1L’adoption est certainement en soi une grande et belle chose, puisque dans le même temps où elle permet à des adultes en mal d’enfant d’accéder à la parentalité, elle permet à des enfants dont les géniteurs ne peuvent pas prodiguer les soins, de trouver des parents qui vont leur apporter tout ce qui leur est nécessaire.
2Cependant, bien des questions se posent. Les enfants adoptés sont d’abord des enfants abandonnés, et qui, de surcroît, ont souvent connu des conditions d’existence d’abord difficiles. L’adoption permet-elle la reprise d’un développement favorable malgré ces mauvaises conditions de départ ? Il faut considérer un processus long et complexe. Les parents adoptifs peuvent constituer des « tuteurs de résilience pour l’enfant qui passe dans de nouveaux bras » (Cyrulnik, 2009). Mais ils peuvent être mis en difficulté. Il n’est pas toujours simple que les liens se nouent entre un enfant qui a pu apprendre à ne pas faire confiance aux adultes, et des parents qui souhaitent faire d’un étranger leur enfant. Aussi, c’est en termes d’attachement qu’on peut comprendre les enjeux de l’adoption. Quand on évoque l’attachement, on retient les caractéristiques relationnelles et les représentations (modèles internes opérants) qu’un enfant construit avec une figure de soins, base de sécurité, base de confiance. Le lien d’attachement (bonding) désigne ce qui est créé entre celui, l’enfant, qui est en attente de soin (système du care-seeking) et celui, l’adulte qui est en capacité de prendre soin (système du care-giving). Mais avant de donner quelques éléments de compréhension de ces liens d’attachement dans la pratique de la parentalité, nous devons retenir ce qui les contextualise dans la parenté.
Filiation et parenté adoptive
3A. L’adoption est d’abord un événement, et c’est un événement d’une grande force. Il a souvent été précédé, du côté des parents, par une longue recherche, parfois même par un combat. Le désir d’enfant a pu se heurter à l’échec d’en avoir après que se soient succédé de multiples et douloureuses tentatives de procréation médicalement assistées. Il a fallu aussi longuement attendre après qu’une démarche d’agrément ait été initiée. Un enfant imaginaire a été construit, dans des contextes très différents, selon qu’il s’agit de palier à une stérilité, comme il vient d’y être fait allusion, ou qu’il s’agit d’une visée humanitaire, du désir d’une mère célibataire qui veut se passer d’un homme pour avoir un enfant, ou enfin du désir de parents homosexuels. Toutes ces circonstances préparent l’événement différemment. De plus, s’agissant de l’adoption internationale, cas le plus fréquent, il faut aller à la rencontre d’un autre pays, d’une autre culture, et souvent se heurter aux tracasseries administratives. On doit rencontrer la misère d’un orphelinat, la souffrance de nombreux enfants. Tous ces éléments font en général de l’adoption un événement spécialement chargé d’émotions complexes, beaucoup plus sans doute qu’une naissance, attendue en général avec confiance et espoir. Ici, l’espérance est souvent mêlée d’inquiétude, la joie voisine avec les interrogations. Autrement dit, il est important que les parents adoptifs puissent s’appuyer sur des facteurs de protection habituellement constitués par une bonne sécurité interne au plan personnel, une base de sécurité efficiente établie dans les liens du couple. Quand à l’enfant, on peut imaginer sans peine, le stress complexe qu’il est susceptible de vivre lorsque déjà abandonné, il doit quitter un milieu qui lui était devenu familier. Même si les conditions de vie n’y étaient pas très favorables, il a noué certains attachements, même problématiques ! À partir de l’âge de 8-9 mois, et jusque vers 3 ans, il vit en général douloureusement une rupture des liens qui avaient été constitués. « La période d’apparentement » avec les futurs parents, aujourd’hui souvent réalisée, n’empêche pas ce sentiment de rupture. Donc du côté des parents, comme du côté de l’enfant, l’adoption comme événement est susceptible d’être particulièrement insécure, nous y reviendrons un peu plus loin. Il est donc spécialement important que la parenté adoptive puisse d’emblée s’établir sur des bases et des représentations claires, parce que cette parenté n’est pas donnée d’avance. Elle se gagne.
4B. L’adoption, en effet, se veut une filiation créée entre des personnes étrangères les unes aux autres. Elle conduit à distinguer clairement ce qui relève de la parenté, et ce qui relève de la parentalité. La parenté concerne le niveau symbolique du lien et fait référence à un ordre généalogique. La parentalité relève de l’être parent et de la pratique de taches nourricières et éducatives concrètes auprès de l’enfant. Ainsi parenté et parentalité sont à considérer ensemble. Mais si elles ne relèvent pas du même niveau logique, il peut arriver que l’insécurité des parents adoptants contribue à rendre ces distinctions confuses, ce qui ne sera pas sans effet sur les traumatismes qui vont se poursuivre tout au long du développement de l’enfant, et avec une acuité particulière à l’adolescence. Dans un groupe de paroles de parents adoptifs, une mère indique aux autres comment elle a expliqué à son enfant qu’il était avant dans le ventre d’une dame. Quelqu’un dans le groupe s’étonne de cette formulation. La mère concernée précise qu’il lui est impossible de dire à son enfant qu’il était dans le ventre d’une maman. Une autre mère du groupe intervient à son tour : « Ce n’est pas une maman, c’est sa maman ». La première mère s’offusque de cette réflexion. Elle présente un attachement insécure anxieux, préoccupé. Elle se perçoit comme en compétition avec cette mauvaise mère qui n’a pas su élever son enfant abandonné. Donc, la mère de cet enfant, ça ne peut être qu’elle ! Quant à l’autre, elle ne voit pas comment l’appeler. Elle s’offusque à nouveau quand quelqu’un d’autre dans le groupe lui dit : « Moi, j’ai expliqué à mon enfant qu’il avait une maman de ventre et une maman de cœur ». Ainsi donc dans le registre de la parenté, l’enfant est concerné par deux niveaux d’appartenance généalogique :
- un niveau filiatif correspond à son inscription dans la généalogie des familles d’origine de ses parents naturels, et au-delà, d’une communauté, d’une ethnie, d’une culture ;
- un niveau affiliatif (Benghozi, 2007), le lie à la famille adoptive et l’inscrit par conséquent dans la généalogie des deux familles d’origine de ses parents adoptifs (remarquons que l’adoption plénière en France cherche à gommer ce niveau affiliatif et peut conduire à des difficultés liées à une identité reposant sur un mensonge légal).
- d’une loyauté de l’enfant à l’égard de ceux qui lui ont donné la vie, et vis-à-vis desquels, pour cette raison, il est en dette,
- d’une loyauté de l’enfant à l’égard de ceux qui lui donnent l’amour et l’éducation dont il a besoin, et vis-à-vis desquels il sera pour cette raison également en dette.
5En fait, l’enfant est le fruit de ceux qui ont pu lui donner la vie, mais qui pour diverses raisons, n’ont pas pu l’élever, et de ceux qui n’ont pas la capacité de faire un enfant, mais qui ont les compétences pour le faire grandir. L’enfant a ainsi une dette double à l’égard de parents dont chacun à ses mérites propres et doit être reconnu dans ses mérites. Pour que les parents adoptifs aident l’enfant à établir clairement ces distinctions, il faut qu’eux-mêmes puissent disposer d’une bonne sécurité interne, c’est-à-dire de modèles internes opérants souples et adaptatifs. Il leur est ainsi possible de soutenir et de guider un enfant en recherche et en interrogation sur sa filiation, un enfant par exemple qui puisse être capable de dire sans qu’il se sente mis trop à mal « Vous n’êtes pas mes parents, ou pas complètement, ou pas tout à fait… J’ai d’autres parents ». La qualité de l’attachement vient ici s’articuler avec les données de « l’éthique relationnelle » (Boszormenyi-Nagy, 1973), dans un travail psychique au cours duquel il s’agit pour l’enfant d’accéder à la notion d’équité (dans le jeu du donner et recevoir, chacun donne ce qu’il peut, le parent naturel de son côté, le parent adoptif du sien).
6Mais le déséquilibre ici n’est pas rare, pouvant osciller entre deux extrêmes. Ainsi, dans la situation suivante, des parents excédés par les comportements difficiles de leur adolescent finissent par lui dire en séance : « Tu ne devrais pas oublier d’où on t’a tiré… » Tandis que son père en s’adressant à nous, précise, s’agissant de ce garçon d’origine tahitienne : « C’est un fainéant, c’est de l’atavisme ! Ils sont tous comme ça dans son pays ! ». Ou encore, cette mère qui se reproche d’avoir refusé de rencontrer la mère biologique de son enfant qu’elle avait la possibilité de connaître : « Mais si je l’avais connue, je me serai sentie une voleuse » ! La clinique nous indique que beaucoup d’informations demeurent dans le registre de l’implicite lorsqu’il est question de la parenté. Il ne suffit pas de dire. L’adoption est une ouverture à un questionnement et à des narrations sans cesse renouvelées au fil du temps, de sorte que des pensées peuvent s’élaborer, s’enrichir, les expériences se mentalisent et prennent sens. Souvent, des inconnues demeurent à jamais concernant les parents naturels et ses origines. C’est alors ensemble, que parents adoptifs et enfant peuvent tenter de répondre à certaines questions, d’imaginer. Au bout du compte, la parenté adoptive se construit. Elle se gagne avons-nous dit, grâce à la qualité des liens qui s’instaureront dans la famille.
La constitution des liens et la pratique de la parentalité
7Rappelons que la parentalité se décline selon trois axes articulés ensemble (Houzel, 1999) : l’exercice de la parentalité est lié au statut de chaque parent, à l’ensemble de ses droits et devoirs en tant que parent, à sa situation dans les liens de parenté ; l’expérience de la parentalité concerne l’expérience subjective consciente et inconsciente du fait de devenir parent, la pratique de la parentalité est constituée par la réalité des rôles parentaux exercés au quotidien dans les soins nourriciers et éducatifs. Ces trois axes prennent une orientation particulière liée au système d’attachement que nous devons comprendre dans la perspective diachronique de son développement.
A – La rencontre
8C’est donc le temps de l’événement adoption. Nous pouvons sans doute qualifier ce moment comme celui d’un espoir incertain. Tout l’enjeu de la parentalité adoptive consiste à passer d’une insécurité relationnelle de départ à une relative sécurité. Les parents adoptants doivent apparaître comme des figures d’attachement auxquelles l’enfant pourra peu à peu accorder sa confiance. Ce n’est pas donné d’emblée, même chez les bébés. Ceux-ci ont pu connaître une vie fœtale difficile, des circonstances périnatales traumatiques dont les traces sont biologiquement et corporellement inscrites.
9C’est d’abord au niveau de la sensorialité que s’exprime cet enjeu. Il s’agit en effet pour les parents de s’approprier le corps d’un enfant qui n’est d’abord pas le leur. Les écueils et malentendus ne sont pas rares, à l’origine de nouages problématiques dont les effets ne sont pas toujours immédiatement perceptibles. Par exemple, cette mère adoptive n’arrivait pas à calmer les pleurs de « son bébé » âgé de six mois, dans l’avion qui ramenait la famille en France. Des années plus tard, elle expliquait en thérapie qu’elle avait su ce jour-là que ça ne marcherait pas. Elle n’a jamais pu considérer ce bébé comme le sien et l’a toujours maintenu à une certaine distance d’elle ; ou encore, cette autre mère d’origine antillaise, d’emblée déçue par « son enfant », âgé de six ans au moment de l’adoption, lorsqu’à l’orphelinat éthiopien où son mari et elle sont allés le chercher, il s’est précipité vers « son père », sans un regard pour « sa mère ». Dans l’avion les menant vers la France, cet enfant est resté collé à son père, ce que sa mère a compris comme le signe d’une attirance « pour le blanc ». Cette mère indique en séance qu’elle n’est jamais sûre de ce qu’elle peut apporter à son enfant. En fait c’est entre le trop et le pas assez que peuvent osciller ces premiers nouages problématiques :
- Le trop mène au désir d’une relation fusionnelle du côté des parents. Elle peut dérouter un enfant qui a appris à ne pas compter sur l’affection d’un adulte. Il risque d’être enfermé dans une prison affective. Le parent est souvent ici trop préoccupé de réparation des souffrances qu’il suppose chez l’enfant, mais plus encore des siennes propres, organisées autour d’un désir d’enfant jusqu’ici déçu. Mais l’excès d’amour ne rattrape pas le manque d’amour. C’est plutôt d’un amour autrement dont l’enfant a besoin, c’est-à-dire assorti d’un « souci empathique », permettant au parent de trouver les attitudes et les réponses que l’enfant est en possibilité d’accepter.
- Le pas assez, ou l’inadéquat, se produit lorsque l’enfant déroute. Il n’a pas la même couleur de peau, il n’est pas l’enfant qu’on avait imaginé, il trouble par son étrangeté, il fatigue par sa turbulence. Il peut y avoir alors du côté des parents des hésitations, des réponses un peu distanciées, un peu raisonnées et insuffisamment affectives, une difficulté à décoder le comportement de l’enfant, ou parfois l’énervement, la colère, la déception, un sentiment d’impuissance.
B – La période de transition
10Les quelques éléments que nous venons de souligner indiquent que doit s’opérer un nécessaire ajustage entre les partenaires de la relation. La période de la transition qui suit la rencontre, comporte donc un temps de stabilisation relationnelle. Ce n’est pas une période de quelques jours. Elle s’étale en règle générale sur plusieurs mois, et même parfois davantage encore.
111. Les attitudes et comportements qui se développent peuvent être compris en les inscrivant dans la construction d’un attachement de l’enfant avec ceux qui prennent soins de lui.
- L’enfant, que nous allons supposer âgé de quelques mois, peut être agité, présenter des troubles du sommeil, diverses manifestations somatiques, des pleurs incoercibles, des attitudes de retrait, tous éléments qui témoignent d’une souffrance liée à la confrontation à l’inconnu et à la séparation du milieu précédent. Pour peu que l’enfant soit un peu plus grand, il a déjà construit antérieurement un attachement souvent très insécure. Il a par conséquent appris à exprimer se détresse selon des modalités parfois déroutantes pour ses nouveaux parents. Pour peu que ceux-ci de leur côté disposent d’une sécurité interne fragile, des malentendus relationnels peuvent se créer et se chroniciser. Des parents risquent de vivre les manifestations de l’enfant comme de l’agressivité à leur encontre, alors qu’elles s’inscrivent dans une attente d’apaisement. Ou bien les parents se perçoivent comme incompétents. Dans l’incapacité de calmer l’enfant, ils vont mettre en place des mécanismes défensifs destinés à écarter ce sentiment douloureux d’incompétence : « Mais non, je ne suis pas incompétent. C’est cet enfant qui est insupportable. On m’a donné un enfant perturbé… Qui sait de quoi il a hérité ! ».
- D’autres fois, des difficultés apparaissent, liées à un attachement qu’on peut qualifier de paradoxal. D’un côté, l’enfant peu à peu repère ses parents comme des sources de sécurité, de soins et de réconfort. Mais de l’autre, il n’est pas sûr de les conserver, surtout lorsqu’avant de les rencontrer, il a connu des placements successifs, des figures d’attachement qu’il a perdu. Dans ces cas, l’enfant oscille souvent entre approche et rejet, à moins qu’il n’évite carrément toute tentative d’un trop grand rapprochement avec la personne qui prend soin de lui. Il éprouve le danger de l’amour, le risque de souffrance que peut entraîner une nouvelle perte. C’est pourquoi d’ailleurs un tel enfant est mal à l’aise, gêné par l’excès d’amour que veulent parfois lui manifester ses parents adoptifs.
- Le premier concerne le caractère conditionnel des liens. L’enfant « naturel » d’âge préverbal n’a pas à se poser la question du lien, car celui-ci est par nature inconditionnel. Dans la filiation, l’individu est inscrit une fois pour toutes comme fils ou fille de… père ou mère… Tout au contraire les liens affiliatifs de l’enfant adopté sont marqués par essence du sceau de la conditionnalité. Tout au long de son développement, l’enfant est conduit à se représenter un lien qui peut toujours se défaire. Chaque fois qu’il est question de séparation cette possibilité peut être réactivée, en particulier lors des enjeux d’autonomisation de l’adolescence. Mais il n’est pas rare que du côté des parents aussi, se manifeste cette conditionnalité, lorsque les relations deviennent trop difficiles avec l’enfant.
- Le deuxième élément concerne le déséquilibre éthique que les parents peuvent vivre dans la relation. Un enfant « naturel » reçoit sans condition ce dont il a besoin. Il est validé » comme enfant aimable. Par l’expression de ses marques de satisfaction (sourires, caresses, câlins), il valide en retour ses parents comme de bons parents. Tout devient beaucoup plus problématique lorsqu’en raison de son insécurité, de ses souffrances héritées du passé, l’enfant adopté ne montre pas de satisfaction pour les soins reçus, ou bien les messages sont peu clairs, incohérents. Les parents risquent d’être troublés par « l’ingratitude » manifestée par l’enfant. Il leur est parfois difficile de s’entraider mutuellement en raison du caractère intense et parfois contradictoire des émotions qu’ils éprouvent. Ainsi, les parents et l’enfant s’engagent ensemble dans des dysfonctionnalités chroniques, notamment marquées par la construction d’attachements insécures qui maintiennent la vulnérabilité de l’enfant abandonné/adopté.
122. Une aide à visée préventive est-elle possible ?
13On parle beaucoup moins des étapes qui suivent l’adoption que de celles qui la précèdent, comme si tout était gagné avec l’arrivée de l’enfant dans une famille, alors que bien au contraire tout commence. Aujourd’hui, les professionnels s’accordent en général pour considérer qu’un accompagnement est nécessaire. Il est cependant peu mis en place, même lorsque le suivi de santé est réclamé par certains pays durant 2 à 5 ans. En France, il n’y a que l’association « L’Arbre vert » à Paris, qui propose un véritable espace de prévention et de soutien pour parents et enfants. Ailleurs, la plupart du temps, on donne quelques conférences, on distribue des brochures d’information. Des groupes de paroles existent comme ceux mis en place à l’EFA (Enfance et Familles d’adoption). Mais on n’y accepte encore qu’avec réticence la présence de professionnels.
14Dans une perspective plus thérapeutique, des groupes d’échanges sont instaurés, réunissant des parents dont les enfants sont pris en charge par des services de pédopsychiatrie. Mais dans le suivi de l’adoption, dans le temps de transition que nous venons d’évoquer, il manque le plus souvent un processus d’évaluation des interactions et de leur flexibilité, mises en place entre les parents adoptifs et l’enfant, processus d’évaluation devant être orienté, à notre sens, par le repérage des troubles de l’attachement. Ceux-ci indiquent, grâce à une observation simple, les difficultés dans le nouage des liens. Ces difficultés, si elles ne sont pas travaillées avec les parents et l’enfant, sont bien souvent responsables d’échecs ultérieurs douloureux pour tout le monde. Le travail des professionnels est d’autant plus délicat qu’il vient rencontrer chez les parents, l’obligation de réussite et le besoin fréquent de garder le silence sur les possibles difficultés. L’enjeu est alors de développer une véritable culture de l’aide, de la main tendue, une éthique de la sollicitude, toute à l’inverse de la formation initiale des thérapeutes non familiaux, le plus habituellement centrée sur l’attente de la demande. Il s’agit par conséquent d’un engagement dans des échanges au cours desquels on explore comment les parents réagissent au « bagage affectif » avec lequel l’enfant arrive à la maison. Que font-ils en présence d’un enfant qui s’accroche à eux et pleure à la moindre occasion (attachement anxieux ambivalent) ? Que font-ils avec un enfant qui tend les bras à tout le monde sans plus s’attacher à eux (attachement évitant) ? Comment peuvent-ils réagir en présence d’un enfant qui se montre agité, invivable, coléreux, déroutant et chez qui tout indique qu’il a été victime d’un traumatisme relationnel précoce, (Bonneville, 2010) ?
C – Interventions thérapeutiques
15Il s’agit pour les parents adoptifs de pouvoir fournir une base de sécurité à l’enfant qu’ils accueillent. Cinq dimensions sont à travailler (Schofield & Beek, 2011).
161. La disponibilité permet d’aider les enfants à avoir confiance. Il s’agit pour le parent de pouvoir montrer à l’enfant que, quoi qu’il arrive il sera là pour tenter de l’aider. C’est par la parole et les messages non-verbaux qui l’accompagnent que s’effectue cette transmission. Elle suppose beaucoup de capacités empathiques.
172. La sensibilité permet à l’enfant d’être aidé à comprendre et à contrôler ses émotions. Il vit souvent une sorte de conglomérat indifférencié de sentiments intenses et contradictoires. Par exemple, un enfant peut associer la proximité d’un adulte avec la peur et la menace, et éprouver de la panique à toute tentative de rapprochement. D’une manière générale, les besoins affectifs sont ceux d’un enfant beaucoup moins âgé que ne le laisse penser l’état civil. Par exemple, les besoins d’un enfant de 3 ans correspondent à ceux habituellement exprimés à 1,5 an ou 2. Il est spécialement important que des réponses sensorielles apaisantes accompagnent les paroles, mais à la condition d’être acceptables par l’enfant. Le prendre dans les bras ou lui faire un câlin peut être très violent s’il a développé auparavant un attachement évitant. Mais caresser la paume des mains, la plante des pieds, caresser les joues en regardant l’enfant dans les yeux sont des puissants stimulateurs de l’attachement.
183. L’acceptation permet de construire l’estime de soi de l’enfant. Cela suppose que le parent soit capable de s’estimer suffisamment lui-même, et soit en capacité d’apprécier l’enfant sans réserves, pour ce qu’il est, y compris, avec ses manques, ses défauts et les déceptions qu’il peut occasionner. Il s’agit en somme de se rapprocher le plus possible de l’inconditionnalité dans les liens.
- La coopération aide l’enfant à se sentir efficace. Il est question ici d’une bonne association entre l’encouragement de l’enfant à l’exploration de son monde et la pose de limites et de règles claires et négociées. Le travail coopératif nécessite la possibilité pour l’enfant de comprendre la perspective de l’autre. Ainsi, il apprend, de son côté l’empathie et la socialisation.
- Le développement de l’appartenance aide l’enfant à se sentir faire partie de la famille, ce qui suppose la possibilité pour les parents d’une double perspective : l’ouverture communicationnelle sur la famille biologique de l’enfant, des attitudes et dispositions verbales et non-verbales indiquant clairement à l’enfant qu’il fait pleinement partie de la famille. Il est reconnu à part entière, mais aussi avec l’idée que cette appartenance est un processus dont la signification est évolutive avec le temps.
19Du côté de l’attachement, les cinq dimensions que nous venons brièvement de caractériser permettent une base familiale de sécurité qui doit toujours être comprise comme constituée par les deux parents. L’enfant construit un attachement avec sa mère, avec son père, et avec les deux ensembles, de sorte qu’il doit apprendre à pouvoir compter sur eux. Ce n’est que lorsqu’une sécurité suffisante a pu être acquise que l’enfant peut, ultérieurement, fréquenter sans trop de difficulté une crèche, ou être accueilli dans une garderie.
D – Les troubles permanents de l’attachement
20Une dysfonctionnalité relationnelle chronique risque d’autant plus de se mettre en place si l’adoption a été tardive, et que, dans la vie antérieure de l’enfant, le traumatisme, le deuil, les insécurités ont constitué un ensemble organisateur de la personnalité de l’enfant. On sait qu’à douze mois, l’attachement est construit ou en voie de l’être. Des modifications sont possibles, et c’est bien tout l’intérêt de l’adoption. Mais tout l’amour du monde n’y suffit pas. Les parents ne doivent pas trop être mis eux-mêmes en insécurité par le comportement déroutant de l’enfant. Ils doivent faire preuve de capacités empathiques particulières pour comprendre que parfois les agressions, provocations, colères et autres désordres sont l’expression de besoins insatisfaits, appelant des réponses adaptées. Du côté de l’enfant, tous les types d’attachement insécures sont possibles. Mais sans doute, l’attachement évitant et l’attachement désorganisé méritent-ils une attention particulière.
- L’attachement évitant a pu constituer une stratégie adaptative efficace pour l’enfant. En inhibant les besoins affectifs, il a appris au début de son existence à éviter ou à limiter le rejet. C’est donc un enfant qui demande peu, qui dissimule ses besoins, et parait souvent « pseudo-sécure ». En fait, il s’ampute de sa vie émotionnelle. Il falsifie ses expériences internes en pensant qu’il sera mieux accepté par son environnement. Il n’est pas rare alors que les parents adoptifs, de leur côté, se tiennent à distance de cet enfant qui ne veut pas les embrasser, qui se montre peu câlin, mais qui les satisfait par une apparente tranquillité. Un tel enfant grandit avec une vie sociale assez peu satisfaisante, parfois il est confiné dans des tâches scolaires pour peu qu’elles lui procurent une certaine réussite. Mais il arrive qu’il se sente trop frustré, qu’il ne parvienne pas à contrôler des émotions négatives débordantes. Il risque alors d’entrer en rage, d’exploser. C’est surtout à l’adolescence que peuvent ici se développer des troubles externalisés.
- L’attachement désorganisé est plus franchement problématique et conduit l’enfant vers la pathologie. La période de transition n’a pas permis que les parents soient perçus comme source de sécurité et de soulagement. L’enfant retient que les adultes sont la source de ses souffrances. Il se montre parfois inhibé, en retrait et d’autres fois au contraire, désinhibé, agité. Quand il est petit, il explore son monde de manière incohérente, au point de se mettre en danger. Son instabilité comportementale peut conduire au diagnostic « d’hyperactivité avec déficit attentionnel ». Il exprime une affectivité confuse, sans discrimination, en traitant les relations avec tous les adultes de la même manière, c’est-à-dire en se montrant superficiellement affectueux, en même temps qu’il inquiète par des comportements brusquement violents et destructeurs. Il est fréquent que ces enfants volent, mentent, ne montrent aucune disposition empathique. Peu sociables, instables et agressifs, ils apparaissent de plus en plus difficiles à contenir avec l’âge. Le travail sur cette problématique d’attachement est crucial. Plus il est entrepris précocement, plus il a des chances d’aboutir, plus il est retardé, plus il risque au contraire de conduire à des situations irréversibles. Mais c’est un travail interactionnel parent-enfant qui est nécessaire. Les tentatives de thérapies individuelles habituellement mises en place sont de peu d’intérêt. L’enfant n’a pas de sécurité interne. Pour l’acquérir, il doit compter sur les apports d’un environnement qu’il a appris à percevoir comme source de souffrance. Il lui faut ainsi des parents thérapeutes, nécessairement aidés dans une tâche difficile. En effet, ou bien ils vont pouvoir, grâce à la sécurité et au soutien sans faille qu’ils apportent à l’enfant, constituer des « tuteurs de résilience », l’aidant à se dégager de ses premières expériences relationnelles traumatiques et douloureuses. Ou bien de leur côté, ils sont profondément insécurisés par le comportement de l’enfant. L’insécurité des parents s’ajoutant à l’insécurité de l’enfant conduit à des comportements de plus en plus inadaptés de part et d’autre, avec au bout du compte la rupture des liens et l’échec.
Le devenir des liens d’attachement lorsque l’adolescence réactive le processus d’adoption
21Il arrive qu’un petit enfant adopté cherche, dans la famille adoptive, à rejouer sa naissance. L’adolescent, quant à lui, a tendance à rejouer l’adoption. En effet, la problématique de l’adolescence et celle de l’adoption viennent entrer en résonance, et souvent de manière d’autant plus forte que les nouages antérieurement construits sont problématiques, que les liens d’attachements sont insécures. Trois thèmes sont au centre des préoccupations : le thème de l’étranger, la question des origines et celle de la filiation (Harf, Taïeb & Moro, 2006).
A – Le thème de l’étranger est central
22Souvent, dans une famille « ordinaire », les parents en présence de leur enfant naturel devenu adolescent se sentent face à un étranger. D’ailleurs, l’adolescent lui-même se perçoit comme s’il devenait un étranger. Son corps se transforme, son comportement change, il devient opposant et pénible. Travaillé par la sexualisation des liens, il ne supporte plus la proximité de ces parents incapables de comprendre son monde. Il les tient à distance. Il leur trouve pleins de travers et cherche plutôt à éviter de leur ressembler.
23L’adolescent adopté vit tout ce mouvement avec une acuité particulière, car il est incapable de se percevoir comme réellement étranger, biologiquement, psychologiquement et culturellement. Et ce sentiment vient traverser les liens d’attachement.
24Dans l’adoption internationale, ce thème de l’étranger est une réalité incontournable, d’autant plus que la couleur de la peau confronte parfois au racisme. Cette souffrance liée au « racisme ordinaire » est souvent mal partageable avec des parents adoptifs qui, de leur côté, ne sont pas toujours très clairs vis-à-vis du pays d’origine de l’enfant. Le terme humanitaire dans lequel s’inscrivent certaines adoptions mérite souvent des précisions et l’explication de motivations complexes. Il n’est pas neutre par exemple que le pays d’origine de l’enfant soit un pays anciennement colonisé. La tentation est grande pour les parents de mettre certains désordres comportementaux sur le compte d’un atavisme culturel. On voit poindre ici la dimension conditionnelle du lien, et cela parce que les attachements sont eux-mêmes remis en cause.
25Examinons cet exemple clinique : les parents adoptifs ont adopté deux sœurs, âgées de 5 et 6 ans au moment de leur arrivée dans la famille. Ils ont tout de suite consacré beaucoup de temps à la plus jeune que nous appellerons Julie, expressive, attachante, mais aussi anxieuse, pleurant beaucoup, entrant en crise à la moindre contrariété. Ils ont construit avec elle, la mère surtout, un lien d’attachement dominé par la préoccupation et l’ambivalence. Juliette, l’aînée, n’a pas nécessité les mêmes soins. Elle ne demandait jamais rien. Elle était toujours très sage. Les parents, tout occupés avec Julie, ne lui ont accordé que peu d’attention. Mais depuis que Juliette est adolescente, elle se montre insupportable, fait de nombreuses fugues, a des mauvaises fréquentations, a eu plusieurs fois des problèmes avec la police pour vols dans les magasins. Cette jeune fille, âgée de 17 ans quand nous la rencontrons, exprime sur le mode propre aux attachements évitants, à la fois une détresse et une attente affective.
26Elle s’entend dire par son père, en séance : « Je sais bien que je suis son père, et que sa mère est sa mère, mais un comportement comme Juliette, ça ne peut pas venir de nous. Ce sont ses origines qui veulent ça ». Et il ajoute : « Que voulez-vous, notre fille, c’est comme une cellule cancéreuse ! » Comment, dans ces conditions, Juliette peut-elle considérer ces parents comme les siens ? « Pourquoi sont-ils venus me chercher ? » déclare-t-elle de son côté. Seul un adolescent suffisamment sécure peut, sans trop de dommages, nouer ces deux exigences apparemment contradictoires que sont l’autonomie et l’appartenance. Dans les cas qui nous occupent, les adolescents adoptés, parce qu’ils vivent des liens d’attachements insécures, sont conduits à des mécanismes problématiques, soit de protection contre la rupture, soit comme visant la production de la rupture d’un lien qui n’apparaît que conditionné précisément par la qualité de l’attachement.
B – La quête des origines
27Cette quête n’a pas grand-chose à voir avec le fait qu’on ait pu expliquer à l’enfant ses origines. On a aujourd’hui remplacé l’attitude générale du secret par celle de la révélation. Mais celle-ci n’a pas beaucoup d’intérêt si elle n’est pas ouverte sur un questionnement et des échanges entre l’enfant et ses parents, toujours susceptibles d’être remis sur le chantier au fur et à mesure des différentes étapes du développement de l’enfant. Ainsi, à l’adolescence, se posent des questions du style « Qui est, ou qui était ma mère, ou mon père ? ». Mais ce sont des questions qui portent sur l’être, et non pas sur le nom ou le statut social. « Quels genres de personnes étaient-ils ? Où sont-ils, ces parents ? Quel genre de caractère ont-ils ? Est-ce que je leur ressemble ? Jusqu’à quel point ? Et en quoi ? Est-ce que je leur ressemble quand je fais des bêtises ? Ou que je n’écoute pas ce qu’on me dit ? Est-ce comme cela que je suis comme eux ? Ou bien est-ce quand je suis aimable, ou quand je souffre ? » On peut multiplier ce genre de questions à l’infini, et aussi les différencier selon que l’adolescent pense plutôt à sa mère ou plutôt à son père. Et puis, il faut encore y ajouter tout ce qui lie au mystère de l’abandon « Que m’ont-ils fait ? M’aimaient-ils ? Que leur a-ton fait ? Que s’est-il passé pour qu’ils me laissent ? Est-ce que j’étais un mauvais enfant ? »
28Tous les adolescents ne sont pas dans cette quête. Certains ne veulent rien savoir et utilisent le déni et le clivage comme mécanismes de défense. Ceux-là ont souvent une adolescence sage. Ils s’identifient pleinement à leurs parents adoptifs et développent souvent une bonne adaptation. Mais les autres ont besoin de pouvoir s’appuyer sur des parents suffisamment sécures, confiants en eux-mêmes et dans leur enfant, pour résister à leurs attaques et aux propos blessants qui ne manquent pas d’émailler les échanges, du style « Tu n’es pas ma mère, tu n’es pas mon père… Je veux partir dans une famille d’accueil ».
L’attaque de la filiation
29Au bout du compte, l’adolescent teste souvent la filiation adoptive. À la faveur des processus identitaires et de la marche vers l’individualisation, le lien de filiation est susceptible d’être interrogé et attaqué. Jusqu’à quel point l’enfant adopté peut-il garder ses parents en se séparant d’eux ? Pour peu que les liens d’attachement soient établis sur un mode insécure, la problématique de l’abandon est fortement réactivée en même temps qu’associée à des troubles plus ou moins importants, témoignant de la fragilité des assises narcissiques, c’est-à-dire de l’estime de soi, de la confiance en soi, de la sécurité interne. Même lorsque les liens d’attachements ont pu être sécurisés dans l’adoption, il est fréquent que les enjeux de l’adolescence réactivent les insécurités premières vécues avant l’adoption.
30L’adolescence est une période, ou dans l’inconditionnalité des liens parents-enfant, l’enfant peut attaquer, provoquer, transgresser, se monter détestable et lui-même détester ses parents, lesquels de toute façon demeurent ses parents. Il n’y a pas besoin de les aimer ou de se sentir aimé pour qu’ils soient là et demeurent ses parents. Il en va tout autrement chez l’adolescent adopté. Est-ce que les parents restent les parents quand on les déteste, ou quand on ne se sent pas aimé d’eux ? Pour Juliette, que reste-t-il du parent chez ce père qui la traite de « cellule cancéreuse » ? Le processus de séparation/individuation propre à l’adolescence ne peut que devenir coupure. Il ne s’inscrit pas dans une transformation des liens. Et la coupure, immanquablement, indique le retour brutal de l’abandon initial et de l’effondrement d’une estime de soi qui reposait déjà souvent sur des bases fragiles. L’exemple de Juliette nous permet aussi de remarquer que l’attaque de la filiation doit souvent être comprise comme interactionnelle : le parent lui-même attaque ce lien lorsqu’il désigne sa fille comme « cellule cancéreuse ». Il l’attaque d’autant plus quand il n’a pas réellement développé des qualités de caregiver avec cet enfant depuis le début. Ainsi, l’adolescent adopté est d’autant plus fréquemment conduit à tester le lien, qu’il a pu constater auparavant le manque d’engagement affectif de son parent.
31Si nous cherchons à lire les nombreux troubles de l’adolescent adopté à travers l’attachement, nous pouvons comprendre trois niveaux (Delage 2008) :
- L’expression de la souffrance individuelle.
- La fonction de maintien d’une dysfonctionnalité familiale selon laquelle chacun fait toujours plus de la même chose, l’adolescent en exprimant ses troubles, les parents en consacrent leurs temps et leurs efforts à un patient désigné.
- Un appel à l’attention des parents, l’attente de soins malgré tout toujours espérée. Nous pouvons faire ici un parallèle avec la petite enfance. Un bébé débordé par ses émotions négatives incontrôlables, s’agite et pleure, et il obtient en général l’attention de ses figures d’attachement. Celles-ci se préoccupent de lui apporter les soins adéquats.
32Les interventions thérapeutiques sont toujours d’une grande difficulté en raison de l’intensité des crises, de la multiplication des professionnels sollicités par les divers troubles des conduites de l’adolescent, et en raison des difficultés de ce dernier à investir durablement une scène thérapeutique. Quand on parvient cependant à instaurer un contexte de sécurité, à établir pour l’enfant et ses parents une base de sécurité suppléante et provisoire, il peut devenir possible de travailler les blessures d’attachement et les besoins affectifs et relationnels de l’adolescent et de ses parents.
Conclusion
33La clinique de l’adoption est une clinique complexe. Plusieurs modèles de lecture sont envisageables, et c’est ce qui accroît les possibilités de choix des patients et des familles. Il y a des situations qui peuvent être travaillées dans les termes de l’éthique relationnelle propre à la thérapie contextuelle. Il en est sans doute d’autres qui se prêtent davantage à un travail centré sur les représentations, valeurs, croyances et ce que le processus d’apparentement vient interroger et modifier du mythe familial. Il est encore d’autres cas de figure où l’étude ou la compréhension des attachements développés dans la famille constitue un angle d’approche privilégié. C’est notamment le cas, nous semble-t-il, avec des jeunes enfants au cours de l’étape que nous avons qualifiée de transition, c’est-à-dire précisément de construction des liens d’attachement avec les parents adoptifs. C’est à ce moment-là que des évaluations doivent être proposées, et des aides éventuellement mises en place. On doit en effet aujourd’hui se préoccuper de prévention, et tout spécialement dans les adoptions d’enfants âgés de plus de 12 mois. Dans l’ensemble, la plupart des enfants adoptés connaissent un développement positif. Ils sont cependant plus nombreux que dans la population générale à avoir des difficultés (Duyme, 2009). Si nous considérons par exemple un élément objectif comme les tentatives de suicides, nous constatons que celles-ci sont, à l’adolescence, trois fois plus nombreuses dans les deux sexes que dans la population générale (Verhulst, 2009).
34Retenons donc que l’adoption est une chance, en même temps qu’un risque. Il appartient aux professionnels de l’aide de mieux repérer le risque pour que la chance se transforme en sécurité. La compréhension de la manière dont les liens d’attachement se nouent peut y contribuer.
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : attachement paradoxal, filiation, parente, loyauté, parentalité
Mise en ligne 02/01/2013
https://doi.org/10.3917/ctf.049.0071