accroissement considérable. En même temps, nous avons vu apparaître la pathologie comportementale associée au troisième et au quatrième âge. Syndrome confusionnel et dépression d’involution sont autant de maladies qui affectent l’animal et qui font miroir aux maladies dégénératives du senior chez l’humain.

25N’oublions pas qu’en médecine vétérinaire, la fin de vie peut aussi être administrée comme une dernière prescription !

26Ces temps animaux ressemblent donc en accéléré aux temps humains, même si leur jeunesse s’enfuit encore plus vite que la nôtre et que leur vieillesse s’installe si vite.

Le vétérinaire comportementaliste, de l’urgence à la négociation

27Dans le cadre de notre travail de psychiatre vétérinaire, le temps revêt donc souvent une importance particulière, au point d’en avoir fait le thème d’un congrès spécialisé (Zoopsy, 2005).

28Plusieurs niveaux de temps se télescopent et se rejoignent dans notre pratique, et si la maîtrise de ces différents temps ne s’acquiert sans doute bien qu’avec … le temps, il est possible d’en repérer certaines composantes essentielles.

Manque de temps ou l’urgence dépassée

29Notre discipline est peu connue et les propriétaires ayant recours à nos services ne nous découvrent que souvent tard dans le décours de la maladie.

30Alors il n’y a plus de temps !

31Il faut intervenir tout de suite, recevoir l’animal le lendemain sous la menace d’une euthanasie qui n’a d’autre raison que le désespoir des clients devant l’absence de résultats des solutions proposées jusque-là.

32Nous avons tous connu dans notre pratique ces moments de désolation avec le sentiment d’arriver trop tard, quand le moment des solutions est déjà passé et qu’il ne reste plus qu’à valider la défaite. C’est ce que j’ai voulu illustrer dans l’avant-propos de mon livre sur l’attachement en décrivant une scène fictive mais pourtant très réaliste d’un animal euthanasié pour un trouble relié à la séparation (Beata, 2013).

33Le rôle du thérapeute est de mettre en perspective l’urgence ressentie et la nécessité du délai. Si la guérison peut être envisagée, elle ne sera jamais immédiate. L’exigence d’une amélioration immédiate, à laquelle le praticien inexpérimenté va céder dans l’espoir de sauver l’animal, est un piège qu’il faut savoir déjouer pour ne pas se retrouver dans la chronique d’un échec annoncé.

34Il faut expliquer que le rendez-vous sera donné à un moment où le praticien pourra lui accorder toute son attention et que ce premier contact ne sera que le début d’un processus d’amélioration qui prendra du temps. Si la possibilité de délai n’existe pas dans la tête des propriétaires, le contrat thérapeutique ne peut pas exister. L’absence de cet accord formalisé est la cause de nombreuses déceptions. Redonner un cadre indiquant la durée, une prévisibilité des actions, un calendrier de l’amélioration est souvent le premier acte thérapeutique. Il est judicieux de vérifier que cet échéancier est compris et convient à tous les acteurs comme le montre la vignette clinique de Miquette.

Vignette clinique - Le temps de la révélation

35C’est un couple d’âge moyen qui se présente en consultation avec Miquette, une chatte malpropre. Miquette souffre d’une néobiotopathie, une affection fréquente chez les chats qui changent de lieu de vie et chez qui cela déclenche un état anxieux. Le pronostic est bon et s’inscrit dans une durée de quelques semaines à moins de 3 mois.

36Au cours de la consultation, il apparaît que le couple s’est constitué récemment. Miquette est la chatte de Madame qui a emménagé avec elle dans l’appartement de Monsieur.

37Et ils ne semblent pas accorder la même valeur au temps.

38À ma question, faussement innocente : « Combien de temps me donnez-vous pour améliorer la situation ? » Madame, l’air étonné, répond : « Le temps qu’il faudra ! « La réponse de Monsieur est très différente : « Si Miquette repisse une fois, elle passe par la fenêtre ! »

39Madame, interloquée, se tourne vers lui : « Mais c’est mon chat ! » et Monsieur de rétorquer : « Oui, mais c’est mon appartement ! ».

40Le temps du couple était sans doute compté…

41Dans ce temps de l’urgence, cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire et abandonner les propriétaires à leur sentiment d’impasse. La loi, parfois nous vient en aide, en nous donnant du temps. En France, un chien qui a mordu doit être « surveillé » pendant quinze jours au minimum pour dépister une éventuelle transmission du virus rabique au moment de la morsure. Ce délai a bien involontairement sauvé la vie de bien des chiens qui auraient été euthanasiés sous le coup de l’émotion et qui voient leurs propriétaires leur accorder une seconde chance.

42Même en dehors du cadre légal, nous proposons parfois une solution équivalente : hospitaliser l’animal quelques jours ou le mettre en pension quelques semaines permet de changer de perspective temporelle et de repenser la décision.

43Si savoir redonner du temps à des cas qui semblent sans issue est sans aucun doute une caractéristique commune de la médecine, qu’elle s’adresse à l’homme ou à l’animal, la possibilité de l’euthanasie scande le temps vétérinaire d’une manière très particulière.

Temps de la consultation

44La durée moyenne d’une consultation, en médecine générale vétérinaire en France est entre 15 et 20 minutes, et c’est beaucoup plus que chez nos confrères anglais où la moyenne s’établit autour de 7 minutes. Les consultations pour troubles de comportement sont-elles, réputées longues. La durée minimale est d’une heure pour une première consultation et en cas de système compliqué, il n’est pas exceptionnel de doubler ce temps.

45D’autres spécialités exigent aussi beaucoup de temps et cela n’est donc pas une spécificité de la psychiatrie si ce n‘est que pour celle-ci, tout le temps est consacré à la parole des clients, du praticien et à la communication avec l’animal. Relever les symptômes, comprendre la dynamique du groupe, établir le diagnostic, le partager, mettre en place la thérapie et l’expliquer, il est clair que tout cela ne peut pas se faire en un quart d’heure, mais cette durée inhabituelle rend la discipline parfois peu compréhensible pour les confrères qui ne la connaissent pas. De plus, cette durée doit s’accompagner d’un coût et met le vétérinaire comportementaliste dans la position d’être jugé cher par les clients, ou non rentable pour la structure. En 25 ans de pratique, je n’ai pas de souvenir de clients me reprochant le coût de la consultation après être venus, mais nombreux sont ceux qui se sont arrêtés à l’annonce du prix.

46Le temps d’une consultation a donc un prix et cela doit lui donner de la valeur. Chaque minute doit être mise à profit et il est classique de reconnaître à cette consultations plusieurs parties qui sont comme les mouvements d’une symphonie.

Les cinq premières minutes

47Tant d’éléments sont à repérer dans les premiers instants !

48Quelles sont les réactions de l’animal ? Qui rentre avec qui ? Quelle répartition naturelle dans l’espace de consultation ?

49Ce temps-là doit se dilater pour le praticien qui doit utiliser tous ses canaux sensoriels pour enregistrer, parfois de façon inconsciente, tout ce qui se passe, afin d’en nourrir la façon dont il va organiser l’entretien.

50Dans ces premiers instants, le motif, la plainte principale vont être énoncés. Le praticien les écoute et souvent, doit ici prendre le temps de l’empathie : montrer qu’il a entendu les émotions associées (peur en cas d’agressivité, lassitude en cas d’hyperactivité, culpabilité souvent) et qu’il les respecte. Beaucoup de vétérinaires ont peur d’être débordés par les émotions de leurs clients et – volontairement ou non – ne rebondissent pas sur les expressions verbales ou non-verbales. Or, prendre le temps de l’émotion, de la valider, de l’accepter et de la laisser s’exprimer en début de consultation, c’est obtenir très vite un des piliers de l’alliance.

51Les personnes qui accompagnent l’animal malade sont souvent elles-mêmes en souffrance et s’il n’est pas question pour le vétérinaire d’intervenir directement sur leur équilibre, il n’est pas non plus pensable d’ignorer la composante émotionnelle.

52Alors ce temps qui pourrait sembler du temps perdu à s’épancher va constituer un formidable accélérateur dans le recueil des informations : le client, se sentant écouté dans l’expression de ses émotions, livrera beaucoup plus facilement les renseignements techniques qui constituent le socle de notre diagnostic.

Vignette clinique – La famille qui annonce la couleur

53Le motif annoncé est une morsure intra-familiale sur la jeune fille…

54Au moment où tout le monde entre dans la pièce, c’est Monsieur qui tient la laisse du chien. Il tire sa chaise pour se mettre sur ma droite alors que Madame et sa fille rapprochent leurs chaises pour être ensemble sur ma gauche. Le maître a très peur que le chien soit euthanasié et minimise la morsure et les menaces. Dans cette consultation riche en émotions, le moment-clef sera celui où je pourrai amener le père à dire à sa fille qu’il est désolé pour elle et qu’il tient plus à elle qu’au chien. Ce qui était une évidence dans sa tête était contredit par ses actes et empêchait tout travail commun. Dès que cet élément fondamental a été énoncé, la consultation est devenue possible et comme par miracle, les chaises se sont rapprochées.

Le temps du recueil – l’écoute neutre

55Par la suite, c’est le temps où la parole doit être confiée à ceux qui accompagnent le patient. L’entretien est ouvert et semi-directif. Le praticien a en tête des symptômes clefs qu’il cherche à repérer parce qu’ils lui permettent d’établir le diagnostic d’état pathologique et de repérer les neurotransmetteurs impliqués, clef du traitement médical. C’est une phase délicate dans le contrôle de la durée de la consultation : être trop directif, couper la parole trop souvent pour recadrer le client peut appauvrir la qualité des renseignements recueillis. Le laisser parler sans aucune retenue conduit à des consultations fleuves dans lesquelles les informations importantes sont noyées dans un flot de considérations inutiles et où le temps s’écoule très vite.

Le temps du diagnostic – le recadrage

56La phase de recueil pourrait être infinie, il y a toujours des détails à ajouter et certains peuvent être primordiaux. Le praticien doit néanmoins s’astreindre à en contrôler la durée et ne pas dépenser tout son crédit de temps au recueil. À un moment donné, il doit considérer qu’il a assez d’éléments pour construire sa représentation du cas et la faire partager.

57Cet instant-là est l’une des clefs de la réussite et le praticien doit prendre le temps de vérifier qu’il y a une véritable adhésion. Les moments de silence permettant au client de s’approprier le diagnostic et de le reformuler sont autant de garanties de l’accord nécessaire.

Le temps de la thérapie – Pratique et faisabilité

58Une fois acquis l’accord sur le diagnostic, le plus dur semble avoir été fait. Et pourtant c’est souvent à ce moment-là, quand il faut construire et expliquer des éléments précis de thérapie que tout peut être compromis par manque de temps.

59Les indications de thérapie ne doivent pas être trop nombreuses mais ont à être précises et comprises, Il faut donc pouvoir les faire valider et s’assurer que leur mise en œuvre va être efficace.

60Si les personnes du rendez-vous suivant sont déjà là, si le recueil des éléments commémoratifs a duré trop longtemps, le praticien n’a matériellement plus le temps de bien poser les bases de la thérapie et une fois de plus intervient ici le contrôle du temps.

61La consultation, même si elle est différente en médecine humaine et médecine vétérinaire, reste comparable dans ses différents mouvements et dans la gestion de la durée qu’elle exige.

Temps particuliers

62Pour terminer cette revue des différents temps liés à l’animal et à la psychiatrie vétérinaire, il paraît intéressant de se focaliser sur deux aspects opposés qui soulignent l’importance du temps en thérapie vétérinaire.

La proposition précoce d’euthanasie

63Dans certaines consultations, très vite, nous pouvons ressentir que la question de l’euthanasie est latente : morsure sur enfant, sensation de dangerosité, lassitude après beaucoup de destructions ; des clients émanent l’impression qu’ils ne croiront plus à aucune solution. Dans ces cas-là, le praticien doit se poser la question de proposer l’alternative très rapidement. Souvent, dans les formations, en jeu de rôle, nous demandons aux participants de s’entraîner à arrêter très vite l’entretien et à poser la question : « Avez-vous pensé à vous séparer de votre animal ? ». Les étudiants sont étonnés et peu enclins à poser cette question si vite. Pourtant, l’expérience nous a appris que quand l’idée est déjà dans l’esprit des propriétaires, il faut le plus vite possible la matérialiser. Sinon, elle hantera la consultation. Poser la question provoque un choc et redonne le contrôle du temps et de l’avenir au praticien. Quelques fois, la décision était déjà prise et il faudra en prendre acte mais, dans la très grande majorité des cas, la réponse est négative et une fois évacuée, la question ne se posera plus et ne polluera plus le temps de la consultation.

Le suivi de chiens (très) agressifs

64À l’opposé de ce contrôle incisif et brutal du temps de la consultation, la vie professionnelle d’un vétérinaire comportementaliste est souvent marquée par le suivi de chiens très dangereux qu’il a décidé de prendre en charge. N’oublions pas, une fois de plus, que, et ici de façon très opposée à la médecine humaine, l’euthanasie reste une option. Vétérinaires, nous sommes aussi en charge de la santé humaine, en tout cas de sa protection vis-à-vis des risques liés aux animaux. Décider, toujours d’un commun accord avec les maîtres, de prendre en charge un chien agressif avec les humains, c’est endosser le poids d’une responsabilité qui ne nous quitte pas tout au long du traitement. Améliorer un chien peureux à 80 %, c’est rendre heureux tout le monde et ne pas avoir de craintes liées à l’évolution du cas ; améliorer un chien agressif à 80 %, c’est prendre le risque de laisser deux morsures sur dix se produire et d’apprendre un jour qu’un accident grave a eu lieu. Cette décision pourtant de traiter des animaux dangereux, nous la prenons régulièrement en essayant de réduire les risques au minimum pour respecter notre engagement de soigner ces animaux, dans le temps qui nous est imparti.

Vignette clinique – Dagobert, la bombe à retardement

65Dagobert est un chien saint-hubert, de 48 kg. Il accompagne son maître, chef éclaireur dans de grandes randonnées. Il a mordu un enfant qui voulait lui dire au revoir et qui s’est glissé sous le 4x4 de son maître. Le chien souffre des hanches et l’agression peut être reliée à la douleur. Il n’en demeure pas moins que ces circonstances peuvent se reproduire. Après avoir pesé le pour et le contre avec son maître et toute la famille, nous prenons la décision de garder Dagobert en vie et de le traiter. Pendant 6 ans, à chaque fois que le nom de ces clients s’affichera sur mon téléphone, j’aurai un pincement au cœur en me demandant si je vais recevoir l’annonce d’un accident grave.

Conclusion

66Le temps de l’animal que nous soignons est différent du temps humain dans sa rapidité et dans sa durée. Mais il est semblable dans les périodes de fragilité tout au long de la vie ou dans le décours de la consultation et de la thérapie. Ce qui reste une différence fondamentale, c’est la possibilité, par l’existence légale de l’euthanasie, de mettre un point final au temps de l’animal.

Références

  • BEATA C. (2013): Au risque d’aimer. Odile Jacob, Paris.
  • BOSZORMENYI-NAGY I. & SPARK G.M. (2014-1973): Invisible loyalties, Routledge, New York.
  • DERRIDA J. (2006): L’animal que donc je suis. Galilée, Paris.
  • MARLOIS N. & BEATA C. (2016): Le syndrome hypersensibilité-hyperactivité chez le chien. Sciences Psy(6): 93-97.
  • PAGEAT P. (1995). Pathologie du comportement du chien. Editions du Point Vétérinaire, Maisons-Alfort.
  • ZOOPSY (2005): Le Temps. Journées Annuelles de Zoopsy, La Toussuire.

Mots-clés éditeurs : durée, euthanasie, temps, système, animal

Date de mise en ligne : 26/08/2016

https://doi.org/10.3917/ctf.056.0221

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