Couverture de CTF_048

Article de revue

L'âge virtuel de compétence

Pages 249 à 262

Notes

  • [1]
    Institutrice spécialisée G (rééducatrice), école élémentaire Joliot-Curie, Saint Martin d’Hères.
  • [2]
    Recadrage : proposition d’une lecture alternative de la situation.

1“L’âge virtuel de compétence’’ est un outil métaphorique que j’ai élaboré pour travailler avec les enfants et leurs familles dans le cadre de la difficulté à l’école. Son intérêt provient de sa simplicité en termes de communication : il est immédiatement appréhendable par les enfants comme par leurs parents. Il constitue également un recadrage [2] implicite puisqu’il resitue, de façon analogique, la difficulté de l’enfant comme une étape normale sur le chemin du « grandir ».

Contexte d’intervention

2En tant qu’institutrice spécialisée G (ou rééducatrice), je suis chargée par l’institution scolaire française d’aider les enfants en difficulté des écoles maternelles et élémentaires à devenir "élèves", c’est-à-dire à adopter une attitude appropriée et à développer leur efficacité scolaire. Les enseignants me sollicitent pour intervenir auprès d’enfants manquant d’autonomie, d’attention, de confiance en eux, d’enfants inhibés, agités, agressifs, etc.

3Magali, (6 ans, CP) n’apprend pas à lire. Elle pleure, se décourage, n’essaie même pas de faire les exercices demandés en classe. Son enseignante explique le problème aux parents et leur propose de prendre contact avec moi.

Intervention

4Puisque tout comportement est logique dans le système qui l’a vu naître, on peut considérer que le comportement inapproprié de l’enfant à l’école est logique et entretenu par des interactions en cours entre l’enfant et son entourage. En partant de cette idée, j’ai fait l’hypothèse (Berlioz, 1999) qu’entre quatre et dix ans (âge des enfants que je vois), ce sont les interactions entre l’enfant et ses parents qui sont susceptibles de pérenniser ses difficultés lorsqu’elles sont porteuses d’un message antagoniste à celui de l’école. Mon travail consiste alors à identifier ces interactions et ce message, à procurer aux parents l’opportunité de délivrer un nouveau message et à les soutenir ainsi que l’enfant dans cette démarche de changement.

5Lorsque les parents me contactent, je vois l’enfant puis je les rencontre. Après avoir entendu leur vision de la situation, je leur restitue celle qu’en a leur enfant. Information pertinente selon le sens que lui donne Ausloos (1995, p. 30) puisqu’il s’agit d’une information « qui vient de la famille et y retourne ». Ensuite, je leur propose un cadre de lecture de la difficulté à l’école et je leur expose les prérequis d’une scolarité réussie (Berlioz, 2002). À savoir :

  • l’autonomie (que je définis par la capacité de l’enfant à se réapproprier petit à petit les actes que les adultes assumaient pour lui) qui est un facteur constitutif de la confiance en soi,
  • la capacité à se plier à une contrainte extérieure, autrement dit la capacité à “obéir”,
  • la prise de conscience par l’enfant que ses parents l’envoient à l’école pour apprendre (mandat scolaire) et non pas uniquement pour s’amuser avec ses camarades.
Ce recadrage permet aux parents de relire les difficultés de leur enfant comme un simple retard dans le « grandir ».

6Grâce à leur connaissance de leur enfant et aux informations venant de l’école, les parents disposent alors de suffisamment d’éléments pour identifier le domaine problématique.

7Les parents de Magali sont conscients du manque de confiance en elle qui l’handicape à l’école.

8Je les laisse alors faire eux-mêmes les liens entre le comportement de l’enfant à la maison et à l’école.

9Magali est incapable de se mettre au travail ou de le terminer si son enseignant ne reste pas à côté d’elle. En effet, elle attend de ce dernier une aide constante et similaire à celle que lui fournissent ses parents dans le cadre de la vie familiale (habillage, rangement, devoirs, gestion de ses affaires…). Aide que ses parents lui apportent parce qu’ils sont convaincus qu’elle relève de leur travail de parents.

10Il n’est bien sûr pas question pour moi de pointer les comportements des parents impliqués dans la pérennisation des difficultés. Nous cherchons seulement à identifier les comportements de l’enfant qui participent au problème. Nous déterminons ensuite ensemble « un objectif concret dans un futur proche » (Erickson), c’est-à-dire une demande concrète à poser à l’enfant. Il s’agit d’une prescription de tâche dont la réalisation par l’enfant sera le plus souvent évaluée et quantifiée.

11Le constat fait avec ses parents est que le manque d’autonomie de Magali ne lui a pas permis de construire un sentiment de compétence suffisant pour faire face à ce qui lui est demandé en classe (Berlioz, 2008). L’objectif visé est de l’aider à construire ce sentiment de compétence, en lui permettant de constater qu’elle est « grande » et capable de se débrouiller seule dans les petites actions de la vie quotidienne.

12Concrètement, deux demandes lui ont été faites : boire dans un bol au petit-déjeuner (et non plus au biberon) et s’habiller seule le matin.

13Ces tâches, bien que simples, sont souvent difficiles à mettre en œuvre pour l’enfant comme pour ses parents. Afin de soutenir leur mise en pratique, nous définissons ensemble un projet contractuel pour une durée de cinq semaines qui stipule :

  • la demande faite à l’enfant,
  • la participation à laquelle s’engagent les parents,
  • la participation éventuelle souhaitée de l’enseignant,
  • mon intervention auprès de l’enfant lors des cinq séances de suivi prévues.
– Les parents de Magali se sont engagés à noter chaque jour, sur une grille fournie à cet effet, un sourire si l’enfant boit son chocolat dans un bol et un autre si elle s’habille seule et des grimaces dans le cas contraire.

14– La participation demandée à l’enseignante a été d’être attentive à redonner individuellement la consigne à Magali lorsqu’elle voyait que cette dernière ne démarrait pas son travail.

15– Mon intervention a consisté à compter avec elle le nombre de sourires obtenus pour le fait de « déjeuner comme une grande » (dans un bol) et de « s’habiller seule ». Je discutais ensuite avec elle de ses résultats et je notais notre discussion sur le cahier qui circulait entre la famille et moi. Cahier que les parents devaient signer et dans lequel je glissais chaque semaine une nouvelle grille à remplir.

16Les séances sont hebdomadaires et durent environ 45 minutes pendant le temps scolaire. Elles réunissent un groupe de trois à cinq enfants du même âge. Elles favorisent la circularisation de l’information qui, selon l’acception d’Ausloos (1995, p. 70), « informe en même temps celui qui la produit et ceux ou celles qui la reçoivent ». Le partage et l’échange d’informations provenant de l’école ou de la famille se fait par le biais d’un cahier qui me sert à correspondre avec la famille et sur lequel je note les remarques faites à l’enfant (« Bravo ! C’est très bien ! », « Dommage ! Je suis triste que… », « Tes parents doivent être fiers de toi ! », « Je suis sûre que tu es capable de faire mieux », « Je compte sur toi pour… », etc.).

Naissance du concept d’âge virtuel

17Malheureusement, dans la pratique, la discussion avec l’enfant s’avère souvent compliquée. En effet, tous les enfants n’ont pas accès aux concepts abstraits et numériques, particulièrement les plus jeunes qu’il m’est donné de suivre et qui ont à peine quatre ans. Que représente pour eux le fait de s’être habillé 3 fois sur 7 ou 5 fois sur 7 ? La situation se complique encore lorsque le volume des informations recueillies varie chaque semaine : comment leur faire comprendre que 10 réussites sur 12 est mieux que 15 réussites sur 30 ? Un tel retour ne constitue pas un feed-back clair et compréhensible par l’enfant.

18Pour pallier cette difficulté, puisque je dispose de chiffres, j’ai d’abord pensé à les transformer en pourcentage de réussite : 5 fois sur 7 correspondrait à environ 71 %, ou à 7 sur 10. Un tel résultat est lisible pour des adultes ou pour les enfants de plus de 8 ans, mais toujours pas pour les plus jeunes. J’ai donc pensé à convertir ce pourcentage en pourcentage de l’âge réel de l’enfant : si l’enfant s’est acquitté de sa tâche une fois sur deux, l’âge virtuel qui lui est attribué sera la moitié de son âge réel.

19De plus, afin de permettre la comparaison avec les résultats obtenus les semaines précédentes ou suivantes, cet âge est reporté sur une feuille récapitulative, « l’échelle des âges », au moyen d’une barre verticale montant jusqu’à l’âge virtuel calculé.

20Pour Magali, s’habiller seule 3 fois sur 7 correspond à un « âge virtuel d’habillage » de 2 ans et demi tandis que 5 fois sur 7 lui donne un âge virtuel de 4 ans et 3 mois pour cette compétence.

21Échelle des âges :

figure im1

L’âge virtuel de compétence

22L’âge virtuel de compétence attribue à l’enfant un pourcentage de son âge réel correspondant au pourcentage de réalisation de la tâche prescrite.

23Il consiste donc en une métaphore de la position relative d’un enfant, rapportée à son âge, par rapport à la réalisation pleine et entière de cette tâche. Il ne correspond à aucune réalité statistique ni mathématique de réussite de la-dite tâche. Le recadrage, qui consiste ici à présenter la difficulté de l’enfant comme un retard, un blocage sur le chemin du « grandir », est poussé jusqu’au bout de sa logique : si un enfant ne fait pas une tâche dont les camarades de son âge s’acquittent sans problème, c’est que, bien que grand dans de nombreux autres domaines, il reste encore petit dans celui-ci. Et ses parents, son enseignant et moi-même sommes là pour l’aider à grandir de sorte que son âge virtuel rejoigne son âge réel.

Dialogue avec Magali

24(Troisième séance de suivi sur les cinq prévues)

25Intervenante : Bonjour Magali. Comment vas-tu aujourd’hui ?

26Magali : Bien.

27I : Dis-moi, cette semaine as-tu réussi à boire ton chocolat dans un bol et à t’habiller toute seule ?

28M : Des fois oui, des fois non.

29Nous regardons ensemble la fiche récapitulative qui consiste en un tableau à double entrée avec les noms des jours verticalement, et écrit horizontalement « Je déjeune dans un bol » et « Je m’habille seule ». Dans chaque case, les parents ont noté un sourire ou grimace selon que Magali a effectué la tâche prescrite ou non.

30I : Dis-moi combien tu as eu de sourires et de grimaces pour « déjeuner dans un bol » ?

31M : 1, 2, 3, 4, 5, 6 sourires et 1 grimace.

32I : Bravo ! Ça veut dire que tu l’as fait presque tous les jours ! C’est très bien ! Voyons quel âge ça te fait pour « déjeuner comme une grande » : [(6/7) x 6 = 5,142] 5 ans et un mois ! Et pour « t’habiller seule » le matin ?

33M : J’ai eu 3 sourires.

34I : Bien pour les 3 sourires ! Cela veut dire que 3 jours tu as montré que tu étais vraiment grande ! Je calcule quel âge ça te fait. Comme tu as 6 ans pour de vrai, cela te fait [(3/7)x6 = 2,57] 2 ans et demi pour « t’habiller seule ».

35Je reporte alors ces résultats sur l’échelle des âges où sont déjà notés les résultats des semaines précédentes en faisant un trait montant jusqu’aux âges virtuels atteints. (J’utilise des couleurs différentes pour les deux compétences.)

36I : Bravo Magali ! Regarde comme tu as grandi pour « déjeuner comme une grande » : tu es passée de 3 ans 4 mois à 5 ans 1 mois ! C’est bien ! Plus qu’un petit effort pour arriver à 6 ans. Par contre, tu es restée à 2 ans et demi pour « t’habiller toute seule ». Tu ne crois pas que tu es capable de faire mieux ? Qu’est-ce que tu en penses ?

37M : Oui.

38Steven (un camarade que je suis pour un autre type de difficulté) : Moi, je sais m’habiller tout seul !

39I : Est-ce que tu serais d’accord, Magali, de faire cette semaine comme Steven et d’essayer d’avoir plus de sourires ?

40M : Oui !

41I : Formidable ! Je sais que tu peux y arriver : je compte sur toi ! »

42Au bout des cinq séances contractuelles, le suivi s’interrompt. Les parents font le point avec l’enseignant puis reprennent contact avec moi afin de décider ensemble s’il faut poursuivre à l’identique, si choisir un autre objectif s’impose ou si le suivi n’est plus nécessaire.

43Dans le cas de Magali, au bout des 5 semaines, elle a totalement abandonné le biberon et s’habille seule le matin 5 fois sur 7. En classe, les pleurs ont diminué en fréquence et en intensité, mais n’ont pas encore disparu.

44- La décision prise est de poursuivre le travail d’autonomisation en demandant à Magali de continuer ses efforts pour s’habiller seule tous les jours (que cela devienne SA responsabilité et non plus celle de ses parents). Parallèlement, il lui est demandé en classe d’accepter de faire les exercices demandés. Précisons que la demande est uniquement d’essayer et non pas de réussir car le fait d’essayer entraîne, à terme, la réussite.

45- les parents s’engagent à continuer de noter l’habillage.

46- l’enseignant accepte de noter chaque jour d’école si Magali a fait ou non l’effort demandé (« essayer ») en entourant un bébé, une petite, une moyenne ou une grande fille sur une fiche à cet effet.

47- mon intervention, au cours des cinq nouvelles séances de suivi, consiste à compter et à calculer l’âge virtuel de Magali pour l’habillage et pour la capacité d’« essayer » de faire son travail d’élève, à encourager ses efforts et à correspondre avec ses parents par le biais du cahier.

48Le suivi de Magali se poursuit ensuite sur deux autres séries de cinq séances afin de consolider la capacité de Magali à « essayer » en classe puis d’aider l’enfant et ses parents à considérer les petits devoirs du soir (lecture du jour) comme légitimes. En effet, Magali pleure le soir et refuse le plus souvent de faire ses devoirs. Or, un enfant qui refuse de faire cet effort un quart d’heure par jour avec ses parents est un enfant qui n’a pas accepté son rôle d’élève à l’école et qui refusera de faire un effort similaire 6 heures par jour en classe avec un enseignant avec lequel il n’a aucun lien affectif. Pendant la quatrième et dernière période de suivi, les parents notent si Magali « fait ses devoirs comme une grande » ou non. À la fin du suivi, Magali ne pleure plus pour se mettre au travail ni à l’école ni à la maison, et elle accepte et se sent capable faire ce qu’on attend d’elle à l’école.

Calcul de l’âge virtuel

Sourires et grimaces

49L’âge virtuel s’obtient en faisant une règle de trois.

50Lorsque les parents ou l’enseignant notent si l’enfant s’est acquitté ou non de la tâche demandée au moyen de sourires et de grimaces, il suffit de compter un point par sourire, de diviser par le nombre total de sourires que l’enfant aurait pu obtenir sur la semaine (c’est-à-dire par le nombre total de figures dessinées obtenu en additionnant les figures avec des sourires et celles avec des grimaces) et de multiplier par son âge en année (sans tenir compte des mois).

51Âge virtuel (en année) = (Nombre de sourires obtenus / nombre total de sourires possibles) x âge réel (en année) de l’enfant

52Si Magali a eu 5 sourires sur 7 jours, cela lui fait 5 (nb de sourires obtenus) divisé par 7 (nb de sourires possibles) et multiplié par son âge 6 ans

53c’est-à-dire (5 / 7) x 6 = 0,714 x 6 = 4,28 soit quatre ans

54On obtient alors un nombre à virgule où le chiffre des unités représente l’âge en années. Il reste maintenant à transformer les chiffres après la virgule en nombre de mois. Sachant qu’un mois correspond environ à 0,083 (soit 1 divisé par 12 puisqu’il y a 12 mois dans une année).

55nombre de mois virtuels = 0,……….. / 0,083 = 0,les chiffres après la virgule obtenus dans l’opération précédente / 0,083

56Magali ayant un âge virtuel de 4 années, il reste 4, 28-4 ans = 0,28 à transformer en mois virtuels en divisant ce nombre par 0,083

57c’est-à-dire 0,28 / 0,083 = 3,3734…. soit 3 mois

58Magali a donc un âge virtuel de 4 ans et 3 mois pour l’habillage.

59Je mesure que le calcul des mois peut paraître compliqué et inutile. Il est pourtant indispensable pour créditer un jeune enfant des efforts qu’il fait. Se contenter de calculer les années virtuelles reviendrait à attribuer à un enfant de quatre ans le même âge virtuel d’un an qu’il ait fait l’effort demandé 2 ou 3 fois sur 7. Tandis que le calcul des mois lui donne 1 an 1 mois dans le premier cas et 1 an 8 mois dans le second. Ce qui constitue une différence notable et lui permet de visualiser ses progrès sur l’échelle des âges, progrès dont nous pouvons à juste titre le féliciter.

Sourires, grimaces et bouches droites

60Il arrive que les parents ou l’enseignant notent une figure avec bouche droite (soit l’appréciation que la tâche a été « partiellement » remplie), on peut alors d’attribuer 2 points aux sourires, 1 aux bouches droites et diviser par deux fois le nombre total de sourires possibles.

61Âge virtuel (en années) = [(2 x nombre de sourires obtenus + 1 x nombre de bouches droites) / 2 x nombre total de sourires possibles] x âge en année de l’enfant

62Faire de même que précédemment pour calculer le nombre de mois.

Autre support de recueil d’informations

63Le recueil d’information peut se faire sur d’autres supports comme celui choisi par l’enseignante de Magali pour noter si elle accepte d’« essayer ». Il s’agit d’une fiche sur laquelle, en face du nom de chaque jour de la semaine, sont dessinés un bébé, un petit, un moyen ou un grand enfant, garçon ou fille selon le sexe de l’enfant. L’enseignante entoure la figure correspondant à la façon dont Magali s’est acquittée de la tâche demandée (« essayer » en classe). J’attribue alors 3 points au grand personnage, 2 au moyen, 1 au petit et 0 au bébé. Puis, je calcule le nombre de points obtenus, nombre que je divise par le nombre total de points que l’enfant aurait pu obtenir s’il n’avait eu que des grands personnages (soit, comme le recueil d’information se fait par semaine, 3 points multipliés par 4 jours, c’est-à-dire 12). Je multiplie le nombre obtenu par son âge réel. Et je convertis les chiffres après la virgule en mois selon la formule précédente.

64Âge virtuel (en année) = [(3 x nb de grands + 2 x nb de moyens + 1 x nb de petits) / 3 x nb de grands possibles] x âge (en année) de l’enfant

65Nombre de mois virtuels = 0,chiffres après la virgule / 0,083

Plus grand que son âge !

66Pour terminer avec le calcul de l’âge virtuel, j’ajoute une dernière précision : lorsque la tâche est entièrement réalisée, c’est-à-dire lorsque l’enfant n’a obtenu que des sourires ou que des grands personnages, je n’utilise pas la formule. Celle-ci le créditerait de son âge réel, or, comme je considère qu’il a fait un effort remarquable, c’est une reconnaissance exceptionnelle qu’il mérite : je lui attribue un âge plus élevé que son âge réel !

67Je donne donc

  • – l’âge de 8 ans à ceux qui ont entre 4 et 5 ans et qui sont encore à l’école maternelle,
  • – 10 ans à ceux entre 6 à 8 ans,
  • – et 12 ans à ceux de 9 et 10 ans.
Je dessine alors sur l’échelle des âges un trait vertical allant jusqu’à 8, 10 ou 12, je félicite l’enfant avec enthousiasme, à l’oral et par écrit, et je lui serre solennellement la main !

Autres exemples : Michaël et Jérémy

68Michaël a 5 ans et est en grande section de maternelle. Il est agressif, bouscule et frappe souvent ses camarades, il s’oppose constamment à son enseignante et perturbe le fonctionnement de la classe. L’entretien avec l’enfant et celui avec ses parents mettent en lumière la conviction de ces derniers qu’« un enfant n’est qu’un enfant » et qu’il est déraisonnable d’attendre de lui qu’il soit capable de contrôler ses humeurs ou ses mouvements agressifs. Cette conviction a pour conséquence que la désapprobation des parents lorsque l’enfant leur fait mal (coups de pieds, de poings), comme lorsqu’il fait mal à ses camarades est trop mesurée et manque de la conviction nécessaire pour amener l’enfant à changer de comportement.

69Comme plusieurs parents de la classe les ont interpelés devant l’école pour se plaindre des agressions subies par leurs enfants, ils sont prêts à collaborer avec l’école pour trouver une solution. Ils se sentent en effet totalement impuissants à maîtriser le comportement agressif de leur enfant en classe, c’est-à-dire hors de leur présence. Nous tombons d’accord sur le fait que Michaël n’a pas pris conscience de la gravité de ses actes, ni de leur impact sur ses camarades (douleur, peur). Pour l’aider à en prendre conscience, je propose les modalités d’action suivantes :

  • La maîtresse note chaque demi-journée le comportement de l’enfant en classe en entourant sur une fiche à cet usage, une image de bébé, de petit, de moyen ou de grand garçon suivant comment Michaël s’est comporté avec les autres. Lorsque je viens chercher l’enfant et la fiche, elle me raconte un exemple de comportement agressif de Michaël.
  • Lors de la séance, je discute avec lui de l’agression rapportée et du ressenti du ou des copains victimes par rapport à son acte ainsi que du ressenti des parents des enfants en question afin travailler sa capacité d’empathie. Nous regardons ensuite ce que l’enseignante a noté. Je calcule, et je reporte sur l’échelle des âges, l’âge virtuel correspondant au comportement de Michaël au cours de la semaine écoulée. Dans le cahier qui circule entre la famille et moi, je colle la fiche remplie par la maîtresse, je note l’âge, les commentaires que j’ai fait et les encouragements prodigués à Michaël.
  • La famille s’est engagée à regarder le cahier et à reprendre avec l’enfant les informations notées. Car un enfant ne fait pas un effort parce que sa maîtresse ou moi lui demandons, mais s’il se rend compte que c’est important pour ses parents.
Au bout des cinq semaines contractuelles de suivi, le problème n’est pas résolu mais la fréquence des gestes agressifs de Michael a diminué. De plus, leur disparition devient un but pour lui : alors que jusqu’à présent il se sentait dans son bon droit lorsqu’il réagissait de façon agressive ou violente, il a commencé à percevoir le côté inadapté de cette façon de se comporter puisqu’elle est connotée comme un comportement de « bébé ». Donc, même s’il ne maîtrise pas toujours ses impulsions, c’est devenu un objectif pour lui.

70Par la suite, lorsque le comportement de Michaël avec les autres est rentré dans le cadre d’une « normalité », c’est sur son incapacité à « se conformer à une contrainte extérieure », autrement dit la capacité à obéir, à prendre en compte les demandes des adultes, que le travail suivant a porté. Après trois périodes supplémentaires, le suivi s’est arrêté : Michaël se pliait aux demandes scolaires et ne dérangeait plus la classe que ponctuellement. À la maison, par contre, Michaël avait encore du mal à écouter ses parents, mais ceci ne représentait pas un problème pour eux.

71Jérémy a 7 ans et est en CE1. Très sociable, il passe son temps à discuter avec ses voisins, ne fait jamais ses devoirs et ne montre aucune appétence pour le travail scolaire. Comme Jérémy est un enfant attentif aux demandes des adultes, il fait son travail, quoique sans conviction et, semble-t-il, sans avoir le projet d’apprendre.

72En étudiant les interactions familiales autour du scolaire, le constat est que personne chez lui n’a la préoccupation, les compétences ou la disponibilité pour l’accompagner dans ses apprentissages. Pourtant ses parents, comme tous les parents, souhaitent qu’il réussisse scolairement. Aussi acceptent-ils la collaboration proposée par l’école.

  • La demande faite à l’enfant, approuvée par les parents, est qu’il se mette au travail en classe au lieu de venir en « touriste »,
  • L’enseignant communique si l’enfant se met réellement au travail en notant les sourires, grimaces, bouches droites correspondant au degré d’activité de Jérémy.
  • Lorsque je vois l’enfant, nous comptons les sourires, les bouches droites et les grimaces. Je calcule son âge virtuel pour « se mettre au travail en classe » et je le note sur l’échelle des âges. Je discute de son résultat avec lui et je note mes commentaires sur le cahier qui va dans la famille.
  • Les parents ont pour charge de regarder le cahier et de discuter de ses résultats avec l’enfant.
Les cinq semaines de suivi contractuelles se sont transformées en sept car, à plusieurs reprises, l’enfant n’avait pas rapporté le cahier qui circule entre la famille et moi, ou ne l’avait pas fait signé (d’où report des séances).

73Le second entretien avec les parents a permis de constater que l’attitude de Jérémy en classe n’avait guère évoluée. J’ai alors travaillé sur leur droit à être plus exigeant avec lui car celui-ci avait les moyens de réussir.

  • Afin de les aider à se positionner différemment et à poser une demande scolaire (mandat scolaire) plus claire, je leur ai proposé, après lecture de l’âge virtuel atteint dans la semaine par l’enfant, de noter symboliquement et de façon un peu théâtrale, une figure qui sourit ou qui grimace. Elle représente leur « avis » sur son comportement de la semaine.
  • l’enseignant notait toujours et selon les mêmes modalités la mise au travail de l’enfant,
  • pour résoudre le problème des devoirs non faits et nécessaires à la mémorisation, l’enfant a été inscrit deux soirs par semaine à l’aide aux devoirs.
  • j’ai continué à calculer l’âge virtuel, à encourager Jérémy, à coller et noter dans le cahier en rajoutant une figure sans bouche, au-dessus de laquelle j’écrivais : « Avis de mes parents ».
Le suivi a pris fin après la troisième série de cinq séances. L’enfant était au travail en classe. Des rendez-vous réguliers avec la famille ont malgré tout été nécessaires pour maintenir l’enfant à un niveau d’activité suffisant pour lui permettre d’apprendre.

Conclusion

74Dans ma pratique, j’utilise très souvent l’âge virtuel. Ce concept présente l’avantage de fournir une mesure objective de la situation à un instant T (où en est-on par rapport à l’objectif choisi ?). De plus, son évidence en matière de communication simplifie le partage et la circularisation des informations (Auloos, 1995). Il permet de restituer, aux parents et à l’enfant, les informations provenant de la maison ou de la classe sous une forme claire, dénuée d’ambigüité et directement appréhendable.

75Mais son intérêt principal me paraît résider dans le fait que son usage constitue en lui-même un recadrage : le fait de faire correspondre la réalisation pleine et entière de la tâche prescrite à l’âge réel de l’enfant métacommunique qu’il est capable de s’en acquitter et qu’il s’agit là d’une compétence attendue et normale pour un enfant de son âge. Tandis que le fait de lui attribuer un pourcentage de son âge proportionnel au pourcentage de la tâche réalisée métacommunique que ses parents, son enseignant et moi-même attendons de lui qu’il mette en conformité son âge virtuel avec son âge réel, bref, qu’il grandisse par rapport à la tâche prescrite.

76Ce recadrage implicite est important : en effet, une importante partie de mon travail consiste à croire pour l’enfant, pour l’enseignant mais plus encore pour ses parents, que le changement est possible. Les entretiens me permettent certes d’emporter leur conviction « intellectuelle » que leur enfant est capable de faire l’effort demandé mais leur conviction profonde est inverse. D’où l’importance du dialogue que j’ai avec la famille par l’intermédiaire du cahier de liaison. La lecture que je leur propose, semaine après semaine, de ses résultats et de ses efforts, permet à leur demande de s’inscrire dans la durée. Donnant le temps à l’enfant, par ses progrès et enfin par sa réussite, d’emporter leur conviction définitive.

77Pour conclure, attribuer à un enfant un âge virtuel inférieur à son âge réel peut paraître une démarche normative mais n’est-il pas légitime de redonner à chaque enfant la possibilité, c’est-à-dire la liberté dont il ne dispose pas, de se conformer aux attentes mesurées, sociales et scolaires de l’école ? Lui permettre de se sentir compétent, en réussite et l’aider à trouver sa place parmi les autres me paraît au cœur de mes missions d’enseignante spécialisée.

Références

  • AUSLOOS G. (1995) : La compétence des familles. Érès, Ramonville Saint-Agnes.
  • BERLIOZ A. (1999) : Systémique et rééducation, en milieu scolaire : la mobilisation des compétences parentales. Thérapie Familiale 20-1 : 3-21, Genève.
  • BERLIOZ A. (2002) : Proposition de classification des élèves en difficulté au CP et remédiation. Psychologie & Éducation 51 : 61-77.
  • BERLIOZ A. (2008) : “Maman, aide-moi, je suis trop petit!” ou les conséquences scolaires du manque d’autonomie. Thérapie Familiale 29-4 : 11-26, Genève.

Mots-clés éditeurs : difficultés scolaires, âge virtuel de compétence, échelle des âges, outil métaphorique

Date de mise en ligne : 14/08/2012

https://doi.org/10.3917/ctf.048.0249

Notes

  • [1]
    Institutrice spécialisée G (rééducatrice), école élémentaire Joliot-Curie, Saint Martin d’Hères.
  • [2]
    Recadrage : proposition d’une lecture alternative de la situation.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.89

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions