1Le thème du père a suscité beaucoup d’écrits en sciences humaines, spécialement depuis les changements survenus dans la famille occidentale. Ces changements ont notamment conduit à dissocier différentes dimensions autrefois conjointes chez le même homme, dès lors que nous considérons le père géniteur, le père légal, le père affectif et éducateur.
2Sans doute faut-il, pour clarifier le débat, établir une nette distinction entre la fonction paternelle et le ou les rôles du père.
3La fonction paternelle particulièrement travaillée par la psychanalyse relève de la dimension symbolique. Il y est question de la dimension tierce d’un père séparateur, défusionneur de la relation mère-enfant. Si on suit Lacan, c’est de cette manière que peut s’ordonner le désir et que se structure le psychisme. Faute de la présence de cette fonction paternelle symbolique, le monde de l’enfant se réduirait à la seule satisfaction des pulsions. On peut alors dire que la fonction paternelle éloigne l’enfant de l’état de nature pour le faire entrer dans la culture. Ce père de la psychanalyse est un père de discours. Il est dégagé de la réalité. Il peut même être absent de la réalité, ou ne pas être réellement le père de l’enfant.
4Le père que l’on observe est un père engagé dans la réalité relationnelle. Si d’un côté il incarne une fonction, d’un autre côté il occupe auprès de l’enfant une place spécifique et il joue un ou des rôles liés à sa présence. La référence au modèle de l’attachement permet alors d’apprécier la qualité de cette présence et d’en mesurer les effets. Le père dont il est alors question est plus situé du côté de la nature. Peut-être pouvons-nous dire alors qu’il s’agit d’un père attracteur. C’est en tout cas ce que nous allons essayer d’examiner plus précisément, en apportant quelques éclairages à partir de l’attachement compris comme système.
I – L’attachement est un système motivationnel
5On sait que l’attachement, comme théorie, est issu des observations cliniques de Bowlby connectées à sa connaissance des études éthologiques et de la théorie de l’évolution.
6A. L’attachement peut alors se situer du côté de l’instinct et être raccordé à l’idée d’instinct maternel. C’est ce que les féministes n’ont pas manqué de critiquer.
7En même temps, le père ici n’a guère sa place, à moins aussi de considérer un instinct paternel, ce qui paraît encore plus problématique que pour la mère.
8L’instinct a été théorisé par Lorenz (1965) comme une motivation à produire un comportement pré-programmé et inné, ne laissant aucune place à ce qui est acquis. Ainsi, à la différence de l’homme l’animal ne serait guidé que par un ensemble de forces endogènes.
9John Bowlby a développé ses idées sur l’attachement en s’inspirant du modèle de Tinbergen (1994) et en considérant un besoin de protection primaire inné et génétiquement programmé, mais en ayant, de plus, recours à la notion de « système motivationnel » (Bowlby, 1978). Le système motivationnel tel que Hinde (1984) en a développé la compréhension, permet de se dégager de la distinction inné-acquis en décrivant des séquences comportementales développées dans l’interaction entre des facteurs endogènes et des facteurs exogènes. Les facteurs endogènes constituent une tendance à base innée (Hinde, 1984) qui guide le développement. Les facteurs exogènes comportent des phénomènes d’apprentissage. C’est l’interaction entre les tendances de base et les facteurs d’apprentissage qui déterminent l’état final. La motivation constitue un élément central devant être compris de manière cybernétique. Cela signifie que le comportement produit est constamment transformé sous l’influence des réactions de l’environnement dans lequel il se manifeste.
10Compris de cette manière, l’attachement est une version « éco-comportementale » (Cezilly, 2014) de l’instinct aussi bien de ce que la psychanalyse nomme pulsion (certains ont pu ainsi, à la suite d’Anzieu, évoquer une « pulsion d’attachement »).
11L’attachement est donc un système de motivationnel de protection développé chez les petits dans les interactions avec un ou des parents ; dans l’espèce humaine, il se construit au cours « d’une période sensible » entre 3 et 18 mois.
12Remarquons que dans la nature, les soins parentaux sont, dans de nombreuses espèces, assurés par les deux parents, et même parfois par le père plus que par la mère (Cezilly, 2014).
13Les phénomènes d’apprentissage conduisent à apprécier la co-adaptation entre le comportement de l’enfant et les réponses apportées par la ou les figures de soins parentales.
14De ce point de vue, on doit considérer le répertoire des comportements de la figure parentale répondant aux signaux de détresse de l’enfant. On peut alors décrire un système de caregiving développé chez le parent en réponse au système d’attachement activé chez l’enfant.
15Le système de caregiving est sous la dépendance de multiples facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et culturels. En nous limitant aux bases biologiques, nous pouvons considérer le bonding, c’est-à-dire ce qui pousse la mère notamment, à s’engager dans un sentiment de responsabilité unique et exclusive avec son bébé (Feldman et al., 1999) sous l’influence de l’ocytocine qu’on peut qualifier d’hormone du lien ; cette dernière est particulièrement impliquée dans la reconnaissance des émotions sur le visage.
16Remarquons que l’ocytocine est sécrétée dans toutes les formes de liens affectifs, comme lors du sentiment amoureux, et dans les deux sexes. On a l’habitude d’affirmer que ses effets chez l’homme sont contrebalancés par la sécrétion de testostérone. On peut cependant se demander si, à l’inverse, les effets de la testostérone ne pourraient pas être atténués par la libération d’ocytocine lors des interactions de proximité affective, comme cela peut être le cas dans la relation père-enfant (en tout cas des études montrent une baisse de la testostérone chez des hommes devenus pères) (Cezilly, 2014).
17Quoi qu’il en soit, c’est essentiellement la dyade formée par l’enfant et sa mère que les attachementistes se sont efforcés d’observer et d’étudier. Le protocole expérimental de la situation étrange (Ainsworth et al., 1978) a notamment permis l’individualisation de plusieurs types d’attachement.
18B. L’observation clinique oblige à complexifier les données issues de la psychologie expérimentale.
1 – Les attachements multiples : une place pour le père
19Bowlby a affirmé l’attachement comme monotropique. En effet dans une conception évolutionniste, la survie de l’espèce impose au petit, pour être protégé, d’aller vers une figure spécifique responsable de sa survie, naturellement sa mère portée biologiquement à prendre soin d’une progéniture qui porte ses gènes, et dont la perte constituerait un dommage d’autant plus important que sa capacité de reproduction est restreinte en raison du nombre limité d’ovules qu’elle peut produire.
20Toutefois, de nombreuses observations conduisent à modifier ces affirmations :
- D’abord, l’enfant ne s’attache pas uniquement à sa mère. D’autres adultes peuvent constituer des figures d’attachement, comme une grand-mère, un grand-père, une sœur ou un frère ainé, un professionnel du soin. Ces attachements multiples constituent un gain adaptatif en permettant un meilleur développement des liens sociaux. Bowlby lui-même reconnaissait ces possibilités, mais avec toutefois la nécessité pour l’enfant de construire un attachement privilégié avec une figure de soins spécifique, celle vers qui il se tourne préférentiellement pour se sentir protégé, les autres figures de soins n’étant que secondaires ou alternatives, possibilités de recours quand la figure principale vient à manquer ou n’est pas disponible.
- Ensuite le père joue sa part. Il n’est pas une figure secondaire à mettre au même plan que les autres. On peut retenir aujourd’hui un caregiving paternel, sous la dépendance, comme le caregiving maternel, de facteurs biologiques, psychologiques, sociaux et culturels.
21Dans de nombreuses espèces, et spécialement celles qu’on peut qualifier de biparentales et monogames, le père intervient dans les soins de l’enfant. Cela n’est pas très probant chez les singes anthropoïdes. Mais c’est beaucoup plus net dans d’autres espèces. Ainsi chez certains gibbons, les pères portent les jeunes sur leur dos, et passent plus de temps que les mères à jouer avec eux et à les épouiller (Cezilly, 2014).
22Mais c’est à l’intérieur même de l’espèce humaine que nous pouvons faire des constats probants. Ainsi dans les sociétés premières des chasseurs-cueilleurs, le père, la mère et les enfants se déplacent sur de grandes distances pour pourvoir à leur nourriture. Les pères passent beaucoup de temps à porter les tout jeunes enfants. Ils leur accordent beaucoup d’attention, jouent avec eux, les nourrissent et font leur toilette, tandis que les mères sont à la cueillette (Hewlett, 1992). On a même montré que la contribution paternelle augmente sensiblement, dans certaines populations traditionnelles, la survie des enfants, et cela en raison du rôle protecteur que jouent les pères dans la socialisation de l’individu.
23De grandes variations sont bien sûr observables, selon les cultures et les modes de vie. On peut dire d’une manière générale que plus l’asymétrie est grande entre les deux sexes pour l’obtention des ressources, plus l’implication des pères est faible. À l’inverse, l’évolution des sociétés industrielles et post-industrielles vers une plus grande égalité des sexes dans le domaine du travail, nous permet de constater une implication plus forte des pères dans les soins parentaux. Il faut sans doute y voir la conjonction d’une évolution culturelle et de l’influence des bases biologiques qui peuvent soustendre une sensibilité paternelle.
24En tout cas, les attachementistes ont jusqu’à récemment laissé le père de côté, et ne se sont guère posé la question d’une éventuelle spécificité, en considérant les seules caractéristiques de l’attachement développé avec une figure maternelle et orienté par les soins précoces et les tâches nourricières.
2 – L’attachement n’est pas qu’un système de protection nécessaire à la survie
25Il est un système de protection nécessaire à l’exploration du monde et à la vie sociale. Bowlby a insisté sur les deux composantes qui constituent le système d’attachement : l’obtention de la proximité en cas de danger, l’ouverture au monde et l’exploration quand la sécurité est obtenue. De cette manière l’attachement fonctionne comme un système on/off, activé quand le besoin de protection se fait sentir, désactivé en l’absence de danger. Cependant, s’il est vrai que l’enfant en détresse initie des interactions visant le réconfort grâce aux réponses apaisantes de la figure d’attachement, il est aussi vrai que dans le bonding, la mère initie de son côté des séquences visant le plaisir, la joie et la satisfaction pour son bébé comme pour elle. À première vue de telles expériences n’ont aucune utilité pour la survie. Sourire à l’enfant, le chatouiller, le gratouiller, le surprendre, jouer avec son corps ne sont pas une nécessité vitale. Pourtant, toutes ces séquences sont incluses dans le caregiving, et on peut faire le constat qu’elles améliorent les possibilités adaptatives de l’enfant, son ouverture au monde et sa socialisation.
26Autrement dit, c’est la deuxième composante de l’attachement qui est ici activée. On peut d’ailleurs examiner attentivement cette composante et repérer diverses caractéristiques corrélées à l’attachement de la mère. Ainsi, il est des mères peu stimulantes, sollicitant peu l’intérêt de l’enfant. Il en est d’autres qui vont déclencher des tentatives de retrait de l’enfant car leurs stimulations sont trop intenses, trop prolongées, trop intrusives. Il en est aussi qui interviennent à contretemps, quand l’enfant n’est pas prêt.
27Ainsi, dans l’attachement, il nous faut considérer tout autant l’apaisement des émotions négatives que la stimulation des émotions positives. L’attachement se tient entre l’activation d’un système d’alerte dans le stress et celle d’un système de récompense. Il est alors question d’une régulation continue des émotions, d’une balance harmonieuse entre l’apaisement des émotions négatives et la stimulation des émotions positives.
28Il est intéressant de constater que lorsque les pères interviennent dans les soins précoces à l’enfant, ils le font en étant plus stimulant que les mères, en activant plus spécialement la deuxième composante de l’attachement. Ils orientent davantage l’enfant vers l’activité physique et cherchent l’excitation (Lamb, 1976 ; Park, 1978).
29Faut-il alors considérer le père comme une figure d’attachement secondaire, ou comme susceptible de jouer un autre rôle ?
3 – L’attachement est un système dynamique présent tout au long de la vie
30Bowlby lui-même a fortement affirmé cette caractéristique. Mais il faut alors en comprendre plusieurs conséquences.
- Pour commencer, la construction de l’attachement est longue, beaucoup plus que ce qui se passe habituellement dans les diverses espèces animales. On sait aujourd’hui que maturation cérébrale et attachement sont liés. Or, si le cerveau des chimpanzés atteint 80 % de sa taille adulte à un an, ce même développement n’est atteint que vers 4 ans chez l’homme. Cela signifie que l’enfant a largement dépassé le stade des tâches nourricières. On peut penser alors à plusieurs phases dans le développement de l’attachement. Il existe d’abord un besoin vital de protection chez le bébé qui ne peut pas se mouvoir. Mais lorsque la motricité lui permet davantage d’explorer le monde, il doit, en même temps que la découverte, faire l’expérience des limites, de la frustration, des contraintes. Il est alors question dans l’attachement d’un nouveau but adaptatif venu s’ajouter à la protection. Il est question de socialité, de la mise en perspective du désir personnel et de l’intérêt d’autrui. Il est question de tâches éducatives conduisant à examiner les rôles respectifs et combinés des figures d’attachement que sont la mère et le père.
- Ensuite, l’attachement se complexifie en passant de la construction de séquences comportementales conservées dans la mémoire procédurale durant la période pré-verbale du développement, puis faisant l’objet de représentations conservées dans la mémoire déclarative, autobiographique, avec l’apparition des possibilités langagières. Ces représentations sont alors susceptibles de connaître certaines variations, certains aménagements, voire des transformations au fur et à mesure des expériences, événements et rencontres significatives. La plasticité cérébrale contribue à des modifications, remaniements des attachements au cours de différentes « périodes sensibles » de l’existence. L’adolescence est une de ces « périodes sensibles », mais également la constitution d’un couple. Cela signifie que chaque partenaire va devenir une figure d’attachement pour l’autre. Ainsi chacun dans un couple peut être en attente de soins, de l’attention que peut lui porter son partenaire. L’arrivée d’un enfant va alors constituer une autre « période sensible » où vont devoir se conjuguer l’attachement conjugal et les systèmes de caregiving maternel et paternel.
31Les études sur l’attachement conduisent à des données différentes selon qu’elles sont pratiquées dans le champ de la psychologie expérimentale, dans celui de la psychosociologie, ou selon qu’elles relèvent de l’observation clinique. Par ailleurs la place et le rôle du père sont largement influencés par le contexte social et culturel, plus encore que la place et le rôle de la mère, même s’il est abusif de penser que la figure d’attachement maternelle est appuyée sur la nature, tandis que la figure d’attachement paternel serait plus en rapport avec la culture. On peut mieux situer le caregiving paternel si l’on retient que l’enfant construit habituellement un attachement avec différentes figures de soins, que l’attachement ne se réduit pas à la recherche de la protection, et qu’il subit certaines évolutions tout au long de l’existence.
II – Les rôles du père dans l’attachement
32Finalement, il vaut mieux considérer différents rôles dont nous pouvons mieux comprendre les caractéristiques en croisant ce qui est observé et les différentes configurations familiales dans lesquelles sont pratiquées les observations.
A – Le père est une figure d’attachement comme la mère, mais secondaire
33Comme la mère, le père est ici une figure de protection et de sécurité. On étend au père les mêmes caractéristiques que celles relevant des études centrées sur les interactions dans la dyade mère-enfant. Ainsi on examine avec le père les conséquences de la séparation, comme elles sont explorées avec la situation étrange, où lorsque l’enfant est plus grand avec les histoires à compléter, mettant en scène des scénarios insécurisants pour l’enfant. Ces explorations de l’attachement de l’enfant avec le père sont beaucoup moins nombreuses que celles réalisées avec la mère. Elles concluent au rôle privilégié de la figure de soins maternelle : indépendamment semble-t-il du temps que passe chaque parent auprès de l’enfant, celui-ci se tourne préférentiellement vers sa mère comme base de sécurité (Guedeney & Guedeney, 2009). On peut dire dans ces conditions que c’est le caregiving maternel qui donne le ton. Le père apparaît moins indispensable, il peut remplacer la mère quand elle est absente ou indisponible. On peut aussi comprendre son rôle comme apportant une contribution dans un système qualifié habituellement de hiérarchique (Pierrehumbert 2003), c’est-à-dire dominé par la mère. Il en est ainsi parce que l’attachement de l’enfant à sa mère est ancré biologiquement, en raison des empreintes précoces déjà établies dès la vie fœtale, et poursuivies avec une intensité sans pareil durant la période néo-natale. Malgré sa présence, le père n’a pas la possibilité de fournir à l’enfant une enveloppe sensorielle aussi consistante.
34Malgré tout, on peut distinguer deux types de rôles différents.
- Il y a celui des pères qu’on peut qualifier de traditionnels : ces pères se tiennent à la périphérie de la relation mère-enfant. Ils interviennent peu dans les soins précoces, et apparaissent surtout comme une figure d’autorité quand l’enfant grandi. Ces pères sont nettement différenciés de la mère dans leurs rôles et dans les représentations que l’enfant s’en fait.
- Il y a celui des pères modernes qu’on peut qualifier de « maternants ». Ces pères interviennent dans les soins précoces, s’efforcent de faire avec l’enfant comme la mère. On a affaire à un couple parental dont la conjugalité répond à un modèle égalitaire. Du même coup, les rôles entre les parents sont plus interchangeables, moins différenciés et dominés par le modèle maternel premier qu’incarne la mère.
35Tout cela ne va pas sans conséquence lors des séparations conjugales :
- Lors des séparations conjugales avec hébergement de l’enfant chez la mère et droit de visite au père, un jeune enfant, lorsqu’il se rend chez son père figure d’attachement secondaire, peut exprimer une souffrance. Le père risque d’être repéré comme n’étant pas suffisamment un pôle de confiance et de réconfort pour un enfant qui souffre de la séparation d’avec la figure principale d’attachement que constitue la mère. Le malaise qu’il vit et exprime risque d’être interprété à tort comme lié à des difficultés relationnelles avec le père.
36Dans les situations de séparations conflictuelles, des exploitations peuvent être faites à partir des interprétations erronées du comportement de l’enfant. Les critiques et acrimonies d’un partenaire contre l’autre peuvent être exacerbées à tort.
- Lors de séparations conjugales avec hébergement alterné, la situation peut devenir particulièrement insécurisante pour un tout jeune enfant dont la maturation cérébrale ne lui permet pas de s’inscrire dans une temporalité suffisante. À 3 ans, l’enfant ne conçoit guère une durée supérieure à 48 ou 72 heures. S’il est séparé de sa figure d’attachement pendant une semaine, c’est comme s’il perdait son havre de sécurité. Il le retrouve au bout d’une semaine, mais le reperd à nouveau la semaine suivante. Il vit une discontinuité particulièrement préjudiciable à son développement.
B – Le père est une figure d’attachement indépendante et différente de la figure d’attachement maternel
37Cela signifie qu’il a des effets spécifiques sur le développement de l’enfant. On ne peut pas transposer aux relations avec le père ce que l’on observe des relations de l’enfant avec sa mère. Toutes les observations soulignent que le père ne répond pas tout à fait de la même manière que la mère aux attentes de l’enfant, et ces différences semblent s’accentuer au fur et à mesure que l’enfant grandi. Il se montre globalement plus stimulant et initie avec l’enfant des jeux plus physiques, plus orientés vers l’environnement, éveillant davantage la curiosité, suscitant aussi davantage de comportements associés à des principes et des règles. Mais si nous retenons un caregiving paternel différent du caregiving maternel, il nous faut changer de modèle d’évaluation, afin d’apprécier non plus les effets de la séparation, mais désormais les effets de la stimulation.
38Dans cette optique le canadien Paquette a mis au point une procédure d’observation intitulée « la situation risquée » (Paquette & Bigras, 2010). Des enfants de 12 à 18 mois sont observés avec leur père dans un lieu étranger pour eux et dans lequel se trouvent des jouets et un inconnu. Comme dans le protocole de la situation étrange, des épisodes successifs se déroulent, au cours desquels l’enfant est exposé à un risque social (l’homme étranger se montre progressivement de plus en plus intrusif avec lui), puis physique (un escalier en haut duquel se trouvent des jouets).
39Une grille de codification permet de classer des dyades père-enfant selon trois catégories :
- Dans l’activation les enfants se montrent à la fois confiants et prudents. Ils respectent les limites parentales, par exemple lorsque le père leur interdit de monter à l’escalier. Ils interagissent avec l’étranger, mais se retirent de l’interaction quand celui-ci se montre trop intrusif.
- Dans la sous-activation, l’enfant se montre passif, anxieux. Il reste à proximité du père, s’engage peu dans l’exploration. Il ne s’engage pas dans l’escalier tout seul. Il lui faut l’aide du père. Celui-ci se montre contrôlant, surveille l’enfant et veille à ce qu’il ne s’éloigne pas trop de lui.
- Dans la suractivation, les enfants adoptent des comportements téméraires. Ils ne font pas attention au père, lequel lui-même se tient souvent à distance et ne réalise pas le plus souvent une protection suffisante. De toute façon, les enfants en général ne respectent pas les limites que le père tente parfois de leur imposer. Ils grimpent compulsivement à l’escalier. Ils sont exagérément à l’aise avec l’étranger, même quand celui-ci se montre intrusif.
40On peut bien sûr utiliser ce même protocole d’observation avec la mère. Et on peut retenir finalement dans l’attachement une figure principale d’attachement, le plus souvent la mère, telle qu’elle apparaît dans le protocole de la situation étrange, et une figure principale d’activation, le plus souvent le père, telle qu’elle apparaît dans le protocole de la situation risquée.
41Finalement le caregiving paternel dans sa spécificité revêt les caractéristiques suivantes :
- Il ouvre davantage que le caregiving maternel au monde extérieur et à son exploration par l’apprentissage du risque, d’une motivation à l’exploration de l’inconnu dans le contexte de la confiance et d’une suffisante sécurité permise par les encouragements paternels.
- Il introduit à la notion de limites, à la prise de conscience du danger, à la résolution de problèmes. On peut y ajouter le maniement de principes, de règles et de droits, l’accession à une expression linguistique mieux dégagée de l’infantile (le parler bébé) (Le Camus, 2000).
42Autrement dit, il est question d’un père attracteur. Il n’est plus secondaire, dans le sens d’une moindre importance par rapport à ce qui est premier, ni seulement dans le sens chronologique de ce qui vient après le primaire, mais dans le sens structural de ce qui introduit à plus de complexité par rapport à ce qui est plus primitif, archaïque. C’est pourquoi d’ailleurs on perçoit mieux la figure d’attachement du père quand l’enfant a 2 ans, 4 ans et même davantage, lorsqu’il devient plus sensible aux jeux et à l’apprentissage (Grossman et al., 2002).
43D’ailleurs des études longitudinales montrent que les représentations d’attachement à l’adolescence sont plus sécures et donnent lieu à plus de conduites d’autonomisation lorsque les pères se sont montrés plus encourageants à la prise de risque dans la petite enfance (Grossman et al., 2005). Le père est, dans l’attachement, une figure de complexification de deux manières :
- D’abord il vient constituer une médiation entre le monde extérieur et l’enfant qui vient s’ajouter à la médiation que la figure d’attachement maternelle a pu constituer entre le monde intérieur de l’enfant et lui-même dans la régulation de ses émotions.
- Ensuite il introduit une différenciation. Les représentations dans les M.I.O. vont permettre la coexistence de différences liées aux modes de réponses différentes des parents. Ces différences vont plus tard, au cours du développement, être mieux comparées, mises en perspective et intégrées, nous allons y revenir.
44La spécificité masculine de la présence du père a été bien étudiée en France par Bourçois (1993) et Le Camus (1997). Ainsi Bourçois a réalisé une étude sur des enfants en crèche en distinguant 3 groupes :
- Des enfants avec père non engagé, non impliqué.
- Des enfants avec père engagé, mais d’une manière peu différenciée (père maternant exerçant auprès de l’enfant un rôle comparable à celui de la mère).
45Ces deux situations correspondent au père figure d’attachement secondaire.
- Des enfants avec père engagé de « manière différenciée » par rapport à la mère. Il s’agit donc ici du père comme figure d’attachement indépendante, « activatrice » (Paquette & Bigras, 2010).
46L’attachement le plus mature, c’est-à-dire correspondant à des enfants montrant une bonne autonomie pour leur âge, une bonne ouverture sociale, de bonnes capacités d’interaction, est rencontré chez les enfants du troisième groupe. Remarquons que les mêmes données apparaissent concernant l’identité de genre, les rôles masculins et féminins étant mieux différenciés entre garçons et filles. L’homoparentalité confronte de ce point de vue à la nécessité de la différenciation. Indépendamment des autres facteurs qui caractérisent cette configuration familiale, notamment les rapports à la parenté et le processus identitaire, les études établissent en général la possibilité pour les enfants de construire un attachement de bonne qualité. Mais celui-ci gagne sans doute à être établi avec des parents capables d’apparaitre dans des rôles suffisamment différenciés l’un par rapport à l’autre. On peut dire finalement que le père d’aujourd’hui a besoin, comme figure d’attachement spécifique, d’être un père « paternant » au lieu d’être un père « maternant » qui cherche à faire avec l’enfant comme la mère.
C – Le père dans l’attachement selon un modèle triadique
47Il s’agit ici de comprendre le rôle du père, non plus seulement comme figure d’attachement secondaire, ou indépendante et spécifique, mais comme élément dans un ensemble interactionnel constitué par la triade père-mère-enfant.
48Le modèle de la dyade est insuffisant pour rendre compte de l’attachement que l’enfant construit dans sa famille. Celle-ci en effet n’est pas constituée d’une juxtaposition de dyades, même s’il existe des dyades au sein d’une famille (comme le couple conjugal par exemple), pas plus d’ailleurs que par une juxtaposition d’individus. C’est un système, avec toutes les caractéristiques connues que cela comporte. La procédure du jeu triadique de Lausanne (Fivaz-Depeursinge & Corboz-Warnery, 2001) permet l’examen des interactions de l’enfant avec chacun des parents, avec les parents ensemble, ainsi que l’examen des interactions des parents en présence de l’enfant. S’agissant de l’attachement, lui-même compris comme système, on peut évoquer un système de systèmes, un méta-système. On peut aussi dire de la famille qu’elle est un groupe d’attachement. Les différents partenaires entretiennent entre eux des relations dont la qualité est tributaire de la manière dont ils sont attachés les uns aux autres.
49Il nous faut donc étudier le rôle du père selon un modèle que les attachementistes qualifient d’intégratif (Howes, 1999). Ils entendent en général par là la manière dont les différents attachements liés au caregiving des différentes personnes qui dispensent des soins à l’enfant peuvent se compléter, se compenser l’un et l’autre.
50Mais il faut, à mon sens, compléter cette compréhension par une vision diachronique selon laquelle au fur et à mesure du développement de l’enfant, les M.I.O. se complexifient. Ils sont au début constitués par les représentations d’attachement à la mère, et par les représentations juxtaposées des représentations d’attachement au père. Le modèle dyadique suffit aux tâches nourricières. Mais l’apparition des tâches éducatives, à partir de 1,5 à 2 ans, rend nécessaire le passage à un monde triadique, à la mise en dialogue dans les représentations des deux figures d’attachement distinctes qui se complètent, s’articulent ou s’opposent.
51Dans ces conditions les représentations d’attachement sont peu à peu conjuguées, mises en perspective, intégrées de sorte qu’elles associent :
- Les représentations d’attachement avec chaque parent.
- Les représentations d’attachement avec les parents ensemble. En effet ceux-ci ne se comportent pas de la même manière quand ils sont seuls avec l’enfant et quand ils sont ensemble avec lui. De même, l’enfant ne développe pas les mêmes attitudes quand il est seul avec chaque parent et quand il est avec eux deux.
- Les représentations de la manière dont les deux parents sont attachés entre eux.
52Ce n’est finalement que vers l’âge de 10 ans que cette perspective multidimensionnelle de l’attachement est acquise. Avant cet âge, il est difficile pour l’enfant confronté à une situation de séparation conjugale, de comprendre que lorsque l’un des parents ne vit plus à la maison et se trouve éloigné, ce parent peut sincèrement l’aimer et lui porter attention, bien que par ailleurs il n’aime plus l’autre parent.
53Donc, le modèle triadique oblige à considérer :
- Le parent comme figure d’attachement pour l’enfant.
- Le parent comme influençant l’attachement de l’enfant à l’autre parent, en même temps figure d’attachement pour lui-même dans le lien conjugal.
54Chaque relation est influencée par l’autre (Hinde et al., 1985).
55Différentes configurations sont alors possibles :
561. Lorsque les deux parents ont établi entre eux un lien sécure, et constituent chacun un caregiving bien adapté aux besoins de l’enfant, on peut retenir un effet de potentialisation. Le père est alors souvent attentif à sa partenaire comme à l’enfant. Il donne confiance à la mère en même temps qu’il intervient dans les soins à l’enfant selon le mode spécifique qui le caractérise.
57L’enfant construit de son côté un attachement sécure dans un style interactionnel où les caregiving maternel et paternel se développent de manière coopérative.
58Cette dimension coopérative est spécialement à l’œuvre dans la pratique des tâches éducatives entre la 2e et la 4e année, lorsqu’il est question pour l’enfant d’apprendre à obéir. On peut dire alors que les parents exercent une autorité fonctionnelle qui leur donne confiance et renforce les bases sécures sur lesquelles s’appuient leurs comportements. Attachement et autorité se renforcent mutuellement.
592. Lorsque la mère est sécure tandis que le père est insécure, les conséquences sont variables pour l’enfant selon la plus ou moins grande sérénité du lien conjugal.
- En effet il est des situations où la mère est suffisamment sereine pour sécuriser son conjoint, figure principale d’attachement pour l’enfant. Elle se montre en même temps en capacité d’influencer favorablement les rapports père-enfant. Dans ces conditions s’établit une alliance coopérative modérée qui nécessite pour se maintenir que la mère conserve dans la triade une suffisante sécurité.
- Mais il est des situations où le père fortement insécure, insécurise la mère. Il n’est pas en capacité de soutenir la mère dans son rôle auprès de l’enfant, pas plus qu’il ne parvient à exercer le caregiving paternel avec l’adaptabilité et la spécificité nécessaire. Il devient plus difficile à l’enfant de développer un attachement sécure. Les soins précoces ont pu être de bonne qualité, avec une mère attentive. Mais les difficultés peuvent survenir dans l’exercice des tâches éducatives, car la coopération entre les parents devient difficile à ce niveau.
603. Lorsque la mère est insécure, l’influence du père sur l’attachement de l’enfant est variable selon son propre attachement et selon son degré d’implication dans les soins à l’enfant. S’il est suffisamment engagé et sécure, il peut jouer un rôle compensatoire (Attili, 2014) en sésurisant la mère, en influençant sa manière de prendre soin de l’enfant, en même temps qu’il se montre soucieux de son rôle direct et spécifique auprès de l’enfant. On peut dire alors que la triade est sécurisée.
614. Lorsque les deux parents sont engagés entre eux dans des liens insécures, le degré de satisfaction conjugale est limité et cela a un retentissement sur la qualité de l’attachement que l’enfant construit, même si dans l’entourage, des figures de soins peuvent constituer des bases de sécurité alternatives.
62Ici, se développe souvent entre les parents une alliance collusive (Fivaz-Depeursinge & Corboz-Warnery, 2001) selon laquelle se manifestent des tensions, des désaccords qui ne parviennent pas à être résolus et finissent par se jouer sur la scène de la parentalité. L’enfant se trouve triangulé, pris dans les jeux d’alliance d’un côté ou de l’autre, jeux au cours desquels il peut arriver que les rôles s’inversent et qu’il soit attendu de l’enfant qu’il sécurise l’un ou l’autre de ses parents. Les tâches éducatives sont spécialement concernées par les désaccords. L’autorité dysfonctionnelle qui dans ces conditions se met en place, aggrave le sentiment d’insécurité des uns et des autres. Autorité dysfonctionnelle et insécurité dans l’attachement se renforcent mutuellement.
635. Il arrive que domine dans le couple conjugal un style relationnel désorganisé lorsque l’un ou les deux parents vivent une importante détresse liée à des blessures d’attachements. La désorganisation concerne alors l’ensemble de la vie familiale.
64Une mère, insécurisée par la désorganisation d’attachement du père, peut parvenir malgré tout à sécuriser la relation avec l’enfant, pour peu que le père n’intervienne pas trop à ce niveau. Mais il sera au contraire difficile à l’enfant de construire un attachement suffisamment sécure lorsque sa mère présente un attachement désorganisé, même si le père se montre très attentif à l’enfant et soucieux de réparer les inadéquations de la mère. En effet, la maltraitance augmente l’attachement parce que plus l’enfant se sent blessé, plus il a besoin de réconfort de la part de l’acteur des blessures, de sorte que paradoxalement la mère demeure dans ce cas une figure principale d’attachement.
65Finalement, l’implication parentale auprès de l’enfant est souvent troublée lorsque le lien conjugal est insécure, et par conséquent source d’insatisfactions. Des relations insécures peuvent s’instaurer entre un enfant et son parent. Il est possible que l’autre parent puisse corriger, tamponner, compenser les réponses inadaptées que reçoit l’enfant pour peu qu’il soit suffisamment sécure. Mais il est possible aussi qu’aux prises avec sa propre insécurité, il soit conduit, comme son partenaire, à réguler, ou à tenter de réguler sur la scène extra-psychique, interpersonnelle les difficultés émotionnelles liées à ses insatisfactions. L’enfant alors court le risque d’une instrumentalisation, d’une triangulation que les systémiciens ont par ailleurs bien étudiée. La lecture de ces triangulations en termes d’attachement (Delage, 2014) leur donne une consistance nouvelle. Elle oblige aussi à complexifier les schémas et à comprendre les mécanismes de transformation des représentations qui sont en jeu, dès lors que les différents styles ou états d’esprits d’attachement s’influencent les uns les autres. Une manière intéressante de comprendre les éléments interactionnels qui sont en jeu est de raisonner, comme le fait Byng-Hall (2013) en termes de scripts. Ceux-ci comportent des alternances de jeux relationnels dyadiques (les partenaires conjugaux ou parentaux entre eux, l’enfant avec chaque parent) et triadiques (parents et enfants ensemble).
- Les scripts sécures permettent une bonne flexibilité dans ces alternances.
- Les scripts insécures sont caractérisés par un manque de souplesse, une rigidité relationnelle qui ne permet pas le passage souple et adapté de la dyade à la triade.
De nombreux cas de figure seraient ici à envisager : s’agissant du père, nous pouvons pas exemple constater qu’un père évitant, désengagé, peut se retirer et rester en périphérie d’une relation privilégiée entre la mère et l’enfant. Il apparaîtra comme une figure secondaire d’attachement. En même temps qu’il se sent mal venu dans la dyade mère-enfant, ce qui pourra se manifester par des tensions dans le couple conjugal. Un père anxieux-ambivalent peut chercher à s’accaparer sa partenaire au détriment de l’enfant, à moins qu’il ne cherche à s’accaparer l’enfant, la caractéristique de la triade étant de toute façon ici une lutte incessante de chacun pour se maintenir au sein du groupe.
66De plus, la spécificité paternelle apparaît pleinement dans l’exercice des tâches éducatives, lorsque se combinent attachement et autorité. L’enfant sécure accepte mieux les limites et directives de ses parents, tout spécialement s’il peut compter sur un père, lui-même sécure et encourageant, faisant preuve d’une alliance coopérative avec la mère.
67Certaines configurations familiales contemporaines peuvent être, de ce point de vue, problématiques :
- Dans les situations de monoparentalité où l’enfant ne se développe qu’avec une seule figure d’attachement, en règle générale la mère, il peut être difficile à celle-ci de conjuguer le caregiving maternal et l’exercice de l’autorité.
- Dans les recompositions familiales, le beau-parent peut éprouver des difficultés à trouver sa place dans le sous-système parental, susceptible d’être composé de trois ou quatre partenaires. Il peut apparaître comme une figure concurrente et l’alliance coopérative est parfois difficile à obtenir. De toute façon, le beau-parent doit effectuer un travail spécifique pour devenir une figure d’attachement pour l’enfant. Ainsi un beau-père ne peut exercer des tâches éducatives qu’après avoir pu développer un caregiving paternel au cours duquel il s’est montré attentif et sensible aux besoins de l’enfant, donnant confiance et montrant ses capacités à protéger. Ce n’est que lorsqu’il est repéré comme aimant et sensible qu’il peut fixer des limites et des directives. L’alliance coopérative avec la mère suppose que celle-ci, de son côté, puisse l’accepter comme figure d’attachement auprès de l’enfant.
II – Le rôle du père dans l’attachement. Brèves réflexions sur les conséquences thérapeutiques
68Lorsque des symptômes présentés par un enfant conduisent au repérage d’insécurités dans l’attachement, il est intéressant de concevoir un modèle de traitement familial dans lequel les liens d’attachement peuvent être évalués et travaillés de manière dyadique et triadique y compris avec de très jeunes enfants. Le père a, dans ces conditions, une place entière dont on examine l’importance et la spécificité au même titre que la mère.
69L’évaluation utilise des méthodes dérivées de la situation étrange. On est ici dans les premières séances d’une intervention thérapeutique. L’observation réalisée permet des commentaires et donne lieu à des réflexions visant à la compréhension des émotions exprimées et des attitudes constatées.
- Dans la méthodologie utilisée par Marvin & Stewart (1990), les thérapeutes observent derrière la vitre sans tain la disposition spontanée des parents et de leurs enfants dans la salle de thérapie où ils sont introduits pour une première séance. Puis, on note les changements dans les attitudes qui apparaissent à l’arrivée du thérapeute ; il est ensuite demandé à la mère de quitter la pièce, tandis qu’on est attentif à la manière dont le père est utilisé ou non comme base de sécurité. Cette même observation est reconduite avec la mère.
- Dans le test de séparation familiale (Byng-Hall, 2013), les deux parents quittent la pièce à un moment donné. On observe ce qui se passe lorsque les enfants sont seuls avec le thérapeute, comment ils régulent les interactions entre eux. Lorsque les parents reviennent dans la pièce, on apprécie les interactions entre les partenaires, et notamment lequel des parents apparaît comme base de sécurité préférentielle.
70Le travail familial peut ensuite se poursuivre. Le thérapeute est conduit à s’engager activement dans des échanges avec le ou les enfants en présence des parents, échanges ludiques utilisant le jeu, puis aidant à l’accordage des parents avec l’enfant. Il est fréquent qu’un travail spécifique soit engagé au niveau des interactions de l’enfant avec chaque parent séparément, à la condition de demeurer centré sur l’ici et maintenant des caractéristiques d’attachement, et tout spécialement quand il s’agit de très jeunes enfants. Enfin, il est habituel que soient examinées et réfléchies les interactions des deux parents entre eux. C’est de cette manière que peuvent être travaillés les scripts relationnels basés sur les attachements. Ils sont abordés dans une perspective intergénérationnelle qui permet de situer les scripts insécures dans la répétition ou les tentatives de correction des dysfonctionnalités vécues dans les familles d’origine (Byng-Hall, 2013). Il devient alors mieux possible de remanier les représentions (M.I.O.) du passé pour établir des scripts plus sécures.
71Des interventions thérapeutiques plus spécifiques et mieux standardisées sont aujourd’hui mises au point. C’est le cas notamment de l’approche de Theraplay (Jernberg & Booth, 2014) basée sur l’utilisation d’un jeu thérapeutique interactif dans lequel les parents sont impliqués comme figures d’attachement conjointes et séparées. Les auteurs de la méthode indiquent la possibilité d’un travail avec les adolescents, et d’un travail en groupe.
72Le père est aujourd’hui une figure complexe éclatée entre le biologique, le psychologique et le légal. Nous avons souhaité nous intéresser ici au père de la réalité, celui qui est présent auprès de l’enfant et exerce « sa paternité ». L’attachement constitue un bon modèle pour examiner les interactions directes du père avec l’enfant, celles qui influencent la relation mère-enfant, et celle qui ne peuvent se comprendre qu’au sein d’un ensemble familial où les relations s’influencent les unes, les autres. Il devient désormais davantage possible de comprendre et de travailler le rôle spécifique du père, quelle que soit par ailleurs la configuration familiale où il s’exerce.
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : père « activateur », caregiving paternel, attachements, figure d’attachement secondaire, attachements multiples, script et scénario relationnels
Mise en ligne 09/07/2015
https://doi.org/10.3917/ctf.054.0013